Traumatisme choisi

Week end caniculaire en Alsace avec la visite d’un lieu de mémoire.

Camp de Natzweiler-Struthof

Attention, cet article comporte des scènes déconseillées au public jeune ou sensible (même quand on l’a écrit).

Les longs week-ends s’enchainent en Rheinland-Plafz en mai : après l’Ascension et Pentecôte, le jeudi soixante jours après Pâques, est célébrée la fête catholique de Fronleichnam. Je ne la connaissais pas jusqu’alors, c’était une bonne surprise cette Fête-Dieu ou Saint sacrement du corps et du sang du Christ. Tous les Länder ne fêtent pas cette date. Amis français ne soyez pas jaloux, ici point de jour chômé le 15 août, le 11 novembre ou le 8 mai.

Comme cette année les vacances scolaires tombent fin juillet (à l’aide !), nous avons décidé de profiter de ce pont de quatre jours pour nous évader en Alsace. Pas trop loin pour ne pas s’épuiser, de l’autre côté de la frontière pour se dépayser (et aussi trouver un hébergement, car comme à notre habitude, nous nous en sommes occupés quand l’envie nous en a pris… donc à l’avant-dernière minute).

Après avoir posé Gaïa en colo, nous avons mis le cap sur une charmante chambre d’hôtes du Kochersberg, une microrégion à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Strasbourg. En route, on savoure des voix françaises à la radio et une interview de Joann Sfar sur France Inter. Le bulletin météo alerte contre l’arrivée d’une canicule carabinée.

Librairie Quai des brumes

Champs de maïs, de blé et d’orge, vergers, houblonnières avec leurs fils parallèles érigés vers le ciel où grimpent les lianes vertes, petits villages à colombages. Une halte express à Strasbourg nous permet de stocker des livres. Merci à ma famille d’avoir patienté sans trop hausser les yeux pendant que je papotais avec la libraire, de livres et d’auteurs et de conseils jeunesse.

Côté activité nous n’avions rien prévu : l’objectif était de nous reposer et la chaleur extrême condamne à l’inactivité. Notre mois de juin est intense. Les écoles se rattrapent-elles des deux années sans rencontres de fin d’année ? Voyages scolaires, tournois sportifs, fêtes… Ça n’arrête pas.

Au petit déjeuner, dans la cour intérieure couverte d’une charpente de bois d’un relais de poste du XVIIIe siècle où est installée la chambre d’hôtes, le jeune homme de la maison vient nous proposer des idées de balades. Il les désigne sur une carte de l’Alsace : là un fort à visiter, là un joli village, là un camp de concentration.

La Cour de Lise

Pfff, non rien de rien. On va juste se baigner dans la piscine, buller à l’ombre et faire une escale chez le producteur de rillettes de canard.

Mais les propositions font leur chemin. Un fort ? Non on n’en a déjà vu un en Lorraine début juin (enfin moi j’ai vu l’extérieur, car je gardais la chienne et les souterrains m’angoissent ; je n’aurais pas fait un bon soldat).

Ma grande propose :

– Allons voir le camp de concentration. Je l’ai étudié en classe. Ça m’intéresse.

Sa sœur refuse tout net.

– Non, je ne veux pas avoir peur ensuite.

De mon côté ça m’intéresse, mais l’heure de route en pleine étuve me décourage.

Et pourtant… C’est là que nous allons le samedi 18 juin.

C’est cette visite que je vais vous raconter ici.

Le trajet suit une route de campagne dans un paysage vallonné, où nous guettons les cigognes dans les champs ou en vol et les flancs de colline piquetés d’arbres et de meules de foin rondes. Dans le village qui s’annonce comme la capitale de la cerise d’Alsace, bien sûr, nous en achetons un kilo sur le trottoir à une dame sous son parasol. Devant nous la transaction s’est effectuée en alsacien.

La verte vallée de la Bruche, nous conduit vers le relief des Vosges en direction du Champ du feu, une petite station de ski. Au niveau de la ville de Rothau, la route bifurque à gauche et s’élève en lacets dans une forêt sympathique (ben oui, y’a des châtaigniers). Vers 800 mètres d’altitude, la température a baissé de trois degrés. Nous longeons par le haut un bâtiment noir et un monument de pierre très haut, en forme de flamme stylisée et dépassons le site du camp de concentration de Natzweiler-Struthof pour dénicher un coin à pique-nique. Pour une visite éprouvante, mieux vaut ne pas être précipité par la faim.

La voiture garée sur un petit parking entre les fourrés – hélas sans ombre, je vais consulter les panneaux informatifs. D’un côté un chemin s’élève vers un cube de pierres, le château d’eau du camp, et de l’autre, une piste forestière s’éloigne à flanc de montagne vers une carrière de granit. Cette exploitation est la raison du choix d’implantation du camp.

Pique-nique paisible sur l’herbe douce sous les sapins. Buvez les filles, buvez. Il fait très chaud, mais l’altitude et la petite brise rendent, à l’ombre, la mi-journée supportable. Des VTT descendent dans le sous-bois, deux randonneurs équipés de gros sac à dos remontent. Par un temps plus clément, nous aurions randonné aussi. Là nous remballons tout très vite. Nous avons hâte de voir, et peut-être aussi, d’avoir vu.

L’accueil du site à flanc de montagne est moderne. Un chemin large et plat entre des sapins conduit à l’entrée du long bâtiment noir : le Centre européen des résistants déportés. Une grande salle présente sur deux rangées parallèles des panneaux sur les principaux camps. Chiffres clés, plan du site vu du ciel, avec les zones numérotées par fonction. Je survole la majorité de ces données froides. Mais, sur les deux textes lus en détail, le voisinage du mot crématoire avec pour l’un cinéma et pour l’autre maison close coupe le souffle. La pratique intensive de la torture et le meurtre à la chaine ne coupent pas l’élan vital de certains.

Un film de dix minutes présente le camp de Natzweiller-Struthof.

Créé en mai 1941, c’est le seul camp de concentration édifié par les Nazis en territoire français. L’Alsace est alors annexée. Prévu pour « accueillir » 3000 personnes, il en compte à la fin 6000. Au total, 52 000 personnes y ont été emprisonnées, principalement des résistants de toutes nationalités. Avec 40%, il affiche le taux de mortalité le plus élevé de tous les camps. Le KL (Konzentrationslager) Natzweiler est le premier camp de concentration découvert par les Alliés en novembre 1944. Des photos montrent leur effroi en pénétrant dans la zone désertée.

Déportés NN

C’est le camp où étaient enfermés les prisonniers politiques marqués NN comme Nacht und Nebel, nuit et brouillard, pour les faire disparaitre totalement en toute discrétion.

Kartoffelkeller

Le parcours propose ensuite de descendre au sous-sol. Le Kartoffelkeller (cave à pommes de terre) était le nom de code d’une immense cave creusée et construite en alvéoles par les déportés, et dont la destination est inconnue. Tout autour, une exposition permanente rappelle avec photos, textes et reproductions de documents, l’avènement des régimes fascistes, le déroulement de la deuxième guerre mondiale et le glissement vers l’horreur.

Ça va toujours les filles ? S’il ne faisait pas si chaud on frissonnerait.

Tenez lisez, l’appel du Général de Gaulle, ça tombe bien aujourd’hui nous sommes le 18 juin.

Remontée et sortie du centre sur les résistants déportés.

Le large chemin à flanc de montagne continue à plat, les sapins se font plus rares et disparaissent. La pente pelée, en terrasses, entourée d’une double barrière de barbelés électrifiés et de miradors s’impose. Une gardienne dans une cabane de bois vérifie nos tickets et nous prévient : sur le site pas d’ombre, il va faire très chaud. Deux baraquements en haut, deux tout en bas dont un avec une haute cheminée de briques, entre les deux des stèles, et une potence en bois.

Presque rien à voir et c’est horrible.

C’est comme si c’était hier.

Lits 3×3 et table

En poussant la porte du premier baraquement, j’imagine ceux qui y sont passés aussi, volés à leur vie et à eux-mêmes. Tiens des toilettes. Des lits superposés, trois en bas, trois au milieu, trois en haut, comme dans un wagon-lit de dixième classe, une table en bois et des bancs, un pyjama rayé, des semelles de chaussures, des objets fabriqués par les détenus (petites boites en fer blanc, porte-carte comme un carnet, décoré de fleurs des champs séchées, les mêmes que celles qui picotent les pré aujourd’hui, trèfles et serpolet). Poésies écrites par des détenus dont plusieurs accrochent leurs mots, au-delà de l’horreur, à la nature alentour. Partition d’une musique composée par un prisonnier aveugle. Dans le cauchemar, l’humanité se réfugie dans l’art.

Même par cette canicule exceptionnelle, les explications donnent froid dans le dos. Là une bouche de gaz pour la douche, là le menu quotidien (ersatz de café, soupe, soupe, sauf en cas de prison, là, la soupe, c’est une fois tous les quatre jours). Je lis que certains détenus mis en prison sont placés dans des cellules minuscules où ils ne peuvent se tenir ni assis, ni debout ni couchés. Je lis que des expériences médicales sont réalisées en partenariat avec l’université de Strasbourg… (une enquête sur place est en cours).

Descente le long de la pente sous un soleil de plomb vers une horreur croissante.

La vue est splendide, montagnes couvertes de forêts, ciel bleu. Comme ailleurs, le serpolet sent le thym. Mais celui-là je crains de le toucher.

Tout en bas on commence par la prison.

– Mais maman, tout le centre est une prison !

– Oui mais pas assez semble-t-il.

De part et d’autre d’un couloir, une vingtaine de cellules de huit mètres carrés contenaient jusqu’à vingt prisonniers. Et là c’est quoi, dans chacune, cette grille perforée dans l’épaisseur du mur ? Ah je sais, c’est pour le chauffage. Ma fille qui touche à tout, a ouvert une porte en métal haute de quelques dizaines de centimètres. Et là mon cerveau naïf comprend. Le chauffage ? Mais tu rêves. Y’en a nulle part du chauffage sur cette montagne où l’hiver tombait jusqu’à 1,50 mètres de neige. Cette cage, c’est la cellule extrême.

Dire qu’il y a des types, des architectes, des ingénieurs, qui ont conçu et construit cet outil de torture.

La cruauté extrême fascine.

On veut (sa)voir et ne pas (sa)voir.

Entrée fermement interdite !

C’est calme et ensoleillé. Je vois les coups de bottes pour faire entrer un corps plié, trop faible pour monter les marches de granit du camp (les détenus devaient s’aider de leurs mains pour lever leurs genoux). J’entends les hurlements, les coups de matraque (une section d’un épais câble d’acier). Je sens l’odeur âcre et nauséabonde de tous ces êtres maltraités. Je vois par les fenêtres trop hautes, entre les barreaux, le carré de ciel que tant d’yeux ont dû supplier.

Je marche là où tant ont expiré.

17 000 détenus.

Vite dehors.

A côté de la prison, le baraquement de l’accueil. Les prisonniers futurs esclaves, transférés depuis Dachau ou ailleurs, ensuite tout frais capturés, arrivaient par le bas depuis la gare de Rothau dans la vallée, par une bucolique piste forestière de huit kilomètres.

LOS ! À POIL.

(Enfin, à poil, c’est une façon de parler…)

Rasage intégral (faut bien gagner sa croute, les cheveux et poils étaient vendus par les Nazis pour fabriquer un tissu utilisé dans la confection des pantoufles de sous-mariniers), douche de « désinfection ». Chasse aux poux. Vêtements empilés. Distribution du pyjama rayé et du triangle de tissu pour identifier le « crime ». Rose pour les homosexuels, jaune, bleu, rouge…. Dans cette classification précise et bariolée (le tableau est exposé au musée), les juifs ont deux triangles jaunes l’un sur l’autre. Cérémonial de déshumanisation.

Dans ce baraquement comme dans les autres, un long couloir dessert des salles de chaque côté.

Les marches trop hautes

À un bout sont les salles des médecins. Pas pour soigner non. Pour les expériences. Dans une « chambre », trois lits superposés (traditionnels ceux-là) avec une étiquette : lits des cobayes. Au centre de la salle adjacente, carrelée, en légère pente pour évacuer le sang, la table d’autopsie.

Je n’ai pas pu photographier.

Dans une autre pièce, des étagères remplies du sol au plafond d’urnes en terre cuite. Les morts allemands étaient renvoyés à leur famille (enfin, une urne avec des cendres anonymes dedans), contre rémunération.

La dernière étape

Et à l’autre bout du couloir, sous la grande cheminée en brique, le four crématoire. Noir et gros comme une chaudière, la porte béante, avec tous ses accessoires : pinces énormes, brancard suspendu à un système de poulie pour monter les corps par une trappe depuis la morgue en dessous.

Là non plus pas de photo possible pour moi.

C’est quoi ce cylindre suspendu au plafond ? Ah, le chauffe-eau pour les douches derrière le mur, alimenté thermiquement par le four.

Dehors devant la porte et l’escalier qui descend sous terre, l’air sent le foin. Le pré vient d’être tondu.

Sonnés.

Les gardiens tapis dans l’ombre du baraquement font une blague à deux balles. Je leur réponds sur le même ton. Ha, ha. Mécanisme de protection.

C’est surréaliste.

Des hommes ont industrialisé la torture et le meurtre à petit feu. A l’échelle d’un continent.

Comment le croire ?

Avant…

Dans ce coin paradisiaque, avant la guerre, les gens du coin montaient prendre l’air dans les sapins, ramasser des myrtilles ou descendre la pente à ski en riant (photos exposées au musée).

Remonter en plein cagnard avec tant de questions et une révolte immense.

– Maman, comment peut-on tuer comme ça ?

– Je ne sais pas.

La villa

Vite se tapir à l’ombre des sapins vers l’entrée, et apercevoir en contre bas, du bon côté des barbelés électrifiés, la belle et innocente villa, réquisitionnée par les SS pour y vivre.

Repasser au musée s’acheter des bouteilles d’eau et rejeter un œil à la librairie et à la table où sous exposés les courriers signés par les présidents français lors de leur visite sur ce site de mémoire. Charles de Gaulle, Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac, François Hollande.

Au mur, une affiche avec l’adresse digitale du musée me semble incongrue. Suivez-nous sur les réseaux sociaux ? Euh, non.

Il nous reste un site du camp à voir. La chaleur nous interdit d’y descendre à pied. Retour à la voiture. Buvez les filles, buvez. Après quelques lacets, une petite route bifurque. Personne. Nous nous arrêtons en plein milieu.

L’auberge du Struthof

À droite, désaffecté, un hôtel du début du siècle comme je les adore, qui rappelle la Belle Époque, les chapeaux et les grandes robes, la moustache d’Hercule Poirot. Un panneau explique que c’était le quartier général du camp, la Kommandantur, de Natzwiller-Struthof et de ses satellites. Oui parce que ça aussi je l’ai appris là : quand on parle d’un KL, c’est en fait une constellation de sites. Le nom n’est que celui du camp principal et du QG. D’ailleurs avant l’arrivée des Alliés ce camp a été vidé : tout le monde a été transféré dans des KL de l’autre côté du Rhin.

La chambre à gaz

De cet hôtel a eu lieu la seule évasion réussie du camp, grâce à l’emprunt d’uniformes SS. Pourquoi est-ce que je pense à La grande vadrouille ?

En face de l’auberge, son ancienne salle de réception, une petite maison carrée fermée. Le terrain extérieur en travaux derrière des grilles rend la visite temporairement impossible. Qu’il y a-t-il à voir de plus derrière la porte ? Du mur latéral sort un tuyau de poêle. C’est la chambre à gaz.

Contraste

Repartir le cœur gros.

Vite, retrouver la joie de l’été précoce, la fête des cerises du village, la fraîcheur de la piscine et les sourires de la chambre d’hôtes.

Comment répondre aux questions ?

Avons-nous bien fait d’y aller ? OUI. Ma grande va préparer une présentation pour sa classe, elle a pris plus de photos que moi y compris dans les pièces sordides. Ma plus jeune craint de ne pas arriver à s’endormir ce soir. Elle aura le droit de regarder tardivement un épisode de Friends.

C’est horrible mais nécessaire.

Dans un des villages traversés, deux panneaux d’affichage électoraux présentent les candidats au deuxième tour des législatives, le lendemain. L’un des deux est d’extrême droite.

Nécessaire je vous dis.

Pardon.

Pardon pour cet article plombant. Mais ayant choisi de visiter cet endroit traumatisant, je trouve important de partager mes impressions.

Je ne veux pas vous laisser sur cet arrière-goût amer. Pourtant après avoir écrit ce texte tout semble dérisoire.

Mais n’est-ce pas cela l’essentiel : l’importance donnée au dérisoire ?

Par pudeur, je n’ai pas osé prendre en photo ces objets intimes. Mais je vous laisse avec les fleurs des champs séchées collées sur un carnet fabriqué par des mains blessées en pyjama rayé.

Cocon passe-frontière

Bonjour de bon matin,

Vous m’excuserez si je vous quitte précipitamment, je suis barbouillée. Hier soir je suis allée au restaurant avec d’autres parents pour la première Stammtisch en présentiel depuis quoi… deux ans ? Par curiosité j’ai choisi le plat qui semblait faire l’unanimité : des Serviettenknödel, ‘’quenelles’’ à la serviette. Le nom seul était intrigant.

Une maman m’a expliqué que c’était un plat du sud de l’Allemagne. Elle en cuisine souvent en automne à partir de Brötchen desséchés trempés dans du lait, assaisonnés puis essorés dans une serviette. Les petits boudins sont ensuite cuits à la poêle et servis avec une sauce aux champignons. Ah d’accord un pain perdu sans œuf et salé. Pourquoi pas ?

En fait de ‘’quenelle’’, c’était des tranches rondes. La première bouchée était très bonne, puis chacune des suivantes m’a permis de réaliser ce que la sauce grasse dissimulait : elles étaient frites… Avaler les dernières bouchées me coutait. Un coup d’œil dans les assiettes des autres convives m’a montré qu’ils avaient l’air de s’en tirer avec le sourire alors j’ai fait comme eux, et j’ai tout avalé ignorant les coups de coude dans les côtes que mon estomac me donnait : c’est pas malin. (Voilà un autre aspect dramatique de l’hypersensibilité : faire passer les avis, besoins ou désirs des autres avant son propre ressenti. C’est idiot, surtout depuis que je suis consciente de ce travers. Moi depuis j’ai mal au ventre et les autres s’en foutaient bien de mon assiette).

Revenons à la soirée puisque je suis toujours derrière mon clavier.

Université Gutenberg

La Stammtisch, vous vous souvenez ? Nous en avions parlé. C’est une pratique très courante : la rencontre dans un restau ou un café d’un groupe de personnes ayant un intérêt commun pour échanger sur ledit sujet. Dans notre cas : la vie de la classe de nos ados. C’est très sympa, ça permet de lier des connaissances dans un cadre informel et en petit groupe (peu de parents se mobilisent).

Hier donc le lieu d’accueil était un café dans l’enceinte de l’université Gutenberg sur les relatives hauteurs de Mainz. À peine descendue du tram, étudiante à nouveau, j’ai eu envie de chercher le panneau d’affichage sur lequel sera indiquée la salle de mon prochain cours. Cure de jouvence. J’ai suivi un groupe de musiciens équipés de violoncelles sans doute en chemin pour une répétition d’orchestre. La terrasse du café était bondée mais la maman déléguée avait réservé (natürlich) et on nous a parqué en plein milieu, dans un rayon de soleil. Tant mieux car il commençait à faire frisquet.

La discussion, particulièrement intéressante, portait sur les échanges linguistiques avec la France. C’est la saison. Chaque famille, à part la nôtre semble-t-il, a un enfant en Alsace ou à Dijon ou qui en revient, ou va y partir, ou encore accueille un jeune correspondant.

Une maman a dit :

-Oui la correspondante de ma fille est très polie, comme tous les petits Français. Ils sont très bien élevés.

Les autres parents ont renchéri. Oui très bien élevés.

Ah bon ? Tant mieux. J’ai souri avec la modestie nécessaire pour accueillir ce compliment collectif.

Elle a enchainé :

-Mais ça cache quelque chose. La gentillesse est superficielle. Quand je lui propose quelque chose elle me répond toujours oui mais je sens que ce n’est pas sincère. C’est juste pour ne pas déranger.

Ah nous y voilà.

Le malentendu culturel.

Oui les petits Français vont se gêner pour ne pas déranger. Les petits Allemands sont élevés dans l’affirmation de ce qu’ils pensent. Ils parlent cash (et sont écoutés par les adultes). Parfois, vu depuis notre culture, c’est limite respectueux, voire impoli.

La confrontation à cette différence d’approche est une bonne leçon de vie pour s’affirmer.

Ma fille un soir de décembre était en ville avec des copines au marché de Noël. Pour le retour, une maman a proposé la place qui lui restait dans sa voiture, les autres devant prendre le bus. Ma fille transie, a hésité :

-Si personne d’autre ne la veut…

Une autre a dit :

-Moi j’y vais dans la voiture.

Devinez qui a eu la place ? Tant pis pour mon ado. La prochaine fois, elle dira ce dont elle a besoin (et ne fera pas comme sa mère à persévérer dans un truc qui, elle le sait, va la rendre malade).

Avant les événements coronesques, en préparation d’un échange scolaire en 7. Klasse (cinquième), à la réunion avec les parents, une prof de français avait expliqué qu’en Allemagne les petits Français crèvent de faim. Ils ont l’habitude qu’on les resserve d’office ou au moins qu’on insiste parce que l’hôte se doute qu’il s’agit d’un refus de politesse (notez que je n’ai pas écrit de bien manger ;o)). Ça donne une danse du genre :

-Tu en veux encore ?

-Non, non.

-Allez si, juste un peu pour finir. Il me semble que tu as aimé.

-Bon d’accord.

Miam.

En Allemagne l’échange s’arrête à non, non.

Net.

Souvent dans une conversation, je me retrouve interrompue dans l’élan, comme si l’autre m’avait raccroché au nez.

Donc pour l’hôte teuton, le gamin français est un hypocrite qui de son côté se demande pourquoi en Allemagne les échanges sont si raides (et n’ose pas dire qu’il a la dalle).

Autre rappel intéressant lors de cette rencontre informelle : l’Allemagne en tant que pays est une construction récente. C’est une agglomération presque artificielle de régions aux personnalités marquées. Les parents présents, originaires de différents Länder, ont blagué entre eux sur leurs prononciations et leurs habitudes. Les familles du nord ne connaissaient pas non plus les Serviettenknödel.

Pour conclure sur cette soirée, non je ne recommande pas ce restau, qui m’avait déjà déçu l’an dernier. Aucune des deux fois je n’ai été en charge du choix de lieu. Si je dois y retourner pour une Stammtisch, je me contenterai de mon Apfelschorle pendant que les autres dégusteront bières, verres de vin et quenelles à la serviette.

Sturzelbronn

Autre matin, quelques jours plus tard et cent cinquante kilomètres au sud.

L’évasion au vert pour le long week-end de l’Ascension nous a encore pris au dépourvu… Comment ça tout est complet ? Ça nous apprendra à tergiverser sur le bienfondé d’un départ intercalé entre différentes contraintes scolaires. C’est toujours une bonne idée de foutre le camp ! Dans mon fidèle Guide du routard sur la Lorraine, j’ai déniché un camping où il restait deux hébergements insolites un minipod (mais qu’est-ce donc ?) et une cabane de trappeur, sans électricité ni eau. Parfait pour nous. Le camping, sans la galère de monter la tente pour deux nuits et avec des chambres sé-pa-rées (de cent mètres). Le guide promettait beaucoup d’espace sous les arbres avec un petit air de Canada. Ne bougez pas on arrive !

Après deux heures de route depuis Mainz à travers les collines du Palatinat par un itinéraire encore jamais emprunté, nous traversons la frontière. C’est insolite et désuet ce panneau dans un virage sur une petite route de campagne, entre pré et forêt, qui indique le changement de pays. À peine quelques kilomètres plus loin, nous traversons un charmant petit village, en grès rose, en fond de cette vallée des Vosges du nord. Sturzelbronn est le lieu de fondation au XIIème siècle de la première abbaye cistercienne. La Révolution française et les guerres n’en ont laissé que le portail, le pilori et une poignée de maisons (l’hôtellerie, le logement du portier). Après quelques virages entre pentes boisées et terres humides dentellées de joncs, nous arrivons au camping, où plusieurs voitures attendent leur tour pour l’enregistrement. Et là surprise : toutes ont des plaques allemandes, toutes différentes.

Nous pensions nous échapper en France, eh bien non. Nous restons dans un territoire germain où les locaux parlent aussi le français (enfin, il semblerait, parfois les intonations sont tellement différentes qu’il faut se concentrer pour remarquer que oui le vocabulaire est bien le nôtre). La traversée du terrain nous le confirmera, à part quelques visiteurs immatriculés 67, la grande majorité des vacanciers sont allemands. Les petites annonces ne sont même pas affichées en français. D’ailleurs notre contrat de location nous a été envoyé en allemand. Les pains au chocolat vendus à l’épicerie sont des croissants au chocolat à la mode allemande (et moins bons que ceux de Mainz). Dans les restaurants, les Français parlent alsacien.

citadelle de Bitche

Les bungalows sont entourés d’une petite barrière nette, avec petit jardin aux graviers aggravés de nains bariolés de toutes les tailles et dans toutes les positions (oui même celle-là), avec ou sans Blanche-Neige. (Chaque fois je me dis que je devrais prendre une photo et chaque fois j’oublie parce que ben, c’est vraiment moche et aussi écœurant que la sixième bouchée de Serviettenknödel.) À notre arrivée, un voisin temporaire entretenait son mètre carré avec une tondeuse électrique.

Après ce que nous connaissons des campings allemands (des parkings à camping-cars, avec entre chaque véhicule à peine l’espace pour installer une table et quatre chaises), il n’est pas surprenant que les touristes en mal d’herbe sous leurs roues chéries franchissent la frontière, même de quelques kilomètres.

Il y a des avantages à cela : les toilettes sont impeccables.

Le long du sentier passe-frontière, dans une forêt magnifique, de pins, épicéas, chênes, hêtres, bouleaux j’ai pu toucher quelques châtaigniers (oui j’ai besoin de passer les doigts sur l’écorce quand personne ne regarde, mais chut). Les digitales commençaient à fleurir. Les étangs d’un vert-noir prêtaient leur miroir aux paysages superbes. Une biche s’est enfuie d’un bosquet où Gaïa l’avait dénichée. La nuit tombée, la chouette a ululé pour nous, et lors de la folle équipée du pipi nocturne, l’extraction du double cocon, duvet puis du minipod (vraiment mini), dans l’air coupant a été récompensé par un ciel étoilé magnifique.

Du haut de la citadelle

Malgré cette cure de vert dans un océan de forêt, l’impression globale du séjour est douce-amère. Dans ce no man’s land, français sur la carte mais allemand dans ses habitudes et sa fréquentation, le mal du pays c’est réveillé. Je ne l’ai pas (plus) à Mainz (sauf après la visite ou le coup de fil d’un être cher). Mais le nord de la Lorraine, avec sa ligne Maginot, ses noms de village à rallonge et bourrés de consonnes, ce n’est pas ma France à moi.

La mienne culmine à… Dijon peut-être. Quand j’étais gamine, ma frontière nord était Valence… Mes études puis de nombreuses années à Lyon me l’ont confirmé : le soleil renonce souvent à franchir la latitude 45 (entre Valence et Lyon). D’ailleurs, nous l’avons remarqué à chacun de nos trajets entre Mainz et Lyon, au passage en Lorraine (sans sabots) les floraisons régressent de trois semaines, avant de retrouver, en descendant vers la vallée du Rhin, un stade de maturité équivalent.

Donc week-end vert de gris, les amis.

C’est une question d’attentes. Si je ne m’étais pas dit que nous partions en France, la mélancolie ne m’aurait pas emb(a)rassée.

Pour vous quitter sur une note jolie, j’ai le plaisir de vous annoncer que depuis hier et pour un an je suis à nouveau étudiante. J’ai entamé une formation en ligne pour devenir traductrice de l’anglais vers le français. Et j’en suis ravie. Je vais pouvoir jouer avec les mots et les langues encore plus qu’aujourd’hui, et mes apprentissages enrichiront ma pratique de l’écriture. J’ai étrenné mon nouveau joujou, un logiciel de correction de texte +++ (Antidote) avec le début de cet article. L’analyse a détecté comme champ lexical principal celui de la quenelle.

(Restez aux cocons lyonnais).

Ma fille a cousu ce bandana deux ans avant de nous convaincre d’adopter un chien.

Un petit air de Rantanplan non ?

Votez.

Vacances en France, retrouvailles et soirée électorale

La Côte d’Azur tient ses promesses.

Les parfums nous mènent par le bout du nez. Soumise je cède, de l’eucalyptus au jasmin rose, de l’oranger en fleurs au pittorsporum, du romarin au thym de la garrigue à cette plante collante et camphrée qui me rappelle les étés au bord de la mer de mon enfance. La glycine me suit partout.

Les aiguilles de pin crissent sous les pas et embaument la montée vers le fort. Le maquis de cistes et d’euphorbes rappelle celui de la Corse, là-bas au fond, où la mer et le ciel se répondent dans des harmonies de bleu ou de plomb, où l’horizon apparait ou s’efface sous les coups de pinceau de la lumière.

Assise sur la terrasse, je porte deux paires de lunettes l’une sur l’autre de vue et de soleil. C’est l’heure grise. Un merle chante. Un outil de chantier martèle. Le vent fait claquer les stores, emmêle les cheveux et emporte les voix.

Une mouette chasse un rapace qui s’approche de son nid, un pic vert piaille et sort d’un buisson en flèche. Une buse attrape entre ses serres une grosse sauterelle qui venait d’atterrir, vrombissante, dans les boutons d’or. Hier soir quand j’ai fermé les volets, un gecko m’a frôlée en tombant. Mes filles tressent des couronnes de pâquerettes.

Dans cet air doux et parfumé, entre des villas de la Belle époque au charme suranné, je pardonne leur raideur aux palmiers et aux oiseaux de paradis. Pas aux immeubles. Mais bien sûr chacun veut sa part de vue paradisiaque.

Comment résister à la baignade quand le soleil chauffe les galets ? Le premier contact avec la mer fait rentrer le ventre et hausser les épaules. Comment sortir d’une eau transparente même fraîche ?

Nous faisons une cure de beauté et de nature sauvage dans ce territoire densément construit. Une cure de France. Chez Picard, mes filles prennent des selfies avec leur pizza préférée.

Mon mari travaille dans le bureau. J’écris face à un paysage à couper le souffle, la mer calme aujourd’hui lèche le cap Ferrat. Le phare se tait jusqu’à la nuit où il nous guidera vers la terrasse pour écouter les grenouilles de la maison du dessous, les étoiles et la lune. Avez-vous remarqué comme la nuit, les parfums de fleurs se renforcent ?

Quelle joie d’entendre l’accent méridional chantant. Celui qui me fait retrouver le mien. Celui qui entendu à Paris me fait monter les larmes aux yeux. Mais dans ce territoire prisé des étrangers, ça parle anglais, américain et italien. A Beaulieu, on entend du russe. Sur les panneaux, tout est traduit en cyrillique, sauf l’affiche de soutien à l’Ukraine sur la vitrine du petit casino. L’Ukraine, vraiment peu présente à Nice par rapport à Mainz. Nous n’avons dû la croiser que dans la librairie où j’allais faire des stocks.

C’était après ma séance de coiffeur, avant les courses chez Monoprix. Vous connaissez ma sainte trinité des vacances à la maison : bouquins / coupe / shopping.

J’ai confié ma tête à un artisan avec vue sur mer, et me suis laissé convaincre de faire un balayage.

-Mais j’ai pas le temps, toute ma famille m’attend…

Ils ont patiemment attendu. Moi aussi. J’ai mijoté sous une cape, des papillotes de plastique, un casque chauffant et mon masque.

-Vous gardez le masque, vous.

-Oui je suis formatée à l’allemande. Ça fait qu’une semaine qu’on a le droit de l’enlever, et personne ne le fait.

(Entre cet épisode et aujourd’hui, j’ai abandonné le masque, en bonne Française).

Epreuve du miroir à main :

-Ça vous plait ?

-Oui oui.

Pour une fois c’est vrai.

Voilà le moment que je redoute : payer devant la haie d’honneur des employés du salon autour du comptoir. Epreuve du pourboire. Avec moi les gars, désolée c’est mort. En France je ne sais pas faire. Glisser un billet ou une pièce dans une poche ou une main, je trouve cela humiliant pour la personne qui reçoit. En Allemagne je sais faire : on annonce le montant qu’on veut payer, même par carte. Il n’y a pas de geste dérobé.

Allez zou. Reprenons là où je vous ai quittés la dernière fois.

Nous sommes bien arrivés à Nice, dans la nuit, secoués par les rafales et avons changé de saison en une heure et demie.

A l’aéroport, ma fille ado s’est fait contrôler sa valise.

-Mettez-vous de côté. Vous êtes étudiante ? Ouvrez votre valise. La police arrive.

(Avec un uniforme et en allemand ça fait peur, même quand on est adulte).

Je surveille à distance, mon mari la rejoint tandis que deux types avec gilet pare-balles, pistolet et toute la quincaillerie à la ceinture jettent un œil aux bricoles d’une ado. Au scan, ils avaient repéré un objet volumineux suspicieux.

Un livre.

Je vous avais prévenus : les Mayençaises qui lisent sont dangereuses.

Librairie Masséna

Premier tour des élections présidentielles. Soirée électorale.

Nous avons voté par procuration à l’Institut Français de Mainz (merci copine !). A vingt heures, nous attendons avec appréhension les résultats dans cette leçon de citoyenneté pour nos filles. Leurs commentaires ouverts sont intéressants : elles ne connaissent de la politique que la théorie apprise à l’école et discutée en famille lors des dernières élections allemandes. Nous n’avions pas le droit de voter pour le chancelier, mais pour les européennes et les municipales oui. C’était une expérience très intéressante de faire des croix (combien ? où ?) sur un drap de lit dans une ambiance plus décontractée que dans un bureau de vote français.

 Les candidats se succèdent à l’écran. Un ami anglais se lève et quitte la pièce :

-C’est pas intéressant.

A chaque nouveau visage, ma plus jeune demande :

-Et lui / elle c’est une bonne personne ?

Oui, si c’est un parti modéré. Non si c’est un populiste extrémiste. Lui / elle c’est un (e) journaliste.

Ma plus grande a étudié les programmes reçus à Mainz, nous lui avons appris à décoder le vocabulaire séducteur et fallacieux.

Quand celle que nous nommerons la blondasse arrive à l’écran, je n’arrive pas à écouter. J’ai envie de vomir. Ma fille dit :

-C’est la seule qui sourit.

Et pour cause.

En avril 2002, le premier tour des élections avait eu lieu pendant que j’étais en vacances en Corse. Je n’avais pas fait de procuration. Jeune et idiote, je ne me sentais pas concernée. Ce serait sans doute comme toujours un duel entre la droite (modérée) et la gauche (modérée). J’ai écouté les résultats à l’autoradio de la Toyota, sur une petite route. Je n’ai plus jamais raté d’élection.

La présence de l’extrême droite au deuxième tour se normalise. Quelle horreur. Les gens n’ont-ils aucune mémoire ?

Je ne veux rien savoir de son programme, je ne regarderai pas le débat qui n’en a que le nom. En consultant d’autres infos j’ai vu qu’elle voulait gouverner par référendum. Ben voyons. Court-circuiter les institutions, agir anticonstitutionnellement (yes, je l’ai placé). Augmenter encore le pouvoir présidentiel. Glisser vers un régime autocratique.

C’est sûr on n’en a pas d’exemple de référendum catastrophique autour de nous. Le Royaume-Uni ne se mord pas du tout les doigts depuis le Brexit. Et les dictateurs on ne sait pas non plus comment, insidieusement, ils arrivent au pouvoir. On ne l’a jamais vu.

Hier sur France Inter j’ai entendu que plusieurs états américains reviennent sur le droit à l’avortement. Cette glissade collective de ‘’l’Ouest’’ vers le chaos donne l’impression de caprice d’enfants gâtés. Quoi tout n’est pas parfait ? La baguette magique n’existe pas ? Alors cassons tout. Quand on frôle une civilisation équilibrée, quand il semble que les Hommes ont enfin compris qu’attaquer son voisin ne sert à rien, y’en a qui s’ennuient.

Ils tirent dans le tas.

Putain.

Votez Macron. Même si vous ne pouvez pas le voir.

S’abstenir c’est faire le lit de l’extrême droite.

Votez pour la démocratie.

Je me suis plantée dans mon article précédent, j’ai dit que je n’avais jamais vu de dictatrice. Y’en a une qui se prépare pour notre usage exclusif.

Le bruit de bottes glacent tout le monde, pas juste l’étranger, celui qui ‘’dérange’’. Même l’électeur qui se croyait l’élu, du bon côté de la barrière. A Marineland tout le monde dansera avec des ballons sur le nez. Dans des cages.

Savez-vous que la ville de Mainz se frotte les mains ? Avec les taxes versées par BioNTech, elle a touché la poule aux œufs d’or. Dans la presse les articles fleurissent : comment utiliser cette manne ? Le laboratoire a été fondé par des chercheurs turcs. Des immigrés.

Aujourd’hui le monde entier les remercie.

J’ai un faible pour Emmanuel Macron : il ressemble à mon petit frère. L’autre jour quelqu’un lui a demandé un selfie. A la fête de famille le week-end dernier un invité m’a dit :

-Il ressemble à Macron ton frère, j’étais encore avec lui la semaine dernière, c’est frappant.

J’ai aussi un a priori positif pour un homme qui épouse une femme plus âgée, qui ne profite pas du tremplin du pouvoir pour se barrer, casqué ou non, dans les bras d’une actrice. Un homme raisonnable et fiable donc, qui ne demande pas de croire au père Noël et se bat pour l’Europe unie.

Depuis que je regarde la politique française avec un œil infiltré sur la politique anglaise et un regard extérieur et comparatif, je vous le dis : avant de casser l’imparfait, jeter un regard par-dessus la frontière. Sous les pieds méprisants du cirque de BOJO, l’herbe pourtant bien arrosée est nettement moins verte. C’est quand on la perd qu’on se rend compte de la chance qu’on avait.

Nous sommes venus jusqu’ici pour des fêtes de famille. Avec des cousines égarées depuis des années, trop d’années, nous nous sommes tombées dans les bras, en pleurs. En rires.

-Regarde-nous comme des godiches ! On a le mascara qui dégouline.

Tant pis. Je m’en fous. C’est bon de tenir ceux qu’on aime dans les bras, on aurait presque oublié, fichue pandémie. Dans l’assemblée endimanchée, quelle importance les yeux de panda quand on a des étoiles dans le cœur ?

Quitter le bord de mer pour une journée volée avec un autre bout de famille pour un pique-nique dans la garrigue. Entre les pins, ne pas chercher les traces de son enfance. Ne pas se dire que les générations ont glissé et que les parents aujourd’hui c’est nous, que ma cousine a bientôt l’âge de ma mère à son départ. Bien regarder les présents pour ne pas penser aux absents. Casser quelques tiges de thym en fleur pour la tisane de nos enrhumées. En partant, laisser des petits bouts de cœur avec chacun.

Sur la piste de cailloux blancs, conduire lentement, faire un écart dans le bas-côté pour ne pas déranger une partie de boules.

Oublier le compte à rebours vers le nord.

PS : Puisque nous sommes à Villefranche-sur-mer, je ne résiste pas à vous parler d’un de mes films fétiches dans lequel une scène y est située : An affair to remember de Leo Carey (Elle et Lui), avec Cary Grant of course. Fait orginal, c’’est un remake de 1957, par le même réalisateur, Leo Carey, de Love Affair (1939).

C’est un des deux films qui ont inspiré Sleepless in Seattle (Nuits blanches à Seattle). L’autre, The courtship of Eddie’s father (Il faut marier papa) n’est pas mentionné, coquine de Norah Ephron.

(Je n’ai pas trouvé de lien gratuit sur internet qui ne soit pas en .ru.)

PPS : Je n’aime pas faire de politique ici, mais certains sujets trop graves emportent mes doigts.

Cherche garde-fou

Retour de vacances en France, sidérée par l’actualité.

Lyon, hôtel de ville

J’ai la gueule de bois.

J’aurais pu vous raconter mon escapade à Koblenz avec mon amie d’enfance de Köln. Mais c’était il y a un siècle. Inscrite sur des cadavres, elle semble anodine.

Ça se bouscule et ça cogne dans la salle de bains juste en dessous : les filles tentent de donner à Gaïa sa deuxième douche de l’année (youpi !). Le lave-linge ronronne, avec la première d’au moins 200 lessives aujourd’hui. En rangeant la valise, mes pensées se sont envolées, comme à leur habitude. Vraiment c’est dommage que Monop ne livre pas à l’étranger. J’ai vu en passant à Lyon des chemisiers qui me plaisaient bien. Tient le plant de cardamome, au parfum de cannelle, a les feuilles toutes enroulées, il a dû faire chaud derrière la fenêtre pendant notre absence. (Le trempage n’a pas suffi à tout récupérer). Pourvu que l’œil de ma grande dégonfle sinon je devrai appeler le pédiatre. Oh les jonquilles miniatures sont écloses et les crocus sont sortis ! Un peu décevante la couleur (pas ceux de la photo).

Le soleil nous a accompagné, hier lors de notre traversée de la Bourgogne, de la Lorraine et du Palatinat. Merci à lui de s’inviter quand même. Les yeux pleins de lumière, le dos libéré par mon ostéopathe lyonnais (yes !, lui au moins ne fait pas de papouilles), j’ai rechaussé mes pantoufles (Birkenstock s’il vous plait) pour m’asseoir à mon bureau. Après une grosse semaine de vacances en France, le quotidien reprend.

C’est Mardi-Gras dans un carnaval de silence.

Tout va bien.

Pourtant, sans avoir bu une goutte d’alcool, j’ai la gueule de bois.

Encore une fois la normalité a changé de goût.

Les unes des journaux ont basculé.

Comme une impression de déjà lu, déjà entendu, déjà pensé mais comment n’ont-ils rien vu venir ?

Sur les pistes du Grand Massif en Haute-Savoie, nous avons skié, dans un coin que j’aime depuis longtemps, logés dans un gite au fond d’une impasse, où un ruisseau chante au pied du chalet, et où, frissonnants, nous avons sentir les étoiles exploser la nuit. Au retour, nous avons fait un détour par Lyon, histoire de croiser pour la première fois depuis trop longtemps des proches éloignés. 

Sur le télésiège de milieu d’après-midi, plusieurs fois, m’a été confié un petit skieur niveau Flocon. Les groupes de gamins sont éparpillés avec des adultes pour les remontées. Toujours je blague avec eux. J’adore les enfants de ces âges, déjà autonomes, encore innocents. Leur spontanéité me rafraichit pour plusieurs heures.

Joshua 7 ans était penché sur le garde-fous :

-Comme je me suis mangé ce matin ! paf au changement de neige ! Hier c’était un record. Cinq chutes. Aujourd’hui juste une.

-Euh, recule-toi un peu. Tu viens d’où ?

-J’habite à Toulouse, il a fallu 7 heures pour venir, ça m’a gaspillé une journée, mais bon c’est comme ça.

C’est comme ça. Fatalité souriante.

Une blondinette à lunettes sous un casque blanc m’a répondu avec une bouche armée de deux incisives toutes neuves.

-Ben, j’habite à Juvisy. Tu connais Juvisy ? Sur les télésièges, y’a toujours quelqu’un qui connait un ami ou un cousin à Juvisy.

– Non, moi à Juvisy, je ne connais que toi.

-Avant j’habitais dans un pays très chaud, à Riad.

-Ah ? Tu faisais quoi là-bas ?

-Y’avait la piscine chaude le matin et le soir et des serviteurs pour nous donner ce qu’on voulait. Même les bébés ils pouvaient commander un biberon dans le jacuzzi.

Vu de la hauteur de son regard espiègle, le tableau me fait sourire. Elle est attachante cette gosse. J’aime me faire des amis de tous les âges, surtout ceux qui n’ont pas encore appris à tricher, et ceux qui ont renoncé. J’imagine la tête de sa mère : “Vous pourriez me donner votre adresse mail, c’est pour échanger avec votre fille elle est extra !” Et pourquoi pas après tout ?

La fraîcheur naïve est une denrée si précieuse.

Ce matin je me suis inscrite au cours de poterie à la VHS (Volkshochschule, équivalent de nos MJC). Après 18 mois sans terre sous les doigts, j’espère que cette fois ça va marcher. Après la fermeture pendant les confinements et les travaux pour ouvrir une fenêtre dans la salle pour l’aération obligatoire (mes filles se caillent en cours), personne ne s’était réinscrit. Les cours, segmentés en cinq à sept séances, sont calés sur les périodes scolaires. A chaque vacances il faut se réinscrire. Mes collègues, pour la plupart âgés, craignant covid et courants d’air, ont renoncé à sortir de chez eux. En janvier, j’étais la seule inscrite et le cours a été annulé. J’ai hâte de sentir la terre humide et souple au creux de mes paumes, et de récupérer mes pièces cuites (un poivron, un petit garçon qui joue à cache-cache derrière un arbre). Je reverrai M., dame très chic aux cheveux blancs courts, née en 1935 à l’est de l’Allemagne, qui m’avait raconté l’exode de sa famille (à l’âge de Joshua) dans la neige pendant la guerre.

Je ne comprends pas.

Je n’ai jamais compris.

L’Histoire regorge de civilisations très évoluées évanouies.

Pourquoi les hommes ont-ils la mémoire si courte ? Pourquoi se laissent-ils berner par des monstres pour leur dérouler un tapis rouge ?

Hypnotisés. Sidérés. Abasourdis.

Le virtuose de la malveillance ne court pas les rues. Comment imaginer la méchanceté pure en quelqu’un d’autre ? Comment, quand on est ni bon ni méchant comme écrivait Prévert, comment imaginer derrière des traits si proches des nôtres, le règne exclusif de la cruauté ?

J’ai hélas connu la perversité sur le plan intime. Le monstre est charmant avec l’entourage, il envoûte, séduit, fait rire. Quand j’ai su mettre des mots sur ce qui m’arrivait, personne, à part une amie qui m’a sauvé la vie, ne m’a crue. Les traces que le monstre laisse de son anormalité ne font sens qu’a posteriori : pas d’amis, aucun geste gratuit, mensonges, manipulations. Il encercle sa proie.

Peu à peu le couteau sous la gorge, le visage sous les coups de pied, mon regard a basculé : d’adorant il est devenu terrorisé. La personnalité à laquelle je n’avais trouvé au début aucun défaut ruisselait de venin. J’ai compris. Les accusations qui m’étaient adressées me permettaient de décoder les coups fomentés. Pour soupçonner, il faut avoir l’idée soi-même. Pour se protéger, tendre un miroir.

Ma naïveté en a pris un coup. Puis un autre. J’ai retenu. Toujours vérifier la cohérence entre paroles et actions. Je ne me laisserai plus berner par le charme pervers. Enfin j’espère.

La bouche collante, le doigt dans le pot de confiture, l’enfant de trois ans répond les yeux dans les yeux, non ce n’est pas lui. Il prend, il jette selon son bon vouloir. Donne des coups de pied dans la fourmillière et démonte les insectes vivants. Mignon et attendrissant, mais monstre tout de même.

Là l’échelle de la terreur a connu une inflation terrible.

Aucun charme trompeur. Aucune raison apparente. Un mode de fonctionnement qui donne des frissons. Un homme, un seul, terrorise la planète. La fourmillière dans laquelle il tape c’est notre maison.

Pas plus que le cinglé orange, lui non plus je ne peux ni le nommer ni le regarder. Même en photo sur un écran. Lorsque le regard trahit la cruauté extrême, même les caricatures me mettent mal à l’aise.

De quel droit laissons-nous faire ? Comment les psychopathes accèdent-ils au pouvoir suprême ? Où sont les garde-fous (au sens propre) ?

Il nous avait prévenus pourtant :  c’est pour mieux te manger mon enfant.

Quand le grand méchant loup meurt à la fin, toutes canines dehors, le petit chaperon rouge et sa mère-grand sortent du ventre en dansant.

Cherchons chasseur sachant chasser l’inhumanité.

Pourquoi quelqu’un ne va-t-il pas tuer le monstre : un mort contre des centaines, des milliers, des millions ? Le calcul est vite fait. Assassiner les dictateurs… Vaste programme ? Facile à dire ? Cela créerait un précédent ? Un clone du système le remplacerait aussitôt ? Sur la seule base de déclarations d’intentions ? On ne peut pas flinguer tous ceux qui nous dérangent ?

Tous non. Mais un seul ?

Non mais Estelle, c’est quoi ces mots violents ? Est-ce la seule solution ?

Lac Léman vers Vevey

En descendant par la Suisse, un panneau au bord de l’autoroute affichait la silhouette de charlot. Charlie Chaplin a vécu à Vevey au bord du lac Léman pendant 25 ans. Cette riviera entre vignobles et sommets le long d’une presque mer rassurante, évoque une douceur de vivre tentante. J’ai proposé à mes filles de revoir Le dictateur. Pour nous souvenir non pas que la guerre ne sert à rien, ça on sait, mais que le génie, l’intelligence et l’amour existent toujours, même si les médias, monomaniaques, les mettent si peu en valeur.

Que dans les moments graves, le rire est plus que jamais indispensable. Il est temps plus que jamais de sortir respirer une fleur.

Vous entendez ? Non ? Moi non plus. Le lave linge s’est arrêté. Aucun bruit chez les voisins. Elle est russe, il est ukrainien. Ils nous emmerdent régulièrement avec leurs nuits de beuverie dans leur jardin, hiver comme été ; ils ne craignent pas le froid autour de leur feu de camp.

Mais là je tends l’oreille. J’ai presque envie de les entendre à des heures indues sous nos fenêtres.

Leur gueule de bois post-vodka symbole de normalité m’épargnerait-elle la mienne ?

Mr Chaplin, we need you

PS : Il m’est difficile de publier cet article. Si vous le lisez c’est que j’ai cliqué en fermant les yeux.

A nous tous, 2022

Noël ardéchois, crèche provençale, actualité des lettres d’une Allemande expatriée en France il y a 300 ans. Guten Rutsch ! Bonne année !

Bonjour !

Hep !

Léger coup sur l’épaule.

(Etirement)

Tu peux ouvrir les yeux sur 2022.

J’ai laissé filer 2021 une heure plus tôt. Elle a glissé sous la porte de la maison. On n’allait pas la retenir la coquine. Tu les as entendus les explosions vers minuit ? Je croyais que c’était interdit pour la lutte anti-covid. Les pétards m’ont vaguement réveillée. J’ai senti la présence de mes filles entrées souhaiter bonne année à leur mère dans les limbes (et regarder les feux d’artifice par ma fenêtre).

2022 commence d’emblée mi-mai. A notre promenade ce matin avec Gaïa sur le Mainzer Sand (dunes), nous n’avions pas de manteau. La douceur du fond de l’air augure-t-elle de celle des jours ? . Le froid me manque.

T’as pas de résolutions ? Moi non plus. Je n’en ai jamais au 1er janvier.

Quand je veux introduire du changement dans ma vie, je m’y prends tout de suite (surtout quand il y a urgence, du genre : absolument éviter de me pencher en déséquilibre vers l’avant sinon couic, pincement dans le dos). Ou jamais (réduire le chocolat).

C’est la rentrée scolaire, avec son parfum de cahier neuf et de crayons bien taillés qui me pousse dans le dos pour découvrir et essayer. Les calendriers sont une affaire d’organisation collective, une convention pour arriver à l’heure à l’école. Rien d’absolu. Regarde, les Chinois, attendront un mois pour changer d’année. Sous nos latitudes les jours grandissent déjà depuis le solstice.

Tiens un café. Prends ton temps. Je te donne rendez-vous de l’autre côté.

Je sirote une tasse de tisane (appelée Calm and relax : un sachet emballé par mon ado pour sa mère à Noël, entre plusieurs cadeaux charmants fabriqués par elle. Je crois qu’elle essaie de me dire quelque chose). Des coups de marteau résonnent, elle bricole dans sa chambre. Je viens de croquer le premier marron glacé post-gastro (oui, c’est la saison). Mon fils au piano joue en alternance Amélie Poulain et I’m walking in the air (je vais lui piquer la partition) et d’autres morceaux dont j’ignore le titre. Quand il sera reparti en Angleterre (testé avant, après, pendant), la moindre mesure de ces mélodies me fera fondre le cœur.

De retour à Mainz après une échappée jolie en Ardèche d’à peine cinq jours sur place.

Premier trajet d’une traite. Google nous dit : 837 kilomètres en 8h37. Si seulement… En données corrigées des variations saisonnières et des pauses pipi : onze heures. La chienne ne sort que deux fois sur le trajet. Elle est bien sage dans le coffre à côté des grosses valises. Mais ces deux jours en voiture valaient le coup. Apercevoir de beaux paysages, on en a tant rêvé !

Lyon

Longueurs et langueurs d’autoroute. Les genoux dans les dents, à essayer de caser nos pieds entre/ sous/derrière des sacs qui dégueulent. Pourtant nous avons laissé des cadeaux sous le sapin pour le retour. Le coffre de toit est plein. Vous voyagez léger vous ? L’ambiance reste pacifique malgré la réduction de l’espace vital. Quand un estomac se réveille, repérer le sandwich en kit tient du jeu de piste. Trésor ultime dans les tréfonds : la banane écrabouillée. A chaque fois.

Nous avions pourtant réussi à obtenir nos passeports au consulat de Francfort dans les temps. Service adorable, hyper rapide. La dame qui a vérifié nos empreintes digitales me l’a confirmé : oui le Palmen Garten (jardin botanique) en face de son bureau vaut le coup. On reviendra au printemps.

Mais l’Angleterre s’est refusée à nous. Hop elle a relevé le pont-levis et prohibé les plongeons dans l’omicron. Ceux qui passent entre les barreaux de la herse gagnent quatorze jours aux oubliettes. Quatorze jours ? Pour dix jours de vacances ?

Mon fils, dont le semestre a fini début décembre, est déjà en France. Discussions par texto : On ne sait pas ce qu’on fait. Mainz ? Ardèche ? Tu crois qu’en passant par la Belgique ça le ferait ?

-Allo papa, on peut descendre en Ardèche ?

-Dites-moi que je chauffe la maison.

Discussions en famille, négociations.

-Allez venez asseyez-vous. De quoi avez-vous envie ?

-Non non on ne veut pas rester en Allemagne. On a besoin d’un changement. Tu te souviens aux vacances l’an dernier, nous ; on a été bien sages et on est restés. Avec les conséquences que tu sais.

(Vague menace de vague à l’âme prolongé ; prise au sérieux.)

-…

-Des amis ont pris le risque de partir et ça s’est bien passé.

C’est sûr. Un changement d’air s’impose. Les dernières semaines au collège ont été intenses. Les profs craignent-ils la fermeture des écoles et donc une interruption des notes ? Les filles ont besoin d’une coupure. Leurs parents aussi. Oui mais l’Ardèche c’est bien loin. En train ? Non, complet.

Ma plus jeune se braque. Elle veut un noël anglais. Elle ne connait que ça depuis qu’elle est née. Comment faire ? Non en Ardèche y’a pas de sapin de noël. Y’en a jamais eu. Ma mère ne voulait pas tuer d’arbre. Enfants, nous décorions une belle branche morte suspendue au-dessus de la cheminée. Les guirlandes frisaient à la chaleur. A la demande de mes frères et moi, une concession avait été faite avec une brassée de genêts verts. Non, pas de sapin donc. Le clou de la fête dans ma maison d’enfance, c’est la crèche. En terre cuite non peinte, une farandole de santons hauts d’une vingtaine de centimètres, achetés année après année chez un santonnier de Saint-Rémy de Provence. Vous savez, sur la route de Maillane.

Ma mère redoutait novembre. On triche un peu, elle disait, on va faire la crèche. Mon père dit encore qu’elle décorait la longue hotte de la cuisine de la Toussaint à Pâques. De quoi sauter l’hiver à pieds joints et mains occupées. On partait en balade dans la garrigue glaner les accessoires végétaux. Oliviers en touffe de thym, collines de mousses, pierres volcaniques ou fossiles. Mon père sortait l’escabeau pour attraper LE carton dans le placard du haut de l’entrée. Mes frères et moi plongions des mains impatientes dans les chips de polystyrène.  A tâtons nous essayons de reconnaitre notre prise avant de la voir. On fouillait longtemps pour trouver les derniers petits moutons.

Pour nous c’était la fête, et on connaissait la Pastorale des santons de Provence d’Yvan Audouard par coeur. mais aujourd’hui mon argument pour l’Ardèche brille moins qu’un sapin illuminé.

-Mais si tu verras, on fera la crèche.

Elle ne l’a jamais faite. Nous en possédons une faite maison par mon fils tout petit et moi (avec, s’il vous plait, modelé par lui, des accessoires trop souvent oubliés : un doudou et un ballon de foot pour le petit Jésus). Faute de place où l’installer, elle reste planquée dans la remise.

-Promis, au retour, nous concocterons un menu londonien de noël.

Nous nous partageons entre nos deux lieux de cœur. Décembre c’est pour la famille paternelle à Londres. Depuis qu’on vit en Allemagne, nous ne descendons dans le sud de la France qu’aux beaux jours. Ma benjamine se souvient à peine de l’hiver en Ardèche. Finalement, elle se laisse raisonner. Merci à elle.

On a fait la crèche. Mangé des escargots le 24 au soir, comme moi dans mon enfance. Je suis heureuse de leur faire découvrir tout un pan des fêtes. Dans un album pour enfant qui présente les différentes traditions de Noël ma grande s’écrira un index pointé vers les pages : Regarde on les fait toutes ! couronne de l’avent, lentilles, crèche…

Quand on vit à cheval sur trois pays, les traditions et rituels prennent de l’importance. Ce sont des repères. Plus encore pour notre famille sans grand-mère, où à la culture, s’ajoute la continuité de la filiation. Attraper un santon, c’est reproduire le geste de mamie Millou qu’elle ne connaissent pas. A Londres, accrocher les stockings, c’est retrouver un instant l’autre grand-mère. Et cuisiner le Christmas cake, selon sa particulière, communier avec une tante trop tôt disparue. Les absents ne sont-ils pas parfois les plus présents ?

L’âge et la pandémie offrent une conscience accrue de l’impermanence des choses et des êtres. On apprend à profiter de ceux qui ont tenu le coup jusqu’à aujourd’hui, à nos côtés. La covid murmure : souvenez-vous de rester spontané ! Vos plans initiaux sont tombés à la mer du Nord, tant pis. Attrapez toutes les occasions !

Dans ma maison d’enfance, chacun se précipite sur les étagères pour en tirer un Astérix ou un Tintin (en anglais s’il vous plaît, il fallait allier l’agréable à l’utile. A noter que les traductions des Astérix sont excellentes, à chaque lecture je découvre de nouveaux jeux de mots). La grande traversée (The great crossing) sous le bras, je farfouille. Je feuillette. Tiens un recueil sur Colette. Oh et les lettres de la Princesse Palatine ! moi qui l’avais cherché l’été dernier. Ma mère me l’avait mis dans les mains voilà trente ans, séduite par ce franc-parler intelligent et la dénonciation des hypocrisies.

Vous connaissez Liselotte ? Je vous l’avais présentée lors de mon article sur Heidelberg. Elle était la fille du Prince Electeur de la ville, envoyée en France à 19 ans pour servir de deuxième épouse à Monsieur, frère de Louis XIV (et permettre par contrat à la France de revendiquer une partie du Palatinat). Elle avait dû abjurer sa foi protestante. Elle a, écrit-elle, hurlé de Strasbourg à Chalons refusant de quitter son pays.

Installée à la cour avec son homosexuel de mari, elle a porté les enfants attendus. Passionnée de chasse à courre, elle y accompagnait le roi qu’elle faisait rire. Sa liberté de langage, sa bonhommie, peut-être son origine étrangère la préservait des intrigues mais l’isolait. Son regard lucide découd les manœuvres politiques et luttes d’influences, les séductions ambitieuses. Elle les décrit (en allemand) dans ses nombreuses lettres quotidiennes à ses relations outre-Rhin. Un régal à savourer.

Je picore. Tiens, elle est morte en 1722 cette princesse. Un anniversaire donc.

Ecoutez.

(Saint-Cloud le 1er octobre 1687)

… La cour devient si ennuyeuse qu’on n’y tient plus car le roi s’imagine qu’il est pieux s’il fait en sorte qu’on s’ennuie bien… C’est une misère quand on ne veut plus suivre sa propre raison et qu’on ne se guide que d’après des prêtres intéressés et de vieilles courtisanes ; cela rend la vie bien pénible aux gens honnêtes et sincères… SI vous voyiez comment les choses vont présentement, vous ririez bien, mais aux gens plongés dans cette tyrannie, à la pauvre dauphine, par exemple et à moi, la chose il est vrai, paraît ridicule, mais nullement risible.

Ou bien

(Saint-Cloud le 16 aout 1721)

Il n’est pas de mode du tout d’aimer sa femme en ce pays-ci. Mais (..) les femmes en punissent bien les hommes. La vie que tout le monde mène ici est vraiment étonnante.

Les lettres de la Princesse Palatine, jeunes de trois cents ans, le premier blog de femme expatriée ?

Dans une pérennité garante de qualité.

Avant notre temps pressé, seules les créations de valeur traversaient les siècles. Que restera-t-il en 2100 à classer par les Monuments nationaux ? Un opéra Bastille qui dégringole à peine fini ? Et chez les antiquaires, la collection 2014 d’Ikea ?

Que conservera l’an prochain de nos mots trop nombreux jetés dans le vide ?

Tout.

Trop.

Rien.

Les années passent, les préoccupations des femmes et des hommes se ressemblent.

Je ne résiste pas au clin d’œil :

(Saint-Cloud, le 6 juin 1721, 6h du matin.)

… j’avoue que de ma vie je n’aurais pu me décider à faire inoculer mes enfants du moment qu’ils étaient en bonne santé, mais la Princesse de Galles est plus intelligente que je ne l’ai été, tout a bien réussi Dieu merci ! On prétend qu’on n’a pas la petite vérole une fois qu’on est vacciné….

Ici côté vaccin, j’ai réussi à prendre rendez-vous pour ma moins de 12 ans et pour mon booster. J’ai hésité à prendre d’emblée celui pour le 4ème. J’appréhende un peu, le numéro deux m’avait flanquée à terre. Littéralement.

Mais cela me simplifiera la vie. La dernière semaine nous sommes allés deux fois au cinéma (DEUX fois en une semaine !!!!) : en France (Sing 2) et en Allemagne (Spiderman, en anglais). Pour le premier on a contrôlé notre vaccin. (2/2 ? OK.) Pour le deuxième à Mainz, nous avons dû montrer le vaccin, un test tout frais du jour, notre carte d’identité (avec le petit jeu : mais si regardez c’est le même nom – et là j’ai pu frimer avec ma nouvelle au format carte de crédit. Top je ne peux pas la lire sans lunettes.) Et scanner sous le regard sérieux de l’employé l’application Luca de déclaration de présence. Ah oui, on a aussi montré notre ticket de cinoche.

C’est la joie du 2G (vaccinés ou guéris) et 2G+ (idem + test négatif) depuis début décembre (ce qui revient au confinement des non-vaccinés). Dans les débats sur le pass vaccinal français je n’ai pas entendu de comparaisons internationales. Pourquoi les exemples des pays voisins sont-ils si peu utilisés dans les arguments politiques ? Il y a tant à apprendre d’une autre vision des choses.

Plaque d’égout aux armes de Mainz (sans lien avec le paragraphe précédent ;o))

Un autre café ?

Vous pouvez refermer les yeux. Dans les demi-rêves tout semble possible. Alors moi aussi je les referme pour y croire.

Je vous adresse mes meilleurs vœux pour des lendemains qui fredonnent.

Et surtout,

Pour une ronde d’aujourd’hui qui sourient,

Une guirlande de maintenant chantants

Une dentelle de rires fous, parce qu’il y a-t-il rien de meilleur que de rire ?

A nous deux, 2022.

A nous tous, 2022.

Et des fleurs, des brassées de fleurs.

Citations extraites de Lettres de la Princesse Palatine aux Editions du Mercure de France.

PS : Question fondamentale. Dans le dessin animé Sing (Tous en scène), le cochon a un accent allemand. Quelle est son origine dans la version germanique ?

Lignes bleues

Vacances d’automne dans les Vosges, exercice spontané de la diplomatie internationale autour d’un coq en pâte.

J’ai posté ce matin à Mainz une carte postale que je n’ai pas écrite et dont je ne connais pas le destinataire. Elle représente une ville au bord du Rhin où je n’ai jamais mis les pieds. Les lignes au stylo bleu sont signées Jutta.

Jutta je l’ai rencontrée avec son mari, couple au sud de la retraite, dans une auberge aux fins fonds des Vosges. Cheveux blonds et courts, gestes assurés, elle me rappelle une amie américaine. Son mari sous-titre ses blagues d’un clin d’œil. Eux et nous résidons dans les deux chambres occupées, nous nous croisons au petit déjeuner.

Ils ne parlent pas un mot de français, les serveuses pas un mot d’allemand. Personne n’a essayé l’anglais. Au grand dam de mon ado (arrête maman tu me fais honte !), j’ai mis mon grain de sel pour faciliter les échanges internationaux. Ei ? un œuf ? non. (Dommage, les petits déj français, avec baguette beurre et confiture, même maison, même enrichis de charcuterie et fromage local sont bien décevants quand on a besoin de protéines et de pain complet noir – dense, à l’allemande – pour ne pas sentir ses jambes flageoler, son cerveau s’embrumer et l’impatience enfler vers 11 heures. Surtout en randonnée.)

Quand l’occasion s’est présentée, j’ai aidé aux traductions.

Un matin, faute de serveuse visible, l’Allemande m’interpelle :

– Faut-il réserver pour manger ce soir ?

– Je suppose que c’est mieux, oui, si vous prévenez.

L’après-midi, je lis dans la chambre, mes filles et mon mari jouent à Mario Cart dans la bibliothèque (elles ne connaissaient pas, c’est bien, elles ont découvert à peu de frais / risque d’addiction et de bruit à la maison). Quand je les ai rejoints (ils avaient emportés les biscuits du gouter), mon mari me dit : “la dame allemande est passée, elle était en colère, il parait qu’on lui a dit qu’ils ne pouvaient pas manger ici ce soir”. Ça nous semble bizarre… La veille nous avions dîné seuls, face au poêle de faïence, la cheminée comme ils disent en Lorraine, avec un accent que je ne connaissais pas.

Le soir-même en descendant au restaurant, deux tables étaient dressées. Une de quatre, une de deux. Hmmm. Y aurait-il eu un malentendu ? Je partage mon doute avec l’aubergiste.

-Ah mais ils m’ont dit qu’ils voulaient déjeuner à midi. Je leur ai dit qu’on était complets. Oups…Vous pourriez leur expliquer demain matin… ?

Oui je peux. Je l’ai fait. La dame allemande est surprise et déçue.

Au diner, la serveuse qui compte sur mon relais linguistique pour simplifier son boulot me demande :

-J’installe les Allemands à votre table ?

Hein ? (ça va pas la tête ? on est sympa mais bon)

-Non, non, ça va aller.

Quelques minutes plus tard ma fille me dit :

-Merci maman, on va quand même pas parler allemand pendant les vacances.

La serveuse présente le menu du jour et tend vers moi un menton inquiet. Vous pourriez traduire ? Mais oui bien sûr. Coq en pâte. Allons-y pour une explication détaillée. Comment dit-on morilles ? Je ne savais même pas que ça existait comme plat (délicieux). Au dessert, la dame allemande voudrait bien la recette de la tarte au fromage blanc (nous aussi). Je la demande. Personne ne l’aura : c’est un secret.

Jutta m’explique qu’elle a écrit une carte pour souhaiter un bon anniversaire à une personne âgée et a oublié de la poster avant de passer la frontière. Vous pourriez la jeter dans une boite ? Oui, sans problème.

Le matin de notre départ, je le lui rappelle.

-Et la carte ?

-Je l’ai mise sur votre pare-brise.

(Dans un sachet plastique anti-humidité.)

C’est donc fait.

J’ai rempli ma mission de diplomate affectée aux relations franco-allemandes gastronomiques. Quand je pense que ma mère (qui n’avait aucune idée de ce que cela représentait) me voyait avocatinternationale. C’est fait.

Le dernier soir, l’aubergiste est venue nous offrir un pot de confiture maison, en sachet cristal. Aux quetsches, délicieuse. (Je savais que ça vous manquerait si je ne vous mettais pas une petite anecdote de confiote).

Moi qui fais souvent des petits cadeaux spontanés pour remercier des étrangers, ça m’a touché d’être du côté de la réception. Merci madame. Les filles ont eu droit à des barres chocolatées joliment emballées. « Comme elles ont été sages… C’est signe que les parents les ont bien élevées. » Hi, hi… on joue volontiers le jeu de la flatterie. Parfois on doute, hein…

Randonnées dans la forêt, sur les sentiers qui montent derrière l’auberge. GR, un jour vers la droite, un jour vers la gauche. Ou un peu plus loin, par la route qui s’appelle la rue et le chemin de goutte-froide, jusqu’à un sommet et une roche proéminente (j’ai un faible pour les panneaux poétiques). Sandwiches de fromage qui ramollit de jour en jour, carottes qui sèchent, thon qui dégouline. Vertige (pour moi) pour franchir un passage étroit en hauteur.

Entre sapins, bouleaux, mousses et fougères j’ai sauté les pieds joints dans un livre de contes. Allons-nous croiser la cabane des trois ours ?

Dans la queue de la boulangerie, un type m’accoste. “C’est quoi votre appareil photo ? Vous partez en balade ? Vous êtes touriste ?” Euh oui. J’adore papoter à l’improviste, mais quand je ne suis pas à l’initiative de l’échange, j’ai toujours un moment d’hésitation. Il a l’air inoffensif.

-Vous aussi, en vacances ?

– Oh non, nous on habite ici. On a vécu trente ans en Allemagne. On est revenu pour la famille.

J’ai pas osé lui demander la durée initiale prévue pour leur expatriation.

Tendez l’oreille…

L’auberge en demi-pension c’était le calcul pour éviter de faire bouffer à ma famille ma charge mentale. On restera moins longtemps que dans un gite mais pas de corvées courses ou cuisine. Bilan : personne ne peut plus voir ni pain, ni repas riches comme des dimanches midi. (J’ai fait de la soupe de légumes d’urgence.) Et les courses faut bien les faire quand même (rappelez-vous mon obsession avec le vinaigre blanc français, le savon noir, les bonnes sardines, le chocolat à cuire de qualité). Les filles se sont offert Dragibus et Carambars, Paille d’Or et madeleines, pour leurs anniversaires au collège. French touch autorisée, pourvu que les produits soient emballés individuellement.

Le premier gel de l’année s’est posé dans la nuit. Les dahlias du voisin ont cuit. J’ai tendu la main par le Velux pour toucher le givre et laisser une empreinte mouillée sur les tuiles rouges.

Balade en amoureux autour du village pendant que les filles sautent sur le trampoline. Mon mari et moi croisons un petit jeune homme, en short et K-way. Bonjour ! il nous lance avec un sourire qui mange tout son visage.

Je photographie un bassin en pierre où chante une source, puis on rebrousse chemin. On le croise à nouveau. Il entre et ressort aussitôt d’un jardin. Celui aux dahlias cuits.

-Re-bonjour !

-Re-bonjour !

Sans s’arrêter, il indique de la main le jardin dont il sort.

-Ma tata n’est pas là. Je suis d’ici c’est pour ça que je connais tout le monde.

Sourires.

-Vous logez à l’auberge ou au gîte ?

-A l’auberge.

-Y’en a qui disent que le village ici c’est naze. Mais y’a la nature, alors c’est joli.

Bien d’accord.

– C’est la première fois que vous venez ?

-Oui.

-Et ça vous plait ?

-Oui.

-Alors, vous reviendrez !

Simple comme re-bonjour.

Comme un parfum en noir et blanc de Guerre des boutons.

Une leçon de vie pour moi que les devoirs hypnotisent. Refaire si ça me plait. Un médecin me l’avait conseillé. Il faut privilégier les satisfactions comme un devoir. Je lui avais demandé de l’écrire sur une ordonnance. Un mantra pour les jours où la main de l’anxiété m’attrape à la gorge.

Les feuilles commencent juste à tourner. Dans la forêt tapissée de mousses, au milieu des sapins, les chênes rouges d’Amérique sont les premiers à passer du vert au vermeil. Ses glands trapus sont irrésistibles. J’en glisse dans mes poches. Comment est-il arrivé là cet expatrié naturalisé ?

L’Amérique : nous venons d’apprendre que son baptême a eu lieu à Saint-Dié-des Vosges.

Après les expéditions vers les Indes de Christophe Colomb en 1492, Amerigo Vespucci comprend qu’il s’agit d’un nouveau continent. Le Duc de Lorraine passionné de géographie, obtient du roi du Portugal, commanditaire des expéditions, cartes et récit de voyage de Vespucci. Il les confie au Gymnase Vosgien, un groupe d’érudits occupé à redessiner le monde. Sur la Cosmographie universelle (ça jette plus en latin), pour la première fois, le nouveau continent esquissé par la ligne bleue de l’océan Atlantique est appelé America. Féminin comme les autres, et en hommage à Amerigo.

Voilà pour la digression culturelle. De rien.

A part les vitraux de la cathédrale – modernes, liquides et graphiques, Saint-Dié ne nous a pas séduits. Une fois approvisionnés en munster (sous-vide !) au marché, on n’a pas trainé. L’architecture toute d’angles droits gris fait écho aux trop nombreuses nécropoles.

Fuite vers la nature jolie.

Enième tentative pour se faire un thé avec la machine de notre chambre. Elles sont rares en France et en Allemagne, les tea and coffee making facilities, que l’Angleterre met à disposition de ses hôtes. Pourtant c’est bien agréable d’appuyer sur le bouton de la bouilloire pour une boisson chaude, avachie sur le lit. Leur présence ou non dans une chambre d’hôtel est devenue une blague familiale.

Elle marche pas cette fichue machine à capsules (j’ai même pas essayé, j’ai laissé faire mes colocs, je ne parle pas le langage des machines qui font les malignes). Mon mari prospecte dans les autres chambres. Vu le calme, on se sent partout chez nous. Les portes sont ouvertes pour répartir la chaleur. Il revient avec trois gobelets de carton pleins de thé (dans deux ça ne rentrait pas). AIlleurs ça marche ! Il les pose où il peut sur ma table de nuit.

Bouquins, lunettes, stylo, cahier, téléphone en vrac. Je tâche de faire un peu de place, faudrait pas que ça se renverse. Geste maladroit. Pof je cogne un premier gobelet. EH M*** ! Je retire brusquement les objets qui craignent l’eau. Paf les autres basculent. Le thé est par terre, une flaque à mes pieds.

Euh…. Il en reste une gorgée au fond de ce gobelet, tu le veux ?

Dans le mystère de la dernière nuit à l’orée de la forêt, un cerf nous offre son brame guttural.

Retour par Strasbourg.

Devinez ? Missions librairie et coiffeur. J’ai pris deux rendez-vous. Un pour moi et un pour ma plus jeune. Elle souhaite corriger la coupe réalisée par se mère cet été. (T’as vu c’est plus long derrière que devant. On dirait une coupe de garçon.)

Certes.

Miracle, je ressors avec une coupe, une vraie. Comme avant. J’avais fini par renoncer. Me dire que non, ce n’était pas une histoire de style français ou allemand. Que mes cheveux s’émancipaient sans grâce. Que la seule personne qui arrivait à en faire quelque chose je l’avais laissée à Lyon. Eh bien non !

-La coiffeuse égalise et me dit : Voilà, c’est plus moderne hein !

Oui et plus dynamique.

Je hasarde :

-En Allemagne, c’est plus classique les coupes de cheveux…

– Oui y’en a beaucoup qui viennent se faire coiffer ici.

Ah tiens. Je ne précise pas que mes deux dernières coupes étaient françaises. L’une d’elle avec sa collègue lors de l’expédition vaccin.

– C’est quoi votre prénom madame ?

Je note. Je reviendrai. Tous les deux mois – ou disons, quand c’est possible, prévoir l’aller-retour à Strasbourg pour la coupe.

(J’ai demandé : le carré droit est la coupe la plus dure à réaliser même pour un professionnel. Il ne pardonne rien. Et toc.)

Avant de mettre le cap au nord, nous croisons la locomotive-jouet d’un monsieur qui grille des marrons. Impossible de résister. Nous lui achetons un cornet de papier, le plus gros format. Les premières châtaignes grillées mangées vite, trop chaudes, en s’étouffant un peu, brûlent la langue et laissent le bout des doigts charbonneux.

Je les laverai le plus tard possible.

Vivement qu’on en trouve au marché de Mainz, des châtaignes. Provenance indiquée : France. D’où en France Monsieur ? De l’Ardèche ?

Au prochain passage de frontière je complèterai mon stock de bouquins. J’ai apprivoisé les librairies de Metz et Strasbourg. Je sais où aller pour être en phase avec les avis des libraires. C’est tellement bon de flâner dans le parfum des livres et rassurant de repartir avec des promesses de bonheur en papier. Je me shoote bien un peu ici, mais je lis plus volontiers en français et en anglais.

J’ai une question pour vous.

J’ai envie de créer une rubrique lectures dans ce blog, histoire de partager mes coups de coeur et les vôtres.

Qu’en pensez-vous ?

(réponses bienvenues en commentaire)

Être ou ne pas être sympa

Ma théorie de la relativité

J’ai envie de lui offrir un pot de confiture entamé, le seul cadeau maison que j’aie avec moi. Je lui ai parlé dix minutes, je le connais depuis toujours.

Lui, c’est le jardinier-homme à tout faire qui veille sur la maison que nous occupons pour les vacances sur les hauteurs de Nice. Il a une soixantaine d’années, encore brun, pas très grand, avec un T-shirt bleu marine, et un jean usé.

Il est passé comme tous les mardis matin, pour tondre, tailler, vérifier l’assèchement des murs après la réparation d’une fuite d’eau. Nous avons blagué comme on dit en Provence (dans le sens de discuter). Il a un accent chantant, on a parlé du citronnier qui a souffert de la sécheresse, d’une balade qu’il nous recommande sur les baous (montagne), près de chez lui et du restaurant où il faut appeler de sa part et demander une table dans le jardin. Il est descendu à son travail.

J’ai entendu la tondeuse s’arrêter puis il a frappé à la porte.

-Les filles, elles aiment les mûres ?

-Oui bien sûr !

-Vous avez un récipient ? je vais leur en cueillir.

J’ouvre un placard de la cuisine et en sort en grand bol rose en plastique translucide.

– Y’en a plein des mûres, sur la haie.

– Oui elles sont belles. On en a cueilli quelques-unes, les autres sont trop hautes.

– Oh, mais c’est que je fais exprès de les laisser hautes.

Il attrape le bol que je lui tends, fait une petite moue.

– Il est un peu petit… c’est qu’il y en a cette année !

– Vous voulez un verre d’eau ? Vous avez l’air d’avoir chaud.

Il remonte une heure plus tard, transpirant, un sourire jusqu’aux oreilles avec dans le bol une montagne de grosses mûres.

– Oh merci ! un autre verre d’eau ?

– Voui, quelque chose de frais si vous avez. Vous avez pas d’eau au frigo ?

– Eh non.

– Pourquoi ?

– On n’est pas très dégourdis.

Je ris, lui aussi. En fait, on n’aime pas l’eau glacée.

– Du jus d’orange ?

Lui il est au frigo.

Pendant qu’il boit en s’épongeant le front, nous parlons confiture de mûres. Lui il les cueille, et les porte à sa cousine qui les cuit.

– On va en ramasser en Ardèche si elles sont mûres. Et on achètera de la crème de marrons.

– Oh j’aime ça, bien froide, avec de la glace à la vanille. Vous êtes de l’Ardèche ?

Les gens qui me sont sympathiques je ne peux pas m’empêcher de le leur dire.

Ni de leur donner de la confiture de marron. En Allemagne, importé directement en cartons de six bocaux, c’est mon cadeau le plus précieux. Nous l’avons offert aux voisins en arrivant, puis aux nouveaux amis.

Voilà pourquoi après notre bref échange, j’ai envie de lui envoyer la photo du crumble pommes-mûres fait avec sa récolte, et de lui donner un pot de confiture de groseilles faite début juillet. Tant pis s’il est entamé. Il est né de mes mains et de mon cœur.

Je n’ai fait ni l’un ni l’autre. J’ai appris à brider une spontanéité qui part du coeur mais peut être perçue comme bizarre.

Un peu plus tard dans le jardin, allongée dans l’herbe avec un livre sous l’olivier, je pense aux futurs échanges du jardinier avec le propriétaire de la maison.

– Oh j’ai vu la dame. On a blagué. Elle est bien sympa hein !

– Ah ?

Le propriétaire, je le connais bien. Il ne me connait pas. Je le fréquente pour raisons familiales depuis longtemps, mais je n’arrive pas à échanger deux mots avec lui. Nos mondes se tournent le dos. Il parle politique, pendant que j’essaie de dissimuler mon malaise avec les rapports superficiels. Je n’ose pas poser les questions personnelles sur le sujet qui m’intéressent : l’humain.

Dans ce cas précis, je n’arrive pas à percer la carapace. Certaines personnes sont comme ça hermétiques. A se demander si dessous coulent des émotions. Devant eux par pudeur, ou mimétisme, je bloque les miennes complètement. Mes gestes et paroles deviennent ceux d’un robot maladroit. Je tétanise, muette.

Aux caractères opposés s’ajoutent aussi des cultures différentes. L’homme est anglais. Un monde où les émotions sont taboues. Pourtant il fait des efforts. Il a même lu un livre, que mon mari a aussi, un classique du monde anglo saxon, How to win friends and influence people (de Dale Carnegie). Il l’a expliqué à mon fils un jour devant moi. Pour entrer en contact avec quelqu’un il faut lui poser des questions sur sa vie et ses centres d’intérêt.

Alors cet été il a fait ses devoirs et m’a demandé :

– Estelle, comment ça se passe….

J’ai vu son cerveau chercher ce qui pouvait bien m’occuper toute la journée, à part ma famille. D’un coup j’ai senti son corps se détendre, il a trouvé un truc :

– … ton piano ?

– Mon piano bien, merci. Je joue avec ma fille et une amie à quatre mains. Enfin dès que la pandémie nous permettra de nous y remettre.

Depuis plusieurs mois je travaille un nocturne de chopin que j’adore. Mais ça je n’arrive à pas le dire. C’est trop intime.

Ses sourcils se rapprochent, il penche la tête de côté :

– Votre piano, il est où chez vous ?

Euh en plein milieu du séjour. C’est pas comme si on avait un palace avec un salon de musique.

Mais surtout je suis scotchée par la question initiale.

J’adore jouer du piano, oui. Mais mon actualité ce n’est pas ça. Depuis deux ans je me consacre à l’écriture. Je n’en fais pas mystère. Comme ça fait partie de mon parcours pour me rapprocher de mon coeur, je tâche de partager. J’envoie à mon entourage (comme vous le savez ;o) le lien de mon blog dans mes mails de bonne année. Je mentionne même mon travail sur un livre. C’est vrai, avec cet ami je reste factuelle et brève mais je l’ai dit plusieurs fois : j’écris. Je m’attendais donc à une question en rapport avec l’écriture.

Pour se faire des amis et influencer les gens ne faudrait-il pas surtout écouter ?

(Je ne sais pas si c’est indiqué dans le bouquin. Je le lirai peut-être le jour où j’aurai épuisé tous les livres qui me font envie (jamais donc).)

Etre sympa veut peut-être désigner des comportements différents selon les cultures ? Où est la frontière entre avenant et envahissant ? Intéressé et trop curieux ? Respectueux et indifférent ?

Alors sans doute, cet homme a-t-il pu penser de moi, cette dame dans sa maison : Ah bon, elle est sympa ? Vraiment ?

Nous ne sommes que la moitié d’une relation. Nos personnalités s’adaptent à la nature de l’échange. Elles s’enrichissent ou s’éteignent mutuellement.

Suis-je sympa ?

Ça dépend de vous.

Mainzalors.com a 2 ans !

Bon anniversaire à toi qui m’accompagnes,

400 pages, 170.000 mots. Dis donc, on en a des choses à partager…

Et surtout, MERCI !

Merci à vous, mes lecteurs fidèles.

Grandes vacances : notre tour de France – 2

Des Landes à la Côte d’Azur en passant par Montpellier. Puis séjour en Ardèche du Sud, et Autun.

Retrouvailles en pagailles. Séparations à foison.

Nous voilà rentrés à Mainz depuis hier soir. Nous avons fait durer le plus longtemps possible notre séjour français. Le boulot a repris ce matin. J’irai faire les courses après vous avoir écrit. Il me tarde de partager la suite de nos vacances.

Ne bougez pas, je viens vous retrouver où je vous ai quittés : au bord de l’océan.

J’entends votre question. Oui mon fils a pu nous rejoindre après sa dizaine de jours d’isolement ardéchois pour covid sans symptômes. Il a pris le train jusqu’à la charmante ville de Bayonne (aux colombages colorés, comme en Allemagne, et pourtant tellement autres).

Bayonne

Cette escapade nous a autorisé un détour par la librairie de la Rue en pente. Vous savez, dans la rue en pente ? J’adore leurs commentaires sur les bouquins. Cet été ils avaient même consacré une vitrine aux achats à éviter, avec critiques argumentées. Pendant notre sélection de nos prochains compagnons de poche, nous avons aidé un Français installé à Berlin (oui) à expliquer à la libraire le livre qu’il recherchait (il n’avait qu’une photo en allemand). Le manuel d’Epictète de Marc-Aurèle (mon livre de toilettes du bas).

Attraper le grand devant la gare sans se garer. Pardon d’être à la bourre, j’ai essayé deux robes chez Monoprix.

Plage, un peu chaque jour, à sauter dans les rouleaux. Sur la côte landaise, la baignade tient du manège et du trampoline. Le ciel s’offre à 360°. Au loin l’Espagne. Les enfants surfent, chacun à des horaires différents qui changent tous les jours avec la marée. J’ai renoncé à suivre. Ils se régalent. Le banc de sable de la plage sud a disparu, les jours de calme ils doivent partir en camionnette vers le nord pour trouver des vagues.

Ma grande s’est fait une amie suédoise qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Un moniteur du surf surpris de les entendre parler en anglais leur a demandé d’où elles venaient. Ma fille a répondu : « de Lyon. » Ah ? Oui j’avais pas envie de dire que j’habite en Allemagne.

Ah revoir la mer et l’horizon ! Confisqués pendant toute une année ils ont l’attrait de l’attente et de l’interdiction. Au loin là-bas le Canada. (Salut Flo !)

Retrouvailles avec la famille de mon mari, échappés d’Angleterre ou de Normandie. Enfin ! Oui les enfants ont grandi. Et nous, non, nous on n’a pas changé. Vous non plus. (Si peu).

Beaucoup, beaucoup de monde pour un mois de juillet. Les Français ont renoncé aux voyages à l’étranger. Des motos de mer vrombissent. C’est nouveau ça ici. On devrait mettre un impôt sur le bruit produit.

Les cons d’astreinte se relaient pour emmerder les autres 24/7. Nous dans la catégorie bruit agaçant, on a pris le créneau de 7h à 10h et puis aussi de 10h à 21h. Gaïa, dans le jardin longé par une route, est redevenue sauvage. Elle aboie à tout ce qui roule. Elle saute par la fenêtre et fuit par le moindre interstice, pour chasser les chats et fureter près des poubelles. Le soir on la borde dans sa nouvelle niche anti-effraction. Les jeunes avinés dans la rue prennent le relais.

Ranger la maison. Balayer le sable. Vider le frigo.

Après une heure de Tétris avec la voiture, admettre sa défaite. Non, on ne pourra pas emporter tout notre stock de bouffe et de produits ménagers au savon de Marseille et le vinaigre blanc (oui c’est mon dada, en Allemagne on trouve de l’essence à diluer, je ne m’y fais pas).

Entasser tout le monde. La chienne grimpe dans son petit coin du coffre, couverture en mezzanine sur le confit de canard et le piment d’Espelette.

Pimientos del Padron et rougets

Cap sur Montpellier.

Le long des Pyrénées, sous leur chapeau de brume, il fait vert et frais. La polaire est à portée de main pour le pique-nique de midi. Melon et fromage de brebis. Dès Toulouse le paysage sèche et chauffe.  Traces rousses d’incendies sur les rives de l’autoroute. Bouchons. On avait cru être malins en ne voyageant pas le week-end.

Escale de rêve chez oncle et tante, au ras de la garrigue et des étoiles. La piscine a le goût du sel, le barbecue celui de la famille retrouvée. Ouf ça fait du bien. Rechargement exprès des batteries émotionnelles. Merci !

Pourquoi les piscines ont-elles la couleur artificielle de la glace au bubble-gum ? Celle que l’on vient de quitter ressemble à l’eau sauvage des rivières. Le fond est gris-blond, comme les galets.

Après des retrouvailles brèves, la séparation chavire. Quand nous reverrons nous ? Non, tiens conduis toi. Dans le virage, entre les lauriers roses, du dos de la main, j’essuie une larme.

Traversée de la Camargue.

Regardez les enfants ! Des chevaux blancs ! une rizière… Mon fils dort. Les filles regardent un film sur la tablette avec des écouteurs. Non mais là vous allez regarder, c’est la montagne sainte-Victoire ! Cézanne, patin-couffin… Un sourcil se lève, un œil se jette. Ah oui. Vite retrouver l’écran hypnotique. Je me gave de pinèdes et de panneaux familiers. Saint-Zacharie, regarde ! c’est le village de mon grand-père.

Hmmm.

De temps en temps j’ouvre la fenêtre pour m’enivrer de cigales. Que c’est beau la France, hein. Et tellement varié. Depuis ce matin le paysage a changé dix fois.

Côte d’Azur lacérée de béton et de bagnoles. Les palmiers salvateurs et les anciens hôtels me projettent dans les films des années 50. La main au collet. Elle et lui. Tu crois que Cary Grant est vraiment venu tourner ici ?

Cap Ferrat

Villefranche sur mer, notre nouvelle escale, chez des amis absents.

Vue à couper le souffle sur la rade et le cap Ferrat (oui, la montagne est belle monsieur Jean).

Télétravail avec vue sur mer.

Rencontrer un neveu tout neuf et sa maman, pour la première fois sans écran interposé. Retrouver des amis anglais en vadrouille dans leur camion reconverti. Ils ont traversé à Saint-Malo et quitté la côte atlantique pour passer quelques jours avec nous. (L’occasion de se rendre compte que les mots étrangers me viennent souvent en allemand. Mince alors !) Vous connaissez la tropézienne ? Pique-nique du soir sur des rochers qui coupent les orteils, mais avec les parfums des pins et des lentisques chauffés (pissaladière et tarte aux blettes). Pastèque qui dégouline sur le menton. Je casse une tige de perce pierre pour la respirer. Mon fils promène une application pour identifier les plantes. Comment, mais avec ta mère tu n’as rien appris ?! Non, on n’a jamais eu de jardin.

Le mouvement du soleil et des nuages décide de la couleur de la mer. Si je devais la peindre je choisirais quel ton ? Gris-bleu ? Blanc laiteux ? Rose ? La fin d’après-midi dévoile un bleu marine mordoré. Dans un paysage vivant, les détails s’offrent et se rétractent avec la respiration du monde. Je les accueille tôt dans une chaleur encore tolérable. Le café brûle les lèvres. La fauvette à tête noire, invisible dans le rideau des feuilles d’eucalyptus, déroule des trilles puissantes. (Son nom nous a été révélé par une autre application). Les yeux me piquent un peu. Je n’ai pas pu retenir mes larmes quand j’ai aperçu des draps dans le lave-linge. Mon fils est parti aux aurores prendre son train. Une cigale prend son service. De l’autre côté de la haie, une voix chantante appelle. Dans ce cocon méridional je fonds.

Retrouvailles, séparations.

Vider la maison. Remplir la voiture. Caser les chaussures de rando que l’on n’a pas touchées.

Autoroute. Bouchons. Pique-nique (tapenade, melon). Attraper une copine de Lyon sur le parking de la gare de Montélimar. Ça n’a pas bien changé depuis que j’y prenais mon car pour rentrer quand j’étais étudiante. Au passage du Rhône, je baisse la vitre pour humer l’air de mon Ardèche. Comme à chaque fois.

Quelque part…

Vider la voiture. Remplir la maison.

Tiens le rosier chinois est mort. Le Zéphirine Drouin aussi. Par contre les crocosmias sont magnifiques. Les pommiers croulent sous les pommes. Celui aux pommes vertes est un cadeau posthume de ma mère. Elle l’avait planté connaissant mon goût pour l’acidité des Granny Smith. Croquantes, à peine véreuses. Ma benjamine en rempli un sac qu’elle complète avec des nashis. L’âne et Gaïa ne sympathisent pas.

Baignades dans des rivières secrètes. J’assume moyen la plaque minéralogique allemande dans les coins paumés. Ma plus jeune a placé un Astrapi sur sa vitre pour signaler au monde qu’elle est française. (Ne pas confondre). On se gare au bord de la route, descend dans les arbres et les rochers en se tenant aux branches. Dans le maquis les squelettes des buis (mangés par les chenilles de la dévastatrice pyrale) sont plus discrets, avalés par leurs voisins. Par endroit sur les torrents des trous d’eau très profonds. Les filles sautent de haut. Moi je regarde d’en bas. Les pieds calés dans les rapides, l’eau puissante me masse les épaules. Désescalade dans les toboggans mouillés, où les rochers sont doux et lisses comme des galets géants. Viser les algues chevelues, antidérapantes. La première baignade de la journée est difficile, ensuite le corps s’habitue à la température. Libellules ivres. De petits poissons grignotent les peaux mortes des pieds immobiles.

Kayak, bien sûr, entre Balazuc et Ruoms. Une descente de l’Ardèche alternative pour éviter les foules sous le Pont d’Arc. La dame blonde chez qui on loue les bateaux s’enquiert : vous en avez déjà fait ? Je souris et lui glisse : je suis du coin ! (Ne pas confondre). Ah bon… Nom, âge, année du bac ? On a dû se croiser dans les couloirs du lycée !

Ce tronçon de rivière je ne l’avais jamais fait en bateau. Beaucoup de monde, pas trop d’eau, comme chaque année au mois d’août. On pousse quand ça racle. Tant pis, on n’a pas d’autre occasion de venir. Circuler sur l’eau entrouvre la porte d’un autre monde. Le vent nous pousse. Ça sent la rivière, le peuplier et parfois la vase. Les bâteaux sont stables mais si lourds. Ma plus jeune s’essaie au kayak et, après quelques zigzags, ne se débrouille pas trop mal.

Une toute petite grenouille se cache dans l’ombre de notre kayak échoué pour un casse-croute (caillettes, fromage de chèvre de chez Pascale au marché). Une maman canard et sa tribu s’envolent. Des aigrettes blanches conversent sur une île. La vie sauvage a l’air de s’accommoder du défilé d’embarcations multicolores.

Glissade-toboggan les bras en l’air pour passer le barrage de Ruoms. Un photographe est tapi dans l’ombre. Fatigue éblouie d’une journée de coups de pagaie entre arbres et falaises. Dans le minibus de retour, ça gratte moins que dans mon enfance. Les bateaux ne sont plus en laine de verre.

Allo les amis, on peut passer ? C’est curieux, les amis ardéchois, je ne les appelle que quand je suis dans leur périmètre. Comme à l’époque où téléphone international coutait les yeux de la tête. Le reste du temps on communique par mail. Merci à ceux qui m’ont parlé de ma mère. C’est si rare.

Retrouvailles. Séparations.

Chateau d’Aubenas

Les mains se tendent vers les premières mûres dans les fossés. Je fais de la confiture avec une cagette de myrtilles de pays (achetées chez le primeur). Les cenelles de l’aubépine commencent à rougir.

Vider la maison, remplir la voiture. Tu crois qu’il faudrait acheter une voiture plus grande ? Les enfants grandissent, et puis le chien…. Ses affaires prennent une place monstre.

Route vers Lyon. Je connais chaque virage par cœur. Tiens là j’ai vomi les tomates à la provençale en rentrant de chez mon grand-père. Les fenouils sauvages des fossés ne nous accompagnent pas longtemps.

Bouchons.

Lyon. Oh Lyon ! tu te souviens ! regarde c’est là votre école d’avant !

Lyon en touriste.

Poser la copine à la Croix Rousse. Manger dans le café d’une amie sur les pentes. Je savoure chaque instant. Tous ces endroits, tous les amis croisés ont l’évidence du quotidien. Pourtant ça fait deux ou trois ans que nous ne nous sommes pas vus. Librairie. Escapade en banlieue pour voir des amis. Diner avec mon grand – par hasard ici aussi. Nuit à l’hôtel à Lyon pour la première fois de ma vie. A la réceptionniste je demande : vous connaissez un bon restau de sushis ? (ça tourne vite. Avant le covid, j’avais donné rendez-vous à mon fils devant un restau disparu.) Rue des marronniers je demande à ma fille de prendre en photo la porte d’entrée de mon longement étudiant.

Poser ma grande, radieuse, chez des amis. Avec eux elle part camper une semaine, avec ses copines anglaises de Lyon. Elle nous a dit : No offence, mais j’en ai marre d’être avec vous.

Cap plein nord, comme tout le monde en ce samedi. (Pas avant d’avoir fait un p’tit tour à Monop. Quand ça s’éternisait au rayon adulte, ma plus jeune m’a dit : allez ça suffit, sinon je te confisque Monoprix !)

Autun

Escale à Autun, parce qu’on y a trouvé une chambre d’hôte de charme. Le charme c’est ce qui me manque le plus en Allemagne avec la variété et la spontanéité. Et ça ne s’envoie pas par la poste. Surprise de voir que la ville est jumelée avec Ingelheim, sur le Rhin à quelques kilomètres de Mainz. Découverte éblouie des ruelles anciennes de cette ville superbe. Je craque. Je demande à notre hôte si je peux y revenir une semaine.
L’âme de sa grande maison vibre d’art, de calme et de la spiritualité. Notre fenêtre, au premier étage d’un escalier à vis de pierre, donne sur un jardin de curé charmant et une église désaffectée. Coins et recoins. Passé dépassant. Aurais-je le courage et prendre les cinquante correspondances en train et car pour y retourner avec mon portable et mes cahiers pour avancer sur mon livre ?

Vite un tour au musée Rolin. Extra. Casse-croute dans un café. Accueil abrupt. Gaïa n’arrête pas d’aboyer. Oups.

Cette fois, on n’y coupe pas.

Sous la pluie nous programmons Mainz dans le GPS du téléphone. Au passage de la frontière, pas de contrôle. Mais ma plus jeune se met à pleurer. Ma gorge se serre. Heureuse de retrouver les copines allemandes, mais triste de quitter les françaises et mes paysages.  

Un ange gardien veille-t-il sur les cœurs en transit ? Un arc-en-ciel apparaît au bout de l’autoroute. Entre la frontière et Mainz, l’asphalte se prolonge dans l’élan d’un ruban coloré. Presque deux heures à se laisser guider par la lumière des gouttes de pluie.

Je veux croire que c’est de bon augure.

C’était vraiment bon ce tour de France. Vous nous manquiez. Nous n’avons pas pu voir tout le monde, ce sera pour une fois très prochaine. Un rapide coup d’œil aux infos locales nous rassure : pas de confinement prévu à court terme. Juste les élections.

Pour toute activité à l’intérieur la règle des 3G s’applique : genesen, geimpft, oder getest (immunisé, vacciné, ou testé). Je le vis plus sereinement. Maintenant je suis vaccinée.

(On n’a pas calculé nos kilomètres ;o))

(Aucun sponsor ne s’est immiscé.)

Grandes vacances : notre tour de France ~ 1

Etapes en bord de Saône, en Corrèze puis dans les Landes.

(L’absence de wifi m’a donné une excuse pour ne pas publier l’article écrit en début de vacances. Le voilà.)

Assise sur un fauteuil bas de camping, sous un tamaris, les pieds dans la mousse sèche, j’ai posé mon ordinateur portable sur mes genoux nus. Dans le jardin voisin un pigeon des bois roucoule. Des écailles de pommes de pin tombent, grignotée par un écureuil. C’est malheureux le reflet de mon visage dans l’écran, parce que pour écrire, je porte des lunettes. Que je n’ai jamais dans la salle de bains. Regard fatigué, traits marqués, coiffure en bataille, aux reflets blonds roux artificiels. Fait pas bon vieillir, je vous le dis (ni enfiler des lieux communs).

A ma dernière séance chez le coiffeur (à Strasbourg donc), j’ai écouté la dame près de moi, demander un maquillage, « qui fasse naturel ». Le coiffeur orchestrait une vingtaine de flacons et palettes disposés sur la tablette. Puis il s’est approché de moi pour me demander quel balayage je souhaitais : « quelque chose qui dissimule les cheveux gris sans attirer l’attention. Qui fasse naturel.” Le naturel m’a couté deux heures et 100 euros.

Mon ado aussi a eu droit ce même samedi à une séance de soins capillaires. Moins une coupe qu’un boost de confiance en soi. L’année scolaire passée pour l’essentiel en confinement avait prélevé son dû en sourires.

Nous nous sommes échappés pour leur courir après. Nous voilà en France, dans le sud des Landes, sous un ciel capricieux déjà basque. Tant mieux il ne fait pas trop chaud, tant pis, la maison reste humide.

Nous ne sommes que quatre, sans compter la chienne. Mon fils devait nous retrouver sur un parking au nord de Lyon, avant de bifurquer vers l’Auvergne. Pour notre première étape au nord de Mâcon, l’hôtel a tout du motel avec ses chambres de plain pied en enfilade sur le parking. Pratique. Agréable aussi : les fenêtres de la chambre s’ouvrent sur quelques mètres de pelouse, puis, au-delà d’une barrière les pieds dans l’eau, la Saône, large et indolente, affranchie de son lit. Elle lèche presque le bâtiment. Le soleil bas l’éclaire de blond, les peupliers clapotent dans le vent du nord. Il fait frais mais beau. Un temps agréable pour la route, même au bord de la piscine où nous faisons quelques brasses.  

Oui la Saône déborde, comme la Moselle et ses affluents, mais en moins dramatique. Une dame qui marche dans le pré me dit s’arrêter là depuis 25 ans sur la route de la Provence. Elle s’intéresse à notre trajet. L’Allemagne ? Ah, c’est terrible ces inondations. Oui terrible. Plusieurs amis de France nous ont écrit des messages : vous avez les pieds dans l’eau ? Non heureusement. Mais à Mainz aussi le Rhin est monté. En aval de la ville une zone inondable absorbe les crues saisonnières du printemps ou de l’automne. Mais en plein été, les camping-cars ont dû déménager, le camping a fermé.

Le diner au restau était décevant. Assiette tarabiscotée à l’ancienne, service très lent. La vue sur les champs paisibles compense à peine. Ma fille s’exclame : “Oh je suis trop contente de retrouver mon frère demain !” Oui, touchons du bois. Si une chose nous a été rappelée depuis 18 mois c’est que l’avenir nous échappe. De retour à la chambre, un message de mon fils nous attend. “Il y a un souci. L’amie avec qui je suis n’a plus de goût.”

Tests du dimanche, à l’aéroport. L’infirmier les renvoie en leur disant : l’assurance maladie va vous appeler. Positifs. Ils sont vaccinés depuis un mois. Aucun symptômes, sauf cette perte de gout pour l’une. Changement de programme. Confinement en Ardèche dans la maison vide. Y’a pire, au moins ils ont un grand jardin, un piano et un âne. Et des torrents sauvages où se baigner sans croiser personne.

Noaihac, église

Et nous alors ? Nous, on accuse le coup de retrouvailles familiales ajournées. Cap sur la Corrèze, aux confins du Lot et de la Dordogne. Un petit hôtel de charme nous attend pour renouer avec la campagne française. A Noailhac, village de pierres blondes et rousses, des maisons superbes sont calées sur la pente autour d’une église construite sur les ruines d’un château. Un pan de mur en est encore visible. Tout autour, des forêts et un bocage vert des pluies du début d’été.

L’hotelier nous donne un plan photocopié de la région et nous indique les coins à visiter. Il ajoute : dans l’école là-haut, son index indique le mur du fond, le grand-père de Chirac était instituteur. Ah bon ? Oui c’est dans l’église du village que ses parents se sont mariés. D’ailleurs, vous verrez, y’a une photo de Jacques tout gamin entre ses parents.

La chaleur est écrasante. J’allais écrire : enfin. Nous trainons nos filles dans les ruelles désertes du village sans commerce, Gaïa au bout de la grosse laisse rouge. Ma plus jeune râle et demande : ils sont où les gens ? Je cherche sur la façade d’une maison les pierres remarquables : celle du porche utilisée pour aiguiser les couteaux, en dessous de celle dans laquelle un trou a été percé pour accrocher les chevaux, les blocs en demi cercle au pied du coin extérieur pour protéger le mur des roues de charrettes. Un panneau accroché au balcon précise : A vendre. Tu te rends compte ! à vendre. Viens on s’installe là ! c’est trop beau. Quelques pas pour jeter un œil derrière. Ah non, pas de jardin. Zut. Je chercherai sur internet et trouverai à quelques kilomètres du village la ferme à retaper de mes rêves… Et j’imagine à haute voix. Mon mari allongé à côté de moi ne répond pas, il lit. Il a l’habitude de mes projets immobiliers virtuels, dans des coins éloignés de tout lycée et des emplois.

Allongée je feuillette le guide touristique des plus beaux villages de France (avec en couverture la photo de Balazuc en Ardèche – je sais, merci). J’y lis qu’un des bourgs recommandés est Curemonte sur un promontoire coiffé de deux châteaux mitoyens et que la fille de Colette, Colette de Jouvenel, a possédés pendant une petite dizaine d’années. Elle y a vécu pendant la guerre où elle s’est illustrée dans la Résistance. L’écrivain est venu s’y replier pendant l’Occupation.  Moi qui adore sa prose et sa vie, je suis émue de me trouver sur ses traces. Il va falloir aller voir.

Marcher dans les rues de pierres claires le nez en l’air derrière l’appareil photo, acheter une tresse d’ail chez un producteur qui en a habillé la toiture intérieure de sa grange. Déjeuner d’un plat du jour dans un bistrot bien français, entre une famille de locaux, une autre de touristes, et des ouvriers d’un chantier. Mmm vous sentez les filles comme c’est bon la France ! bon en même temps le ragout de porc aux pates on aurait pu manger le même en Allemagne. Pas la flognarde aux abricots par contre (clafoutis caramélisé sur le dessus). En face, l’entrée des châteaux jumeaux, sous les appartements habités par Colette de Jouvenel, dans la rue qui porte son nom. Ça alors, des Corréziens, j’en connais deux, peut-être trois. Et je me cogne à eux, dans la même journée.

Je me renseignerai un peu plus sur Bel-Gazou, la fille de l’écrivain, journaliste, résistante. Je lirai un extrait d’interview où à la question “Comment vivre dans l’ombre d’une mère aussi célèbre ?” elle répond : “Il faut toute une vie pour s’en remettre.” J’en ressens comme un pincement au cœur.

Autre village remarquable : Collonges la rouge. En pierres colorées donc, magnifiques maisons, manoirs, église, halles… On nous avait dit que c’était le Disneyland local. Pas tant que ça. Tôt le matin, le charme opère. Le soir aussi, quand nous revenons diner dans un relais du chemin de Saint-Jacques, face à des hortensias insolents de rose, et à une treille fournie de raisins verts.

Le lendemain, nous crapahutons jusqu’au château au sommet de Turenne, tout petit bourg, en pierres gris pâle avec une vue à couper le souffle. Nous sommes sur une faille géologique qui sépare des veines très différentes (j’y connais pas grand-chose en géologie, mais les effets dans l’architecture sont superbes). Les teintes des villages voisins varient.

La Corrèze, c’est la première fois que je m’y arrête. A chaque passage sur l’autoroute qui coupe la France à la taille, j’ai eu envie de m’enfoncer dans ses forêts. Depuis que j’y ai dormi, j’ai envie d’y revenir. La partie sud est beaucoup plus méridionale que je ne pensais. Les voix chantent. Les fermes cultivent noix et châtaignes. Les ruisseaux apportent l’eau qui m’est indispensable et disparait sur les causses du Lot. Les vallons sont vierges des souvenirs qui me rendent l’Ardèche douce-amère.

Cap sur l’ouest toujours. Détour par Libourne, pour voir. C’est une option pour le retour en France. Le coin semble compliqué pour nos besoins. Les vignobles plats au garde-à-vous me font penser à la Champagne sous le soleil. Pas vraiment de quoi se perdre pour le plaisir. Sandwich ordinaire dans une boulangerie de village endormi. Embouteillages autour de Bordeaux comme toujours. Comment pourrait-il en être autrement ?

Virage plein Sud, l’autoroute rectiligne tranche la forêt de pins des Landes, parallèle à la côte atlantique que l’on espère sans voir. Oh, des bruyères en fleurs ! C’est moi qui conduis. Je suis épuisée, mais j’ai envie de faire l’arrivée. Je dois bien me concentrer pour ne pas trop guetter les fleurettes sur les bas-côtés.

Enfin, la sortie attendue. Hossegor, Capbreton. Dans quelques kilomètres terminus au ras des rouleaux de l’océan. Demain, le vaccin.

Le ciel blanc est brumeux, comme souvent, le matin. Mon mari et moi nous levons comme d’habitude, tôt. Le rythme des vacances ne nous a pas encore bercé. J’ai rendez-vous à 8h30 au stade de Capbreton pour ma deuxième dose. La queue pour entrer dans le gymnase ne me concerne pas : c’est pour la première injection. Tant mieux. Un monsieur âgé sympathique me fait signe d’entrer, le masque sous le nez. J’ai envie de lui dire : Eh, monsieur, le masque c’est comme le slip hein, on met tout dedans !

Je ne dis rien bien sûr, je vais au bureau où un autre monsieur âgé, débutant en formulaire administratifs, sans doute un bénévole, demande à une jeune femme comment inscrire les noms de jeune fille et d’épouse. Oui oui, mettez les deux s’il vous plait ! car si les papiers français portent les deux, les Allemands n’en ont qu’un. Et souvent les gens sont perturbés quand j’utilise l’un ou l’autre (je m’emmêle les pinceaux, je ne voulais utiliser que mon nom de jeune fille, mais il est différent de celui de mes enfants, et la sécu en a décidé autrement… bref en France pas de souci mais en Allemagne, ça coince).

Donc, vaccin 2 dans une salle de Jaï alaï (type de pelote basque) avec l’accent chantant du sud-ouest, après le 1 à Strasbourg. L’infirmière me remet mon certificat : “Voilà vous êtes libre !” Devant mon grand sourire, elle ajoute : “On dirait qu’on remet le permis de conduire”. Si elle savait comme j’en ai rêvé en Allemagne de ce sésame où ma convocation a trainé et où depuis des mois le moindre événement en intérieur (y compris le restau) ne sont accessibles qu’en cochant l’une des trois cases : immunisé / test négatif / vacciné.

Je n’ai rien senti. Ici personne pour me dire de partir au bout des 15 minutes de repos. L’après-midi, j’honore un rendez-vous pour ma fille. D’après son étude auprès de son échantillon de copains, mon fils m’avait dit : les effets secondaires arrivent environ 9 heures après l’injection. Le soir tout va toujours bien.

Au milieu de la nuit, réveil. Peut-être à cause des jeunes qui chantent dans la rue, ou des bruits de motos qui accélèrent. Mais mon corps se rappelle à moi. Courbatures. Fièvre. Bon, c’est normal. Nausées. Zut il faut que je me lève. Coton dans la tête et dans les jambes. Avant d’avoir pu parcourir les 10 pas (j’ai compté après) pour les toilettes, je m’assois par terre. Ca tourne. Impossible de me rendormir. Au matin, l’état est le même. Position couchée obligatoire. Crotte. C’est pas ce que mon fils m’avait dit : état grippal la nuit, mais tu dors. Le matin t’es fatiguée mais ça va mieux.

Je trouve l’énergie d’accompagner ma fille à un autre rendez-vous de suivi français (vive les vacances) puis je m’effondre sur un matelas sous les pins. Faim ? non. Aïe, la tête, aïe les courbatures.

Il y a quelques mois j’avais fait ma maligne : “j’ai lu dans The Economist que les effets secondaires des vaccins contre le corona étaient selon les études cliniques presque équivalents pour le placebo que pour le produit actif.” Ouais c’est ça.  Si effet secondaire c’est mal à l’épaule, ça va. Si c’est je ne tiens plus debout, c’est plus embêtant. Mon psychisme hyperactif et anxieux provoque souvent la somatisation. Mais là, c’était différent.
Le site allemand de vaccination permet de signaler les effets secondaires. Peut-être est-ce possible de le faire aussi en France, ou auprès des labos. Si la réaction de mon corps au vaccin est proportionnelle à ce qu’aurait été celle à la maladie, je n’ose pas imaginer mon état, surtout que là je n’ai pas eu de gêne respiratoire.

C’est donc fait. Enfin. J’ai scanné le code barre dans l’appli française. Puisque c’est le passeport européen ça doit aussi se télécharger dans l’appli allemande. Non ? Non. Une autre. Non ? Toujours pas. Sans compter que sur le certificat n’apparait qu’un seul de mes deux noms… Ça promet de joyeuses explications. Mais si c’est moi. Mais si je suis vaccinée. Immunisée ? Ah, ça dépend. L’immunité administrative à défaut de médicale varie selon les pays. En Allemagne, 14 jours, en France 7 jours. D’ici là mettons un masque. J’ai pas envie de vivre la version longue du machin. Et ça servira aussi à se planquer.

Il m’aurait bien servi l’autre soir lorsque nous sommes partis en promenade avec Gaïa. La place piétonne au niveau de la plage centrale de Hossegor est noire de monde. Les terrasses des restaus sont pleines. Ça grouille partout en France, on dirait que personne n’a entendu parler de la covid. Des familles et des groupes de jeunes descendent vers la plage et son coucher de soleil, portable à la main pour le selfie de rigueur. En plein milieu, Gaïa fait mine de s’arrêter, ma fille la tire pour la forcer à avancer dans la foule où nous tentons de maintenir les distances. Soudain elle s’écrie : “elle a fait une crotte !”

En la matière elle en a fait plusieurs, entrainée par la laisse, elle a posé cinq ou six petits boulets noirs.

Ma fille demande à son père :

-Passe moi un sac !

Il se frappe le front. Ah j’ai oublié !

QUOI ?

Il remonte en courant pour la maison. En attendant le sachet, nous voilà responsables d’une constellation de mini-mines malodorantes posées sur le parcours de touristes innocents captivés par le coucher de soleil. Pour leur éviter un retour précipité sur terre au propre (enfin…) comme au figuré, je rebrousse chemin et me plante au milieu de notre jeu de dames biologique, histoire, par ma seule présence, d’écarter les flux de gens de possibles glissades visqueuses. Pour renforcer la palissade humaine, je demande aux filles de faire de même. La grande panique en chuchotant. « Je ne peux pas, j’ai trop honte ». Toujours en chuchotant, je lui intime l’ordre de rester. Nous avons bien conscience d’être sur une scène de théâtre sans fond, au milieu de terrasses bondées. Elle s’échappe sur la plage.

La petite tient le chien qui comme toujours veut fuir ses méfaits. Je râle. Elle part avec Gaïa chercher sa sœur pour la prévenir de la colère de leur mère. Me voilà donc plantée, entre des crottes à peine visibles, en plein milieu du passage sans savoir quoi faire de moi ni de mes mains, sans masque donc pour me cacher.

J’imagine ceux qui m’ont repérée depuis leur table de restau, et qui doivent observer mon manège en rigolant. J’entends parler allemand. A l’aide pourvu qu’ils n’aient rien vu. On s’est déjà fait engueuler à Mainz, dans la demi seconde qu’il a fallu pour confier le chien à quelqu’un d’autre avant de pouvoir effacer la trace de notre passage. « Si nous n’avions pas été là vous ne l’auriez pas ramassée. »

Si la preuve, madame et monsieur, vous n’étiez pas là, l’autre soir sur la place centrale d’Hossegor, et pourtant quand le sac est arrivé par livraison exprès, nous les avons ramassées, toutes les cinq. Sans demander notre reste. On a filé se fondre dans l’anonymat de la plage.

Tant de problématiques à ras de terre dont je me serais bien passée.

Les rendez-vous sont faits, les vaccins aussi. Dans quelques jours, mon fils pourra nous rejoindre. Les vacances pourraient bien commencer.

A suivre.

La valse des hésitations

Einmal hin, einmal her, Rundherum, das ist nicht schwer ! *

Un pas par ci, un pas par là, un p’tit tour, c’est pas difficile (* chanson enfantine)

-…..

Vous entendez ? C’est moi qui parle à mes filles.

J’essaie à nouveau.

-….

Ça marche ?

Non ? Vous non plus vous n’entendez rien ? Décidément !

J’ai l’impression de parler dans le vide, d’émettre un simple bruit de fond, des ondes inutiles. J’ai décidé de faire la grève de la parole chez moi.

Reprenons.

Voilà un mois à la Stammtisch virtuelle des parents de la classe de ma grande (réunion qui se tient d’habitude dans un restaurant fort charmant), j’ai appris que le collège avait envoyé un message précisant les conditions de retour des livres scolaires. J’avais raté l’information planquée au fin fond d’un long courrier (la direction est peu synthétique et consulter sur smartphone un drap de lit reçu dans une appplication est frustrant). J’ai tendance à cocher la case ‘lu’ au plus vite. Si c’est important, la même info nous arrivera de façon plus claire par les profs ou les élèves. Pas cette fois.

Nous étions cinq mamans à la Stammtisch, et c’était fort sympathique de revoir des visages connus. Il a été rappelé que les livres scolaires, loués par la ville de Mainz au tiers du prix d’achat, devaient être exceptionnellement rendus au château des princes-électeurs (Kurfürstlisches Schloss) . D’habitude les gamins partent le matin pour l’école avec leur sac de bouquins. Cette année c’est dans le centre-ville et le créneau est contraint : 8-15h, un jour différent pour chaque école. Souvenons-nous que les enfants d’une même fratrie fréquentent souvent des établissements différents. Les parents d’une famille nombreuse sont priés de se déplacer autant de fois qu’il le faudra.

Info reçue, je l’ai transmise à ma progéniture. J’ai écrit le rendez-vous sur le calendrier familial accroché au mur au-dessus de la table à manger. Par chance, cela tombait un jour de congés pour mes filles dû aux oraux de l’Abitur (bac). La veille, l’une était invitée à un anniversaire, l’autre avait un projet urgent du genre fabriquer un bracelet en perles. Elles accompagnaient aussi notre chienne Gaïa chez le véto pour acheter les produits anti-bestioles-qui-piquent. Donc le temps était compté. Je les avais prévenues plusieurs fois : rapportez bien tous vos livres vendredi au plus tard !

Devinez ?

La veille.

  • Heu, mon livre de maths est chez une copine.
  • Moi j’ai laissé celui de français dans mon casier. Mais t’inquiète j’en ai pas besoin.
  • Si, il faut le rendre.
  • Ah bon ?
  • Je vous l’ai dit dix fois.
  • Ah non pas du tout !
  • Tu vas avoir le temps d’aller le chercher le livre de maths ? Et toi celui de français ?
  • Ouais…

Aller-retour au collège pour l’une, qui vidange aussi le casier de sa sœur. Rendez-vous à mi-chemin avec l’amie au livre pour l’autre. Il semblerait que les manuels soient rassemblés. Rappel de la consigne :

-Je veux les livres dans le sac, avec le formulaire de retour, prêts à partir. Ce soir.

Le jour-même : un seul sac dans le salon. Attendons et voyons. Alors que je me brosse les dents dans la salle de bains, la porte s’ouvre sur une toute petite voix…

  • Je ne trouve pas mon livre de géo.
  • Cherche. Envoie des messages à tes copines pour savoir où il est.

Il faut qu’on parte.

La sœur :

-Ah j’ai vu un livre de géo hier dans mon casier. Y’a mon nom dessus, mais le mien est à la maison.

Là j’ai comme les fils se touchent.

  • Et tu ne l’as pas pris ?
  • Ben non.

On part en voiture.

Christus Kirche

D’abord direction le collège, pour aller chercher ce fameux livre. Retour à la maison. La petite descend. J’ai changé d’avis : je prends aussi les livres qui ne sont pas à rendre (à la troisième location, les manuels restent chez les élèves), au cas où. On repart (à deux mon mari et moi) en espérant ne pas avoir à se garer, j’aime pas conduire en ville quand je ne sais pas où je vais. Le GPS qui dit les noms des rues allemandes avec un accent français, c’est tout un poème et guère compréhensible. Le mettre en anglais c’est pire. Tout en allemand, dans MA voiture ? J’ai pas le coeur.

Deuxième départ. Einmal hin, einmal her…

Appel de la grande sœur : ça y est les échanges WhatsApp de la classe ont localisé le bouquin chez une copine-voisine. Mission accomplie, elle sait où il est. Elle s’apprête à raccrocher.

-Eh oh, va le chercher ! Dépêche-toi. On revient.

Retour à la maison, pour prendre le livre de géo.

Troisième départ. Einmal hin, einmal her…

La route est en travaux. Il faut un quart d’heure pour arriver au château des Princes-Electeurs au bord du Rhin, dans le centre-ville. A mi-chemin, l’alerte carburant s’éclaire.

A proximité du château, une longue queue s’étire sous les arbres jusqu’à une entrée latérale. Au moins c’est facile à trouver. Arrêt rapide, je descends de la voiture avec mes deux sacs… Mon mari remonte travailler à domicile. Je me poste derrière tout ce beau monde. L’ombre des tilleuls est parfumée. Les 80 personnes sur le trottoir respectent les distances. Mais je ne peux m’empêcher de remarquer que :

1/ rassembler une foule en période coronesque c’est pas bien malin (rappelons-nous le cirque tests / vaccins pour aller au restau) ;

2/ je me suis fait avoir : la queue est composée en majorité de collégiens et lycéens, sans leur maman. Plus loin devant j’aperçois des copines de ma grande, derrière, un copain de ma plus jeune qui me salue de la main. A l’idée de venir, les miennes ont fait la grimace.

Kurfürstlisches Schloss

Attendons.

45 minutes passent. Je fais mon courrier virtuel, texto à droite et à gauche, en avançant de deux pas de temps en temps. Les sacs suivent à mes pieds.

Au seuil d’une grande porte de bois, ouverte, il faut s’arrêter. Une dame imposante en uniforme bleu marine signale quand le prochain a le droit de pénétrer. Une affiche d’une grande librairie de Mainz a été installée. Cette prestation doit être un marché sous-traité.

Je suis intriguée de découvrir l’intérieur du palais qui est un des bâtiments repères de Mainz. A l’exception d’un grand lustre éclairé, le hall d’entrée est banal comme celui d’une administration. Décevant. L’entrée principale est-elle plus imposante ?

La dame me fait signe. C’est à moi. Me voilà dans la queue intérieure longue d’une vingtaine de personnes. Ah quand même ! Le monsieur derrière moi râle avec le sourire (ah, un autre qui s’est fait avoir par ses gosses). Il parle allemand avec un accent étranger derrière un masque. Je hoche la tête d’un air entendu quand je comprends qu’il trouve absurde ce regroupement en centre-ville si loin du collège. On est d’accord. On rigole. Et il ajoute : ils vont nous refaire le coup au mois d’aout pour aller chercher les nouveaux livres. Zut. J’y avais pas pensé.

Nous attendons dans une galerie des glaces qui tient plus de Castorama rayon salles de bains que de Versailles. Enfin je touche au Graal : une pièce aux murs habillés de bois peint avec quelques moulures en hauteur, dans laquelle ont été installées cinq tables sur tréteaux. Sur chacune : un ordinateur portable, une imprimante. A côté, des caisses de livres pleines, un/e préposé/e.

Un jeune homme à mèche blanche dans des cheveux noirs me fait signe de la main. Je pose le premier paquet de livres sur son bureau. Scan, impression du bon de retour A4. Au tour de l’autre paquet de manuels. Scan du livre de géo. Hésitation. Rescan. Il me dit : “celui-là appartient à Paula Schmidt”. Quoi ? Ni à ma fille donc, ni à la copine chez qui elle l’a récupéré in extremis. Impression d’une facture à payer si personne ne le rapporte.

J’envoie un message à ma fille : continue de chercher.

A la gare en face de l’arrêt de tram, un stand de fruits locaux me fait envie. Abricots à confiture de Finthen (banlieue agricole de Mainz), 5 euros les trois kilos. Parfait. Et 500 g de cerises aussi. Merci.

Retour à la maison.

  • Ça y est on a trouvé mon livre ! C’est celui qui était dans le casier de ma sœur. Avec son nom à elle dessus.
  • Donc, en gros de toute l’année scolaire tu ne l’as pas vu.

Vite coacher son ado pour identifier une copine qui s’apprête à descendre au château, pour lui confier le manuel à restituer et éviter de se retaper la queue. Lui sortir son vélo. A son retour, la regarder s’assoir avec un air satisfait. « Ah je me suis bien débrouillée quand même ! »

Je n’ai pas tout perdu. Cet aller-retour m’a permis de papoter avec une maman-copine venue accompagner sa fille, de faire une confiture d’abricots (meilleure que d’habitude) et le premier clafoutis de la saison. J’y ai aussi gagné le parfum des tilleuls. Et le droit de faire la grève de la parole.

Notre échappée à Strasbourg, le week-end dernier, a failli tomber à l’eau. La veille du départ, mon mari était malade. Test, hésitation. Einmal hin, einmal her… Tout le monde avait un besoin urgent de changer de tapisserie. Sous la menace d’une mutinerie, on a décidé de tenter le coup. A quatre, avec Gaïa.

Depuis un an et demi nous vivons au vert sans presque sortir de notre quartier. J’avais réservé un hôtel dans le centre de Strasbourg. Bruit, foule, quel choc ! J’avais l’impression d’être sur la presqu’île de Lyon un huit décembre (où je n’allais jamais).

A part une escapade de quelques jours en automne au fin fond de la forêt vosgiennes, c’était notre premier retour en France depuis l’été dernier. Quelle sensation bizarre d’être surprise d’entendre du français et de se sentir touriste dans son pays (enfin, presque, ça reste l’Alsace quand même). C’est tellement plus reposant en vacances de ne pas comprendre tout ce qui se dit autour de soi.

Peu de gens avec des masques (nous). Aucune distanciation. Sur un poteau de la place Kléber, une affiche sauvage invite à refuser le vaccin. En Allemagne, je n’ai rencontré que des gens qui rêvaient d’y avoir accès. J’ai failli reprendre un touriste au petit déjeuner qui allait au buffet sans masque. Ma réaction m’a fait peur. Suis-je en train de devenir allemande ? En croquant dans un mini croissant, je me surprends à penser que décidément les Français sont ingouvernables.

Oui et heureusement. L’ordre est beaucoup plus effrayant que le fouillis.

Strasbourg

Vous serez ravis d’apprendre que la chienne n’a bouffé aucun jogger, ni aucune rame de tram. Pourtant elle a essayé. Ma fille ne trouvait pas les Flammekuchen sur la carte du restau ; il était écrit tarte flambée. Nous avons dévalisé deux librairies. Monoprix est resté inaccessible : contrairement à la mention sur internet, le magasin était fermé le dimanche matin. Bon sang mais c’est bien sûr ! On aurait dû y penser ! Le droit local alsacien est calé sur l’allemand : tout est fermé le dimanche ! Hélas. (Par chance on a quand même trouvé une supérette alimentaire pour les madeleines, les galettes bretonnes et les sardines).

A la boulangerie (quel bonheur de pouvoir y payer sans contact), j’ai craqué pour une superbe part de gâteau au fromage blanc. Ma fille m’a demandé : “pourquoi tu prends ça ? Y’en a en Allemagne.” Parce que c’est super bon. Une pâte brisée croquante et fondante, une garniture épaisse aérienne et peu sucrée, dans laquelle on enfonce tout le visage.

En attendant le rendez-vous pour le vaccin, nous avons, sur l’insistance de notre capitaine de 10 ans, loué un bateau électrique sur l’Ill. Petit tour bucolique, sous le pont couvert et entre des rives vertes où il doit être doux de vivre, et s’imaginer en Amazonie.

Et (suspense insoutenable) OUI OUI OUI ma fille et moi avons eu notre première dose de vaccin, au vaccinodrome de Strasbourg, installé dans l’Hôtel de Département au bord de la Petite France. Inspirées par la campagne de pubs de Rheinland-Pfalz, on avait mis des manches courtes. Finalement nous étions dans l’intimité d’un box avec une madame-pompier très sympa. C’était hyper bien organisé, efficace et rapide, avec des BLAGUES ! Le médecin des pompiers nous a demandé d’apporter un gâteau au chocolat pour la deuxième dose !!! Quand je pousse la porte d’un cabinet médical allemand, j’ai toujours peur de me faire engueuler. Pourtant certaines infirmières, parfois, sourient.

Retour à Mainz dans une ambiance douce-amère. Ravie du sparadrap sur mon épaule. Mais vague cafard. C’était court et bousculé ces retrouvailles avec la France. Pourtant en Alsace, comme un bout d’Allemagne où on parle aussi français, la transition est douce.

Je trouve d’ailleurs curieux que ce soit la région retenue comme exemple dans le livre de français de ma plus jeune édité par notre Land. Certes c’est la région limitrophe de Rheinland-Pfalz. Mais pour les collégiens, quel dépaysement apportent les photos de maisons à colombages et les noms de villages aux kilos de consonnes ? Sans tomber dans la caricature franchouillarde (Paris et la côte d’Azur), ne serait-ce pas plus intéressant de présenter le Nord, la Bretagne ou le Sud-ouest (ou l’Ardèche) ? Les Allemands aiment voyager et n’ont pas peur des kilomètres mais peu s’arrêtent en Alsace sur la route de leurs vacances. L’argument de la région proche ne tient pas vraiment.

Nous avons repris notre routine.

Quelques jours plus tard j’ai reçu un un mail avec les dates de mes deux rendez-vous vaccins à Mainz (fin juillet et fin aout). Comme quoi quand on ne l’attend plus…. C’était une convocation impossible à modifier (sauf à produire un certificat d’hospitalisation ou de quarantaine) ou à honorer. J’ai reçu la confirmation par courrier : quatre pages A4. QUATRE ! Je l’ai annulée en ligne avec un pincement au cœur. Et si jamais ça ne marchait pas mon rendez-vous en France ? Il faudrait refaire l’inscription à zéro. Ma généraliste n’a toujours pas éclusé les groupes prioritaires.

Restons optimiste. Et comptons les jours avant les vacances avec le sourire. Plus de manuels scolaires, plus de notes. Les cours vont être plus décontractés d’ici la remise des bulletins en grande pompe. Pour leurs sorties de classe le 14 juillet, j’ai suggéré à mes filles de s’habiller en bleu-blanc-rouge.

Chers amis de France, d’Allemagne et d’ailleurs,

je vous souhaite un bel été, 

avec assez de changement d’air pour recharger les batteries !