Femme au bord (opposé) de la crise de nerf

Lockdown ”light” en Rhénanie-Palatinat ? N’empêche, ça fait râler !

Aujourd’hui c’est le premier dimanche de l’Avent. Noël approche avec bonheur. Les festivités ont été anticipées depuis début novembre, pour accélérer le ”lockdown light”. On a l’impression d’en être au troisième calendrier de l’Avent. Mais ça y est décembre approche !

Chais pas vous mais j’en ai marrrrrrrre de cet enfermement. Pourtant il est bien moins sévère qu’en France, où il vient d’être assoupli. Ici, il continue à l’identique ou presque. Le nombre de convives autorisés autour d’une table vient encore d’être abaissé. Mais on peut sortir à volonté. C’est quand même mieux que la quarantaine absolue à notre retour de France au début du mois.

Après deux semaines à la maison, j’ai craqué. J’ai craqué une heure avant de pouvoir sortir. J’ai hurlé que y’en avait ras le bol ! Vous m’avez peut-être entendue depuis votre cellule ?

Après le compte à rebours pour enfin sortir, j’ai lâché à 17 heures mon mari coincé par un coup de fil professionnel. Je ne pouvais attendre une minute de plus. Avec une grande inspiration, j’ai fait un rapide tour du quartier (pas grand changement, plus de feuilles par terre que dans les branches, et que la dernière fois que j’étais passée). J’ai enfourché mon vélo pour aller, dans le crépuscule, chez le maraicher acheter de la mâche, une salade pain de sucre palpitante et des épinards croquants, cueillis le jour-même le long du petit ruisseau du Gonsbach. Y’en avait marre des feuilles molles de la salade de supermarché. On se rabat sur ce qu’on peut contrôler. Sur la vie qu’on peut attraper.

Le nouveau confinement partiel a à peine quelques semaines : il semble déjà interminable. On est libre de nos mouvements, mais les destinations de loisirs sont éteintes. Musées, restaus, cafés, cinés, piscines et salles de sport sont fermés. Il reste les chemins mouillés, les arbres en tenue d’automne, les vignes arlequin sur les pentes et le courant du Rhin, sans limite de distance (au moins tant qu’on reste dans le même Land). Les copains ont été confisqués, posés sur une étagère trop haute. On se retrouvera un jour, quand…. Quand… je ne sais pas. J’allais écrire une échéance, je n’en ai pas.  Un par un ça va encore, c’est déjà ça. Tant que les écoles restent ouvertes… tant qu’on est en bonne santé, tant qu’on sait les siens en sécurité….

Non.

Ça ne suffit pas. Toutes ces privations quotidiennes, les inconsistances et incohérences, ces renonciations minuscules, et frustrations à répétition ça vous grignote la patience. Surtout sans avoir d’échéance. La récidive a la peau dure : elle nous a subtilisé le futur. Tu le vois, tu le vois, tu ne le vois plus (oui, avec Santa and co, on a reparlé d’Alain Chabat : mais si, c’est le même qui joue César dans Astérix et Cléopâtre). Nous tournons en rond autour de notre pieu. Mais on est grands, on a appris la leçon, on n’ira pas se jeter dans la gueule du loup. Même si notre longe nous étrangle.

Parfois on préfèrerait s’évader pour sentir le parfum des herbes sauvages et libres. Tant pis pour les crocs acérés au petit matin. Mais la loi et le Bureau de l’Ordre (Ordnungsamt) sont là pour nous protéger de nous-mêmes.

Voilà de quoi apprécier secrètement le désordre de notre côté de la porte d’entrée. (On ne dit pas porte de sortie pour une maison, ça n’a jamais été plus vrai). Pour l’instant tant qu’on n’invite personne on peut à peu près faire ce qu’on veut chez soi.

Le voisin l’a bien compris, hélas. Il exerce une profession liée aux fêtes. Donc en ce moment il trompe son ennui à coup de scie à métaux et de perceuse. Il refait sa terrasse grande comme un napperon en dentelle (on le sait on a la même) depuis deux mois. Deux mois. Avec la radio en fond. Heureusement dans une langue inconnue. Maintenant il s’attaque aussi à son intérieur et à nos nerfs. Et si on lui passait une petite commande histoire de le distraire ?

Côté bricolage, je ne me suis pas réinscrite à la VHS (Volkshochschule, équivalent de nos MJC) pour la série de cours de terre avant Noël. J’ai écrit à ma prof : désolée je serai absente pour cause de quarantaine, viel Spass (amusez-vous bien). Alors pour utiliser mes doigts ailleurs que sur ce clavier et créer en 3D, j’ai commandé de la laine. Pour au moins dix projets. J’en ai acheté chez deux fournisseurs différents (complémentaires). Depuis que j’ai commencé le premier pull, j’ai planqué les stocks pour éviter aux cartons pleins de me narguer.

Les brins de laine noire et duveteuse comme des fleurs de coton étaient invisibles sur des aiguilles bleu marine. Je piquais à l’aveugle en râlant. Mon tricot circulaire ne marchait pas comme je voulais : les mailles refusaient de remonter sur les aiguilles, le rond de se refermer. Maintenant j’ai fait au moins dix rangs, ça a l’air de marcher. Le projet prend (une) forme. Mais les aiguilles recommandées dans le patron (bien plus grosses que celles indiquées sur ma pelote) créent une succession de jours. J’ai l’impression de tricoter un filet. Ça fait beaucoup de tracas pour m’habiller avec des trous. Une tenue pour sortir les poubelles puisque c’est la grande aventure du moment ? Ou alors peut-être vais-je en rester là, et transformer ce début noir et poilu en sautoir new-age ? Je retournerai alors à mes bonnets…

En même temps, créer une chaine de jours… c’est plus qu’adapté… Pardon pour le jeu de mot pourri, je n’ai pas pu m’empêcher. Au moins je ne vous verrai pas, comme font mes enfants, lever les yeux au ciel.

Tiens, le ciel où est-il ? Le brouillard est tombé. Il fait blanc. Les maisons de la rue se distinguent comme à travers une eau laiteuse. Un enfermement de plus. Hop, vous avez pris un peu plus : privation de vue. Eh non ! sur mon bureau, j’ai des cartes postales de nos amis allemands photographes et éditeurs en Ardèche : un potager d’automne lumineux, le trou du Pont du Diable (idéal pour se baigner en eau fraiche et verte, et sauter de haut pour ceux qui ont le courage), en dessous des orgues basaltiques de Thueyts (puisque je suis ici, veuillez m’excuser un instant, j’adresse un salut amical à ma maîtresse de cours élémentaire). Sur le sable au fond de l’eau un amoureux amphibie a écrit avec des cailloux un message à sa douce. Du soleil, des rivières et du ciel ardéchois j’en ai tout plein. Et toc. ( A vous de ne pas voir la langue tirée au brouillard allemand).

Pourtant il est bien intentionné ce brouillard avec son froid humide. Il encourage à rester chez soi, à éviter les covideries.

De toutes façons les sorties me semblent toujours conditionnelles. Les deux semaines de privation de liberté m’ont marquée au-delà de la date limite. Mon bras a toujours une hésitation au moment de saisir mon sac et ma veste. Ai-je le droit ? Pas besoin de bracelet électronique, le conditionnement a fait son œuvre. L’autre jour en sortant faire un tour de pâté hygiénique (le tour, pas le pâté), j’étais toute surprise et émerveillée de pouvoir marcher dehors, vers une destination de mon choix (plutôt vers la droite ou vers la gauche le tour de 5 minutes ?), comme si j’étais libre.

Dans la limite des conditions imposées.

Même les plantes font partie du dispositif de sécurité. Quand un livreur a sonné, faute de trouver les clefs rapidement pour lui ouvrir, j’ai voulu sortir par la porte fenêtre adjacente. Je n’ai pas pu. Des plantes grasses épineuses gardaient le bas. Les vrilles de la vigne entortillées aux montants du store m’ont retenue plus haut. Les lianes échappées de chez le voisin nous emmaillotent. Ce week-end, dans son grand ménage de confinement, il a taillé sa vigne. Pas de vent et pourtant d’un coup les arbustes de l’entrée se sont secoués. Une à une les guirlandes dorées se sont affaissées. Elles me manquent.

J’ai détortillé une à une les vrilles encore accrochées. Qui d’elles ou de moi libérait l’autre ?

Prenez soin de vous avant de craaaaaquer ! ;o)

PS : Je m’étais plantée : il fallait tricoter en double. J’ai recommencé le pull, et depuis je l’ai fini. Trop large, trop court, il est top à la mode pour ma jeune fille :o). La prochaine fois je ferai un échantillon…

PPS : J’écoute Queen : I want to break free ….

Energies gaspillées (non renouvelables)

Comment se préserver des agressions extérieures quand elles s’infiltrent tous les jours via nos écrans ? Pour les hypersensibles ça relève de la survie.

Ferme le robinet quand tu te brosses les dents ! Arrête le radiateur quand tu ouvres la fenêtre ! Eteins la lumière quand tu sors !

Préserver l’eau et l’électricité, économiser l’argent qui les paient. La leçon est connue. On reste vigilant. Pourtant une certaine énergie devient de plus en plus difficile à préserver : celle qui nous sert de bouclier contre la boue répandue dans les médias au sens large. Morts aux cons… Vaste programme (mon père). Et tant pis pour la solitude (mon prof de philo de prépa).

Certains ont un pouvoir de nuisance plus élevé que d’autres.

Mon fils m’a tracé une courbe sur un petit calepin : la montagne de l’imbécillité (sic – on a beau avoir fait hypokhâgne et khâgne, on a toujours besoin de mettre deux L aux imbéciles, peut-être pour qu’ils soient plus légers à supporter – et là je peux utiliser le ‘sic’ comme il faut, c’est lui qui m’a corrigée). En abscisse : la connaissance, en ordonnée : la confiance. La courbe dessine la bosse d’un dromadaire avant de remonter en pente douce, après la vallée de l’humilité. Le nom savant c’est l’effet Dunning-Kruger. Rappelez-vous Michel Audiard : ‘’Les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnait’’.

Ne suivez pas mon regard. Les cons pullulent hélas. Trop près de nous parfois : on est toujours le con d’un autre. M’enfin…

Quand je vois l’énergie qu’il faut dépenser, et l’argent gaspillé tout ça parce qu’un jour un politicien ambitieux et peu scrupuleux des conséquences (pardon pour les pléonasmes) a proposé la baguette magique du Brexit pour résoudre tous les problèmes. L’énergie pour rétablir (un peu) les faits quand la personne à la tête du pays le plus puissant du monde passe son temps à mentir. Celle pour colmater les brèches dictatoriales dans la démocratie. Quel gaspillage de tous les efforts de construction des générations précédentes comme s’ils étaient acquis. Gaspillage de temps, d’argent, de notre patience. Quelle insulte au bon sens de leurs électeurs !

Mainz, dans une ruelle

J’essaie de me préserver au maximum des réseaux sociaux.

J’ai une image très négative de Twitter où je n’ai aucune envie de tremper les neurones. Facebook m’a rebutée quand j’ai créé une page pour mon atelier de peinture sur céramique voilà quelques années. Bilan, je ne suis présente que sur Instagram et encore du bout des doigts. Son côté créatif, esthétique et gai me plait… dans le respect des doses prescrites. L’uniformité lisse est insidieuse. La toxicité s’insinue dans les atteintes à la confiance en soi. Une goute par ci, une goutte par là. L’acide de la perfection des autres ronge la peau.

La vitrine des apparences sur écran est encore pire que dans la vraie vie. Là où on se comparait malgré soi à un ami, un collègue, un voisin, on peut se mesurer à la terre entière. Une terre sans aspérités et homogène, jeune et en bonne santé. Peuplée de petits chats et de jolies filles (peu habillées). Je cherche à apprendre : dans les dix trucs pour améliorer sa présence Instagram il est conseillé de poster des photos de son chien. Vraiment ?

(Non ça ne me suffira pas à céder aux supplications de mes filles).

Soucieuse de préserver mon cerveau hypersensible de conséquences démultipliées, je filtre énormément. Mais l’autre jour tentée par un site créatif, je me suis laissé happer par des photos dignes de magazine, des réalisations à mon goût… Ma raison a beau eu me chuchoter de me méfier des apparences, j’ai posé mon téléphone avec amertume.

Vilaine jalouse.

Ça n’est pas très agréable comme sensation vous imaginez. Ni de se regarder devenir comme cela.

Le Rhin à Budenheim, samedi

Je filtre mais même sur la page de l’actrice anglaise, Miranda Hart, mon gourou en authenticité j’ai été choquée. Pas par elle, non, car c’est la seule personne dont j’ai connaissance qui accepte de se montrer ”pour de vrai” le cheveu gras ou mal habillée. Elle le fait ostensiblement sur sa page pour contrebalancer les mensonges par omission de la planète. Elle partage des sensations qui semblent sincères. Même s’ils viennent pour son humour, ses fans restent pour sa vulnérabilité assumée. Elle les touche au cœur.

Donc là, sous un de ses posts, j’ai lu une de ses réponses (bienveillante, ouverte) à quelqu’un. Intriguée, j’ai lu le commentaire (pof glissade dans le piège insidieux des réseaux sociaux : toujours plus, et même vers des destinations que l’on souhaite éviter). Et là je suis choquée : une Américaine avait écrit dans une forme raisonnable des arguments qui l’étaient moins. En substance : J’en ai marre d’être considérée comme une méchante parce que je vote républicain.

Non.

A un autre moment de l’Histoire oui mais aujourd’hui, non.

Trop facile.

Quand un charlatan monstrueux a eu quatre ans pour montrer son pouvoir de nuisance, on ne peut pas se cacher derrière la couleur de son bulletin de vote. 70 millions de gens ont pourtant voté pour lui. Mon mari dans une démarche scientifique cherche à savoir pourquoi : il réfléchit. Mon analyse politique est plus expéditive. Ce sont des gens irresponsables qui ne réfléchissent pas plus loin que le bout de leur fusil pistolet (un fusil c’est encore trop long). Des gens qui osent tout. La proportion donne le vertige.

Le Rhin, en face, un autre samedi.

Là ma raison revient à la charge : tu veux t’améliorer sur Instagram ? Tu veux être likée par une majorité molle ? Celle que tu fuis au quotidien parce que tu ne t’y sens pas bien ? Tout ça pour le petit boost d’endorphine ? Et en refusant de tricher ? Ressaisis-toi. Miranda peut se le permettre grâce à sa côte d’amour gagnée par son talent d’humoriste. Toi si tu y vas franco tu vas juste faire peur.

Non mais tu comprends, je lui réponds (ça discute beaucoup dans ma tête, pffff), j’essaie juste d’apprendre les codes de mon époque. Pour ne pas être trop has been avec mes filles (mon fils, lui préfère les bouquins aux écrans qu’il ne fréquente pas). Rentrer dans une case ? Encore ? T’en as pas marre d’essayer ? Ça ne marche jamais et tu t’en sors avec des cicatrices.

OK, OK.

J’essaie de rester authentique dans mes écrits et mes publications. Tant pis si ça ne rentre pas dans les photos carrées d’Instagram. Ni dans les algorithmes de Google.

Mais le mal sournois s’insinue à mon insu. Chaque jour je reçois plusieurs commentaires à mes articles. Ecrits en anglais, ils semblent venir de sources aux graphies exotiques. Des mails qui parlent de toute la boue (plus ou moins légale) vendue ailleurs et pointent grâce à des liens vers ces sites. Tous les jours je consacre de longues minutes à trier et jeter. Je gaspille du temps et de l’énergie.

Je reçois aussi des inscriptions de gens inconnus aux noms aux consonances anglophones (curieux à la longue sur un site en français) et aux adresses mail sans jamais aucun rapport avec le nom. Au début j’étais contente de cette progression. Depuis juin, plus rien de louche. Ah, WordPress a dû faire une mise à jour. J’ai testé une adresse mail dans Google : Norton a clignoté comme un arbre de Noël : site dangereux.

Je me suis renseignée. J’ai appris (ce que vous savez déjà sûrement) que les commentaires malintentionnés étaient fréquents sur un blog et qu’il existait des filtres à activer (et à payer). Je l’ai fait. J’ai aussi supprimé tous ces faux abonnés. Un poids délétère s’est envolé de ma poitrine.

Gardons notre élan pour créer plutôt que pour se préserver des assauts malveillants du monde entier qui entrent sans frapper. Au moins avec les pubs dans la boite aux lettres ça reste bon enfant et local. On s’en tient aux pizzerias du quartier. Un petit carré de papier collant nous protège : Keine Werbung bitte, danke (pas de pub svp, merci).

Dans une vie grillagée de contraintes coronesques, c’est agréable de se sentir libre d’écrire tout cela. La pensée et la parole comme derniers espaces de liberté.

L’autre matin dans un élan de courage du début de semaine, et aussi pour m’occuper pendant que je grignotais mes tartines (pain archi-complet et pate d’amandes), j’ai voulu regarder les titres des journaux. J’ai tapé lemonde. Les merveilleux algorithmes de mon moteur de recherche m’ont proposé des tas de recettes de boissons au citron (lemonade). J’ai pu atterrir avec un sourire acidulé sur la une du Monde. Je n’ai lu qu’un article, dilution du sourire. Emmanuel Macron regrettait, dans son hommage à Samuel Paty, la timidité des condoléances de pays étrangers censés partager nos valeurs de liberté d’expression. J’avoue (comme dirait ma fille 500 fois par jour) que j’ai été surprise par les articles que j’ai lus dans la presse britannique sur le sujet. Timorés au point d’être ambigus. La séparation de l’Eglise et de l’Etat reste un concept exotique et progressiste même pour nos voisins démocratiques.

Novembre en ciel

Et pourtant…. A l’échelle de notre quartier, l’Allemagne, a rendu hommage à Samuel Paty.

Oui l’Allemagne, où il faut déclarer sa religion à la mairie lorsqu’on arrive (pour se voir attribuer les impôts associés). Au Gymnasium de nos filles, à la rentrée des vacances d’automne, un message du directeur au micro général a demandé à toutes les classes, du CM2 à la terminale de faire une minute de silence. 1100 minutes d’adolescents et 120 minutes de professeurs. Ça m’a beaucoup touchée. Les filles aussi bien sûr. Elles n’étaient pas au courant. D’habitude nous essayons de traduire les événements importants en langage édulcoré. Mais là nous n’avions pas encore pu. Déjà que notre benjamine ne veut pas rentrer en France par peur des attentats…

Source en cabane

Je ne devrais pas recevoir de commentaires désobligeants de la part de ceux qui redoutent la liberté d’expression. Mes articles sont classés « rouge » par mon logiciel : « ne peuvent pas être compris par des enfants de 11 ans ».

Permettez-moi de conclure sur une citation du Marquis de Sade que j’aime beaucoup : « Tous les hommes sont fous, et qui n’en veut point voir doit rester dans sa chambre et casser son miroir. »

Ça tombe bien, dans ma chambre y’en a pas de miroir.

Carnaval Zoom

Le 11.11 à 11 heures 11 a été lancée la campagne de Fastnacht (Carnaval) 2020-2021. En toute petite pompe.

Pouet, pouet, zim boum boum.

Carnaval commence en Rhénanie le 11 novembre. La cérémonie très officielle est organisée chaque année sur la place Schiller, dans le centre ancien de Mainz. Une journée de foule et de défoule, repère pour les Mayençais, de l’entrée dans la période des fêtes. A ma question : « Mais que se passe-t-il place Schiller le 11/11 ? » un ami franco-allemand m’avait répondu : « Tu verras. Tu y vas, et tu t’laisses aller. »

Nous y étions descendus en famille il y a deux ans curieux de découvrir cette tradition. Les enfants étaient déguisés comme nos guides du jour, une amie allemande et sa fille. Nous avions rejoint le centre-ville dans un bus bondé car la circulation des trams était modifiée. Des milliers de citoyens de tous âges se massaient autour du Fastnachtbrunnen (la fontaine de carnaval), devant l’hôtel particulier, l’Osteiner Hof. Sur le balcon central se tenaient les maîtres de cérémonie derrière un micro. A l’heure précise, toutes les voix ont compté à l’unisson. 5 ! 4 ! 3 ! 2 ! 1 ! Puis une forêt de mains droites a fait trois saluts scandés par les HELAU ! HELAU ! HELAU ! Après la proclamation de la charte de carnaval dans un silence impatient, les bombes à confettis et les cris joyeux ont éclaté. Les serpentins se sont envolés, les bouteilles de bière entrechoquées.

Etant peu adeptes des foules, déguisées ou pas, nous ne nous sommes pas laissé aller. Après la cérémonie, nous avons joué des coudes pour atteindre une pâtisserie et ses beignets. La deuxième année nous avons fait l’impasse.

Ce matin, curieuse et masquée, je suis descendue en ville pour pouvoir vous raconter comment se passe le Elfter Elfter (11/11) en période de confinement partiel. Je ne risquais pas grand-chose : tout regroupement est interdit. Je peux faire ma maline et être plus mayençaise que les copines.

Le ciel blanc diffusait une lumière blafarde de jour de neige, sans le froid associé. En début de matinée, j’ai pu trouver dans un tram calme une place assise avec l’Abstand (la distanciation sociale, ici de 1.5 à 2 m) de rigueur. Dans les rues, les premières décorations de noël ne compensaient pas les terrasses de café fermées et les vitrines éteintes des restaurants. Signe d’une journée particulière : plusieurs passants portaient une écharpe couleurs de Fastnacht (rouge, blanc, bleu, jaune), ou une grosse médaille sur une ficelle bariolée. Parfois leur masque portait les mêmes rayures. Dans une rue du centre piéton commerçant, une queue ordonnée et espacée s’allongeait devant un bâtiment quelconque que je n’avais encore par remarqué. C’était le siège du Mainzer Carneval Club 1838 e.V. .

Le théâtre ce matin. Vorhang zu und alle Fragen offen : le rideau est fermé, les questions restent ouvertes.

Après avoir flâné dans des rues oubliées depuis plusieurs semaines, je me suis dirigée vers la Schillerplatz. En face du théâtre fermé, j’ai acheté du pain d’épices de qualité (Lebkuchen). C’est un magasin temporaire qui vend des glaces en été. (Oui merci, de ce côté-là nous sommes équipés, pour notre consommation locale et les envois familiaux, si les petites mains ne trouvent pas la cachette). Après avoir remonté une Ludwigstrasse vide, derrière un arlequin aux cheveux gris, je suis arrivée juste avant 11h11.

Osteiner Hof derrière le Fastnachtbrunnen (fontaine de carnaval) qui cache le balcon.

Devant l’Osteiner Hof, blanc et rouge brique, comme beaucoup de bâtiments anciens de Mainz (y compris l’Institut Français à proximité), des petits groupes de deux ou trois personnes attendaient, dispersés. Les consignes de sécurité, distances et masques, étaient respectés. Des curieux comme moi ou des carnavaleux fanatiques qui, bravant l’interdiction, allaient exploser bientôt ?

C’était un attroupement décousu et sans liesse. Les portables se tenaient prêts à filmer. Un couple assorti en déguisements traditionnels verts posait avec leur bébé devant la fontaine (sans eau) pour un journaliste. Deux copines grenouilles marchaient côte à côte. Une dame sous un parapluie rouge bordé de ballons haranguait ses voisins. Des copains assis sur les bancs entre les troncs écaillés des marronniers buvaient des bières dans des gobelets en plastique.

Soudain ce fut l’heure.

Une voix d’homme au micro a rappelé qu’aujourd’hui il n’y aurait pas de cérémonie. Merci de la regarder en ligne.

Les badauds, qui n’attendaient que ce signal, ont scandé HELAU ! HELAU ! HELAU ! en agitant la main. Devant moi une bombe à confetti minuscule a éclaté. Derrière, une autre. Deux groupes se sont interpelés et ont trinqué à distance.

Voilà. C’était calme et bon enfant. La voiture de police garée devant n’a pas eu à intervenir.

Je suis repartie pour l’autre bout de la place, attendre mon tram. Des feuilles de marronniers tombaient derrière la statue de Schiller vert-de-gris. Les flâneurs passaient leur chemin. A la fenêtre d’un appartement, un visage dans l’ombre regardait la place en contre bas, derrière des jardinières décorées en rouge-blanc-bleu-jaune. A l’étage du dessus, une jeune fille accrochait au rebord de sa fenêtre ouverte le bout de serpentins aux couleurs fanées. Elle se penchait pour les laisser couler le long de la façade.

Ça fait un peu pétard mouillé cet attroupement doux-amer. Beaucoup de Mayençais (comme les habitants de toutes les villes de carnaval de Rhénanie) doivent être déçus de ne pouvoir faire la fête aujourd’hui. Mais si j’en crois les blagues qui circulent sur Whatsapp ils ont l’air de le prendre avec humour.

Sur le site de la radio et télé locale SWR, j’ai vu les photos prises par le journaliste : le couple en vert, la dame sous son parapluie… des photos que j’avais envie de prendre mais que je n’ai pas osé faire. D’après lui 100 à 150 personnes étaient présentes. J’aurais dit moins, mais je n’ai pas l’habitude des dénombrements de foule. Sur cette place clairsemée, il était intéressant de le voir à l’œuvre. Ce n’est pas si souvent que c’est possible. Le besoin de faire reportage sur l’absence dénote la taille du manque.

(En passant sur le site de SWR j’ai été happée par une recette de gratin de pommes de terre au Lyoner. Ce n’est pas un habitant de Lyon découpé en tranches fines, mais une grosse saucisse. Il y en a chez le boucher du marché, mais on n’a pas encore gouté).

Statue de Schiller sur la place du même nom, au fond : l’Osteiner Hof

Maintenant que les festivités sont officiellement ouvertes en Rhénanie, les préparatifs vont s’intensifier. Bricolage des calendriers de l’Avent (avec 24 petits cadeaux pour chacun des enfants, les veinards) et des Adventkranz, la couronne de l’Avent en branchages ornée de quatre bougies (une pour chacun des dimanches de l’Avent). Les enfants n’ont pas pu défiler en chantant dans la nuit avec leurs lanternes pour la saint-Martin (aussi le 11/11). Mais il reste encore des plaisirs que le corona ne confisquera pas !

Influencée par mon environnement (et motivée par mes expériences passées frustrantes) je m’améliore côté anticipation. Les quatre bougies rouges sont dans un placard (yes !). La semaine prochaine au marché j’achèterai la couronne de verdure (un jour il faudra qu’on apprenne à la faire vraiment). Nous la décorerons avec les enfants. Côté calendrier de l’Avent, on se contente de (beaucoup trop de) chocolats et de fudge. Les petits cadeaux chez nous sont, à l’anglaise, dans les stockings, au matin de Noël (si on a été sage, sinon on trouve des morceaux de charbon). L’heure est au Christmas Cake, ce gâteau épicé riche en fruits secs qui cuit trois heures. Rappelez-moi d’acheter des raisins de Corinthe.

Hier au collège, les élèves ont pu commander pour 1 € une petite figurine de Nikolaus en chocolat. Elle sera livrée le 6 décembre de sa part à l’ami de son choix, dans sa classe, une classe voisine, ou même un autre Gymnasium de Mainz. Ma plus jeune avait pris son portemonnaie. La queue était si longue qu’elle a dû renoncer pour aller en cours.

L’actualité de Mainz comprend deux autres nouvelles : l’annulation prévisible mais regrettée du marché de noël, et le communiqué du laboratoire Biontech sur ses avancées sur le vaccin contre le corona. Il sera conditionné dans des flacons de verre fabriqué par Schott, une autre entreprise de Mainz. Notre ligne de tramway passe devant le siège (en verre) et les longues cheminées (en brique) d’une de leurs usines.

Quel plaisir d’écrire cela ! Les bonnes nouvelles ne courent pas les rues désertées. Je ressens presque une pointe de fierté chauvine et involontaire (car notre présence sur les lieux de ces progrès humains tient du hasard). Comme si Mainz m’avait adoptée.

Fastnachtbrunnen, avec de l’eau, en été

Pour fêter ça je vais accrocher des petites guirlandes lumineuses autour de la fenêtre de mon bureau. En ces temps gris, on peut tricher un peu non et rallonger la période de Noël ? ‘’D’habitude’’ – mais ce mot a perdu son sens – on attend le 1er décembre pour sortir les films, les livres et les disques de Noël. Aujourd’hui ma benjamine était patraque et du fond de son canapé elle m’a demandé de sortir Santa and co. Allez oui ! Même sans fêter le Elfter Elfter sur Zoom, on a tous besoin de lumières scintillantes !

Chambres avec vue

Enfin, plus ou moins… Quelques jours de vacances dans la forêt vosgienne = deux semaines de quarantaine. Serions-nous partis si on l’avait su ?

ACTE UN ~ En Lorraine – Jeudi

Une chambre d’hôte dans la forêt vosgienne, dans un corps de ferme en pierres rouges du XVIIIème siècle. Des coccinelles se promènent égaillées au plafond et sur les murs. Par la fenêtre, les douvent d’un étang ni vert ni noir retiennent les sapins qui dégringolent de la colline. Entre les troncs, on aperçoit le mur lie-de-vin d’une maison borgne. Le soleil se couche. Quelques rayons éclaboussent le mur du fond de la chambre. Il fait bon. Une femme est assise sur le lit.  Vêtue d’un jean et d’un pull de laine bleue marine, elle tient entre des mains trop proches un ouvrage de tricot beige hérissé de courtes aiguilles de bois (oui encore, un béret ce coup-ci). Un homme en jean et gros pull bordeaux au col zippé se tient debout appuyé contre le mur. Il tient une tablette. Son regard est grave.

Lui :       Mince (alors) ! depuis qu’on est partis, le nord-est de la France est passé en zone dangereuse pour l’Allemagne.

Elle :      Zut ! qu’est-ce qu’il faut faire alors ?

-Attends je cherche.

Il consulte un site web. Un autre. Une troisième. Tous officiels. En allemand, avec leur traduction en anglais. En français.

-C’est pas clair. Il semblerait qu’on doive se mettre en quarantaine.

-Zut ! Et le test ?

-Le test ça n’a pas l’air obligatoire quand on est en quarantaine. En tout cas pour le Land de Rheinland-Pfalz. L’ambassade de France dit qu’il faut les deux.

-Les deux ? Mais on est perdus dans la forêt. On n’a vu personne ou presque. Bon, certes ceux qu’on a vus se tapaient la bise comme au bon vieux temps-de-l’an-dernier, et se serraient dans les bras à pleine bouche. Et les masques n’ont pas l’air d’être à la mode. Mais on en est resté loin… Et si on la fait pas, la quarantaine ?

– 25.000 euros d’amende.

– Par personne ?… Ça fait cher la balade.

– Yep ! on va la faire donc. Rester chez nous.

– C’est pas un peu excessif ? 1000 euros d’amende ça aurait suffi pour dissuader de trainer dans les restaus non ?

Au passage de la frontière, entre la zone commerciale de Forbach et la forêt palatine, la route est dégagée. Pas de véhicule de police, ni de distribution de formulaires de déclaration. Pourtant nous nous sentons comme des bandits de grand chemin. Des trafiquants de sardines au piment et de chasselas de Moissac, de romans français.

ACTE DEUX ~ A la maison – Mainz – Dimanche

Elle :      C’est bien joli la quarantaine, mais comment on va manger ?

Lui :       On a rapporté pas mal de nourriture de France, non ? Les ravioles, les tielles, la soupe de poisson, le cresson, les kilos de fromage, les Figolu et les madeleines, le chocolat à cuire, les châtaignes…

-Et les savons surgras et le dentifrice qui pique. Au moins si on n’a rien à manger, on sera propres ! Hi, hi. Ils disent quoi sur les sites web : on a le droit d’aller faire les courses ?

– C’est pas très clair. Il semble qu’il faille demander de l’aide aux voisins ou aux pompiers.

– Ah ouais je me vois bien … “Allo, les pompiers on voudrait quatre wiener Schnitzel mit Pommes“… On va faire une commande en ligne.

Les seuls camions de livraison de denrées alimentaires que nous ayons croisés dans le quartier sont ceux d’une chaine de produits surgelés – et encore rarement. Nous n’avons pas de congélateur.

– Regarde sur le site de Rewe. Il me semble qu’ils font des livraisons.

Des supermarchés Rewe y’en a plein autour de chez nous.

-Ah oui. Je prépare une commande… De la viande, des légumes, des fruits… C’est bon. Maintenant la livraison …. Arrrgh il n’y a aucun créneau disponible pendant deux semaines. Ensuite les dates s’arrêtent.

-Non ! Incroyable ! si on est coincés ici à Noël on a intérêt à anticiper nos commandes dès maintenant, sinon, les Allemands vont nous court-circuiter la dinde… Regarde Edeka, ou Real

J’ai vu des gens sortir du supermarché avec des décorations de Noël en branches de sapin début octobre.

-Non, eux ne font pas de livraison du tout

-HEIN ?

En France nos denrées sèches nous étaient livrées tous les mois au 6ème étage avec le sourire.

-Alors comment on fait ? Je propose de garder la carte ”voisins” pour le jour où on sera tous malades et coincés à l’intérieur. On envoie les filles ? Elles adorent ça, faire les courses. Elles sont restées en Allemagne, elles ne sont pas en quarantaine…

Notre seuil va bientôt se transformer en jungle

-Pas vraiment cohérent, tu ne trouves pas ?

-Non.

Elle ajoute en chuchotant :

-Mais on va pas s’appesantir là-dessus si on veut manger autre chose que des boites pendant deux semaines.

ACTE TROIS ~ A la maison, encoreLundi après-midi

Il raccroche sur une conversation professionnelle et sort de sa chambre-bureau pour une tasse de thé noir fumé. Les mains autour de son mug, elle hume la vapeur brûlante.

-Je viens d’échanger avec un collègue français. Il parait qu’il faut qu’on se déclare aux Autorités.

-Mince… pour qu’ils puissent venir nous mettre une amende si on n’est pas chez nous ?

-Il semblerait.

-Tu crois que la quarantaine commence à la date de déclaration ou à celle du retour dans le pays ?

Heureusement qu’on rentre de vacances en forêt. Parce que là, attaquer l’hibernation violemment, après une telle prise de tête pfffffff…. Ça ferait presque râler. Nous voilà punis, privés de sortie. Les feuilles dorées des peupliers par la fenêtre de notre chambre nous narguent. Elles vont tomber sans nous. Grrrr… moi qui adore le mois d’octobre et les promenades au grand air.

Le Ministère de la Santé allemande fait des communiqués sur Instagram pour encourager à prendre soin de son équilibre nerveux… On n’est pas aidés par les instructions absconses et contradictoires. Comment être équilibré quand on est privé de liberté et de nature ? Argumentez, vous avez 4 heures.

Une promenade seule dans la forêt franchement, quel risque ? Heureusement qu’on a fait des stocks de bouquins.

Recroquevillés sur notre quotidien franco-anglais, nous n’avons aucun contact avec l’extérieur. On pourrait être n’importe où, si on n’entendait pas des mots allemands dans les bouches des filles avec un pic aux alentours de 17 heures. Pour les devoirs.

ACTE QUATRE ~ A la maison, toujours – Mardi après-midi

Les filles viennent de rentrer du collège. Debout dans la cuisine elles grignotent leur madeleine en se versant un jus d’orange. Assise à table, je lis un cahier de ma plus jeune. Mais les devoirs ce sera pour plus tard.

-Les filles vous voudrez bien aller faire les courses s’il vous plait ? Sinon on ne va rien manger…

-Oh oui, fais des pâtes !

-Sérieusement, vous pouvez y aller ?

-Oui, oui. En vélo ?

On frappe à la porte. Sans doute un colis pour nous ou le voisin.

« SURPRISE ! » Il lève les bras au ciel, son sac sur le dos. Il ne porte pas de manteau.

Il nous faut un quart de seconde pour accepter ce que voient nos yeux. Oh c’est mon grand garçon / mon grand frère ! Il nous a fait la surprise ! Une fois son test négatif réalisé, il a réorganisé ses vacances pour passer quelques jours avec nous. CHOUETTE ! Merci !

Génial !

-Alors toi aussi tu es en quarantaine avec nous donc ?

-Oui. Mes deux tests négatifs ont plus de 72 heures.

(Pas beaucoup plus et il est resté planqué en attendant les résultats).

-Tu t’es déclaré aux Autorités ?

-Oui dans le train ils ont fait une annonce. Je l’ai fait en ligne.

-Allez les filles en piste pour les courses, voici la liste, les sous (ouf, heureusement que j’avais fait un retrait avant de partir). Non pas de bonbons pour Halloween. On en a rapporté de France.

Pas de trucs lourds non plus. Le lait, le jus, le papier et l’encre pour l’imprimante on l’achètera sur Amazon, hélas.

EPILOGUE ~ A la maison… si, si. Mercredi

La courbe du corona perce la stratosphère. Angela Merkel ferme les restaus et les piscines, et autres lieux de détente et de plaisir, à compter de début novembre pour un mois. Le soir, entassés sur le canapé, nous écoutons religieusement le discours d’Emmanuel Macron (tablette + VPN). La question porte moins sur le confinement que sur les modalités et la durée.

-Tu veux pas rester un peu plus longtemps mon grand ? Si les choses sont comme au printemps, au moins ici tu pourras sortir à plus d’un kilomètre et pour plus d’une heure.

Enfin, pas tout de suite. Dans deux semaines seulement.

Il n’a pas voulu. Mais au moins on a pu fêter son anniversaire en famille, autour d’un gratin dauphinois, de confit de canard et d’une tarte au citron. Pour ne pas l’abimer on a planté les bougies sur un citron. La déclaration en ligne ne prévoyait pas de date de départ. Pourvu qu’en cas de contrôle, les Autorités comprennent la nécessité de repasser la frontière dans l’autre sens avant la fin d’une quarantaine.

Pour ma récréation demain, je sortirai les poubelles.

Tout rouge

Dimanche, début d’après-midi, une heure bizarre. C’est encore le temps du repos, de la détente. Le moment de profiter du clapotis du soleil dans les plis des arbres. Bientôt, plus tôt, viendra le soir, et avec lui l’empressement de terminer ce qui doit l’être avant de rattaquer la semaine. On retrouvera des réflexes, vider la quatrième machine du jour, ranger les mètres cubes de linge, préparer les cartables, éplucher les légumes pour la soupe. Pour l’instant tout est encore possible, même si l’envie dérive.

Cette heure en trop m’encombre. Mon corps hésite, entre besoin de repos postprandial et élan actif, bousculé par la contradiction entre son besoin physiologique et la lumière de la fenêtre. Aujourd’hui elle devance l’horloge. Une journée entre deux, comme quand on arrive en Angleterre.

Demain ce sera la rentrée scolaire en Rheinland-Pfalz. Mainz est passé en zone rouge pour le corona voilà deux semaines. Pour l’instant (touchons tout le bois disponible, les troncs de la forêt entière), les écoles sont ouvertes. Nouvelle injonction : l’obligation de porter un masque en permanence, même en cours. Les activités sportives des après-midis, qui regroupent des enfants de plusieurs classes semblent compromises. Pour des raisons de traçabilité, l’administration choisira sans doute de préserver les séparations entre classes. Tant pis pour la natation et la danse acrobatique, et les après-midis studieuses des parents.

Avec la reprise en vue, les mails officiels se bousculent. Des messages longs et bavards. La réunion parents-professeurs est maintenue mais en ligne. Au club de gym les groupes seront divisés : 5 enfants maximum dans le gymnase. Les leçons de chacun seront raccourcies. Les défilés de la Saint-Martin (à la tombée du jour, avec des lanternes) prévus début novembre sont annulés à Mainz. Le corona s’immisce un peu plus dans le quotidien.

Il a eu raison de notre regroupement familial pour les congés : le ‘’cas contact’’ est assigné à résidence. Mon fils a dû se faire tester deux fois en trois jours : une première fois pour préparer sa venue en Allemagne. Une deuxième fois sept jours après la rencontre d’un ami tombé malade. Annulation des billets de train. Décalage aux calendes allemandes de sa fête d’anniversaire. Ça donne envie de râler. De se fâcher tout rouge.

Avec mon mari nous nous sommes évadés dans une forêt. Entre sapins et épicéas, bouleaux et chênes. Entre quatre murs de pierres rouges, plusieurs fois centenaires, dans une chambre appelée ‘’la chambre du président’’ en souvenir du passage de François Mitterrand. Une cure de silence, de mousses, de tourbillons de feuilles craquantes comme la croute du gratin dauphinois. De parfum d’humus noir. Balades à la recherche de champignons tombés de livres d’images. Je guette les formes, les couleurs et les textures les plus inédites. Partout le parapluie de cuir rouge des amanites, violent et cocasse. Je cherche des lutins dans leur ombre. Les traces dans le lichen vert pomme au flanc du rocher sont-elles des empreintes d’elfe ?

Nous nous sommes adaptés à l’Allemagne : nos réflexes sont germains. Nous portons le masque partout, ne touchons personne. Pendant les vacances nous avons aperçu (de loin) des gens qui se font la bise. Comme si de rien n’était. Qui pensent que tout ça n’est qu’une mauvaise blague pour enquiquiner les gens.

Sur la place d’un village, le marchand de miel, un homme brun et jeune, avec quelques taches de rousseur nous laisse entrevoir son ventre. Il soulève son T-shirt et son pull pour mieux les glisser dans son pantalon. « Non mais vous vous rendez-compte ; ils ont annulé les marchés de noël, les foires. Qu’est-ce qu’on va faire nous ? Heureusement on vend un peu sur internet. Mais quand même ! Tout ça juste pour éviter que les hôpitaux soient saturés. Franchement… c’est pas un peu exagéré ? On ferait pas mieux de laisser mourir quelques personnes pour préserver l’économie hein ? » Il a fini de se brailler et remonte la fermeture Eclair de son blouson. Il ne porte pas de masque.

Les clients du marché en portent eux, mais s’agglutinent comme ils l’ont toujours fait. Comme des aimants de signes opposés. Nous fuyons : leurs frôlements me gênent, je n’ai plus l’habitude. Sur les marchés allemands c’est le contraire : les gens s’évitent comme des aimants de même signe. Gare à qui passe à moins d’1,5 mètre….

A une visite de contrôle récente, le pédiatre nous avait demandé pourquoi à notre avis les infections progressaient plus vite en France qu’en Allemagne. « C’est à cause des embrassades, non ? » « Oui sans doute », ma fille et moi avions répondu. Mais nous nous étions senties obligées d’ajouter, par solidarité ou chauvinisme : « Pourtant les Français qu’on a vus cet été ne faisaient pas la bise du tout, et ils portaient des masques ». Ces pratiques préventives ne semblent pas généralisées.

Ici à Mainz les gens et les caddies sont à nouveau sur les rangs. Une caissière a refusé à une amie un deuxième paquet de papier toilette. La psychose du printemps avait commencé plus tôt de ce côté du Rhin. Lecteurs de France, préparez-vous à ronchonner dans les supermarchés !

Au fond de la forêt, nous avons vécu une expérience nouvelle : une invasion de coccinelles. C’est un peu comme une attaque à main armée de la part d’un petit bonhomme de 4 ans, coiffé d’un heaume de carton, une épée en caoutchouc au poing. C’est charmant et ça fait sourire. Des centaines, des milliers de coccinelles sur la façade le la maison se chauffaient sur le crépi, tourbillonnaient au soleil. Des dizaines crapahutaient au plafond, sur les murs de la chambre du président, enfin, la nôtre. Le soir de notre arrivée, mon mari les a faites sortir une à une, équipé d’un verre et d’un dépliant de papier. Les troupes en armure de carnaval se montrant têtues, nous avons cédé, vaincus par le nombre. Les vrombissements minuscules nous ont bercé.

Nous avons récupéré nos filles à leur colo d’équitation dans les environs de Mainz. Ravies, épuisées et sales. Levées chaque jour en fanfare à 7 heures pour la corvée de crottin ou de paille, elles se sont lavées une fois en une semaine. Entre les temps à cheval, elles se sont frottées à des moutons, des poules, des chiens ou des lapins. Toute la ménagerie que nous leur refusons à la maison. En défaisant sa valise, ma plus jeune a retrouvé une chaussette évadée du sac de linge sale. Elle colle son nez dessus.

-Mmmm maman, sens, ça sent trop bon !

-Vraiment ? (mine sceptique et légèrement dégoutée)

-Oui ça sent le cheval ! On va pas la laver celle-là en souvenir.

-Si, si.

Les vacances s’achèvent donc. Des vacances sous le signe des petits points. Les blancs sur fond rouge des amanites tue-mouche. Les noirs-sur-rouge, jaune, orange, ou rouges-sur-noir des coccinelles en jubilé. Les pointillés désordonnés des insectes ronds sur le mur.

Tiens, ça me donne une idée de couture pour un nouveau masque. Si j’annonce la couleur (toxique) sur le museau, l’accès au rayon pâtes me sera-t-il prioritaire ?

Antivirus, Saumagen, et autres spécialités locales

Chers amis, me revoilà.

Tous les jours, j’écris, j’écris… des textes que je ne publie pas. Des chapitres pour mon projet de bouquin (disons, les premiers brouillons d’un texte très long). Des articles pour ce blog que je ne me sens pas encore prête à partager. Un bout de journal pour me libérer d’émotions en travers, et mieux comprendre ce qu’elles ont à me dire, avant de (tenter de) les relâcher.

Pourtant les idées jaillissent sans arrêt. Quand je tricote un 150ème bonnet pour m’assurer d’être capable de comprendre un patron, sans arriver à sauter dans le précipice et me lancer dans un pull. Quand je passe au moulin à légumes la chair orange des coings, le nez juste au-dessus pour profiter de leur parfum. Quand dans la salle de bains je ramasse une serviette par terre en râlant. Quand je me réveille au milieu de la nuit. Ou la tête en bas, entre deux phrases de ma prof-de-yoga-sur-écran.

C’est un gros avantage, le cerveau qui continue en arrière plan de travailler sur les projets. Du coup quand je m’assois à mon bureau, les mots coulent, sans temps mort. Mais ça a un côté ”Norton” : esprit toujours actif en fond, pas de repos, mémoire vive monopolisée pour des trucs que je ne lui ai pas vraiment demandés alors que j’aurais bien besoin de me souvenir moi dans quelle poche j’ai rangé la liste des courses. Et maintenant.

J’ai pas trouvé la liste ce matin. Enfin, pas au supermarché. En rentrant elle est apparue dans la poche arrière droite de mon jean, fouillée pourtant à trois reprises, garée au rayon légumes. Je ne crois pas avoir oublié d’ingrédient essentiel pour la soupe butternut – noix de coco – coriandre de ce soir. Mon amie d’enfance allemande (vous vous souvenez : L’amitié franco-allemande prend sa source en Espagne) et son mari viennent manger. Nous sommes super excités par leur venue ! Depuis combien de mois n’avons-nous pas reçu d’invités ?

Elle m’a appelée hier soir pour nous laisser le choix de la décision : to invite or not to invite, that is the corona-question. Les cas augmentent en Allemagne aussi. Il parait que Mainz est en zone rouge maintenant. Mon mari me l’a annoncé hier.

Vous ai-je dit que je ne consulte presque plus les informations depuis le mois de juin ? Dans un souci de prévention pour mon équilibre nerveux et mental. Donc j’apprends par lecteur interposé les événements importants du style (porte de la chambre-bureau qui s’ouvre) « Estelle, Trump a le corona ! ». Moi, (qui lève la tête sur un grand sourire) « Hi, hi ! ». Ma fille de 9 ans : « Eh, on ne va quand même pas souhaiter la mort des gens c’est pas bien ». Moi : « Non, non ». Hi, hi. Non.

Alors zone rouge chez nous. Je ne sais pas à quoi ça correspond et ne cherche pas trop à me renseigner pour éviter le découragement. Nous continuons de prendre les mêmes précautions… Mais l’anniversaire auquel était invitée ma plus jeune dans deux semaines a été annulé. Le magasin d’une créatrice de notre quartier ferme aujourd’hui jusqu’à la fin du mois et nouvel ordre. Un mail du collège nous a proposé de commander les livres scolaires en version numérique. Une classe a demandé aux élèves de vider leur casier avant les vacances pour avoir tout à disposition à la maison. Au cas où.

Au cas où.

Rouge donc.

Difficile de convertir la signification pour l’étranger : les couleurs du système d’alerte sanitaire différent selon les pays. Nous avons l’autre jour discuté à table des projets de Noël. Avec des bouts de famille en France et en Angleterre et vivant en Allemagne, on cumule les contraintes sanitaires de trois pays et du passage de frontières. (Finalement les grèves de l’an dernier étaient de la gnognotte). Londres ne semble pas une option probable. Ma belle-sœur qui vit près de Brighton a tenté de nous expliquer le code d’alerte anglais : il change régulièrement. Nous n’avons pas compris. Elle-même semble dépassée par ces limites mouvantes. Une chose reste vraie : elle en a ras le bol d’être empêchée de rencontrer des amis. Les Anglais réfléchissent à un nouveau confinement. Leur exemple nous encourage à profiter. Faisons le plein d’amitié tant qu’on a le droit. Mais bien sûr, j’ai répondu à mon amie, venez. On ne s’embrassera pas, non, on aèrera toutes les 20 minutes, mais venez ! Par amitié, VENEZ !

Les vacances d’automne ont commencé depuis vendredi. Nous avons décoré la fenêtre de coloquintes tarabiscotées, offertes par des amis et achetées au marché. La boule d’un chrysanthème vieux rose éclaire notre seuil comme une fleur géante. Des moules à tarte remplis de pâte de coing toute fraîche sèchent sur les surfaces planes disponibles. Les pots de gelée s’attardent sur le plan de travail avant de rejoindre le placard. Pour profiter de leur couleur ambrée. La semaine dernière j’ai même vu des colchiques dans les prés. Elles flÔrissent, flÔrissent, (comme chantait mon fils en maternelle, la bouche ronde comme le Ô). Dans le champ voisin un tourbillon d’oies grises chahutait en criant, préambule à leur départ prochain pour l’Afrique.

C’est donc l’automne, chez nous dans les arbres et sur le calendrier. Pourtant dans les magasins c’est déjà noël : Lebkuchen (pains d’épices), et Stollen (gâteau à la pâte d’amandes) sont en rayon depuis début septembre. Peu après les paquets de quatre bougies pour les couronnes de Noël (une pour chaque dimanche de l’Avent), et les boites cadeaux de chocolats les ont rejoints (l’anticipation commerciale me semble pire que mes souvenirs de la France). Ce matin j’ai été accueillie chez DM (la droguerie, para-pharmacie-denrées bio sèches que nous adorons pour tous les petits trésors) par un stand de maquillages pour Fastnacht (carnaval). C’est vrai qu’il commence le 11.11 à 11 heures 11. Mais cette année, pas de rassemblement en centre-ville sur la Schillerplatz pour la lecture en grande pompe des 11 articles de la charte de carnaval. La cérémonie privée sera rediffusée à la télévision, sur la chaîne locale SWR, et sur internet. Maquillages en chambre.

Cet automne on ne m’y prendra pas comme l’an dernier : j’achèterai les Lebkuchen avant Décembre – je n’en avais plus trouvé qu’à la gare de Francfort, sur le trajet pour Londres. Alors question : à quel moment est-ce raisonnable d’acheter les gourmandises de Noël, sachant 1/ que nos placards de cuisine sont pleins 2/ que nous n’arrivons pas à nous débarrasser d’une invasion silencieuse de mites alimentaires ?

Ce sera après les vacances. Si on arrive à partir. Je prie tous les dieux masqués et les divinités désinfectées de maîtriser l’expansion de ce virus. Imaginez : avec mon mari nous avons réservé une semaine dans la forêt dans le nord de la France, A L’HOTEL, TOUT SEULS ! Si le Grand-Est reste exempt des mesures de quarantaine en Allemagne, si la colonie de cheval de nos filles, organisée à une petite heure de Mainz n’est pas annulée…

Si, si, si…

Sinon va falloir improviser. (Allo, là-haut, esprit-Norton, c’est le moment de faire le beau, t’aurais pas une idée ?). Inventer des stratégies pour se croire en vacances chez soi. Dénicher un gite à la dernière minute en Allemagne ? On ne serait pas difficile sur la destination. Sortir de chez nous, casser la routine, changer d’air et de nourriture telle est notre seule ambition. Ce doit être un signe d’adaptation : accepter de ne pas faire de projets, être heureux de découvrir le paysage juste de l’autre côté du virage, le visage aimé sur un écran. Bon mais faudrait pas trop que ça dure… c’est frustrant. Savez-vous qu’une des équipes qui travaille sur le vaccin contre le COVID 19 est à Mainz ? C’est sûr c’est mon coiffeur qui me l’a dit, il a un copain qui est chercheur chez Biontech. Pour accélérer le processus, ils travaillent en 3X8 depuis le début des hostilités.

Grâce à eux et leurs confrères du monde entier, peut-être bientôt pourront nous à nouveau inviter des amis, et même les prendre dans les bras. Ce serait formidable : quand nos invités sont partis hier soir, avec mon mari nous étions radieux.

-Ah ça fait du bien de voir du monde !

-Tu te rends compte j’avais complètement oublié de mettre une bouteille au frais. On a perdu la main…

Mais la soupe était bonne, et le Sekt qu’ils ont apporté aussi. A midi, nous allons découvrir le Saumagen (littéralement : ventre de cochon) qu’ils nous ont offert. Une boule grosse comme un melon, genre caillette géante, qui se découpe en tranche pour être grillée à la poêle. C’est une spécialité du Palatinat dont Helmut Kohl était grand amateur. Il a initié notre Chirac national. Qui a dû lui rendre la politesse à coup de tête de veau sauce gribiche.

Donc même si on ne part pas, nous allons avoir de la variété dans l’assiette. Et ce sera encore meilleur, parce que c’est offert par des amis.

(Eh, couché Norton, pas d’analyse pendant la dégustation steuplait !)

Si vous croisez la balsamine, ne pas résister à appuyer doucement sur les gousses gonflées…

Réunion d’équipe dans 3 semaines

Des réunions d’équipe, au bureau ou ailleurs, et de l’alpinisme sur papier.

Augustiner Strasse, Mainz

Ah au fait, ma chérie, le 25 septembre j’ai une réunion d’équipe au bureau.

Mon mari face à l’évier lave des courgettes sous le filet d’eau du robinet. Il ôte leur duvet rêche avec les doigts. Une planche à découper à la main, je m’apprête à écraser quelques gousses d’ail (rose, français, import direct du Sud-Ouest par nos soins). Nous préparons le dîner.

J’éclate de rire, un bon vrai fou rire, qui vient du ventre et ne s’arrête plus.

Il se retourne pour me regarder, penche un peu la tête. Son sourcil gauche se relève en point d’interrogation.

C’est drôle ?

Oui c’est à mourir de rire !

-…

Ça ne te frappe pas ? Avant, tu me prévenais plusieurs semaines à l’avance de tes voyages. Une semaine à Barcelone, deux semaines à Atlanta ou à Shangaï. Pour me préparer à l’idée de gérer seule la famille pendant une longue période. Et là, tu pars au bureau quelques heures, à 10 kilomètres de la maison, dans trois semaines, et tu me préviens déjà.

Il sourit, une courgette dans la main gauche, le grand couteau au manche de bois dans l’autre.

C’est pour se voir en direct, pour la première fois depuis six mois.

Ça va te faire tout drôle dis-moi de quitter ton bureau-chambre après tout ce temps !

Je ne peux plus m’arrêter de rire. Ah comme ça fait du bien !

Une de nos filles descend quatre à quatre les escaliers.

Tout va bien ?

Oui, oui !

Hi hi !

Qu’est-ce qui se passe ?

Rien.

Attends quelques jours, tu verras, ce sera dans un article de maman.

C’est drôle comme on peut rester coincés dans une ornière de sérieux pendant plusieurs jours quand on est adulte. Pourtant j’essaie souvent de trouver le petit détail comique dans la journée, de placer une blague ou un jeu de mot vaseux, des paroles de chansons qui collent avec ce que quelqu’un vient de dire. Histoire de se rappeler que la vie est une pièce de théâtre et que si nous n’en maîtrisons pas grand-chose, on peut quand même tâcher de voir le scénario dans lequel nous sommes lâchés avec des lunettes-à-rire (les jours de bonne humeur au moins).

J’ai beaucoup fait rire mes enfants – à mes dépens – cet été. J’agrémentais mes récits de courses au marché chez le poissonnier d’un petit air musical. Vous verriez tous ces coquillages et crustacés ! Quel bonheur ces étalages marins quand on vit au pays des Bratwurst ! Ils ne connaissent toujours pas la chanson de Bardot. Mais si j’aborde le sujet je suis quitte pour entendre à nouveau le refrain, à trois voix, sur une tonalité de fausset.

Donc réunion d’équipe dans trois semaines. Qu’à cela ne tienne. Préparons-nous.

Moi aujourd’hui je suis seule au pied de mon Everest, l’essai sur lequel je travaille. Je cherche à étalonner ma boussole. Lui proposer un Nord, qui colle avec mes ébauches de cartes. Tracer des azimuts. J’ai jeté sur le papier des idées, des scènes, une matière première que je pourrai froisser, trier, jeter. Aujourd’hui je ressens le besoin de retravailler en amont de ces premiers mots, pour trouver un sens qui fasse sens pour les lecteurs. Alors je tourne le dos à la paroi. Rebroussons chemin le long des petits cailloux déjà semés. Reprenons en sens inverse. Dans quelle direction dois-je me tourner ? Où se cache le bout du fil de la pelote, celui qui vous entrainerait dans une histoire et m’aiderait à sortir de mon labyrinthe ?

C’est un peu solitaire et frustrant comme recherche. Une réunion d’équipe c’est une bonne idée. Et si moi aussi j’en faisais une ?

Je prendrais le train, et je ferais un tour de France et d’Angleterre pour voir les personnes qui m’inspirent. Je prendrais l’avion pour la côte Est des Etats-Unis. Mes mentors vivent loin. Ils me nourrissent de leurs textes et leurs sourires, leurs coups de gueule et l’aveu de leurs coups de blues. Leurs tronches mal lunées ou lumineuses. Leur authenticité et leur sincérité.

Pour l’instant je me contente de réunions de papier, de mots écrits, d’échanges sur écran. J’empile des bouquins, des témoignages et modes d’emplois, des conseils et des exemples. Je suis des cours en ligne avec des journalistes ou des écrivains anglais et américains. Ce n’est pas un fait exprès cet environnement anglo-saxon. J’ai suivi les conseils de mon mari et mon intuition. Je me sens bien auprès de ces personnalités qui partagent leur parcours, leur apprentissage, leurs doutes et leur talent.

Donc imaginons une réunion d’équipe avec des gens, plus ou moins vivants, de différentes cultures. Tous pertinents, ne se prenant pas au sérieux, éprouvant le besoin de comprendre et de partager. On sauterait sur les occasions de jeux de mots vaseux et de blagues. Aucun participant ne serait blessé, intimidé ou moqué. On pourrait chanter nos échanges, si par hasard nos paroles coïncidaient avec celle d’une chanson. On aurait le droit d’éclater de rire.

On se programmerait une nouvelle date de rencontre, pas trop éloignée. Mais en se laissant le temps de savourer et digérer les échanges dont nous sommes sevrés depuis trop longtemps.

Il est cinq heures, Paris s’éveille… je dois y aller.

Dans trois semaines ça vous va ?

“I want to do fun things that make me happy (…). You might call me a child, good, for if adults had even the slightest ‘in the moment joy’ of a child, then frankly the world would be a better place!” Miranda Hart

(Je veux faire des choses sympa qui me rendent heureuse. Vous pouvez me traiter d’enfant, très bien. Mais si les adultes savaient, ne serait-ce que parfois, trouver de ‘la joie dans l’instant’, franchement, le monde serait bien plus agréable !)

Toucher avec tact

Comment témoigner son affection quand on n’a plus de droit de toucher ni d’embrasser ?

Une fenêtre sur la place du marché à Mainz

L’autre matin mon fils est reparti en France.

Mon mari les a emmenés à la gare, lui et sa copine, avec leurs sacs à dos et leur valise, leurs livres et leurs ordinateurs. Je suis restée à la maison avec ma benjamine à peine de retour d’une pyjama-party. Elle avait suivi le programme à la lettre : mis le pyjama et fait la folle une grande partie de la nuit. Epuisée, à peine rentrée, elle s’était échouée sur le canapé.

Ça m’arrangeait de ne pas descendre en ville. Les adieux en gare dans les courants d’air gris sont deux fois tristes. Je souffre de voir mon grand garçon repartir, sans savoir quand nous allons nous revoir. Et je me mords la langue pour ne pas laisser couler les larmes toutes prêtes. Je ne vais pas lui infliger une maman humide en public.

Les séparations sont douloureuses alors autant s’en affranchir dans un souffle, comme un sparadrap qu’on arrache. A bientôt, bon voyage. Un signe de la main ou deux, un sourire des lèvres à défaut du regard, et on tourne les talons.

Avant de voir la mine pâle de ma fêtarde de 9 ans, j’étais prête à y aller pourtant. Même en tram s’il n’y avait pas eu assez de place dans la voiture. Mais les trois branches de sauge cassées ce matin par un ballon maladroit m’avait mises en colère. Ça fait deux ans que je l’ai plantée, et elle s’était enfin décidée à pousser. La colère ça distrait de la tristesse, c’est très pratique.

Au moment du départ je me suis autorisée à faire un bisou à mon fils, COVID ou pas. Par politesse, j’ai respecté les consignes pour sa copine. Avec mon père cet été – groupe d’âge à risque – j’avais aussi renoncé à la bise. Les mesures d’hygiène nous obligent à une distanciation sociale extrême.

Ce sevrage des contacts physiques avec mes amis me pèse. Je suis une tactile, je mendie des gâtés à mes enfants qui n’en veulent plus vraiment. Ma plus jeune parfois me tend à contrecœur et à reculons le sommet de son crâne pour que je puisse y déposer un bisou rapide. Prièrer de se dépêcher et de limiter le contact au strict nécessaire.

Mais si j’apprécie le contact choisi et sélectif, je me hérisse à l’idée de toucher un corps que je n’estime pas. En France le rituel de la bise d’office me pèse et je m’y résous seulement pour ne pas passer pour une pimbêche, et quand je n’ai pas de rhume (réel ou opportun). J’apprécie la coutume allemande de faire un petit câlin à ses amis pour leur dire bonjour et aurevoir. Une accolade aux proches, un sourire aux autres. On fait le plein de contact rassérénant, et on garde ses joues pour ses très proches.

Depuis mars finalement, les seuls contacts physiques hors famille que j’ai eus sont ceux, expéditifs et impersonnels, du coiffeur et de la masseuse thaïlandaise (où je n’étais pas trop détendue : j’avais peur qu’elle me fasse un tour de reins). De l’infirmière qui m’a fait une prise de sang de contrôle en racontant ses vacances à sa copine. Elle aurait pu me regarder et me parler à moi, ça lui aurait évité de me piquer les deux bras, me faire un bleu douloureux et à moitié tourner de l’œil.

Cache-Cache, ébauche
de ma dernière sculpture

Faute de contact humain, je me replie sur le toucher végétal. Dans mes promenades, je frôle du bout des doigts les écorces rugueuses des pins rouges, j’enveloppe de la paume la peau lisse et tendue des hêtres, laisse glisser mes mains sous le parchemin des bouleaux. Quand personne ne regarde, je serre les gros troncs lisses entre mes bras. L’arbre choisi est frais et doux contre ma joue. Je ferme les yeux quelques secondes.

Le masque n’aide pas à compenser les manques d’échanges amicaux proches. Il dissimule notre humanité : un sourire, une grimace, des grognements, le rire. Il étouffe nos élans et endosse le rôle de son nom. Nous sortons protégés, mais surtout cachés.

Je parle dans une langue étrangère avec sans doute un accent français, et j’ai hélas l’ouïe qui baisse. Avec les masques j’ai été surprise de voir à quel point la mobilité du bas du visage, pas seulement des lèvres, enrichit nos échanges et leur compréhension. Ces jours-ci les conversations avec la boulangère ou le caissier de part et d’autre de plusieurs couches de tissus et d’un écran de plexiglas tiennent du surréalisme.

– Je voudrais deux pains complets

-Une baguette ?

-Deux pains complets s’il vous plait.

-Un pain complet ?

-Deux.

-Quoi d’autre ?

-Rien merci.

-Une baguette ?

C’est curieux cette étymologie commune entre tact et tactile . Comme si le « sentiment délicat de la mesure, des nuances, des convenances » (Larousse) avait un point commun avec le fait de toucher. Pour respecter les convenances, il faudrait entrer en contact physique, du bout des doigts certes mais toucher quand même.

Jusqu’à voilà peu, pour être poli, il fallait mettre en contact nos épidermes. Prouver que nous n’avions pas de poignard caché dans la manche. Que nous n’étions pas une pimbêche.

Aujourd’hui pour être poli, c’est le contraire. Ne nous touchons plus, n’échangeons pas nos microbes. Je te respecte donc je reste loin de toi. Sauf si tu es ma fille (mon fils). Là tant pis pour la politesse et le tact. Je te respecte et je t’aime donc je te ferai un petit bisou quand tu partiras, et un gros câlin quand tu reviendras.

Si tu le veux bien.

Et si tu ne fais pas ta pimbêche (ton crâneur).

Vous nagez avec un masque, vous ?

Le mode d’accès à la piscine a changé. Je me suis fait rappeler à l’Ordre. Ça faisait longtemps…

„DA LANG UND DAS ZÄHLT NICHT ALS MUNDSCHUTZ !“

(Par là et ça n’est pas un masque valide !).

Tétanisée je suis des yeux l’index accusateur qui m’indique que je devrais me trouver à 1 mètre à ma gauche. Et que ma capuche tirée de côté ne compte pas pour me couvrir le visage.

Il est 8h15 ce lundi matin. Je suis dans l’entrée de la piscine. Seule.

Je reconnais la jolie jeune femme qui m’accueille ainsi. Les cheveux blonds aux épaules, un léger maquillage, quelques taches de rousseur, des lunettes trendy. Elle a déjà encaissé plusieurs fois mon paiement pas plus tard que la semaine dernière. Je l’avais trouvée sympa. Elle m’avait même surprise en me disant aurevoir vendredi alors que je quittais les lieux : la sortie est assez éloignée de son guichet.

Depuis que la piscine a réouvert fin juin en mode Corona, je suis toujours passée par la caisse pour les bassins extérieurs. J’y présente mes cinq euros (oui avec les aménagements, les prix ont doublé), le formulaire avec mes coordonnées, dûment rempli et signé. Comme beaucoup de clients autour de moi, je n’ai pas de masque pour cette transaction rapide, qui se déroule de part et d’autre d’un écran de plexiglas, avec une caissière naturiste du museau. La caisse passée, plus personne ne porte de masque nulle part. Dans les vestiaires, sur les pelouses et dans l’eau, la distanciation sociale devient un concept très théorique.

Ce matin il fait frais. Mais j’ai décidé d’aller à la piscine, malgré la perspective de passer une demi-heure dans l’eau froide, avant et après une douche (extérieure) glacée. Je travaille beaucoup à mon projet de livre. Assise à mon bureau mais aussi tout le reste du temps. Mon esprit continue à mon su et mon insu à avancer et à triturer les sujets (merci à lui, mais parfois faudrait savoir faire des pauses). Ce matin il était important que je profite de mon corps pour mettre l’analyse en veilleuse. J’avais besoin de nager.

J’ai donc enfilé mon maillot sous mes habits, préparé mes cinq euros et rempli mon formulaire. Mis un gros sweat à capuche en prévision des frissons à la sortie. Je suis partie à pied à la piscine.

En arrivant je suis surprise de voir que les grilles rouges et blanches du Freibad (les bassins extérieurs) sont fermées. Comment faire ? Peut-on tout de même nager dehors ? (Je ne languis pas de devoir retourner dans la piscine couverte, 25 mètres seulement, bondée).

Je suis la seule cliente (je vous l’ai dit, il fait froid). Je me rapproche de l’autre entrée, celle du Hallenbad (bassin couvert) et essaie de comprendre la logique des panneaux temporaires. Par où faut-il passer ?

Les quelques marches pour entrer sont divisées en deux par des barrières. Des flèches indiquent l’entrée vers la gauche. Je me dirige donc vers la gauche. Ça fait faire un détour par la rampe. Il n’y a personne et je trouve cela absurde, mais mon monologue intérieur m’informe que « ils sont bien capables d’exiger les zig-zags même s’il n’y a que moi, donc vaudrait mieux suivre la consigne ». Je m’apprête donc à emprunter la rampe. Mais de nouveaux panneaux précisent qu’il s’agit de l’« entrée pour la seule piscine couverte ». Bon, moi je voudrais bien nager dehors. Je sais que l’accès pour l’extérieur, après la caisse est à droite. Mon raisonnement in petto en déduit : « Ah ok les gens qui nagent dedans on les fait entrer par la gauche, et les gens qui nagent dehors entrent par la droite. Logique. Je sais que tout le monde peut sortir par le tourniquet extérieur. » Donc je rebrousse chemin (quelques pas) pour emprunter les marches par la droite.

En montant, comme je n’ai pas emporté de masque (ce n’est pas un oubli, je ne pensais pas en avoir besoin) j’attrape ma grosse capuche par le côté et je fourre mon nez dedans (une intuition qu’il faut se couvrir puisque la caisse est à l’intérieur). Le supermarché d’en face accepte pour la durée des courses toute couverture de visage (foulard, écharpe…) : ils le mentionnent par écrit sur les murs et dans leurs annonces sonores. Pour les deux mètres à faire et les 20 secondes de transaction de part et d’autre de l’écran de plexiglas, il ne devrait pas y avoir de problème.

la capuche

Je grimpe l’escalier. Un sourire s’amorce derrière ma capuche bleu ciel. Je m’apprête à dire bonjour, un mot gentil (j’essaie toujours de placer un petit rien sympa). De ma main droite je commence à tirer sur la fermeture Eclair de mon sac pour attraper mon billet et mon formulaire. Je me demande si je vais pouvoir nager dehors, tant pis pour le froid. J’aime tellement sentir l’air et l’eau fraîche et voir et entendre les grands platanes, sentir l’herbe des pelouses. Regarder le ciel et les nuages. Je m’y sens déjà.

J’ai à peine fait un pas à l’intérieur que je m’arrête tétanisée par l’accueil incisif.

„DA LANG UND DAS ZÄHLT NICHT ALS MUNDSCHUTZ !“

Pendant quelques secondes, je n’ose plus bouger ni parler.
J’ai l’impression d’être une écolière indisciplinée, grondée par la directrice de l’école qui lui a déjà demandé 20 fois de ne pas laisser trainer ses affaires en plein milieu de l’entrée. Une sale tricheuse prise en flagrant délit de fraude minable.

Je réprime un garde-à-vous.

Prise de cours je ne sais comment réagir.

Ma bouche dit : « Merci. Je ne peux donc pas venir

Mes talons se tournent. Je sors, par n’importe quel côté. Le plus proche. (Oh tiens on dirait que c’est le bon ! si j’en crois les flèches en Scotch par terre que je découvre).

Je suis déçue, frustrée et en colère. Mon esprit rumine et ronchonne. Je me sens chauffer et les larmes monter.

J’allais écrire que j’ai un seuil de tolérance très bas pour les incohérences. En fait il est inexistant. Si je ne comprends pas la logique, j’ai du mal à suivre des règles que je considère absurdes.

Je me souviens de ma première visite au musée des Confluences à Lyon. J’étais seule dans le hall et me suis dirigée droit vers les caisses. Un gardien m’a interpelée et intimé l’ordre de retourner emprunter les zigzags de cordes. Il faisait son boulot (où commence l’excès de zèle ?). J’ai eu beaucoup de mal à obtempérer silencieusement. J’avais envie de lui expliquer ce qui était pour moi une évidence et aussi de lui demander s’il était complètement idiot. Je sais d’expérience qu’avec des gens qui appliquent les règles sans réfléchir, il vaut mieux faire profil bas et ne pas discuter. Mais la confrontation à ces murs de béton me coûte. Surtout que ces rappels sont rarement faits poliment.

La caissière ne faisait sans doute que son travail. C’est peut-être la 20ème fois qu’elle répète la même chose aujourd’hui. Je ne suis probablement pas la seule à avoir pris des habitudes à l’autre caisse, et à être perplexe devant leur organisation qui – à mes yeux au moins – est nouvelle.

Je suis rentrée à la maison quitter mon maillot sec.

En chemin j’ai trouvé ce que j’aurais dû lui dire :

Bonjour.

Et peut-être aussi :

Pourquoi n’en portez-vous pas un de masque ?

La fontaine des fous de carnaval à Mainz. Avec et sans masques.

Taille-crayons, jardins et nouveaux-venus

Une première semaine d’école entre fournitures scolaires, retrouvailles et rencontres.

Terre blanche chamottée émaillée

Des cahiers et des livres éparpillés sur le tapis du salon, celui qui sert d’habitude de praticable pour les acrobaties. Des rouleaux de Scotch (pardon, Tesa film), un arc en ciel de protège-cahiers. La nouvelle boite de peinture, avec son gobelet emballé… Les filles viennent de recevoir leurs listes de fournitures (pourquoi ne pas les envoyer plus tôt ?). Nous avons suivi les conseils de la voisine pour éviter les grandes surfaces lointaines et bondées et soutenir le commerce local. Nous sommes allées au tabac-papeterie du coin.

La voisine a dû partager son truc avec beaucoup de copains. Nous avons fait la queue, à l’extérieur sur le trottoir, à 1,5 mètre des autres clients (ou à peu près. En France c’est 1 mètre, en Allemagne, c’est 1.5 – 2 mètres). La vendeuse prend les demandes à la porte, une par une. Comme elle n’a que des protège-livres individuels, nous lui avons remis nos kilos de manuels pour qu’elle puisse choisir le format adéquat.

Depuis la première rentrée de mon aîné, je dois avoir acheté 2510 taille-crayons, 40.543 effaceurs et le double de cartouches d’encre. Une ribambelle de trousses…. Des françaises, des allemandes (trousses-plumiers où chaque stylo est glissé dans un élastique) – parce que bon, faut ranger ses crayons comme les copains. (Tu comprends maman, la mienne elle est cassée / perdue / mangée…) Et une galaxie de gommes de toutes les couleurs. Pourtant quand on en a besoin, on n’en trouve jamais. Hop dans un trou de l’espace-temps avec les chaussettes orphelines !

Notre benjamine a fait son entrée au collège. Fière et sérieuse sur le vélo encore un peu haut hérité de sa sœur. Son cartable (oui ici aussi les cartables sont beaucoup trop chargés) la déséquilibre presque. Elle semble avoir déjà des copines et des repères. La reprise se fait en douceur. Les journées complètes commenceront la semaine prochaine. Dans ce collège, la semaine de rentrée, se fait sans cantine (‘’pour des raisons d’organisation’’ : ah ?), ni cours l’après-midi.

C’est une étape pour notre famille, puisque c’est la dernière fois qu’un de nos enfants entre dans un nouvel établissement – en théorie, parce que si nous rentrons en France l’an prochain, cette même demoiselle aura droit à une deuxième entrée au collège, en 6ème cette fois.

La réunion de rentrée pour les parents a eu lieu hier. Dans la cantine et non dans la salle de classe des enfants, pour cause de distanciation sociale. Disciplinés, avons avons porté un masque pour entrer et nous sommes assis en quinconce. Personne ou presque ne se connaît encore.

Nous avons ouvert tout grand nos oreilles. La classe verte d’intégration pour les 5. Klasse est annulée pour cause de corona. Elle sera remplacée par des journées de randonnée. C’est déjà ça ! Le masque est obligatoire pour tous les déplacements, mais pas une fois assis au bureau (ni en cours de sport, où la distanciation n’est pas non plus exigée…). Une grande chance par rapport à nos amis de Cologne en Nordrhein-Westfalen : pour eux depuis la rentrée le masque est obligatoire à l’école TOUTE la journée.

L’ordre du jour prévoyait les élections des parents délégués. Puis des représentants auprès du conseil de parents. On a d’abord voté à main levée pour choisir de voter à main levée. C’est un truc très sérieux ces élections. Déjà en arrivant la première année, ça m’avait surpris. Deux candidates sortantes pour deux postes. Nous avions quand même suivi à la lettre les formalités officielles. A chaque annonce de résultat, les parents ‘’applaudissent’’ en tapant sur la table (des phalanges, comme pour frapper à une porte).

Lors d’un tour de table (disons d’un saute-mouton de table en table), chaque parent s’est présenté à tour de rôle (je n’ai pas jugé utile de donner mon âge, et ai renoncé à mentionner ma pointure de chaussures). Les enfants sont ensemble pour au moins quatre ans donc leurs parents aussi. Après cette séance de près de 3 heures dans une cantine trop chaude, je suis soulagée que la réunion de ma grande soit la semaine prochaine.

Surprise le premier soir : nos filles nous ont annoncé qu’une famille française est arrivée dans le quartier. Leurs enfants sont dans leurs classes.

Ils ont de la chance de vous avoir les nouveaux arrivants, vous allez pouvoir les aiguiller !

Oui oui, mais moi aussi j’ai de la chance ! ça fait trop du bien de pouvoir parler français !

Ah c’est sûr oui.

-Tu te rends compte ça fait juste qu’une semaine qu’ils sont arrivés en Allemagne !

Oui, oui, je me rends bien compte…

Chouette des nouveaux copains pour papoter et se comprendre facilement, des voisins avec des références communes.  Avec qui échanger nos trouvailles.

Alors tout d’abord, leur indiquer le marché de Gonsenheim, les mercredis et samedis matin, redéployé depuis mars le long du petit parc. Avec son fromager, son boulanger, ses trois primeurs, son poissonnier (le seul à des kilomètres à la ronde) et son boucher. Son fleuriste sympa qui vend les tomates de son jardin et des bouquets de fleurs du quartier. Ses reines-marguerites violettes, les tournesols et les sédums en bouton me tiennent compagnie.

Chez Frau Schmidt : les fleurs à couper

Après le marché, prendre le temps d’un café dans l’adorable boutique de créations du Sonntagskind, https://de-de.facebook.com/Sonntagskind.Cafe

Ensuite leur proposer de choisir quelques légumes frétillants, un sécateur et un seau d’eau pour se cueillir des fleurs chez Frau Schmidt et son mari. Ils doivent avoir 165 ans à eux deux et cultivent toujours une exploitation maraîchère fleurie.

Leur chuchoter d’aller au jardin d’Odile (http://www.landragin.de/) un paradis secret, dissimulé de la rue par la rangée de maisons. Un jardin en longueur, avec des coins et des recoins, des serres anciennes, des antiques bassins, des alcôves de verdure. Quelques sculptures éparpillées. Une amie m’y a emmenée au printemps. On se dirigeait presque au parfum des rosiers et des jasmins, des pittosporums… extraordinaire ! A chaque passage entre les arbres et les grappes de roses, le fond du jardin se dérobait, ouvert sur un coin repos avec un banc, un potager, une pelouse couronnée de marguerites sauvages. Odile est une française installée ici depuis toutes les années qu’il a fallu pour créer cet univers, planter, tailler, couper. Elle vend des plantes et loue son jardin pour une fête ou un concert à la belle étoile. Bien guetter l’inscription manuscrite sur son portail pour repérer l’entrée. Vaut les tours et les détours.

Leur conseiller les promenades le long du Gonsbach, ce tout petit ruisseau chantant. Le chemin entre les saules et les aulnes est bien marqué. Il longe de charmants jardins ‘’ouvriers’’, des Schrebergärten (jardins de Schreber), comme on dit ici, du nom du médecin qui les a mis en place au 19ème siècle. Résister à l’envie de fourrer des poignées de terre noire fertile dans ses poches. Fermer un peu les yeux pour humer les rangées de fenouil et de coriandre du maraîcher. Laisser trainer son nez du côté des roses hissées sur les barrières de bois.

Arpenter les steppes du Mainzer Sand, (le grand sable de Mainz) qui fleurissent après la pluie. Chercher le troupeau d’ânes qui y broute en ce moment. Tâcher d’oublier le ronronnement entêté de l’autoroute qui coupe la forêt en plein milieu.

Ah et chez le boulanger, pour le petit déjeuner du week end, acheter des Brötchen bien sûr, ces petits pains ronds variés et des Quarktasche, des viennoiseries au fromage blanc.

Voilà pour les découvertes urgentes. Pour le reste, la ville, l’administratif, on aura le temps d’en reparler.

Hein, qu’est-ce que tu dis mon chéri ? L’échéance de la déclaration d’impôts approche ? Mais on ne vient pas juste d’en faire une de déclaration d’impôts ?

Oui mais c’était la française.

Je vous laisse, va falloir s’y coller.

Ça on ne leur dira pas hein, le casse-tête d’être à cheval sur deux systèmes administratifs.