Lettre entrouverte

À P., mon amie simultanée*

Je suis en pleurs.

Je viens de lire ton message où tu me dis que tu es pleine de tristesse parce que bientôt peut-être, je vais partir. Bientôt peut-être nous allons déménager à Lyon, pour ce que nous souhaitons être un nouveau départ et non un retour.

Peut-être. Nous sommes le 20 juillet. La rentrée lyonnaise de ma grande est le 30 août. Entre ces deux dates, il va nous falloir esquicher des vacances, parce que treize semaines depuis celles de Pâques, vraiment c’est très long, un déménagement, des au revoir bâclés faute d’anticipation, des larmes et des doutes, des nuits souvent blanches, de la paperasse digitale et des coups de fil, et beaucoup trop de kilomètres heureusement avec la clim.

Peut-être.

Parce que les entreprises ne partagent pas la même horloge biologique qu’une famille avec des enfants scolarisés. Les impératifs de rentrée et nos sentiments sont-ils moins importants que des indicateurs budgétaires ? Vous connaissez la réponse.

P., tu vas tellement me manquer. Tu me manques déjà. Parce que dans le chaos de cette incertitude qui nous tombe dessus à la dernière minute avant les grandes vacances, je ne peux pas te dire au revoir comme je le voudrais.

Ce peut-être pèse si lourd… Mais moins que mon cœur ces jours-ci.

La semaine dernière s’est tenue la fête de la classe de ma grande, la toute dernière puisqu’après cinq ans passés ensemble de la 5. Klasse (CM2) à la 9. Klasse (troisième), les enfants vont se séparer pour le lycée. Ils ont composé leur emploi du temps chacun avec ses cours principaux (Leistungskurse), et se croiseront dans certaines matières et à la récré. Il n’y a plus de classe au lycée. Lors de cette fête donc, des parents m’ont demandé nos projets par rapport à la notre vie allemande. Je savais que quelque chose se tramait du côté de mon mari depuis quelques temps mais cela restait flou. Alors que dire ? Que dissimuler ? J’ai l’impression de les trahir de ne pas évoquer le peut-être, mais les peut-être éphémères partagés en d’autres temps ont éclaté comme des bulles de savon, alors je préfère les taire. On verra bien. À vrai dire, ce peut-être, même aujourd’hui j’y crois à moitié.

Pourtant, déjà, je le sais. Pour cet été ou pour un autre, nos balades du mardi matin dans le vallon du Gonsbach, entre jardins et champs, sous les arbres, en toutes saisons, vont me manquer.
Nos matinées piano à quatre mains où le temps nous manquait pour retrouver Dvorak ou Brahms parce qu’on avait tant de choses à se dire autour d’une tasse de thé. Et ton jardin ? Tes semis ? Tes enfants ? Ton boulot ? Et toi ? Toi, comment tu te sens ?

Nos soirées au café-théâtre à Mainz, Metz ou Francfort. Notre visite de Heidelberg sur tes traces estudiantines. Le jardin botanique de Francfort. Nos virées à Wiesbaden pour dévaliser la jardinerie. Le je-ne-sais-plus-quoi mangé au marché de Noël mit Spätzle. Le choix sur tes conseils, au marché du mardi matin près de la cathédrale, de notre couronne de l’avent. Tes explications pour la décorer.

Tout ce que tu m’as appris avec douceur sur la culture allemande, et sur toi. Sur une façon un peu différente de voir le monde, qui m’a fait tellement de bien.

Nos échanges de livres, de séries et d’idées.

Notre autre passion partagée pour les langues, et nos conversations en français, parce que mes mots sont tellement plus proches de mes sentiments en français, avec des expressions anglaises ou allemandes, parce que tous les raccourcis sont bons à prendre, et c’est si doux de se comprendre n’importe comment, et de parler comme à la maison (mais sans l’intensité familiale).

Photo prise devant chez toi

Ton exemple que je suis aujourd’hui avec ma formation de traductrice. Merci pour ton inspiration. Merci pour tes encouragements. Y compris dans mon écriture.

Tu m’avais proposé de relire le début de mon livre. Nous n’en avons pas reparlé. OUI, s’il te plait.

J’ai raconté ici combien a été douloureuse l’acclimatation dans un nouveau pays où j’étais la seule de la famille à parler la langue, et de plonger mes filles d’emblée dans le grand bain alors incompréhensible pour elles, d’une scolarité allemande en V.O., tout en laissant en arrière mon fils qui commençait ses études en classe préparatoire.

Souvent ici, j’écris que nous sommes expatriés en Allemagne, parce que ça fait plus chic et surtout expatrié, ça veut dire qu’il y a une date de fin. Ça rassure. Mais en vérité, nous sommes venus à Mainz en tant qu’immigrés. Avec un contrat de travail local. Sans échéance.

Quand on n’a pas l’intention de faire sa vie de l’autre côté d’une frontière, en tous cas, pas de celle-là, que le temps passant, les mutations professionnelles deviennent plus compliquées, le nouveau changement de système scolaire aussi, ce contrat ouvert, qui pourtant permet tout, donne le vertige. Comme la première fois que l’on voit sa voiture immatriculée à la façon de celle des touristes.

J’ai quitté la France équipée de deux petites filles et d’un étudiant débutant. Je repars, peut-être donc, entourées de deux jeunes filles adolescentes (help !) et d’un presque diplômé.

Nous savions bien qu’il faudrait y passer. Qu’il faudrait laisser sur place les pâquerettes sauvages que j’ai déterrées quand personne ne regardait dans un pré (et qui se sont acclimatées et reproduites dans ma pelouse), et des petits bouts de coeur.

Pour avaler la pilule, j’ai proposé à mes filles de créer un tableau avec les listes de ce qui va nous manquer de Mainz, ce que nous ne regretterons pas, et ce que nous aurons plaisir à retrouver en France (le moins joli à venir, on ne va pas s’y appesantir). Ma grande l’a peint et a commencé à le remplir. Dans la première colonne, elle a écrit : DM. C’est rigolo, moi aussi c’est à ça que j’ai pensé : zut y’aura plus DM. Ce clin d’œil un peu futile, notre attachement à un magasin, une droguerie doublée d’une épicerie sèche bio et d’une parapharmacie, c’est pour ne pas glisser dans le gouffre des amitiés distendues. On l’a déjà vécu une fois, on sait combien c’est dur.

Mais c’est aussi possible. La preuve. J’ai gardé mes amies très chères de France. Je les ai vues moins souvent, mais de façon plus intense, plus profonde, car pour des périodes plus longues, qui laissent aux mots le temps de s’épanouir.

P., toutes les galères que j’ai vécues ici à mon arrivée, les engueulades surprises dans la rue ou à la piscine, les insomnies, et les kilomètres de paperasses administratives, je les referais volontiers pour la chance et l’honneur de redevenir ton amie. Même s’il n’y avait aucune autre expérience chouette au cours de nos quatre ans, et il y en a des tonnes. Nous avons même noué d’autres relations proches que nous aurons peine à quitter.

Je ne suis pas quelqu’un qui multiplie les amitiés. Mais je chéris les relations profondes et authentiques.

Toi aussi tu as trois enfants, toi aussi tu as perdu ta maman trop tôt, toi aussi tu aimes les fleurs minuscules qui poussent entre les dalles et le piano. Tu n’as pas peur du silence.

Je n’oublierai jamais ta réponse à un texto de ma part, où un jour un peu difficile, je t’avais prévenue que je risquais de pleurer lors de notre rencontre (l’émotivité, à mon âge on commence à l’anticiper). Tu m’as répondu : « Je te prendrai dans mes bras. » (Oui, c’était avant la Covid). Tes mots simples et bienveillants vont me manquer.

Mais eux, si peut-être, je pars, nous les garderons.

Je te remercie d’être mon amie.

Passez de bonnes vacances vous aussi.

Deine Estelle

PS : Est-ce que je peux venir avec toi au concert de Vincent Delerm ?

(*voir article : Mon amie simultanée)

Trop longtemps en Allemagne ?

Chocs culturels à double-sens, histoires de trains transfrontaliers et plante toxique

Bonjour les amis, me revoilà.

Je vous ai laissés sur un article difficile. Peut-être son écho douloureux m’a-t-il muselée plusieurs semaines ? Ou bien mon nouveau statut d’étudiante concentre-t-il mon attention et mon énergie sur de l’apprentissage ? J’aurais aimé vous écrire plus tôt sans que cela soit possible.

J’étudie d’arrache-pied pour voler à la formation une période de congés. Le calendrier d’études, pourtant en ligne et à la demande, ne prévoit pas d’interruption pour des vacances. Si je veux une pause, je dois prendre de l’avance sur moi-même ou rattraper mon retard ensuite. Alors je cravache. Dans mes rares pauses, je rouvre avec un délice mâtiné de découragement mon projet d’écriture de longue haleine. Quoi, encore toutes ces heures, tous ces jours, ces mois de labeur ? Déjà toute cette création accomplie ?

Je me mets occasionnellement des bâtons dans les roues. J’ai passé une semaine sur l’étude d’un document de trente pages, le texte numéro un, avant de comprendre qu’il fallait se contenter du texte numéro un d’un autre module, de quatre pages. Aléas des cours en ligne… Comme m’a fait remarquer mon fiston, dans une salle de classe en présentiel, on a tout loisir de poser les questions idiotes ou (pas si) évidentes pour clarifier l’objet de l’étude… Seule face à son écran, on ne peut que se faire confiance et corriger ses propres travers : ne pas vouloir aller trop vite, bien lire l’énoncé, jusqu’au bout avant de foncer tête baissée dans le chiffon rouge des devoirs. Mes enfants le savent, je n’ai de cesse de le leur rabâcher.

Ledit énoncé n’était pas très clair. À la suite de ma méprise, l’organisme de formation va remédier au malentendu. Une p’tite compensation, du style une semaine de délai supplémentaire ? Non ? Mince alors.

Lundi.

Vous aimez le lundi, vous ?

Ce que j’aime le moins dans le lundi matin, c’est le dimanche soir. Je ne sais pas que faire de moi. Entre repassage, piano, coaching peu convaincu pour préparer les troupes à la nouvelle semaine et agacement de fin de week-end sans assez de grand air.

D’ailleurs le dimanche en entier me met mal à l’aise, comme le mois d’août et les jours fériés où la vie s’arrête, figée, royaume hypnotisé de la Belle au bois dormant. Confisquée la roue de hamster du quotidien, charge à chacun de se retrouver face à soi-même et de tisser du sens, comme il peut.

Lundi donc. Plus que, encore, deux semaines avant les vacances scolaires. Cette année, la Rhénanie clôt l’alternance des départs en congé. Les six semaines estivales de pause changent chaque année de date, avec une rotation entre les Länder. Lors de notre arrivée en 2018, la rentrée avait eu lieu le lundi 6 août. Je préfère de loin commencer tard.

Entre mes devoirs non surveillés, j’ai eu, à deux reprises, la chance de m’évader pour retrouver des amies de l’autre côté de la frontière, mon petit calepin dans le sac. Les voyages en train transfrontaliers sont propices à la mise en exergue des différences culturelles et des zones de frottement, même au sein de l’Union européenne.

Mannheim

Lors d’un trajet entre Offenbach et Strasbourg, j’ai été témoin de la problématique de la continuité tarifaire.

En compensation de l’inflation, les autorités allemandes ont décidé d’octroyer à la population, pour les mois de juin, juillet et août, l’accès à tous les transports urbains et régionaux pour le modique prix de neuf euros. Bien entendu, tout le monde s’est jeté dessus. Ma plus jeune fille en a profité pour remiser son vélo et aller au collège en tram avec les copines. C’est plus drôle sans doute. Le tarif promotionnel ne s’étend pas au-delà du Rhin. La contrôleuse a entrepris à Kehl sa mission à l’ambition héroïque : contrôler un TER bondé en une poignée de minutes.

Dans un train allemand, le contrôleur passe la tête dans la voiture, demande qui est monté au dernier arrêt, les voyageurs concernés se dénoncent spontanément. Hop hop. C’est plié. Dans un train français, même les gens en règle n’ont pas envie de se faire contrôler.

Bien entendu, dans le TER transfrontalier, la dame est tombée presque instantanément sur l’os du billet à neuf euros que l’on peut croire, de plus ou moins bonne foi, valable jusqu’au terminus… Strasbourg. Ce n’est pas le cas. Pauvre dame. Pauvre voyageur sur qui c’est tombé.

Au départ de Strasbourg, j’ai emprunté un TGV pour Francfort qui venait de Paris. Annonce : « attention, en Allemagne le masque est obligatoire. À la frontière, vous devez l’enfiler sinon vous serez obligés de descendre du train ». Nouvelle annonce au moment du passage de la frontière, avant le défilé des policiers lourdement armés. Une dame allemande, qui donc voyage depuis deux heures trente avec les mêmes voyageurs, enfile son masque FFP2. Les Français se rhabillent aussi.

Sacrée frontière.

Mercredi dernier je suis rentrée de France un jour de grève… Par chance, mes TGV circulaient. Le premier était presque vide puisque plusieurs arrêts avaient été supprimés. Dans l’ICE allemand transfrontalier, les deux premiers arrêts à Saarbrücken et à Karlsruhe (en Allemagne donc) ont été supprimés « pour cause de grève à la SNCF ». Il doit y avoir une raison raisonnable.

Suis-je restée trop longtemps en Allemagne ? J’enchaîne les contre-chocs culturels : à Strasbourg la portion de lasagnes du restaurant me semble minuscule, en forêt, je conseille à mon amie de, non, ne pas jeter les pelures de melon dans un buisson. Mais surtout, moi qui adore et recherche les rencontres multiculturelles, je les fuis.

En échappée jolie pour une poignée de jours dans une chambre d’hôtes en France avec une amie, nous nous sommes retrouvées coincées pour le diner entre un couple d’Allemands et un de Belges flamands. De part et d’autre au garde-à-vous et peu causants. J’ai dû dire où je vivais, et me lancer dans l’interprétariat touristique.

Le lendemain, pour nous sentir plus à l’aise, nous avons décidé de manger ailleurs. Sauf que dans une (toute petite) ville, tout est fermé le lundi soir. Nous avons mangé notre pizza dans le carton et sur un banc, à quelques mètres de nos Allemands qui ont dû essuyer leurs doigts gras dans la pelouse. La gastronomie française, chers messieurs dames, non, ce n’est pas tous les jours.

En montagne, les toutes petites routes sont vides. Au restaurant du col à plus de 1000 mètres d’altitude, seules deux tables sont occupées sur la terrasse. Des motards allemands. L’un d’eux cherche sa Handtuch. Bien sûr j’aide la serveuse à le comprendre et à se demander où donc est passée sa serviette de toilette mise à sécher sur le banc. Elle a trouvé l’objet égaré : c’était un torchon à carreaux. Et non lieber Herr, cet objet ne s’appelle ni Handtuch, ni towel, sinon on ne sait plus ce qu’on cherche et c’est le bazar.

Pendant une pause thé à l’ombre, j’ai envoyé quelques textos avec photos, cartes postales modernes, avec des amies allemandes.

–  Bonjour de France où je croise partout des Allemands hi, hi.

– Moi je préfère partir en vacances là où il n’y en a pas.

-Ah bon, et c’est où ça ?

-Touché, elle me répond, (en français dans le texte).

(Ensuite, nous avons surtout croisé des cyclistes du coin).

Heureusement le lendemain, le couple restant s’était déridé. On n’en était pas, comme les quatre enfants de la maison, à courir partout en petite culotte et pieds nus, mais ce n’était qu’une question de jours d’apprivoisement réciproque. Eux étaient ravis d’avoir observé de près un vautour. Moi, d’avoir croisé pour la première fois des plants de belladone.

Belladone

Grâce à une science acquise dans un livre sur les plantes toxiques (sur l’étagère de l’entrée de ma maison d’enfance) et sur les tubes d’homéopathie maternels (Belladonna 9CH ou autres CH), je peux vous raconter l’anecdote sur le nom de la plante. Bella donna vient de l’italien : belle dame, car les élégantes italiennes de la Renaissance utilisaient (sur les yeux) une infusion de ses feuilles pour dilater leurs pupilles. Cette technique a ensuite été utilisée par les ophtalmologistes. – À ne pas essayer chez soi.

Sur cette note botanique multiculturelle, et puisque beaucoup d’entre vous doivent déjà être en vacances ou presque, je vous souhaite des trajets agréables, et des vacances reposantes.

Ça m’a fait du bien de vous retrouver. Je vais fêter cela avec une tasse de thé et une part de clafoutis. À la vôtre !

Funambule

Comme un air de déjà vu et impro tous azimuts

C’est reparti comme en 20.

Devinez quoi ? Mes concitoyens, en manque de frissons de fin du monde, comme si les infos, les drapeaux jaune et bleu et les réfugiés que l’on croise à la mairie et dans les écoles ne suffisaient pas, mes concitoyens donc se sont repris d’une frénésie d’achats de farine et d’huile (qui ici est surtout d’olive). La farine, on a vérifié, est allemande. L’huile d’olive, méditerranéenne, natürlich. Les supermarchés ont réagi prestement : des affiches de rationnement sont réapparues sur les étagères vides. Achat limité à un ou deux article (s) par personne. S’il y en a ! comme a tagué un client au stylo Bic.

Les pates sont toujours un peu là elles, comme si elles n’étaient pas fabriquées à partir de blé (‘’rationnées’’ aussi à six paquets par tête), et le PQ aussi… enfin c’était le cas hier. Aujourd’hui les choses ont peut-être dégénéré. Pendant les confinements j’ai découvert le verbe hamstern qui était sur les affiches 4×3 : NICHT HAMSTERN ! Oui la langue allemande a un mot spécifique pour désigner le comportement qui consiste à stocker les provisions.

De façon excessive.

Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?

Pour répondre à un besoin fondamental de sécurité, à une angoisse profonde, inconsciente ? Peut-être la même qui pousse à produire des voitures et du matériel de grande qualité, des cartables pour bouts de chou qui résisteraient à l’ascension du Mont-Blanc ?

Côté commerces de proximité, je ne résiste pas à vous conter ma découverte de la pharmacie de garde. Dimanche dernier, nous avions besoin d’une aide à la digestion. Coup d’œil sur internet, quelques minutes de voiture. On se gare dans la rue centrale d’un faubourg de Mainz, où tout est fermé, même la pharmacie. Ouf, la lumière est allumée. Nous nous postons à l’entrée gardée par un rideau de fer et la porte en verre. Je sonne. Au bout de quelques minutes, un monsieur vient nous dire que sa collègue est au téléphone et va arriver. Il laisse la porte en verre en position ouverte. Ladite collègue rejoint son comptoir, et depuis l’arrière de ses parois de plexiglas anti-covid, nous demande de quoi nous avons besoin. J’avais effectué mes recherches sémantiques sur google, j’étais au taquet. Ce que je n’avais pas prévu c’est que j’allais devoir crier cela dans la rue.

-C’EST POUR LE VENTRE

-QUEL PROBLEME EXACTEMENT ?

J’explique en criant le moins fort possible. J’ai envie de me marrer.

-QUELLE FORME VOUS PREFEREZ : CACHETS, SACHETS, SUPPOS ?

Intraveineuses.

-Euh, ça.

-ÇA COUTERA X €.

Elle s’approche du rideau de fer, attrape mon billet à travers la grille, me rend la monnaie avant de me tendre le médicament, en restant à bonne distance. Merci madame. Pour le produit et l’expérience.

Whaou, combien d’attaques de pharmacies de garde ont traumatisé les pharmaciens ? Peut-être des personnes en manque de bonbons pour la gorge qui menaçaient l’employé pour pouvoir hamstern en paix le dimanche ?

Mainzer Sand

Ma vie de maman me vampirise. Vous savez, ce rôle ingrat qui consiste à tenter de piloter et éduquer contre leur gré des êtres en devenir. Mes filles ont des personnalités intenses, c’est le moins qu’on puisse dire. (Je vous vois venir, comme leur mère oui). Nos intensités s’amplifient mutuellement, entrent en résonnance. Je ne vous fais pas un dessin. Le corps le plus usé trinque.

Le métier de parent demande de prendre sur soi pour donner de l’amour et de l’attention (enfin, d’essayer). Je tente en parallèle d’avancer sur mes projets personnels et j’ai l’impression de cumuler plusieurs temps plein. Oui l’écriture n’est pas une activité qui s’arrête quand j’éteins mon portable. Le cerveau dans son élan, continue de créer. C’est loin du bureau que jaillissent les meilleures idées. En particulier la nuit, de quoi sinon me réjouir du moins accepter mes insomnies.

Funambule, les bras écartés, je vacille à la crête de la surstimulation.

Ne pas trop en faire. Même si j’en ai envie, même si j’ai des tonnes de projets.

Ce week-end, j’en ai trop fait.

C’est pas ma faute madame, ma fille voulait faire du shopping et avant cela j’avais envie d’assister à la Maison de Bourgogne, à une rencontre avec un auteur français (Paul Morris). Suite à son séjour en été dans une résidence d’artistes à côté de Mainz (déserte pour cause de pandémie), il venait présenter son manuscrit.

Nous étions six puis cinq à l’écouter (le sixième a déserté, faute de comprendre assez la langue a-t-il expliqué). C’était captivant d’entendre ses méthodes de travail, ses inspirations, de lui poser des questions. De rencontrer d’autres passionnés d’écriture. Même ma grande fille s’est régalée.

J’ai aussi révisé la dictée de rythme. La musique est une matière sérieuse ici.

Après vingt-cinq ans de pratique du piano, les subtilités rythmiques m’échappent toujours. Quand je joue à quatre mains avec une amie allemande, ou que j’en accompagne une autre qui joue du violon, je remarque notre différence d’approche. Elles comptent. Moi je lâche après deux mesures pour m’évader dans la mélodie.

Comment suivre des consignes quand l’impatience et l’imagination débordent ? Ouvrir selon les pointillés ? Je déchire le paquet.

(Je déchire même mon corps. Ce matin je tape avec neuf doigts. Le majeur droit, est emballé de gaze, je l’ai coupé en rangeant la cuisine. Il est sensible, je ne peux pas l’utiliser. Au piano, punie, je ne travaille que la main gauche.)

En cuisine, c’est impro à partir de recettes. Un seul oignon ? Non mais ça suffit pas. Je vais en mettre trois. L’ail pareil. Et puis un peu tout au fond. Dans une casserole passe encore. Mais en tricot et en couture, le produit fini me déçoit. Sans surprise. Récemment j’ai terminé un gilet en laine mohair bordeaux, avec une grande fierté. Oui il est joli et à ma taille mais c’est grâce à la décision de me discipliner. Jusqu’au bout. Petite victoire.

J’ai commencé un nouvel ouvrage en me faisant violence. Malgré ma relecture attentive de l’énoncé (comme j’explique à qui vous savez), le point texturé m’échappe. Mon encolure ne ressemble pas à la photo. J’ai tout recommencé pour la deuxième fois. Les premiers rangs me permettent de comprendre. Je tricote moins pour le résultat que pour apprendre. Cependant, il serait bien que je renonce à ma nouvelle ambition de perfection en laine, sinon comme Pénélope, chaque soir, je vais défaire mon travail du jour…

En matière d’impro, laissez-moi vous conter fleurette.

Il fait une chaleur de fin mai et une sécheresse méditerranéenne. (D’ailleurs il parait que le sable du Sahara va revenir bientôt, lui qui nous avait permis de moins complexer niveau brillance de voiture, au pays du Salon de l’auto.)

Tant pis, je vais quand même semer. Comme à mon habitude, j’ai craqué au rayon graines. Plusieurs fois, oui. Même si je m’en tiens aux plantes fleuries les plus faciles, pour notre jardin de poche, j’ai de quoi fleurir un terrain de foot. Je vous livre ma technique complètement faillible :

  • Etaler tous les sachets sur la table, imaginer et s’extasier la bouche ouverte,
  • Lire les instructions et constater que c’est trop tôt pour semer dehors,
  • Gratter la terre dans tous les espaces vides,
  • Ne pas déranger ce qui pousse, même les plantes sauvages, même les moignons de trucs à moitié secs,
  • Semer les graines une par une, en les espaçant, en respectant des profondeurs différentes en fonction de leurs tailles,
  • Les recouvrir délicatement de terre,
  • Constater qu’il en reste beaucoup dans les sachets : renverser et étaler tout ce qui reste.
  • Brasser la terre. Encore.
  • Arroser.
  • Oublier ce qu’on a semé et où.
  • Regarder le ciel, il va pleuvoir bientôt, non ? Non. Deux semaines plus tard, tout inonder.
  • Regarder tous les jours les coins de terre nue, les mains sur les hanches en disant : Alors, ça vient ?

(Espérer que les voisins à ce moment-là ne sont pas à leur fenêtre).

Je vous dirai ce qu’il en est de mes capucines, cosmos, tournesols, soucis, prairies fleuries, nigelles de damas et bleuets.

Je vous souhaite des semis jolis.

PS : Vous soutenez l’Ukraine ? C’est important et généreux à vous. Si vous voulez soutenir l’Allemagne, envoyez de la farine. Par poignée, sur les hamsters.

En couleurs

Un film français en VO au ciné, premier cours de poterie depuis les événements (non pas ceux-là, les autres)

Chers amis,

Merci de passer par là. Quelle joie de vous y retrouver !

Pour vous écrire, j’ai dû ouvrir le répertoire Mainzalors pour trouver le document Word que j’utilise comme brouillon à mes articles. D’habitude, il est dans les derniers documents ouverts. Mais là j’ai tellement écrit pour d’autres projets (et d’autres ont fait des exposés sur les huskies) que ma page a plongé dans les tréfonds du menu déroulant.

Commençons par échanger de bonnes nouvelles.

Je vois du bleu et du jaune partout. Pas vous ?

Des petits drapeaux jaune et bleu ornés d’une colombe de la paix et de son rameau d’olivier qui flottent sur le devant des bus mayençais, la flamme de l’Union Européenne associée à celle de l’Ukraine au garde-corps d’un balcon. Des plants de pensées minuscules, évadées d’une jardinière, qui dressent dans la pelouse du parc des pétales bleu étoilé de jaune. La mésange à contre-jour qui picore la boule de graines suspendue. Le gamin en patins à roulette avec un pantalon soleil et un anorak bleu roi (non pas vous madame, vous y’a que du jaune, et beaucoup trop d’ailleurs). Le sac Ikea où j’emballe le panneau fabriqué par ma grande pour sa présentation sur les Années folles à Berlin.

Les étoiles de forsythia éclaboussent un ciel trop bleu.

Avez-vous remarqué comme beaucoup des toutes premières fleurs sont jaunes ? Et cette année, le ciel beaucoup trop bleu. La terre craque et crisse. Les feuilles persistantes aussi. Mes azalées sont-elles perdues ?

Marguerite Yourcenar la bien nommée a écrit : « Il suffit d’une fleur au printemps pour pardonner au Bon Dieu. » Cette année on va exiger un gros bouquet.

Depuis lundi en Rheinland-Pfalz, les enfants ne sont plus testés que deux fois par semaine – et non trois – à l’école. A compter de lundi prochain, ils auront le droit de quitter le masque en classe. Mes filles ont prévenu : elles le garderont.

Autre bonne nouvelle, je n’ai pas étranglé la préposée de la mairie de Mainz, quand elle a buté sur ma demande : m’établir le certificat de vie annuel sur un formulaire français. « Ici, on est en droit allemand ». Oui mais non. J’ai déjà essayé. Les Français ils veulent ça. Plouf, plouf…. Quel sera le plus obstiné des deux ? Les frenchies s’en tirent bien, le site web ne me donne aucun moyen de les joindre. Et moi j’erre dans le no woman’s land entre deux administrations bêtes et obstinées. C’est comme ça et pas autrement.

Zu Hilfe, zu Hilfe zu Hilfe, ich bin verloren ! (à l’aide, je suis perdue).

A la mairie donc, un groupe d’une quarantaine de personnes, surtout des femmes et des enfants faisaient la queue devant l’entrée. Je me suis postée derrière, avant de comprendre qu’ils étaient ensemble, probablement ukrainiens à attendre de pouvoir déclarer leur arrivée. J’ai patienté à la porte d’un autre service. Autour de moi, les gosses jouaient à touche-touche.

Touche pas – touche pas, ma chambre, ma maison, ma rue, ma ville, mon pays. Mes copains. Mon papa.

Une autre poignée de gamins, allemands, au marché samedi, vendaient des cookies trop pâles et des cupcakes au citron (en barquettes de papier coloré, devinez…) pour faire des sous pour les réfugiés. Nous en avons acheté bien sûr. Ils nous ont proposé un kit de protestation maison, dessiné aux crayons de couleur, avec affiches A4 et autocollants-badges.

Difficile de revenir aux petits riens de la vie quand d’autres perdent tout. Et pourtant… il le faut. Dans les moments les plus difficiles de mon existence, où l’essentiel me lacérait, je rêvais, épuisée, de m’affaler à l’ombre d’un pin sur une plage pour me peindre les ongles des pieds. Je ne l’ai jamais fait. Mais c’est cette image qui revenait. Le sable qui râpe un peu les jambes, le vent qui emmêle les cheveux, les yeux qui se plissent pour regarder la mer, l’odeur du vernis, la couleur qui colle, et attrape les poussières. Tâche anodine, dont l’inutilité restaure la confiance en la vie.

Habile transition vous en conviendrez (on fait comme on peut), vers mes dernières aventures.

Après dix-huit mois d’interruption covidesque, pleine d’entrain, j’ai repris, enfin, le chemin du cours de poterie.

Cling, paf, bang. L’enthousiasme qui s’écrase à terre fait un bruit de casserole.

Tout à la joie de se retrouver, mes co-stagiaires ont bavardé, fort et sans interruption, avec comme sujet de prédilection, natürlich, l’actualité. Et vas-y que je t’en rajoute une couche d’horreurs. Je m’intéresse à l’avis d’une dame, originaire d’Europe de l’est. L’occupation russe elle connaît. Elle parle la langue, a vécu à Moscou. Sa remarque : « Les Russes ne me font pas peur» m’interpelle. Il faudra que je lui repose la question.

Après deux ans d’hibernation, j’ai redécouvert qu’au bord du Rhin, les réflexions sont cash. Pour une Française, c’est limite de l’impolitesse (pour un Anglais, la frontière est loin derrière).

Dans un documentaire d’Arte (oh j’adore cette série : Invitation au voyage ), l’attitude et le visage d’une petite fille au Sénégal m’avaient tapé dans l’œil. Assise au sol, devant le mur de terre ocre de son école, en pantalon et T-shirt roses, entre d’autre gosses bariolés, les jambes croisées, le coude appuyé sur le genou, la joue dans la main, un peu écrasée, elle plongeait ses grands yeux noirs dans l’œil de la caméra. Arrêt sur image. Capture d’écran. C’est ça. C’est elle ma prochaine sculpture. Quelle poésie dans les gestes d’enfants !

Alors j’ai coupé mon pain terre (gris foncé, chamottée) et commencé à modeler un corps assis en tailleur.

-Ça ce n’est pas un enfant. C’est un dos, des cuisses, des fesses d’adulte. Un enfant n’a pas de taille.

-…

Oui je sais. Ce n’est pas mon premier. PATIENCE.

Mais c’est pas mal, non, après une heure d’un projet qui en comptera une quinzaine, d’avoir déjà modelé un corps ? Non ?

-Tu sais qu’il te faudra évider ta sculpture ?

Ça c’est la prof.

Oui je sais, ça fait vingt ans que je fais du modelage. Non ne j’ai pas la même technique qu’ici. Et non, je n’ai pas envie de changer. Elle me convient et je l’ai apprise avec des pros.

-Tiens regarde, ton bras là il va pas !

C’est très vrai, il ne va pas.

Photo prise en vitesse

Mais p…  Laissez-moi le temps de travailler ! Laissez-moi chercher, me tromper, recommencer.

Elle se poste tout contre moi, et place ses mains de part et d’autre de ma sculpture, sur sa girelle. Et vas-y que je pousse ici, que je tasse là.

J’ai envie de hurler : « Arrête ! Je ne supporte pas qu’on touche ma pièce. Tes conseils tu me les donnes avec des mots. Tu ne fais pas à ma place. Je veux apprendre, et surtout sentir et faire. Je m’en fous si elle est ratée.»

-Voilà c’est déjà mieux comme ça non ?

NON. Maintenant, j’ai envie de tout écraser et de partir.

-Tiens, prends cette latte de bois et tasse ta terre. Comme ta voisine, là.

Oui mais elle, elle monte des plaques, sa pièce est creuse. Elle n’a pas le même besoin de tendre l’argile.

Bonne élève soumise (sait-on jamais, y’a peut-être quelque chose à apprendre), j’attrape la morceau de bois.

PAF, PAF, PAF !

-Oh oui tiens ça fait du bien !

Rires.

Ça défoule, mais pas assez.

FOUTEZ-MOI LA PAIX !

Je n’ai rien dit. Je m’en veux. Sous les coups de marteau d’affirmations, je tétanie. Mon censeur intérieur filtre des remarques trop dures. Il ne laisse rien sortir. Même la boutade qui me libèrerait. Je bous mais je me tais.

Repartir dépitée, frustrée et en colère.

Mes pieds impatients ont envie de taper dans des cailloux. Ils m’ont emmenée trop vite vers le cinéma où je devais retrouver mon mari. Au bras, mon panier vide (artisanal, ardéchois, en châtaignier). Je n’ai pas pu emporter les quatre sculptures cuites depuis belle lurette et entreposées dans une armoire de la VHS (MJC) : même une seule aurait été trop lourde pour la trimballer en ville toute la soirée. Mais j’ai été ravie de les revoir. Notre longue séparation m’a permis de les apprécier. Un poivron, un p’tit gars qui joue à cache-cache derrière un arbre, un bouquet de noisettes, une fleur avec un cœur-visage de femme.

Ce serait vraiment dommage de renoncer à cette activité. J’ai beau râler, les gens sont sympas. Mais j’ai besoin de calme pour créer. Suggestion de ma famille : tu pourrais mettre un casque pendant le cours. Hmm, oui, ça atténuerait les effets secondaires.

Kino Capitol, Mainz

Soirée au cinéma donc. J’adore le Capitol cette salle rétro, nichée dans une rue piétonne, avec ticket en papier. Dans la salle, la tapisserie est ornée de grosses fleurs style années 70, de lustres art déco. Les ados se précipitent au balcon. Paf, des bouchons de porcelaine de bouteilles de bière à l’ancienne sautent. Entre deux gorgées, elles sont glissées dans l’anneau du support à popcorn.

La programmation privilégie les films d’art et d’essai, parfois en VO. C’était le cas avec Eiffel (titre allemand : Eiffel in love), proposé à l’initiative de la Maison de Bourgogne (Haus Burgund) de Mainz, très active. Dans la salle on entendait des éclats de voix en français. Derrière nous ça s’esclaffait avant les réparties humoristiques… au rythme d’affichage des sous-titres. Leur lecture est bonne pour notre allemand (et de toute façon comment les éviter ?).

Eiffel, campé par un Romain Duris qu’il me semble n’avoir pas revu depuis l’Auberge espagnole (pourtant si, forcément), dessine sa tour comme un refrain. Quand il rentre d’un chantier, il est sale, presque comme il se doit. Fait notable… Dans les films les tabliers restent immaculés. La partie sur sa vie, son œuvre, le caractère de l’homme est intéressante. L’histoire d’amour gentiment hollywoodienne. Même sans panier vide à ses pieds, qui a fait s’esclaffer ma voisine quand elle s’est glissée entre mes genoux rabattus et la rangée de fauteuils, un très bon moment.

Longue vie à ce cinéma d’un autre temps. Le bâtiment a été racheté par des investisseurs l’an dernier. Une pétition a circulé pour le protéger.

Le programme des prochaines semaines est sur notre table à manger. Tous les jours je l’ouvre pour rêver. Bientôt passeront La panthère des neiges et L’événement, et d’autres films étrangers que j’ai envie de découvrir, tant pis pour les VO. Il est intéressant de voir quelles créations passent la frontière.

La prochaine séance de poterie se rapproche. J’appréhende, mais j’ai une idée. Et si je recommençais à zéro, sans dire ce vers quoi mes doigts se dirigent ?

Ce que je modèle ? Mystère, mystère. Vous verrez bien, et moi aussi.

Les surprises ça a du bon parfois.

Sous-vêtements assortis

Pour aller chez le toubib et le kiné, c’est mieux non ? Non.

Ne pas laisser de bazar

Ça faisait une semaine que je programmais ma tenue de sous-vêtements pour ce vendredi matin, pour être sûre de pourvoir, avec les cycles de lavage, trouver dans le tiroir en haut à gauche une culotte et un soutif assortis. J’avais décidé de faire quelque chose contre ce mal au dos chronique, handicapant du mouvement et de l’humeur (demandez à mon entourage). J’avais rendez-vous chez un médecin ostéopathe recommandé par une amie.

J’y suis allée terrorisée, comme pour tout ce qui concerne la santé. Avec l’impression de tromper mon généraliste, qui a refusé de me prescrire des séances de kiné. Chéri tu peux m’accompagner stp ? Comme là c’est sûr il va m’envoyer au cimetière, je serai trop perturbée pour me consacrer au trajet. Je ne crois pas que ce soit une bonne idée de partir en pleine nuit, quand les rues sont vides. En essayant de déranger le moins possible les conducteurs pressés c’est sûr je vais me paumer. Avec à la clef, une rechute du lumbago et 170 de tension.

Ma meilleure moitié est compréhensive. Merci à lui.

Dans ce cabinet inconnu, j’ai montré patte blanche et me suis posée là où on m’a dit : sur la chaise en haut de l’escalier. J’ai pris mon air le plus détaché possible, genre je sais ce que je fais ici. De temps en temps, je redresse mon dos, cale mes reins contre le dossier. Non mais là c’est bon dans cette position (peu naturelle) j’ai plus mal. Et puis à ma dernière consultation en France on m’avait donné des exercices. Je les fais régulièrement (à peu près, enfin, parfois). Je fais du yoga tous les jours ou presque avec ma meilleure amie Adriene. Je nage dans le grand bain, 1 km en brasse et crawl. Le dos m’est impossible sinon je fonce dans les lignes ou les nageurs. On se souviendra que je crains la réprimande. Le papillon m’a coincé le haut du dos, quand j’ai réessayé en Forêt Noire. Ce n’est pas le moment de faire des folies de mon corps. Donc oui ça va. Je viens consulter mais tout va bien.

Le médecin, souriant et sympathique jeune homme (euh, il a fini ses études quand même ? Ah oui j’aperçois quelques rides) brun, en jean et baskets m’a appelée. La salle, aérée, était vide à part une table de kiné, une armoire en bois, et un fauteuil en bois d’inspiration asiatique. Dans un coin en face, sur une petite table, un ordi. Devant, sur un tabouret à roulettes, le docteur. Je m’en suis approchée et lui ai tendu le questionnaire en attendant les consignes.

C’est toujours ça qui manque dans les nouvelles situations : les consignes.

Que faire de mon corps ? Le poser où ? Dans quelle position ? Quel degré de nudité ?

Il faudrait un metteur en scène ou un chorégraphe.

Je m’en suis rendue compte en repensant à l’épisode sauna textilfrei (à oilp). Ce n’est pas de se dénuder en public avant le goûter qui pose problème, c’est de le faire à bon escient. Ne pas se retrouver en tenue d’Eve au milieu de maillots et de peignoirs. Ou inversement. Textilfrei. A partir de cette limite, tout quitter. Oui mais où et comment ? La transition est délicate.

Lors d’une première fois, mal à l’aise, on essaie de copier sans en avoir l’air, en se méfiant de ses impulsions. A plusieurs reprises, au café avec une amie, par réflexe , j’ai proposé de payer la note de nos deux thés (comme on a l’habitude en France, un coup l’une, un coup l’autre). La copine allemande était perplexe : tu veux que je te rembourse ? La deuxième fois, on peut expliquer, et faire passer sa bizarrerie pour un trait culturel.

Donc revenons à notre vendredi matin. Je m’attendais à me déshabiller et à montrer, bonne élève que j’avais mis des sous-vêtements, sans trous, (je ne vais quand même pas ajouter propres), assortis et que je m’étais bien épilée.

-Quittez vos bottes et allongez-vous sur le ventre.

-Les bottes c’est tout ?

– Oui. Défaites juste votre ceinture.

Soit.

Il appuie à différents points de mon sud-ouest.

-Vous avez mal là ?

-Non.

-Et là ?

-Non.

Il continue son exploration des douleurs dorsales.

-Vous faites quoi dans la vie ?

Ich bin Schrifstellerin (Je suis écrivaine )

(Alors là ça n’a l’air de rien, mais depuis trois ans que j’écris tous les jours, j’ose enfin l’avouer, dans l’intimité confidentielle d’un cabinet médical, dans une langue où le mot reste neutre (littéralement : productrice d’écrits), même si l’Académie Goncourt ne m’a pas adoubée. Donc méga victoire pour bibi qui cherche sa voie depuis bientôt… trente-trois ans.)

-C’est super ! Qu’est-ce qu’il y a comme gens intéressants !

Rire qui se veut modeste, derrière mon masque je rougis à peine (après tout il n’a rien lu de moi). Il enchaine :

-On n’a pas le temps de parler, sinon je vais être encore plus en retard. Mais je ne résiste pas. Vous écrivez quoi ?

-Un blog sur l’intégration d’une famille franco-anglaise chez les Teutons. Et un bouquin aussi. Vous parlez français ?

-Non pas du tout. Je ne suis pas doué pour les langues.

Tant pis, tant que vous vous y connaissez en vertèbres, muscles, et patientes angoissées.

-Et là ?

-Non.

Remontez un peu sur la table…

AIE AIE AIE … *#@*ZqX*!!§***… ce mouvement-là faut pas…

-Retournez-vous sur le dos.

Combien de temps vous me laissez ?

Il tâte mes cervicales.

-Ça va. Vous pouvez vous relever.

Avant midi ?

Je renfile mes bottes, en faisant attention avec la perfide flexion avant.

-On peut vous aider avec de la kiné ou de l’ostéopathie mais il faudrait apprendre à vous relaxer, parce qu’au moindre stress ou à la moindre émotion forte ça va revenir.

Il a bien compris le bougre.

-J’y travaille promis.

C’est pour ça qu’Adriene c’est ma meilleure pote, elle s’entend bien avec mes émotions fortes. Lisa aussi avec ses cours de yoga contre l’anxiété.

-Tenez une ordonnance pour six séances de kiné, c’est remboursé. Si ça ne marche pas on essaiera l’ostéopathie.

-Merci docteur.

10 minutes.

Il ne m’a pas envoyée au cimetière.

Mon mari a trouvé dans la boulangerie du quartier, de délicieux beignets de carnaval moelleux comme des nuages, où les petits grains de sucre collaient aux lèvres et aux joues juste assez pour avoir envie de les lécher. Et de se frotter le bout du nez avec le dos de la main. Tiens en fait y’a un arrêt de tram juste là. J’ai un peu honte de ne pas avoir vérifié avant.

Monsieur mon corps vous pouvez vous détendre.

Rompez.

Les six rendez-vous chez le kiné sont pris pour les semaines suivantes. La secrétaire m’a demandé d’arriver avec deux serviettes, une grande et une petite. Pas de consignes côté sous-vêtements, mais j’arbore la parure assortie – bleu roi, Monop, natürlich (j’ai pas encore basculé chez Tchibo pour les sous-vêtements, mais ça ne saurait tarder, je suis mûre. J’en suis à ceux de mes filles et aux chaussettes).

La kiné, une grande femme jeune et sportive, aux longs cheveux blonds, jean gris moulant et baskets Nike me propose d’entrer dans une salle équipée de matériel de sport. Elle vient d’aérer, je me dis que je vais me cailler. J’enlève mes baskets.

-Je me déshabille ?

-Non, non, ouvrez juste la ceinture je vais d’abord faire un bilan. Allongez-vous sur le ventre. Vous avez mal là ?

Non. Non. Non. J’ai mal tout le temps sauf quand elle appuie. C’est bon signe paraît-il.

Consultation : 20 minutes.

La dernière a eu lieu hier. Toutes consultations très intéressantes. J’ai appris à mobiliser mes abdos. Depuis le temps que je ne les avais pas vus, j’avais oublié où ils étaient (le premier qui me répond sous ton nez, je le mords). Avec ma pote Adriene, j’ai réussi à faire des abdos en mobilisant tout le reste du corps sauf eux. Ce qui fait que j’aime pas faire des abdos (qui aime ?), après j’ai mal au cou. Puis à la tête.

Donc, abdos pour de vrai, tous les jours.

Autre info qui peut servir, grâce à mon cher et tendre qui me l’a offert, j’ai lu un livre écrit par un Norvégien sur les étirements. Ma position de nuit est idéale pour me donner des maux dans le bas du dos (ça, trois bébés costauds, et la vieillerie). J’ai changé mes habitudes de sommeil. Je revis.

Chers amis français, appréciez à sa juste valeur un système médical où chaque minute n’est pas (encore) comptée (au plus court). Mes récits d’outre-Rhin ont inspiré un ami médecin : il a évoqué l’idée de facturer une visite à domicile quand il ira chercher un patient en salle d’attente.

Merci au système allemand, certes expéditif et à deux vitesses (selon l’assurance détenue), qui m’a bien aidée.

Un jour peut-être j’oserai publier un des tous premiers articles écrits sur le violent choc culturel avec le milieu médical local. Quand on est paralysée juste parce qu’on passe devant un hôpital, vous imaginez la rencontre avec des infirmières qui donnent des ordres. Et sourient. Parfois.

Je vous souhaite des abdos résistants et un dos compréhensif.

Les consignes de la salle d’attente du pédiatre (de Janosch)

PS : Vous connaissez les albums pour enfant de Janosch ?

Echanges

Voter pour rire, préparer le lycée et échanger ses gamins (ou ses parents).

A voté.


Oui oui.

J’ai voté en ligne pour le test grandeur nature du premier tour des élections législatives organisé par le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Le consulat avait proposé. J’ai sauté sur l’occasion. Pourtant, le jour des élections, je pressens l’envie de glisser un papier dans une enveloppe, à l’Institut français de Mainz. Le petit frisson du devoir civique réalisé n’aura pas la même saveur depuis mon bureau. Néanmoins, c’est drôlement pratique.

Sur la liste électorale pour du beurre, une douzaine de candidats tous plus poétiques les uns que les autres : le parti des abeilles en grève, des coccinelles, des herbes aromatiques au balcon… J’ai choisi une femme, avec des co-équipiers-arbres dont un châtaigner.

Devoir accompli pour rire (et rêver).

Bonjour les amis, me revoilà.

Ça fait longtemps que je n’ai pas écrit. Je m’assois tous les jours à mon bureau pour travailler à un projet d’écriture. Mais dans une phase de relecture / correction, je n’écris pas vraiment. Pour vous ici, souvent j’hésite. Ai-je quelque chose de neuf à partager ?

Râler encore contre les covid-contraintes ? Bof. Contre la voisine qui nous a engueulés pendant une bonne minute parce que notre chienne Gaïa, tenue en laisse, avait osé s’approcher d’elle (sans la toucher, sans aboyer, sans la surprendre) ? Elle nous a demandé si on emmenait notre chien à la Hundeschule (à l’école des chiens)… Mon mari lui a souhaité bonne année. Et moi j’ai eu l’envie furieuse de lui conseiller d’aller à l’école des humains. Pour apprendre l’humanité.

Non. Sans intérêt.

Au fond, Mainz

Mes actualités brûlent trop pour être partagées à grande échelle. Secrets. Suspense. Comme tout le monde j’ai des soucis, et j’essaie qu’ils ne me bouffent pas. Puis j’ai mal au dos. J’ai appelé le kiné ce matin. Elle m’a demandé mon numéro de téléphone.

-C’est un numéro de portable français…

-Nein. On ne peut pas appeler la France.

-Sur whatsapp ça marche très bien. Mais tenez le numéro allemand de mon mari.

Elle note. Puis me propose :

-Vous êtes disponible aujourd’hui ?

-Oui

-Ça m’avait agacée le coup de la France.

Ah bon. D’une part je ne m’en étais pas rendu compte. Les échanges cash sont normaux ici. Et d’autre part, je n’avais imaginé, depuis le temps que je le donne ce numéro étranger, que ça pouvait énerver. (Oui la flemme de tout mettre à jour, et la volonté symbolique de me rattacher à mon pays).

Vous l’aurez remarqué, l’objet de mes articles ici est d’essayer sous prétexte d’anecdotes quotidiennes de m’approcher au plus près de mes émotions, en espérant toucher les vôtres. Alors c’est frustrant cette auto-censure. Mais pour les sujets qui irradient autour de moi, pas le choix.

Alors parlons échanges.

Austausch (échanges scolaires) et non Umtausch comme j’ai dit une fois par erreur à des amis (échange définitif comme quand on rapporte un objet cassé au magasin). Et non ce n’était pas un lapsus ;o)

Oma Else Café

Ma grande fille est en troisième, année charnière. En seconde les élèves peuvent partir six mois ou un an suivre une scolarité à l’étranger. Aller simple dans une famille qui fait profession d’accueillir des jeunes du monde entier. Aucun étudiant à recevoir en retour. Plusieurs organismes le proposent, le lycée l’encourage. Les filles d’une amie sont ainsi parties au Canada et aux USA. Alors je demande à la mienne :

-Ça te dirait pas ?

-Si je pars je vais oublier tout mon allemand.

Ah oui c’est vrai. Pour nous ‘’l’échange’’ c’est tous les jours. Dommage dans un sens. Car en plus de la langue, l’apprentissage de l’autonomie, d’une autre façon de vivre, sans ses parents sur le dos serait chouette.

Un peu d’air dans nos voiles assouplirait les échanges.

Ado 10-Maman 0. A tous les coups on perd !

Si je suis occupée quand elle arrive, je me fais engueuler :

-Tu ne t’intéresses pas à moi !

Si je cherche à l’aider aussi…

-Tu as envoyé tes candidatures ?

-C’est MON stage, MON problème.

OK. OK.

Equilibre délicat.

Am Ballplatz

Une connaissance de Mainz m’a demandé de l’aider à trouver une famille française pour un échange (un vrai) de deux semaines. Les amis parisiens contactés, tout de suite séduits ont contacté leur collège. Non. Impossible. Le Covid et tutti quanti vous n’y pensez pas !

Quel dommage… Entre rigidité de l’Education Nationale et films doublés, comment les petits Français pourraient-ils briller en langues étrangères ?

Autre actualité scolaire : la préparation de la seconde. Les classes, identiques depuis cinq ans, éclatent en fin de collège. L’emploi du temps du lycée est très personnalisé. Presque du sur-mesure. Chaque collégien choisit parmi une trentaine de combinaisons : 3 cours principaux, Leistungskurse, 9 cours fondamentaux Grundkurse, une éventuelle option (philo ou italien). Les profs leur donnent des recommandations pour leur matière (vert, jaune ou rouge). Parmi les choix réputés les plus durs… sport et arts (théâtre, arts plastiques ou musique). Le nombre d’heures hebdomadaires est le plus élevé… en sport. Eh oui.

La semaine dernière, j’ai assisté avec ma fille à une soirée d’information en ligne sur l’environnement numérique du collège. Différentes présentations étaient données en parallèle. Spontanément, je me serais inscrite à une seule (par devoir… les maths) et j’y serais restée, regrettant de ne pas voir le reste.

J’ai laissé mon ado piloter.

J’ai découvert comment elle faisait en classe.

Elle a ouvert toutes les sessions qui l’intéressaient : théâtre, français Abibac (double bac français/allemand), italien, histoire en anglais… puis elle a zappé de l’une à l’autre. Fais voir qui c’est qu’est connecté là ? Ah bon ?

Surprise totale pour moi : presque personne dans la présentation maths où nous n’avons fait que passer par curiosité. Pourtant ils sont un certains nombre à choisir la matière, ma fille entre autres. Mais ils n’avaient rien à apprendre sur le sujet.

Un problème se pose pour ma miss : si elle fait Abibac elle renonce à son anglais – car les forts en anglais le prendront en cours principal (ce qu’elle ne peut pas faire puisqu’elle a français), reste le cours fondamental où elle va s’ennuyer. Ni une ni deux, elle a envoyé la question à la prof qui organise les emplois du temps (un joyeux casse-tête) : pourrais-je avoir un quatrième cours principal ? Réponse : si ça colle niveau horaires pourquoi pas…

Comme j’aurais aimé dérailler du ‘’maths à tous prix’’… Choisir le sport ou l’art comme matières principales avant le bac, sans avoir l’impression de commettre une erreur ni de me fermer des portes. Ma plus jeune révise pour les interros de sport comme pour les autres matières. Cet aprem piscine :  elle veut améliorer sa rapidité à la brasse. La pédagogie allemande fait envie.

Malgré tous ces choix, notre famille manque de projets. Nous trépignons. On s’était dit qu’on resterait deux-trois ans en Allemagne. Notre quatrième année n’ouvre aucune perspective de changement. Quel départ serait compatible avec la scolarité des enfants ? Avant le lycée ? Pendant ? Rester cet été est-ce s’engager pour trois ans d’un bloc ? En ai-je envie ?

J’ai vraiment besoin de poser mes valises. Pourtant hier je proposais à mon mari de partir en famille un trimestre à l’étranger quelque part… Pour échanger notre quotidien pour un ailleurs. Aventurière casanière. La routine pour se rassurer et s’apaiser, l’évasion pour échapper à l’ennui…. Une ligne de vie que je suis les bras écartés en balancier. Là encore.

Acheter une maison à Mainz ? Oserais-je ? Pas sûre du tout…. Ça aurait quelque chose de définitif (même si c’est faux). Mais j’en ai ras-le bol de ne pas pouvoir effectuer les travaux pour mettre mon chez moi à mon gout. De râler contre notre frigo minuscule.

L’Allemagne est le pays de l’Union Européenne qui compte le plus de locataires (53%). La part d’Allemands propriétaires de leur logement varie fortement entre Berlin (17,4%) et la Saare (64.7%). La Rhénanie avec 58% se situe dans la fourchette haute, mais le marché reste peu mobile et l’immobilier cher : implantation à Mainz de sièges d’entreprises (ZDF, Schott, … et maintenant Biontech qui grossit), proximité de Francfort (ce que le Brexit ne va pas améliorer sans doute, en entrainant le rapatriement en Hessen d’activités londoniennes).

Le Brexit parlons-en… Payer un bras pour envoyer des cadeaux de noël en Angleterre et un autre pour aller chercher les nôtres à la poste, parce que bon, les frais de douane ma brave dame… Ça tourne en rond cette histoire. Régler des taxes pour financer les agents qui lisent les étiquettes (et doivent bien se marrer. On a reçu dans un carton ’’céramique et papier’’ : comprendre tasses et livres).

Janvier s’étire. Les photos d’hiver regardées en été m’interrogent… Comment survivre au ciel blanc, à l’air glacial, aux arbres nus ? Plongée dedans, je guette les chatons sur les branches (noisetiers déjà équipés), la violette égarée, le perce neige hâtif (dans ma jardinière) … Même aux jours les plus froids, la nature s’épanouit. Les jasmins d’hiver, toutes étoiles jaunes dehors éclairent les rues. Le printemps se prépare en hiver. Rien ne s’arrête. Alors je m’en sors.

(Note à moi-même : tout de même, commander du mimosa au fleuriste du marché.)

Pour les longues soirées, les guirlandes au jardin (fairy lights en anglais, les lumières de fée, c’est pas charmant ?) font des semaines sup, et nous regardons des films. Décider en famille d’un programme relève de l’impossible. J’ai renoncé aux discussions interminables pour lire dans mon lit. Avec la sortie de Spiderman, les filles ont eu un coup de cœur. Commun. Tom Holland passe ses samedis soirs en notre compagnie.

Histoire de dédramatiser la question ado, vendredi j’ai glissé la Boum. Au siècle dernier, les deux films avaient eu un franc succès en Allemagne. Toutes mes copines de Cologne connaissaient Sophie Marceau. Ma benjamine a passé son tour (y’a de l’action ? des blagues ? Euh non). Mon ado a bien aimé, ‘’mais plus personne ne parle comme ça aujourd’hui…’’ A ce point ?

Mes filles adoptent, sans pourtant les fréquenter, le parler des jeunes français. Stylé revient dans leurs phrases aussi souvent que classe, puis canon à d’autres époques. Le super classe c’est quand c’est grave stylé.

Eh oui, moi aussi j’apprends.

Et j’imagine. Si je montais un système d’échanges pour les parents ? Une école de la parentalité avec stages dans une autre famille / culture, pour apprendre ailleurs comment me comporter chez moi ?

Vous en penseriez quoi les filles ?

(Pourvu qu’elles ne répondent pas qu’elles voudraient bien un Umtausch plutôt qu’un Austausch).

Sources statistiques : de.statista.com

Hors les murs

Petit tour de rentrée scolaire, troc de confiotes, refus de Figolu, et suggestion de placard.

(Mais si vous allez comprendre.)

Bonjour à vous,

Ne bougez pas j’arrive. Je donne un dernier coup d’éponge à la cuisine. (Vous aussi vous avez toujours un coup d’éponge à donner à la cuisine ?) Déjà la cinquième semaine depuis la rentrée, bientôt les vacances d’automne. Nous allons pour un temps changer d’évier.

Sortons dans la rue où l’éponge tentatrice ne nous suivra pas.

Après une première semaine de matinées (sans cantine), les cours ont repris à temps plein (AVEC cantine OUF !). La boite mail s’emplit de messages du collège : prière de consulter l’application. Clic, ouvrir le courrier, le lire en plissant les yeux (police 2 interligne 0.5), cocher la case Lu et refermer. En prenant soin de préciser à sa fille : « il est écrit dans le courrier qu’il faut l’imprimer pour cocher la case Lu avec un stylo. Je viens de le faire dans l’application. Je me contenterai d’une seule croix (virtuelle) par sujet. » On place ses rébellions où on peut (croisons les doigts que ça suffise). Pour les plus prolixes des auteurs de messages officiels j’aimerais avoir un tamis pour ne garder que les deux-trois infos importantes. Ils y pensent pas à ceux qui ont fait allemand première langue sans l’option littérature post-moderne (et qui n’ont ni loupe ni que ça à faire).

Autre formulaire : « Merci de verser les euros du voyage à Berlin sur le compte personnel du professeur responsable. RIB ci-dessous.» Voilà, c’est fait. C’est bizarre tout de même. Là-aussi serrons les pouces, comme on dit ici, que ça marche. Dans la paperasse signée, il est précisé toutes les conditions pour lesquelles il faudra aller chercher son enfant : indiscipline, test corona positif de lui-même ou d’un copain de chambre. Et si les profs accompagnateurs sont positifs ?

Plumbago

En 9. Klasse (troisième) ma grande va partir trois jours avec sa classe pour des Reflexionstage (jours de réflexion). Une parenthèse loin de la vie quotidienne, de la famille et des cours pour se poser des questions individuelles et collectives sur les choix de vie. Malin, non ? C’est organisé par le diocèse, avec autorisation d’absence du collège. Comme quoi la collaboration école publique – services religieux peut être profitable à tous. J’aurais tant aimé bénéficier de ce temps offert. Pas sûr que j’en aurais bénéficié alors, prise que j’étais dans la roue de hamster des interros et des notes.

Aujourd’hui les ados réfléchissent plus. Trop.  

Mon mari et moi inculquons à nos enfants que pour être en bonne santé il faut manger de tout. Surtout quand on est en pleine croissance. Que pour être poli quand on va quelque part on s’adapte à ce qui est proposé. Pitié les filles, épargnez moi l’actualisation des toquades alimentaires des copains.

Les réseaux si peu sociaux leur inculquent les citations sucrées en calligraphie et les modes alimentaires. A chaque repas nous avons l’actualité : « Machine est végétarienne maintenant ». Puis quelques semaines plus tard, « elle n’est plus végétarienne, sa mère le lui interdit elle était fatiguée ». A nouveau quelques semaines plus tard : Machine (la même) elle est vegan. Vraiment ?

L’une d’elle, vegan depuis une semaine, a refusé de goûter un Figolu.

La malnutrition auto-imposée comme style de vie ça me fait peur. Mais non maman, elle prend des vitamines. Ah bon tu me rassures. Elle a fait vœu de renoncer à son intelligence aussi ? Elle prend tous les matins des shoot de Youtube à la place (ou de Tiktok ; je suis dépassée).

A l’aide.

Les Figolus. Franchement.

La confiture passe encore. La semaine dernière, ma fille a mentionné qu’un copain avait ramassé cinq kilos de cynorrhodons (Hagebütten ou gratte-culs). J’ai suggéré le troc. Elle est partie avec des bocaux de confiture d’abricots. Nous gouterons l’églantine et le miel du copain. On a aussi un joli pot de miel d’une copine en deux phases : dur et clair au fond, brun et liquide au-dessus. Peut-être que les abeilles ont butiné nos fleurs. Beaucoup d’Allemands sont aussi apiculteurs. Les maisons affichent une plaque : Eigene Imkerei (apiculture personnelle).

Le lendemain de la date officielle de la rentrée, c’était l’Einschulung. La toute première rentrée. Devant l’école primaire en milieu de matinée, les petits CP étaient bien sages entre papa et maman tous bien habillés (une seule classe : les horaires sont échelonnés pour cause de corona). Les parents restent avec leur enfant toute la matinée. (Un prof de mes filles a été absent pour cela). Les écoliers serraient contre leur cœur une Schultüte, cornet-surprise rempli de friandises, carnets et crayons, et de jouets. (Les parents dépensent 70 à 80 euros pour ce symbole.) L’autre jour à la librairie une dame commandait un livre pour son petit-fils « à l’occasion de son Einschulung ».

Parfois des messes à l’église sont organisées pour les enfants (de l’école publique) et leurs familles à cette occasion. C’est joli de prendre le temps de cette étape. Je me sens un peu gênée quand j’explique que mes gamins étaient à l’école avec cantoche et tout le toutim avant trois ans. Ici c’est limite de la maltraitance.

En pensant à cet article, j’ai hésité à demander à une famille de les prendre en photo (de dos) tout rutilants, avec la Schultüte aussi grande que le gamin. Puis je me suis dit que je risquais de les effrayer. « Tu vois Max, cette dame si tu la croises, tu pars en courant ». Ils rentrent seuls très tôt les gosses. L’école leur fait passer un permis piéton avec coaching de la police svp. On les voit parfois s’entrainer à traverser la route un par un.

Fusain

En matière de comparaison critique entre cultures, je me suis professionnalisée. J’ai reçu un mail cet été de la part du magazine Deutsch Perfekt (qui s’adresse aux étrangers germanisants avec articles de différentes difficultés et lexiques). Ils avaient consulté leur base de données : que conseillez-vous aux Allemands ? (enfin, c’était pas demandé comme ça mais plutôt : qu’est-ce qui vous irrite dans votre pays d’adoption ?)

Bien sûr, je ne manquais pas d’idées ;o)

Au petit déj, penchée sur mon yaourt ardéchois, j’avais tapé en quatrième vitesse (sur le téléphone et sans mes lunettes) une dizaine de suggestions : équiper les maisons de placards, prendre le temps des consultations médicales, moderniser le réseau internet, renoncer à la paperasse, me foutre la paix quand je marche dans la rue même si mon vélo couine, arrêter la police des hobbies (ces particuliers qui se mêlent de vous engueuler pour un ja ou un nein) et tutti quanti.

J’avais eu la surprise de recevoir une réponse : “Merci Estelle, envoie-nous ta photo !”

Ma photo ! Whaou ! (Euh, laquelle ?)

Top top top. Ma minute de gloire. (Depuis le temps que je rêve d’être publiée, bon enfin, un texte que j’aurais écrit pas une réflexion à deux balles.)

L’article vient de paraître. Ils ont rassemblé une cinquantaine d’idées pertinentes (y compris rallonger les consultations médicales, moderniser internet, renoncer à la paperasse). Ils ont gardé de ma contribution la proposition inoubliable : mettre des placards batis dans les maisons (en shuntant la remarque : les Allemands sont-ils tous actionnaires chez Ikea ?) Mon amie d’enfance m’avait dit, quand je m’étais étonnée de leur absence « non y’en a pas en Allemagne. On a toujours trouvé ça super chez vous. »

En même temps ce magazine, y’a pas un Allemand qui le lit. Et pour cause.

A charge de revanche sans doute. Que conseilleraient les étrangers aux Frenchies ?

(Roulement de tambour…)

Je voudrais vous quitter sur une nouvelle insolite. Lors d’une promenade, une amie m’a parlé de son tout nouveau permis de conduire un âne (Eselführerschein). Oui, oui. Son professeur lui a remis un document officiel, plastifié et tout, avec le détail des compétences acquises parmi lesquelles : la tolérance à la frustration. (Je crois que je vais m’inscrire.) C’est un complément à sa formation pour animer des ateliers en forêt – sur son temps libre. (C’est une grande passion la forêt pour les Germains).

Pourtant je me demande, certaines choses ne devraient-elles rester poétiques et libres ? Peut-être l’effet de mon moral dans les chaussettes (bienvenue automne, au moins, j’en porte des chaussettes).

Souvent, j’ai envie de jeter l’éponge.

La vraie (planquez-vous), et la métaphorique.

Mazel Tov ! Mainz entre à l’Unesco

Avec son cimetière juif millénaire. Et puis aussi une histoire de foins coupés et de sable.

Judensand, Mainz

Vous le savez, je ne consulte plus les informations en ligne, ce vrac gratuit d’anecdotes sensationnelles. Je picore dans un hebdomadaire sérieux (the Economist de mon mari) les articles qui attirent mon regard (pas beaucoup). J’aime bien cependant recevoir la presse locale gratuite. Sur la boite aux lettres j’ai collé une étiquette : Bitte keine Werbung (pas de pub svp), mais je n’ai pas ajouté und kostenlose Zeitschriften (ni de journal gratuit). Je parcours le journal en 30 secondes et parfois j’apprends des choses sur l’actualité locale, comme l’existence d’un élevage d’abeilles municipal avec vente de miel et de bougies, ou l’inscription fin juillet de Mainz au patrimoine Mondial de l’Unesco.

Dès le Moyen Age, Mainz et deux autres villes impériales de la vallée du Rhin Spyer et Worms possédaient d’importantes communautés juives, parmi les plus anciennes du monde germanophone. Elles ont fortement influencé la culture ashkénaze en Europe centrale. On les appelle les villes SchUM, comme l’acronyme composé des premières lettres des noms hébreux d’origine latine : Sch pour S(ch)pira (Speyer), U pour Warmaisa (Worms) et M pour Magenza (Mainz). Un comité (en hébreu : Wa’ad SchUM) représentait leurs intérêts communs auprès du gouvernement. Le symbole en est l’ail (qui se dit schum en hébreu de la Bible).

La grande époque des SchUM se termine après quatre siècles, vers 1350 avec des massacres. Les grandes communautés sont remplacées par de plus petites à l’influence limitée.

Des vestiges millénaires témoignent de cette présence : à Spyer, les restes de la synagogue avec le bain rituel mikveh (XIIème siècle), à Worms et Mainz les cimetières juifs du XIème siècle, parmi les plus anciens du monde.

Je connais bien celui de Mainz, le Judensand (sable juif, par référence aux kleine et grosse Sand, champs de dunes en remontant vers les rives du Rhin) sur la Mombacher Strasse, en contrebas d’une colline. Il se cache derrière la gare, dans une zone d’activité, presque en face d’un magasin de beaux-arts. Il a été abandonné en 1880 avec l’ouverture d’un nouveau cimetière juif, adjacent à celui de la ville.

Au bord de la route, les tombes en grès rouge, chavirées dans une pelouse qui ondule sous les arbres ont un charme fou. A chaque passage, je me laisse entrainer dans leur mystère. Il me fait penser au vieux cimetière juif de Prague et aux anciennes tombes autour des églises de village en Angleterre. J’adore ces lieux spirituels hors du temps, unités de mesure de la vie humaine. En ce début d’automne, par temps gris et humide avec les premières feuilles jaunes tombées et le parfum d’humus, l’atmosphère est envoutante.

Enfermé dans un mur rehaussé d’un grillage, collé à la route à son bruit et ses émanations de pots d’échappement, il semblait à la fois protégé et délaissé.

Il semble qu’une page ait été tournée. Sans transition, le lieu sacré a glissé de l’anonymat à la célébrité. Le 27 juillet 2021, suite à un dépôt de candidature de 2012 de la ville de Worms, les « sites SchUM de Speyer, Worms et Mainz » ont été inscrits au Patrimoine Mondial de l’UNESCO.

J’ai dévoré l’article, illustré par la photo de personnalités politiques qui se félicitent (incroyable cette expression) et effectué des recherches sur Internet. A vélo sous la bruine, j’ai pédalé pour un reportage photo solitaire. Pas facile à faire derrière une barrière même en grimpant les escaliers qui longent le terrain.

Le portail est fermé à clef. Sur le grillage, a été accrochée une banderole violette. Un peu anachronique et décalée toute seule sous la pluie. Elle porte en lettres blanches : Mazel Tov ! Wir sind UNESCO Welterbe ! (nous sommes au patrimoine mondial de l’Unesco).

Sur le poteau de béton, un panneau bilingue donne quelques explications. Mon téléphone prend l’initiative de convertir le QR code de photo pour ouvrir le site web correspondant.

Un appel à projet a été lancé pour ériger un pavillon des visiteurs à l’entrée du cimetière. (Enfin !)

La communauté juive de Mainz est une des plus anciennes d’Europe. La synagogue construite en 1912 (déjà appelée ”nouvelle”) a été détruite lors de la Nuit de Cristal le 9 novembre 1938. Elle a été remplacée en 2010. Dans son environnement d’immeubles des années 50, le bâtiment surprend (il surprendrait n’import où en fait). L’architecture évite les angles droits. La façade est en céramique émaillée vert foncé. Mon mari et moi y avons assisté en 2019 à un concert de Noa (Letters to Bach : chansons composées sur la musique de Bach). Les escaliers en italique et les fenêtres biscornues donnent le mal de mer. Je tâcherai de vous retrouver une photo. L’architecte Manuel Herz de Köln s’est inspiré du design des cinq lettres du mot hébreu signifiant ‘’saint’’. L’entrée est gardée par les colonnes de pierre de la synagogue précédente.

Grosse Sand, Mainzagréable pieds nus

J’ai mentionné plus haut, les dunes de Mainz. Ces champs de sable dans le coude du Rhin sont une particularité géologique protégée. Ils accueillent des espèces botaniques rares, datant du dernier âge glaciaire. Jusqu’à la semaine dernière je ne connaissais que le Grosse Sand (le Grand Sable), un des lieux de balade favori des Mayençais (Kein Durchgang : interdit de traverser la steppe centrale). En fait il y en a un autre plus bas : le kleine Sand, entre le grand et le Judensand (et sans doute plein sous les maisons du quartier). Une association de protection de la nature a fait, via les écoles, appel à des volontaires pour nettoyer ce bout de terrain. Sur le formulaire, nous avons coché : participera samedi, au grand dam de mes filles. On pensait qu’il s’agissait de ramasser les déchets.

En fait non. C’était une opération de sauvetage botanique. Les herbes avaient été coupées de façon sélective, en épargnant celles dont les graines mûrissent encore. Lors de mon échappée à vélo pour photographier le cimetière, j’avais prolongé la promenade entre les arbres et avait vu les jardiniers et leurs broussailleuses. Je savais que ce coin était spécial : une petite pancarte artisanale demandait d’éviter de le traverser pour épargner des plantes rares.

Les rangées de foin parallèles devaient être ramassées. Samedi, les bénévoles avaient apporté râteaux en quantité et benne. Il y avait tant de bras volontaires (200) que les missions ont été échelonnées. En petits groupes nous avons rempli puis trainé une bâche, jusqu’à la benne, ou des jeunes organisaient le dépôt de foin en une montagne stable. Il faisait beau et chaud (et soif). L’association en a profité pour nous éduquer. Un monsieur à barbe blanche sous un chapeau à large bords nous a présenté quelques spécimens (au nom latin terminé par arenaria -pousse dans le sable – j’ai oublié le reste). En particulier une graminée rigolote : la graine a une tige en tire-bouchon sur le dessus, que le vent redresse quand elle est à terre lui permettant de se planter. Au moment où le botaniste nous en a parlé, ma fille jouait déjà avec ces graines frisées.

Mainz est sur une zone frontière pour les migrations végétales : au sud de celles qui descendent des steppes glaciaires, à l’est de celles qui viennent de l’Atlantique. Au-delà c’est trop froid ou trop mouillé.

Des dames de l’association déterraient à la bêche les plantes invasives : des asperges (vestiges de l’occupation du terrain par des jardins) et des Schneebällchen que je ne connaissais pas. Ma fille oui. Les enfants récupèrent les graines blanches et les jettent sur le sol où elles éclatent.

Pour leur poser des questions je me suis approchée, en restant loin des bêches : rien que de les regarder mon dos crie. Les arbres fruitiers morts (lors des étés de canicules) ? Ils sont conservés comme hôtels à insectes. Je n’ai pas pensé à leur parler de la pyrale du buis arrivée cet été à Mainz, hélas. Je pensais que peut-être la latitude ne leur plaisait pas. Mais si. Les buis sont surtout dans les jardins ; les dégâts seront moins flagrants que dans la garrigue ardéchoise. N’empêche : cherchons prédateur d’urgence.

Bienvenue automne

Autre actualité locale et nationale, bien sûr : les élections du parlement. Même ici vous n’y échapperez pas, sorry comme disent les Allemands (et les Anglais aussi, oui).
Bientôt Madame Merkel tirera sa révérence. Les rues fleurissent de pancartes électorales selon un code précis. Pendant six à sept semaines, les partis peuvent, dans les limites de proportionnalité et à des emplacement décidés par les municipalités, afficher les têtes de leurs candidats. (Imaginons la carte étalée sur la table du service dédié : sur ce réverbère oui, celui-là non.) Les mats sont harnachés de cartons bifaces, avec des photos de CV, buste de trois-quarts, visage de face. C’est moche, oui, mais comme disait Churchill, « la démocratie est le pire des régimes, à l’exception de tous les autres ». Mais au moins ils seront déposés dans la semaine suivant le scrutin. Aucun affichage sauvage ne s’effilochera pendant des mois sur les murs.

Les rues pourront retrouver leur anonymat silencieux.

Seul le cimetière en bas de la colline gardera sa banderole.

Houblon (pas envie de mettre des photos d’affiches électorales)

14 juillet in Mainz

18°, école, pas de feu d’artifices. Et pourtant une histoire de libertés.

Je reste libre (distanciation au restau)

Aujourd’hui, les classes de mes filles ont organisé leur sortie de fin d’année. L’une est partie faire de l’accrobranche (Kletterwald), tant mieux ! La menace de pluie a fait renoncer la classe de l’autre (qui en saute de joie) au mini-golf, pour se rabattre sur des jeux en salle et des pizzas. Dans ces classes à français renforcé, l’encadrement semble avoir oublié la fête nationale française. Mes filles se chargeront de le rappeler. Vendredi, remise des bulletins en main très propre et en grande pompe. Prière de vider les casiers. Les cours s’arrêtent ensuite pour les six semaines réglementaires.

Ah ces fins d’année scolaire ! Pourtant covid oblige, pas de spectacle, de concert, ou de barbecue géant. C’est dommage, c’est tant mieux. J’adore rencontrer des nouvelles têtes sympas, mais le bavardage social m’épuise. Ma cervelle survoltée refuse de dormir et saute sur le lit comme un gosse sur un trampoline. Il me faut deux jours pour m’en remettre.

La classe de ma plus jeune a eu le droit d’organiser un pique-nique. Dans le parc, autour de nous, quatre autre pique-niques de quatre autres classes, autour d’une Wasserspielplatz. Dans cette fontaine géante peu profonde avec jeux d’eaux les enfants s’aspergent. Une super idée plutôt que de gronder les propriétaires de pieds trempés dans les bassins décoratifs.

Nous nous sommes installés sous un châtaignier dont les chatons défleuris sont autant de clins d’oeil de mon Ardèche. Une maman cherchait où étaler les victuailles apportées par les familles. J’ai proposé mon plaid. Le déplier sous des regards étrangers m’a motivé à braver les instructions de l’étiquette et à le laver. Pour mieux présenter mes carrés aux dattes, j’avais acheté le matin même de belles boites en plastique turquoise. Les familles allemandes mettent la barre très haut concernant la présentation de leurs gâteaux. Mes emballages sont plutôt poétiques disons. Je tâche d’apprendre.

Oui les fins d’années scolaires sont tumultueuses. S’ajoute à la clôture de l’année et aux préparatifs de voyage, l’organisation d’un parcours de santé en terre francophone. Le rappel des vaccins bien sûr. Mais pas que. Comment faire quand on vit dans un no man’s land trilingue pour faire un bilan d’orthophonie ? Dans quelle langue ? Faudra-t-il en faire plusieurs ?

J’ai appelé un cabinet du sud-ouest. L’accent chantant de la jeune femme m’a fait fondre. Nous avons eu de la chance de pouvoir prendre un rendez-vous en période estivale, à court terme, et dans un coin où d’autres expatriés font les mêmes démarches.

Il est temps de partir.

Les aboiements de Gaïa tapent sur les nerfs des voisins donc on la garde à l’intérieur. Où elle tape sur les nôtres. Elle se donne du mal : elle pose des crottes un peu partout, à toute heure du jour et de la nuit, ce qui n’était pas le cas à son arrivée. Mes filles et mari savent que je n’aime pas les chiens et que j’ai accepté l’adoption pour raison thérapeutiques. Je n’ai encore dû ramasser aucune offrande. Merci à eux.

Nous voilà donc avec une chienne qui ne joue pas, perd ses compétences de propreté et aboie de plus en plus. J’ai posé la question aux miens : franchement quel est l’avantage de Gaïa ? Je n’ai pas eu de réponse. On m’a dit que c’était important d’aider un chien des rues. Jusqu’à quel point ?

Mon besoin de calme et d’un chez-moi apaisant est piétiné. Mes soirées se calfeutrent sous un casque anti-bruit. Je n’ose plus lire dans le salon – c’est trop le bazar, le sol impossible à garder propre. Déjà avant le chien je me planquais. C’est pire. Je les ai prévenus : faute de solution de cohabitation plus équilibrée, un jour explosif l’alternative risque d’être simple : l’animal ou la maman.

Nous allons faire le tour de Gaule, avec étapes chipirons à la plancha, tarte aux blettes, crème de marrons en tube. Plongeons remuants sous les rouleaux de l’Atlantique (c’est où le ciel déjà ?), baignades depuis les rochers de Méditerranée qui martyrisent les pieds et massages dans les torrents de l’Ardèche. On va bouffer du kilomètre, avec Gaia dans la voiture (yeux au ciel gris). Y’a tellement de monde qu’on a pas vu depuis trop longtemps ! Dans la piscine vide, j’enchaîne les longueurs et m’échauffe les bras pour les embrassades. Sous les gouttes, l’eau prisonnière redevient sauvage.

Au fait, dans quel format seront autorisées les retrouvailles ?

Une amie m’a prévenue de nouvelles annonces sanitaires (j’évite toujours les infos). Quoi ? Le gouvernement doit forcer le personnel soignant à se faire vacciner ? Mais ce n’est pas déjà fait ? Si c’était le contraire y’aurait une levée de bouclier pour dénoncer la mise en danger des personnes.

Il est nécessaire de prendre des mesures pour encourager les Français à se faire vacciner ? Le bon sens a besoin d’un coup de pouce… Le risque ? Quel risque ? Celui d’un accident de voiture est bien plus élevé. Celui d’une maladie grave tellement plus fort.

Les mesures incitatives (vaccin ou test pour accéder à une salle de plus de 50 personnes), sans doute insupportables pour certains esprits français, sont en place depuis des mois en Allemagne, sans jauge minimum. Vous le savez, ça m’a fait râler tant et plus, faute de pouvoir me faire immuniser. Pourquoi les médias relaient-ils si peu les choix étrangers pour rappeler aux Français leur chance d’accéder au vaccin sans combat ? De vivre dans une société qui privilégie la liberté – si tout le monde joue le jeu et que les égoïstes ne comptent pas sur l’immunité des autres.

Dans Private Eye, le journal satirique anglais auquel mon mari est abonné, un dessin humoristique présentait un Français refusant de faire « entrer des virus et des bactéries dans son corps », avant de se resservir de roquefort.

Comme partout, les conditions de nos vacances seront encadrées par les mesures politiques. Pour nous débarquant d’outre-Rhin, l’environnement français sera une libération. Si nous avons bien notre vaccination comme prévu (touchons du bois, serrons les pouces comme on dit ici) ma fille et moi pourront aller au restau en août mais pas mon mari qui n’aura sa deuxième dose qu’au retour en Allemagne.

Pardon. Pardon. En m’asseyant à mon bureau, je n’avais pas prévu de m’étendre sur le sujet. J’essaie d’éviter cette thématique qui me rappelle combien l’humanité a la mémoire courte et les ondes sont encombrées par les imbéciles. C’était quoi déjà le taux de mortalité avant l’invention des vaccins ?

Sur une façade de Mainz, près du Rhin

Grâce au télétravail délocalisé, nous pourrons prolonger notre séjour en France. Quitte à foutre le camp… Une chambre-bureau avec vue sur mer, ça changera du parking des voisins. Ils pourront souffler en l’absence de notre aboyeuse et nous sans leur perceuse. Notre grande restée avec des copines rentrera seule pour la première fois en TGV direct Lyon-Francfort. Question à deux euros : une mineure a-t-elle besoin d’une autorisation de sortie du territoire pour rentrer chez elle ? Je viens de vérifier, la réponse est non. Pourvu que l’éventuel douanier / contrôleur soit au courant.

La logistique est en place. Les valises familiales à peine commencées. (C’est pas faute d’en parler – cf article La valse des hésitations). Pour l’âme hypersensible de qui vous savez, ces road-trips sont épuisants. Afin d’amortir la bosse-petit pois des changements répétés, des étapes-matelas sont organisées dans des chambres d’hôtes de charme. Histoire de faire le plein de calme et de beauté. Les casse-croûtes seront solides et ponctuels (mon humeur plonge avec ma glycémie, gare à mes covoitureurs). J’ai réservé des moments de solitude sous les pins pour recharger mes batteries.

Enfin, ça c’est la théorie.

Mes filles m’encouragent à prendre des vacances d’écriture. J’ai besoin là aussi d’une pause régénérante. Mon roman bénéficiera d’un regard lavé. Les idées continueront de germer, mais il attendra un peu. Le blog peut-être moins. Si le stylo me démange, vous serez les premiers informés.

Ça se dit, joyeux 14 juillet ?

Drei Mädchen Brunnen, Ballplatz – Mainzer Altstadt / Fontaine aux trois jeunes filles, sculpture en Bronze de Josef Magnus.

La valse des hésitations

Einmal hin, einmal her, Rundherum, das ist nicht schwer ! *

Un pas par ci, un pas par là, un p’tit tour, c’est pas difficile (* chanson enfantine)

-…..

Vous entendez ? C’est moi qui parle à mes filles.

J’essaie à nouveau.

-….

Ça marche ?

Non ? Vous non plus vous n’entendez rien ? Décidément !

J’ai l’impression de parler dans le vide, d’émettre un simple bruit de fond, des ondes inutiles. J’ai décidé de faire la grève de la parole chez moi.

Reprenons.

Voilà un mois à la Stammtisch virtuelle des parents de la classe de ma grande (réunion qui se tient d’habitude dans un restaurant fort charmant), j’ai appris que le collège avait envoyé un message précisant les conditions de retour des livres scolaires. J’avais raté l’information planquée au fin fond d’un long courrier (la direction est peu synthétique et consulter sur smartphone un drap de lit reçu dans une appplication est frustrant). J’ai tendance à cocher la case ‘lu’ au plus vite. Si c’est important, la même info nous arrivera de façon plus claire par les profs ou les élèves. Pas cette fois.

Nous étions cinq mamans à la Stammtisch, et c’était fort sympathique de revoir des visages connus. Il a été rappelé que les livres scolaires, loués par la ville de Mainz au tiers du prix d’achat, devaient être exceptionnellement rendus au château des princes-électeurs (Kurfürstlisches Schloss) . D’habitude les gamins partent le matin pour l’école avec leur sac de bouquins. Cette année c’est dans le centre-ville et le créneau est contraint : 8-15h, un jour différent pour chaque école. Souvenons-nous que les enfants d’une même fratrie fréquentent souvent des établissements différents. Les parents d’une famille nombreuse sont priés de se déplacer autant de fois qu’il le faudra.

Info reçue, je l’ai transmise à ma progéniture. J’ai écrit le rendez-vous sur le calendrier familial accroché au mur au-dessus de la table à manger. Par chance, cela tombait un jour de congés pour mes filles dû aux oraux de l’Abitur (bac). La veille, l’une était invitée à un anniversaire, l’autre avait un projet urgent du genre fabriquer un bracelet en perles. Elles accompagnaient aussi notre chienne Gaïa chez le véto pour acheter les produits anti-bestioles-qui-piquent. Donc le temps était compté. Je les avais prévenues plusieurs fois : rapportez bien tous vos livres vendredi au plus tard !

Devinez ?

La veille.

  • Heu, mon livre de maths est chez une copine.
  • Moi j’ai laissé celui de français dans mon casier. Mais t’inquiète j’en ai pas besoin.
  • Si, il faut le rendre.
  • Ah bon ?
  • Je vous l’ai dit dix fois.
  • Ah non pas du tout !
  • Tu vas avoir le temps d’aller le chercher le livre de maths ? Et toi celui de français ?
  • Ouais…

Aller-retour au collège pour l’une, qui vidange aussi le casier de sa sœur. Rendez-vous à mi-chemin avec l’amie au livre pour l’autre. Il semblerait que les manuels soient rassemblés. Rappel de la consigne :

-Je veux les livres dans le sac, avec le formulaire de retour, prêts à partir. Ce soir.

Le jour-même : un seul sac dans le salon. Attendons et voyons. Alors que je me brosse les dents dans la salle de bains, la porte s’ouvre sur une toute petite voix…

  • Je ne trouve pas mon livre de géo.
  • Cherche. Envoie des messages à tes copines pour savoir où il est.

Il faut qu’on parte.

La sœur :

-Ah j’ai vu un livre de géo hier dans mon casier. Y’a mon nom dessus, mais le mien est à la maison.

Là j’ai comme les fils se touchent.

  • Et tu ne l’as pas pris ?
  • Ben non.

On part en voiture.

Christus Kirche

D’abord direction le collège, pour aller chercher ce fameux livre. Retour à la maison. La petite descend. J’ai changé d’avis : je prends aussi les livres qui ne sont pas à rendre (à la troisième location, les manuels restent chez les élèves), au cas où. On repart (à deux mon mari et moi) en espérant ne pas avoir à se garer, j’aime pas conduire en ville quand je ne sais pas où je vais. Le GPS qui dit les noms des rues allemandes avec un accent français, c’est tout un poème et guère compréhensible. Le mettre en anglais c’est pire. Tout en allemand, dans MA voiture ? J’ai pas le coeur.

Deuxième départ. Einmal hin, einmal her…

Appel de la grande sœur : ça y est les échanges WhatsApp de la classe ont localisé le bouquin chez une copine-voisine. Mission accomplie, elle sait où il est. Elle s’apprête à raccrocher.

-Eh oh, va le chercher ! Dépêche-toi. On revient.

Retour à la maison, pour prendre le livre de géo.

Troisième départ. Einmal hin, einmal her…

La route est en travaux. Il faut un quart d’heure pour arriver au château des Princes-Electeurs au bord du Rhin, dans le centre-ville. A mi-chemin, l’alerte carburant s’éclaire.

A proximité du château, une longue queue s’étire sous les arbres jusqu’à une entrée latérale. Au moins c’est facile à trouver. Arrêt rapide, je descends de la voiture avec mes deux sacs… Mon mari remonte travailler à domicile. Je me poste derrière tout ce beau monde. L’ombre des tilleuls est parfumée. Les 80 personnes sur le trottoir respectent les distances. Mais je ne peux m’empêcher de remarquer que :

1/ rassembler une foule en période coronesque c’est pas bien malin (rappelons-nous le cirque tests / vaccins pour aller au restau) ;

2/ je me suis fait avoir : la queue est composée en majorité de collégiens et lycéens, sans leur maman. Plus loin devant j’aperçois des copines de ma grande, derrière, un copain de ma plus jeune qui me salue de la main. A l’idée de venir, les miennes ont fait la grimace.

Kurfürstlisches Schloss

Attendons.

45 minutes passent. Je fais mon courrier virtuel, texto à droite et à gauche, en avançant de deux pas de temps en temps. Les sacs suivent à mes pieds.

Au seuil d’une grande porte de bois, ouverte, il faut s’arrêter. Une dame imposante en uniforme bleu marine signale quand le prochain a le droit de pénétrer. Une affiche d’une grande librairie de Mainz a été installée. Cette prestation doit être un marché sous-traité.

Je suis intriguée de découvrir l’intérieur du palais qui est un des bâtiments repères de Mainz. A l’exception d’un grand lustre éclairé, le hall d’entrée est banal comme celui d’une administration. Décevant. L’entrée principale est-elle plus imposante ?

La dame me fait signe. C’est à moi. Me voilà dans la queue intérieure longue d’une vingtaine de personnes. Ah quand même ! Le monsieur derrière moi râle avec le sourire (ah, un autre qui s’est fait avoir par ses gosses). Il parle allemand avec un accent étranger derrière un masque. Je hoche la tête d’un air entendu quand je comprends qu’il trouve absurde ce regroupement en centre-ville si loin du collège. On est d’accord. On rigole. Et il ajoute : ils vont nous refaire le coup au mois d’aout pour aller chercher les nouveaux livres. Zut. J’y avais pas pensé.

Nous attendons dans une galerie des glaces qui tient plus de Castorama rayon salles de bains que de Versailles. Enfin je touche au Graal : une pièce aux murs habillés de bois peint avec quelques moulures en hauteur, dans laquelle ont été installées cinq tables sur tréteaux. Sur chacune : un ordinateur portable, une imprimante. A côté, des caisses de livres pleines, un/e préposé/e.

Un jeune homme à mèche blanche dans des cheveux noirs me fait signe de la main. Je pose le premier paquet de livres sur son bureau. Scan, impression du bon de retour A4. Au tour de l’autre paquet de manuels. Scan du livre de géo. Hésitation. Rescan. Il me dit : “celui-là appartient à Paula Schmidt”. Quoi ? Ni à ma fille donc, ni à la copine chez qui elle l’a récupéré in extremis. Impression d’une facture à payer si personne ne le rapporte.

J’envoie un message à ma fille : continue de chercher.

A la gare en face de l’arrêt de tram, un stand de fruits locaux me fait envie. Abricots à confiture de Finthen (banlieue agricole de Mainz), 5 euros les trois kilos. Parfait. Et 500 g de cerises aussi. Merci.

Retour à la maison.

  • Ça y est on a trouvé mon livre ! C’est celui qui était dans le casier de ma sœur. Avec son nom à elle dessus.
  • Donc, en gros de toute l’année scolaire tu ne l’as pas vu.

Vite coacher son ado pour identifier une copine qui s’apprête à descendre au château, pour lui confier le manuel à restituer et éviter de se retaper la queue. Lui sortir son vélo. A son retour, la regarder s’assoir avec un air satisfait. « Ah je me suis bien débrouillée quand même ! »

Je n’ai pas tout perdu. Cet aller-retour m’a permis de papoter avec une maman-copine venue accompagner sa fille, de faire une confiture d’abricots (meilleure que d’habitude) et le premier clafoutis de la saison. J’y ai aussi gagné le parfum des tilleuls. Et le droit de faire la grève de la parole.

Notre échappée à Strasbourg, le week-end dernier, a failli tomber à l’eau. La veille du départ, mon mari était malade. Test, hésitation. Einmal hin, einmal her… Tout le monde avait un besoin urgent de changer de tapisserie. Sous la menace d’une mutinerie, on a décidé de tenter le coup. A quatre, avec Gaïa.

Depuis un an et demi nous vivons au vert sans presque sortir de notre quartier. J’avais réservé un hôtel dans le centre de Strasbourg. Bruit, foule, quel choc ! J’avais l’impression d’être sur la presqu’île de Lyon un huit décembre (où je n’allais jamais).

A part une escapade de quelques jours en automne au fin fond de la forêt vosgiennes, c’était notre premier retour en France depuis l’été dernier. Quelle sensation bizarre d’être surprise d’entendre du français et de se sentir touriste dans son pays (enfin, presque, ça reste l’Alsace quand même). C’est tellement plus reposant en vacances de ne pas comprendre tout ce qui se dit autour de soi.

Peu de gens avec des masques (nous). Aucune distanciation. Sur un poteau de la place Kléber, une affiche sauvage invite à refuser le vaccin. En Allemagne, je n’ai rencontré que des gens qui rêvaient d’y avoir accès. J’ai failli reprendre un touriste au petit déjeuner qui allait au buffet sans masque. Ma réaction m’a fait peur. Suis-je en train de devenir allemande ? En croquant dans un mini croissant, je me surprends à penser que décidément les Français sont ingouvernables.

Oui et heureusement. L’ordre est beaucoup plus effrayant que le fouillis.

Strasbourg

Vous serez ravis d’apprendre que la chienne n’a bouffé aucun jogger, ni aucune rame de tram. Pourtant elle a essayé. Ma fille ne trouvait pas les Flammekuchen sur la carte du restau ; il était écrit tarte flambée. Nous avons dévalisé deux librairies. Monoprix est resté inaccessible : contrairement à la mention sur internet, le magasin était fermé le dimanche matin. Bon sang mais c’est bien sûr ! On aurait dû y penser ! Le droit local alsacien est calé sur l’allemand : tout est fermé le dimanche ! Hélas. (Par chance on a quand même trouvé une supérette alimentaire pour les madeleines, les galettes bretonnes et les sardines).

A la boulangerie (quel bonheur de pouvoir y payer sans contact), j’ai craqué pour une superbe part de gâteau au fromage blanc. Ma fille m’a demandé : “pourquoi tu prends ça ? Y’en a en Allemagne.” Parce que c’est super bon. Une pâte brisée croquante et fondante, une garniture épaisse aérienne et peu sucrée, dans laquelle on enfonce tout le visage.

En attendant le rendez-vous pour le vaccin, nous avons, sur l’insistance de notre capitaine de 10 ans, loué un bateau électrique sur l’Ill. Petit tour bucolique, sous le pont couvert et entre des rives vertes où il doit être doux de vivre, et s’imaginer en Amazonie.

Et (suspense insoutenable) OUI OUI OUI ma fille et moi avons eu notre première dose de vaccin, au vaccinodrome de Strasbourg, installé dans l’Hôtel de Département au bord de la Petite France. Inspirées par la campagne de pubs de Rheinland-Pfalz, on avait mis des manches courtes. Finalement nous étions dans l’intimité d’un box avec une madame-pompier très sympa. C’était hyper bien organisé, efficace et rapide, avec des BLAGUES ! Le médecin des pompiers nous a demandé d’apporter un gâteau au chocolat pour la deuxième dose !!! Quand je pousse la porte d’un cabinet médical allemand, j’ai toujours peur de me faire engueuler. Pourtant certaines infirmières, parfois, sourient.

Retour à Mainz dans une ambiance douce-amère. Ravie du sparadrap sur mon épaule. Mais vague cafard. C’était court et bousculé ces retrouvailles avec la France. Pourtant en Alsace, comme un bout d’Allemagne où on parle aussi français, la transition est douce.

Je trouve d’ailleurs curieux que ce soit la région retenue comme exemple dans le livre de français de ma plus jeune édité par notre Land. Certes c’est la région limitrophe de Rheinland-Pfalz. Mais pour les collégiens, quel dépaysement apportent les photos de maisons à colombages et les noms de villages aux kilos de consonnes ? Sans tomber dans la caricature franchouillarde (Paris et la côte d’Azur), ne serait-ce pas plus intéressant de présenter le Nord, la Bretagne ou le Sud-ouest (ou l’Ardèche) ? Les Allemands aiment voyager et n’ont pas peur des kilomètres mais peu s’arrêtent en Alsace sur la route de leurs vacances. L’argument de la région proche ne tient pas vraiment.

Nous avons repris notre routine.

Quelques jours plus tard j’ai reçu un un mail avec les dates de mes deux rendez-vous vaccins à Mainz (fin juillet et fin aout). Comme quoi quand on ne l’attend plus…. C’était une convocation impossible à modifier (sauf à produire un certificat d’hospitalisation ou de quarantaine) ou à honorer. J’ai reçu la confirmation par courrier : quatre pages A4. QUATRE ! Je l’ai annulée en ligne avec un pincement au cœur. Et si jamais ça ne marchait pas mon rendez-vous en France ? Il faudrait refaire l’inscription à zéro. Ma généraliste n’a toujours pas éclusé les groupes prioritaires.

Restons optimiste. Et comptons les jours avant les vacances avec le sourire. Plus de manuels scolaires, plus de notes. Les cours vont être plus décontractés d’ici la remise des bulletins en grande pompe. Pour leurs sorties de classe le 14 juillet, j’ai suggéré à mes filles de s’habiller en bleu-blanc-rouge.

Chers amis de France, d’Allemagne et d’ailleurs,

je vous souhaite un bel été, 

avec assez de changement d’air pour recharger les batteries !