Flagrants débuts

Voici un article écrit en réponse à l’appel à textes d’une revue. J’avais trop envie de le partager avec vous, ma fidèle équipe.

Je le dédie à toi, mon amie que j’ai connue au foyer.

(Je vous laisse deviner le sujet imposé.)

Aller Anfang ist schwer, doch ohne ihn kein Ende wär‘. Tous les débuts sont difficiles, mais sans début pas de fin.

À chaque soubresaut de la vie, ce proverbe allemand me le rappelle : la difficulté est passagère. Je l’ai découpé dans un magazine en VO. Etudiante toute neuve, je viens alors d’entrer en classe préparatoire à Lyon. Je comprends peu à peu à quel point il va me falloir travailler pour répondre aux exigences des concours. Collé sur le miroir au-dessus du lavabo, ce coin de papier me fournit en espoir à chaque brossage de dents. Demain sera plus facile.

Le changement de vie lié au début des études m’enivre. Certes c’est dur, mais on me dit que ça en vaut la peine. Il s’agit pour tenir le coup de se rassurer (merci proverbe). Et de se motiver. Ce sera la mission d’une autre citation, publicitaire et en anglais cette fois, aimantée au-dessus du bureau. I want. I can. Je veux, je peux.

Je ne demande qu’à croire mes bouts de papier.

Cette année je cohabite avec Marie, le regard turquoise sous des boucles mobiles. Nous partageons une chambre au deuxième et dernier étage d’un foyer tenu par des religieuses. Nous avons toutes deux quitté notre campagne méridionale pour le bruit gris d’une métropole, au nord du quarante-cinquième parallèle. J’ai troqué mon nid avec vue sur des falaises dorées pour notre dortoir de poche.

Quarante jeunes filles logent dans cette maison bourgeoise. Dociles, nous suivons avec bonhommie les nombreuses règles. Manger à heure fixe, ne pas sortir le soir :  faire autrement ne nous viendrait pas à l’esprit. On n’a pas le temps. L’évasion se limite à descendre en cachette l’escalier interdit en face de notre porte. Et à chanter à tue-tête ‘’La bonne du curé’’ d’Annie Cordy en dansant sur nos lits. On s’amuse d’un rien quand on sort peu la tête des bouquins.

Marie et moi découvrons ensemble les exigences de la classe préparatoire, la vie en étages et en collectivité, loin de nos familles et de leurs grandes maisons nichées dans la verdure. Jeunes et jolies, bien dans nos corps toniques, nous avons la vie devant nous, la tête bourrée de savoir tout frais. Nos convictions, à peine recyclées de celles de nos parents, se complètent. À nous deux, la vie ! Nous, on sait.

Avec le changement d’heure de fin octobre, une ardoise blanche couverte d’une écriture ronde au feutre rouge est apparue en bas des escaliers de bois : fermer les volets à 17 heures au plus tard.

À 17 heures, Marie et moi ne sommes pas encore rentrées de nos examens oraux. Nous profitons des quelques minutes de trajet comme d’une bouffée de liberté. Nous humons l’air du soir et cherchons, entre les émanations de pots d’échappement, le parfum de cours d’école des feuilles de platanes. Nous courons dessus exprès pour les entendre craquer. Elle comme moi aimons le grand air. Nous avons tellement besoin de l’extérieur que, dès notre arrivée au foyer, nous avons ôté les voilages de notre fenêtre. Pourquoi cacher les branches rondes d’un tilleul ancien et, au-delà de la rue étroite, la blancheur passée d’un immeuble ?

Le sort de l’ardoise est scellé d’un haussement d’épaules. Ça doit être pour le chauffage. Encore un truc des sœurs pour faire des économies. Déjà qu’elles nous font manger des patates à tous les repas. Les radines, elles exagèrent !

Alors bien sûr, nous ne fermons pas les volets à la tombée du soir.

Marie s’en charge à minuit quand elle se couche. Une fois en pyjama, elle ouvre la fenêtre dans une langue d’air frais.  Les battants de métal en accordéon claquent dans la nuit. Elle s’endort sous sa couette Snoopy, cousue par sa mère. J’étudie encore pendant deux heures dans le halo silencieux de ma lampe de bureau. C’est moi qui ouvrirai les volets juste avant sept heures. Je tâche d’être la première aux douches.

Un soir de fin novembre, vers minuit, je suis penchée sur un cours de philo. Ma petite lampe blanche est déjà allumée pour contredire l’ombre du plafonnier. J’entends des froissements de tissus dans mon dos. Comme tous les soirs, Marie se prépare pour la nuit en silence. Je ne la vois pas.

Tout d’un coup, un hurlement jaillit derrière moi. Je sursaute.

GROS DEGUEULASSE !

Alertée par son cri, je me lève d’un coup. Ma chaise repoussée violemment claque. Le parquet résonne.

Marie en culotte, tente d’une main de dissimuler sa poitrine nue, et de l’autre dresse le poing dans un geste menaçant.  

Vite, un pull pour se cacher. « Là… y’a quelqu’un !»

Guidée par son regard et son index accusateur, j’ouvre la fenêtre et me penche dans le silence d’encre. La façade d’en face est sombre, à peine éclaboussée par la lumière des réverbères. J’ai juste le temps d’apercevoir à une fenêtre, dans l’interstice étroit entre le mur et un rideau à peine entrouvert, calé sur le rebord, un regard coupable d’homme mûr.

Nous hésitons entre choc et rire. Les voilages punis dans l’armoire retrouvent illico leur fonction. Désormais nos volets seront clos chaque soir dès notre arrivée.

Gonflées de l’envie de vivre, confiantes en notre interprétation des gestes du quotidien, nous avons offert à des yeux pervers l’effeuillage d’une jeune fille encore mineure. Une poitrine neuve dans le cadre lumineux de la seule fenêtre éclairée de toute la façade.

L’ardoise des religieuses, caution de quarante vertus et de leur établissement, avait voulu nous protéger. Aveuglées par l’arrogance de la jeunesse, persuadées que les sœurs, pfff, ça ne connaît rien à la vie, nous avons dédaigné le conseil. Dans le claquement métallique des volets, notre apprentissage, échappé des murs du lycée nous a rattrapées. Ce soir-là nous avons senti le coup de balai dans les copeaux de notre innocence. Nous avions commis une erreur de débutantes.

Bien sûr ce n’était pas la première. Ni la dernière.

Pourtant quand on avance dans la vie, les débuts se font plus rares. Les premières fois deviennent précieuses, même si elles restent difficiles.

À l’occasion d’un déménagement récent, j’ai à nouveau cherché du soutien dans le proverbe de ma jeunesse. Tous les débuts sont difficiles… Pas besoin de le coller sur un nouveau miroir, je le connais par cœur. Il est d’autant plus approprié qu’il s’agit d’une installation familiale en Allemagne, dans une maison sans volets.

L’expatriation offre un nouveau départ dans chaque geste. Se repérer dans une culture différente, comprendre les habitudes. Les erreurs de débutantes sont légion et on s’en rend vite compte : les Allemands aiment rappeler leur prochain à l’ordre. On ne marche pas sur la piste cyclable. Mais le principal intérêt de ce franchissement de frontière reste le coup d’éponge sur l’ardoise du passé. Personne ne me connaît, je peux être qui je veux. Bien sûr je serai cataloguée comme ‘’la Française’’, dans un bouquet de clichés. Je préfère ne pas trop les découvrir, pour mieux m’en affranchir.

Loin de nos repères et de nos amis, les premiers mois à l’étranger sont difficiles. Mais ils offrent chaque jour une aventure. Ils nous rendent le droit de nous tromper. Et surtout, ils nous permettent d’apprendre.

Si c’était ça le charme des débuts ?

Merci à mon mari et à mon fiston pour leur relecture attentive.

Energies gaspillées (non renouvelables)

Comment se préserver des agressions extérieures quand elles s’infiltrent tous les jours via nos écrans ? Pour les hypersensibles ça relève de la survie.

Ferme le robinet quand tu te brosses les dents ! Arrête le radiateur quand tu ouvres la fenêtre ! Eteins la lumière quand tu sors !

Préserver l’eau et l’électricité, économiser l’argent qui les paient. La leçon est connue. On reste vigilant. Pourtant une certaine énergie devient de plus en plus difficile à préserver : celle qui nous sert de bouclier contre la boue répandue dans les médias au sens large. Morts aux cons… Vaste programme (mon père). Et tant pis pour la solitude (mon prof de philo de prépa).

Certains ont un pouvoir de nuisance plus élevé que d’autres.

Mon fils m’a tracé une courbe sur un petit calepin : la montagne de l’imbécillité (sic – on a beau avoir fait hypokhâgne et khâgne, on a toujours besoin de mettre deux L aux imbéciles, peut-être pour qu’ils soient plus légers à supporter – et là je peux utiliser le ‘sic’ comme il faut, c’est lui qui m’a corrigée). En abscisse : la connaissance, en ordonnée : la confiance. La courbe dessine la bosse d’un dromadaire avant de remonter en pente douce, après la vallée de l’humilité. Le nom savant c’est l’effet Dunning-Kruger. Rappelez-vous Michel Audiard : ‘’Les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnait’’.

Ne suivez pas mon regard. Les cons pullulent hélas. Trop près de nous parfois : on est toujours le con d’un autre. M’enfin…

Quand je vois l’énergie qu’il faut dépenser, et l’argent gaspillé tout ça parce qu’un jour un politicien ambitieux et peu scrupuleux des conséquences (pardon pour les pléonasmes) a proposé la baguette magique du Brexit pour résoudre tous les problèmes. L’énergie pour rétablir (un peu) les faits quand la personne à la tête du pays le plus puissant du monde passe son temps à mentir. Celle pour colmater les brèches dictatoriales dans la démocratie. Quel gaspillage de tous les efforts de construction des générations précédentes comme s’ils étaient acquis. Gaspillage de temps, d’argent, de notre patience. Quelle insulte au bon sens de leurs électeurs !

Mainz, dans une ruelle

J’essaie de me préserver au maximum des réseaux sociaux.

J’ai une image très négative de Twitter où je n’ai aucune envie de tremper les neurones. Facebook m’a rebutée quand j’ai créé une page pour mon atelier de peinture sur céramique voilà quelques années. Bilan, je ne suis présente que sur Instagram et encore du bout des doigts. Son côté créatif, esthétique et gai me plait… dans le respect des doses prescrites. L’uniformité lisse est insidieuse. La toxicité s’insinue dans les atteintes à la confiance en soi. Une goute par ci, une goutte par là. L’acide de la perfection des autres ronge la peau.

La vitrine des apparences sur écran est encore pire que dans la vraie vie. Là où on se comparait malgré soi à un ami, un collègue, un voisin, on peut se mesurer à la terre entière. Une terre sans aspérités et homogène, jeune et en bonne santé. Peuplée de petits chats et de jolies filles (peu habillées). Je cherche à apprendre : dans les dix trucs pour améliorer sa présence Instagram il est conseillé de poster des photos de son chien. Vraiment ?

(Non ça ne me suffira pas à céder aux supplications de mes filles).

Soucieuse de préserver mon cerveau hypersensible de conséquences démultipliées, je filtre énormément. Mais l’autre jour tentée par un site créatif, je me suis laissé happer par des photos dignes de magazine, des réalisations à mon goût… Ma raison a beau eu me chuchoter de me méfier des apparences, j’ai posé mon téléphone avec amertume.

Vilaine jalouse.

Ça n’est pas très agréable comme sensation vous imaginez. Ni de se regarder devenir comme cela.

Le Rhin à Budenheim, samedi

Je filtre mais même sur la page de l’actrice anglaise, Miranda Hart, mon gourou en authenticité j’ai été choquée. Pas par elle, non, car c’est la seule personne dont j’ai connaissance qui accepte de se montrer ”pour de vrai” le cheveu gras ou mal habillée. Elle le fait ostensiblement sur sa page pour contrebalancer les mensonges par omission de la planète. Elle partage des sensations qui semblent sincères. Même s’ils viennent pour son humour, ses fans restent pour sa vulnérabilité assumée. Elle les touche au cœur.

Donc là, sous un de ses posts, j’ai lu une de ses réponses (bienveillante, ouverte) à quelqu’un. Intriguée, j’ai lu le commentaire (pof glissade dans le piège insidieux des réseaux sociaux : toujours plus, et même vers des destinations que l’on souhaite éviter). Et là je suis choquée : une Américaine avait écrit dans une forme raisonnable des arguments qui l’étaient moins. En substance : J’en ai marre d’être considérée comme une méchante parce que je vote républicain.

Non.

A un autre moment de l’Histoire oui mais aujourd’hui, non.

Trop facile.

Quand un charlatan monstrueux a eu quatre ans pour montrer son pouvoir de nuisance, on ne peut pas se cacher derrière la couleur de son bulletin de vote. 70 millions de gens ont pourtant voté pour lui. Mon mari dans une démarche scientifique cherche à savoir pourquoi : il réfléchit. Mon analyse politique est plus expéditive. Ce sont des gens irresponsables qui ne réfléchissent pas plus loin que le bout de leur fusil pistolet (un fusil c’est encore trop long). Des gens qui osent tout. La proportion donne le vertige.

Le Rhin, en face, un autre samedi.

Là ma raison revient à la charge : tu veux t’améliorer sur Instagram ? Tu veux être likée par une majorité molle ? Celle que tu fuis au quotidien parce que tu ne t’y sens pas bien ? Tout ça pour le petit boost d’endorphine ? Et en refusant de tricher ? Ressaisis-toi. Miranda peut se le permettre grâce à sa côte d’amour gagnée par son talent d’humoriste. Toi si tu y vas franco tu vas juste faire peur.

Non mais tu comprends, je lui réponds (ça discute beaucoup dans ma tête, pffff), j’essaie juste d’apprendre les codes de mon époque. Pour ne pas être trop has been avec mes filles (mon fils, lui préfère les bouquins aux écrans qu’il ne fréquente pas). Rentrer dans une case ? Encore ? T’en as pas marre d’essayer ? Ça ne marche jamais et tu t’en sors avec des cicatrices.

OK, OK.

J’essaie de rester authentique dans mes écrits et mes publications. Tant pis si ça ne rentre pas dans les photos carrées d’Instagram. Ni dans les algorithmes de Google.

Mais le mal sournois s’insinue à mon insu. Chaque jour je reçois plusieurs commentaires à mes articles. Ecrits en anglais, ils semblent venir de sources aux graphies exotiques. Des mails qui parlent de toute la boue (plus ou moins légale) vendue ailleurs et pointent grâce à des liens vers ces sites. Tous les jours je consacre de longues minutes à trier et jeter. Je gaspille du temps et de l’énergie.

Je reçois aussi des inscriptions de gens inconnus aux noms aux consonances anglophones (curieux à la longue sur un site en français) et aux adresses mail sans jamais aucun rapport avec le nom. Au début j’étais contente de cette progression. Depuis juin, plus rien de louche. Ah, WordPress a dû faire une mise à jour. J’ai testé une adresse mail dans Google : Norton a clignoté comme un arbre de Noël : site dangereux.

Je me suis renseignée. J’ai appris (ce que vous savez déjà sûrement) que les commentaires malintentionnés étaient fréquents sur un blog et qu’il existait des filtres à activer (et à payer). Je l’ai fait. J’ai aussi supprimé tous ces faux abonnés. Un poids délétère s’est envolé de ma poitrine.

Gardons notre élan pour créer plutôt que pour se préserver des assauts malveillants du monde entier qui entrent sans frapper. Au moins avec les pubs dans la boite aux lettres ça reste bon enfant et local. On s’en tient aux pizzerias du quartier. Un petit carré de papier collant nous protège : Keine Werbung bitte, danke (pas de pub svp, merci).

Dans une vie grillagée de contraintes coronesques, c’est agréable de se sentir libre d’écrire tout cela. La pensée et la parole comme derniers espaces de liberté.

L’autre matin dans un élan de courage du début de semaine, et aussi pour m’occuper pendant que je grignotais mes tartines (pain archi-complet et pate d’amandes), j’ai voulu regarder les titres des journaux. J’ai tapé lemonde. Les merveilleux algorithmes de mon moteur de recherche m’ont proposé des tas de recettes de boissons au citron (lemonade). J’ai pu atterrir avec un sourire acidulé sur la une du Monde. Je n’ai lu qu’un article, dilution du sourire. Emmanuel Macron regrettait, dans son hommage à Samuel Paty, la timidité des condoléances de pays étrangers censés partager nos valeurs de liberté d’expression. J’avoue (comme dirait ma fille 500 fois par jour) que j’ai été surprise par les articles que j’ai lus dans la presse britannique sur le sujet. Timorés au point d’être ambigus. La séparation de l’Eglise et de l’Etat reste un concept exotique et progressiste même pour nos voisins démocratiques.

Novembre en ciel

Et pourtant…. A l’échelle de notre quartier, l’Allemagne, a rendu hommage à Samuel Paty.

Oui l’Allemagne, où il faut déclarer sa religion à la mairie lorsqu’on arrive (pour se voir attribuer les impôts associés). Au Gymnasium de nos filles, à la rentrée des vacances d’automne, un message du directeur au micro général a demandé à toutes les classes, du CM2 à la terminale de faire une minute de silence. 1100 minutes d’adolescents et 120 minutes de professeurs. Ça m’a beaucoup touchée. Les filles aussi bien sûr. Elles n’étaient pas au courant. D’habitude nous essayons de traduire les événements importants en langage édulcoré. Mais là nous n’avions pas encore pu. Déjà que notre benjamine ne veut pas rentrer en France par peur des attentats…

Source en cabane

Je ne devrais pas recevoir de commentaires désobligeants de la part de ceux qui redoutent la liberté d’expression. Mes articles sont classés « rouge » par mon logiciel : « ne peuvent pas être compris par des enfants de 11 ans ».

Permettez-moi de conclure sur une citation du Marquis de Sade que j’aime beaucoup : « Tous les hommes sont fous, et qui n’en veut point voir doit rester dans sa chambre et casser son miroir. »

Ça tombe bien, dans ma chambre y’en a pas de miroir.

Chambres avec vue

Enfin, plus ou moins… Quelques jours de vacances dans la forêt vosgienne = deux semaines de quarantaine. Serions-nous partis si on l’avait su ?

ACTE UN ~ En Lorraine – Jeudi

Une chambre d’hôte dans la forêt vosgienne, dans un corps de ferme en pierres rouges du XVIIIème siècle. Des coccinelles se promènent égaillées au plafond et sur les murs. Par la fenêtre, les douvent d’un étang ni vert ni noir retiennent les sapins qui dégringolent de la colline. Entre les troncs, on aperçoit le mur lie-de-vin d’une maison borgne. Le soleil se couche. Quelques rayons éclaboussent le mur du fond de la chambre. Il fait bon. Une femme est assise sur le lit.  Vêtue d’un jean et d’un pull de laine bleue marine, elle tient entre des mains trop proches un ouvrage de tricot beige hérissé de courtes aiguilles de bois (oui encore, un béret ce coup-ci). Un homme en jean et gros pull bordeaux au col zippé se tient debout appuyé contre le mur. Il tient une tablette. Son regard est grave.

Lui :       Mince (alors) ! depuis qu’on est partis, le nord-est de la France est passé en zone dangereuse pour l’Allemagne.

Elle :      Zut ! qu’est-ce qu’il faut faire alors ?

-Attends je cherche.

Il consulte un site web. Un autre. Une troisième. Tous officiels. En allemand, avec leur traduction en anglais. En français.

-C’est pas clair. Il semblerait qu’on doive se mettre en quarantaine.

-Zut ! Et le test ?

-Le test ça n’a pas l’air obligatoire quand on est en quarantaine. En tout cas pour le Land de Rheinland-Pfalz. L’ambassade de France dit qu’il faut les deux.

-Les deux ? Mais on est perdus dans la forêt. On n’a vu personne ou presque. Bon, certes ceux qu’on a vus se tapaient la bise comme au bon vieux temps-de-l’an-dernier, et se serraient dans les bras à pleine bouche. Et les masques n’ont pas l’air d’être à la mode. Mais on en est resté loin… Et si on la fait pas, la quarantaine ?

– 25.000 euros d’amende.

– Par personne ?… Ça fait cher la balade.

– Yep ! on va la faire donc. Rester chez nous.

– C’est pas un peu excessif ? 1000 euros d’amende ça aurait suffi pour dissuader de trainer dans les restaus non ?

Au passage de la frontière, entre la zone commerciale de Forbach et la forêt palatine, la route est dégagée. Pas de véhicule de police, ni de distribution de formulaires de déclaration. Pourtant nous nous sentons comme des bandits de grand chemin. Des trafiquants de sardines au piment et de chasselas de Moissac, de romans français.

ACTE DEUX ~ A la maison – Mainz – Dimanche

Elle :      C’est bien joli la quarantaine, mais comment on va manger ?

Lui :       On a rapporté pas mal de nourriture de France, non ? Les ravioles, les tielles, la soupe de poisson, le cresson, les kilos de fromage, les Figolu et les madeleines, le chocolat à cuire, les châtaignes…

-Et les savons surgras et le dentifrice qui pique. Au moins si on n’a rien à manger, on sera propres ! Hi, hi. Ils disent quoi sur les sites web : on a le droit d’aller faire les courses ?

– C’est pas très clair. Il semble qu’il faille demander de l’aide aux voisins ou aux pompiers.

– Ah ouais je me vois bien … “Allo, les pompiers on voudrait quatre wiener Schnitzel mit Pommes“… On va faire une commande en ligne.

Les seuls camions de livraison de denrées alimentaires que nous ayons croisés dans le quartier sont ceux d’une chaine de produits surgelés – et encore rarement. Nous n’avons pas de congélateur.

– Regarde sur le site de Rewe. Il me semble qu’ils font des livraisons.

Des supermarchés Rewe y’en a plein autour de chez nous.

-Ah oui. Je prépare une commande… De la viande, des légumes, des fruits… C’est bon. Maintenant la livraison …. Arrrgh il n’y a aucun créneau disponible pendant deux semaines. Ensuite les dates s’arrêtent.

-Non ! Incroyable ! si on est coincés ici à Noël on a intérêt à anticiper nos commandes dès maintenant, sinon, les Allemands vont nous court-circuiter la dinde… Regarde Edeka, ou Real

J’ai vu des gens sortir du supermarché avec des décorations de Noël en branches de sapin début octobre.

-Non, eux ne font pas de livraison du tout

-HEIN ?

En France nos denrées sèches nous étaient livrées tous les mois au 6ème étage avec le sourire.

-Alors comment on fait ? Je propose de garder la carte ”voisins” pour le jour où on sera tous malades et coincés à l’intérieur. On envoie les filles ? Elles adorent ça, faire les courses. Elles sont restées en Allemagne, elles ne sont pas en quarantaine…

Notre seuil va bientôt se transformer en jungle

-Pas vraiment cohérent, tu ne trouves pas ?

-Non.

Elle ajoute en chuchotant :

-Mais on va pas s’appesantir là-dessus si on veut manger autre chose que des boites pendant deux semaines.

ACTE TROIS ~ A la maison, encoreLundi après-midi

Il raccroche sur une conversation professionnelle et sort de sa chambre-bureau pour une tasse de thé noir fumé. Les mains autour de son mug, elle hume la vapeur brûlante.

-Je viens d’échanger avec un collègue français. Il parait qu’il faut qu’on se déclare aux Autorités.

-Mince… pour qu’ils puissent venir nous mettre une amende si on n’est pas chez nous ?

-Il semblerait.

-Tu crois que la quarantaine commence à la date de déclaration ou à celle du retour dans le pays ?

Heureusement qu’on rentre de vacances en forêt. Parce que là, attaquer l’hibernation violemment, après une telle prise de tête pfffffff…. Ça ferait presque râler. Nous voilà punis, privés de sortie. Les feuilles dorées des peupliers par la fenêtre de notre chambre nous narguent. Elles vont tomber sans nous. Grrrr… moi qui adore le mois d’octobre et les promenades au grand air.

Le Ministère de la Santé allemande fait des communiqués sur Instagram pour encourager à prendre soin de son équilibre nerveux… On n’est pas aidés par les instructions absconses et contradictoires. Comment être équilibré quand on est privé de liberté et de nature ? Argumentez, vous avez 4 heures.

Une promenade seule dans la forêt franchement, quel risque ? Heureusement qu’on a fait des stocks de bouquins.

Recroquevillés sur notre quotidien franco-anglais, nous n’avons aucun contact avec l’extérieur. On pourrait être n’importe où, si on n’entendait pas des mots allemands dans les bouches des filles avec un pic aux alentours de 17 heures. Pour les devoirs.

ACTE QUATRE ~ A la maison, toujours – Mardi après-midi

Les filles viennent de rentrer du collège. Debout dans la cuisine elles grignotent leur madeleine en se versant un jus d’orange. Assise à table, je lis un cahier de ma plus jeune. Mais les devoirs ce sera pour plus tard.

-Les filles vous voudrez bien aller faire les courses s’il vous plait ? Sinon on ne va rien manger…

-Oh oui, fais des pâtes !

-Sérieusement, vous pouvez y aller ?

-Oui, oui. En vélo ?

On frappe à la porte. Sans doute un colis pour nous ou le voisin.

« SURPRISE ! » Il lève les bras au ciel, son sac sur le dos. Il ne porte pas de manteau.

Il nous faut un quart de seconde pour accepter ce que voient nos yeux. Oh c’est mon grand garçon / mon grand frère ! Il nous a fait la surprise ! Une fois son test négatif réalisé, il a réorganisé ses vacances pour passer quelques jours avec nous. CHOUETTE ! Merci !

Génial !

-Alors toi aussi tu es en quarantaine avec nous donc ?

-Oui. Mes deux tests négatifs ont plus de 72 heures.

(Pas beaucoup plus et il est resté planqué en attendant les résultats).

-Tu t’es déclaré aux Autorités ?

-Oui dans le train ils ont fait une annonce. Je l’ai fait en ligne.

-Allez les filles en piste pour les courses, voici la liste, les sous (ouf, heureusement que j’avais fait un retrait avant de partir). Non pas de bonbons pour Halloween. On en a rapporté de France.

Pas de trucs lourds non plus. Le lait, le jus, le papier et l’encre pour l’imprimante on l’achètera sur Amazon, hélas.

EPILOGUE ~ A la maison… si, si. Mercredi

La courbe du corona perce la stratosphère. Angela Merkel ferme les restaus et les piscines, et autres lieux de détente et de plaisir, à compter de début novembre pour un mois. Le soir, entassés sur le canapé, nous écoutons religieusement le discours d’Emmanuel Macron (tablette + VPN). La question porte moins sur le confinement que sur les modalités et la durée.

-Tu veux pas rester un peu plus longtemps mon grand ? Si les choses sont comme au printemps, au moins ici tu pourras sortir à plus d’un kilomètre et pour plus d’une heure.

Enfin, pas tout de suite. Dans deux semaines seulement.

Il n’a pas voulu. Mais au moins on a pu fêter son anniversaire en famille, autour d’un gratin dauphinois, de confit de canard et d’une tarte au citron. Pour ne pas l’abimer on a planté les bougies sur un citron. La déclaration en ligne ne prévoyait pas de date de départ. Pourvu qu’en cas de contrôle, les Autorités comprennent la nécessité de repasser la frontière dans l’autre sens avant la fin d’une quarantaine.

Pour ma récréation demain, je sortirai les poubelles.

Tout rouge

Dimanche, début d’après-midi, une heure bizarre. C’est encore le temps du repos, de la détente. Le moment de profiter du clapotis du soleil dans les plis des arbres. Bientôt, plus tôt, viendra le soir, et avec lui l’empressement de terminer ce qui doit l’être avant de rattaquer la semaine. On retrouvera des réflexes, vider la quatrième machine du jour, ranger les mètres cubes de linge, préparer les cartables, éplucher les légumes pour la soupe. Pour l’instant tout est encore possible, même si l’envie dérive.

Cette heure en trop m’encombre. Mon corps hésite, entre besoin de repos postprandial et élan actif, bousculé par la contradiction entre son besoin physiologique et la lumière de la fenêtre. Aujourd’hui elle devance l’horloge. Une journée entre deux, comme quand on arrive en Angleterre.

Demain ce sera la rentrée scolaire en Rheinland-Pfalz. Mainz est passé en zone rouge pour le corona voilà deux semaines. Pour l’instant (touchons tout le bois disponible, les troncs de la forêt entière), les écoles sont ouvertes. Nouvelle injonction : l’obligation de porter un masque en permanence, même en cours. Les activités sportives des après-midis, qui regroupent des enfants de plusieurs classes semblent compromises. Pour des raisons de traçabilité, l’administration choisira sans doute de préserver les séparations entre classes. Tant pis pour la natation et la danse acrobatique, et les après-midis studieuses des parents.

Avec la reprise en vue, les mails officiels se bousculent. Des messages longs et bavards. La réunion parents-professeurs est maintenue mais en ligne. Au club de gym les groupes seront divisés : 5 enfants maximum dans le gymnase. Les leçons de chacun seront raccourcies. Les défilés de la Saint-Martin (à la tombée du jour, avec des lanternes) prévus début novembre sont annulés à Mainz. Le corona s’immisce un peu plus dans le quotidien.

Il a eu raison de notre regroupement familial pour les congés : le ‘’cas contact’’ est assigné à résidence. Mon fils a dû se faire tester deux fois en trois jours : une première fois pour préparer sa venue en Allemagne. Une deuxième fois sept jours après la rencontre d’un ami tombé malade. Annulation des billets de train. Décalage aux calendes allemandes de sa fête d’anniversaire. Ça donne envie de râler. De se fâcher tout rouge.

Avec mon mari nous nous sommes évadés dans une forêt. Entre sapins et épicéas, bouleaux et chênes. Entre quatre murs de pierres rouges, plusieurs fois centenaires, dans une chambre appelée ‘’la chambre du président’’ en souvenir du passage de François Mitterrand. Une cure de silence, de mousses, de tourbillons de feuilles craquantes comme la croute du gratin dauphinois. De parfum d’humus noir. Balades à la recherche de champignons tombés de livres d’images. Je guette les formes, les couleurs et les textures les plus inédites. Partout le parapluie de cuir rouge des amanites, violent et cocasse. Je cherche des lutins dans leur ombre. Les traces dans le lichen vert pomme au flanc du rocher sont-elles des empreintes d’elfe ?

Nous nous sommes adaptés à l’Allemagne : nos réflexes sont germains. Nous portons le masque partout, ne touchons personne. Pendant les vacances nous avons aperçu (de loin) des gens qui se font la bise. Comme si de rien n’était. Qui pensent que tout ça n’est qu’une mauvaise blague pour enquiquiner les gens.

Sur la place d’un village, le marchand de miel, un homme brun et jeune, avec quelques taches de rousseur nous laisse entrevoir son ventre. Il soulève son T-shirt et son pull pour mieux les glisser dans son pantalon. « Non mais vous vous rendez-compte ; ils ont annulé les marchés de noël, les foires. Qu’est-ce qu’on va faire nous ? Heureusement on vend un peu sur internet. Mais quand même ! Tout ça juste pour éviter que les hôpitaux soient saturés. Franchement… c’est pas un peu exagéré ? On ferait pas mieux de laisser mourir quelques personnes pour préserver l’économie hein ? » Il a fini de se brailler et remonte la fermeture Eclair de son blouson. Il ne porte pas de masque.

Les clients du marché en portent eux, mais s’agglutinent comme ils l’ont toujours fait. Comme des aimants de signes opposés. Nous fuyons : leurs frôlements me gênent, je n’ai plus l’habitude. Sur les marchés allemands c’est le contraire : les gens s’évitent comme des aimants de même signe. Gare à qui passe à moins d’1,5 mètre….

A une visite de contrôle récente, le pédiatre nous avait demandé pourquoi à notre avis les infections progressaient plus vite en France qu’en Allemagne. « C’est à cause des embrassades, non ? » « Oui sans doute », ma fille et moi avions répondu. Mais nous nous étions senties obligées d’ajouter, par solidarité ou chauvinisme : « Pourtant les Français qu’on a vus cet été ne faisaient pas la bise du tout, et ils portaient des masques ». Ces pratiques préventives ne semblent pas généralisées.

Ici à Mainz les gens et les caddies sont à nouveau sur les rangs. Une caissière a refusé à une amie un deuxième paquet de papier toilette. La psychose du printemps avait commencé plus tôt de ce côté du Rhin. Lecteurs de France, préparez-vous à ronchonner dans les supermarchés !

Au fond de la forêt, nous avons vécu une expérience nouvelle : une invasion de coccinelles. C’est un peu comme une attaque à main armée de la part d’un petit bonhomme de 4 ans, coiffé d’un heaume de carton, une épée en caoutchouc au poing. C’est charmant et ça fait sourire. Des centaines, des milliers de coccinelles sur la façade le la maison se chauffaient sur le crépi, tourbillonnaient au soleil. Des dizaines crapahutaient au plafond, sur les murs de la chambre du président, enfin, la nôtre. Le soir de notre arrivée, mon mari les a faites sortir une à une, équipé d’un verre et d’un dépliant de papier. Les troupes en armure de carnaval se montrant têtues, nous avons cédé, vaincus par le nombre. Les vrombissements minuscules nous ont bercé.

Nous avons récupéré nos filles à leur colo d’équitation dans les environs de Mainz. Ravies, épuisées et sales. Levées chaque jour en fanfare à 7 heures pour la corvée de crottin ou de paille, elles se sont lavées une fois en une semaine. Entre les temps à cheval, elles se sont frottées à des moutons, des poules, des chiens ou des lapins. Toute la ménagerie que nous leur refusons à la maison. En défaisant sa valise, ma plus jeune a retrouvé une chaussette évadée du sac de linge sale. Elle colle son nez dessus.

-Mmmm maman, sens, ça sent trop bon !

-Vraiment ? (mine sceptique et légèrement dégoutée)

-Oui ça sent le cheval ! On va pas la laver celle-là en souvenir.

-Si, si.

Les vacances s’achèvent donc. Des vacances sous le signe des petits points. Les blancs sur fond rouge des amanites tue-mouche. Les noirs-sur-rouge, jaune, orange, ou rouges-sur-noir des coccinelles en jubilé. Les pointillés désordonnés des insectes ronds sur le mur.

Tiens, ça me donne une idée de couture pour un nouveau masque. Si j’annonce la couleur (toxique) sur le museau, l’accès au rayon pâtes me sera-t-il prioritaire ?

Une histoire de nid

« Ils ont quitté le nid, sans le savoir vraiment, petit à petit vêtement par vêtement.» Bénabar dans sa chanson Quatre murs et un toit

Cette semaine nous avons le plaisir d’accueillir mon aîné et sa copine, pour quelques jours de vacances studieuses.

Il a quitté son domicile familial maternel (le nôtre) pour débuter ses études. Cela coïncidait avec notre départ en Allemagne. Après des années de garde alternée, il a pris pied dans un logement à lui, unique et permanent.

Nous avons emporté dans notre nouvelle maison les affaires qu’il n’avait pas choisies pour son studio : des cahiers de l’école primaire, des dessins, un télescope. Peu d’objets en somme. Les meubles, les livres, les vêtements sont presque tous restés à Lyon pour accompagner notre étudiant dans sa nouvelle vie.

Nous avons emballé dans des cartons les traces fugaces qu’il nous a laissées. Des souvenirs d’un passé révolu, comme tous les passés, du petit garçon qu’il n’était plus depuis longtemps. A Mainz, nous lui avons aménagé une chambre : de nouveaux meubles dans de nouveaux murs.

Brutalement nous n’avons plus eu le plaisir de le retrouver une semaine sur deux, ni de l’accueillir de temps en temps pour un déjeuner, une lessive, un week-end (trop loin Mainz pour un court séjour). Nous ne pouvions pas non plus nous recueillir dans son ancienne chambre pour une bulle de nostalgie.

Vacances de Toussaint par-ci, d’hiver par-là : chaque séjour à Mainz crée des souvenirs communs dans notre maison allemande. Sa chambre s’anime (autrement que pour servir de bureau depuis mars).

L’avantage d’avoir des enfants d’âges différents, c’est que leur départ de la maison familiale sera échelonné. On aura le temps de se préparer, de voir s’en aller chaque week-end, un livre ou un pull de plus.

On l’a vécu nous aussi au même âge. Partir avec un sac de voyage trop lourd, des affaires pour la quinzaine. Avec ses premiers sous s’acheter une machine à laver, une table et quelques chaises, un lit. Récupérer de vieux fauteuils et une télé en noir et blanc. Rentrer moins souvent.

Repères stables, à cette époque, nos grands-parents étaient ancrés dans une vie depuis des dizaines d’années. Une grand-mère à Avignon, des grands parents en Ardèche. Noël par-ci, Pâques par-là. Le festival, les rôties de châtaignes. On savait où on en était.

Aujourd’hui, pour cause de départ prématuré des grands-mères, les grands-pères refont leur vie. Ils changent de lieu de vie, sans vraiment déménager, sans le savoir vraiment, vêtement par vêtement. Et pourtant rien n’est plus pareil. Les maisons où leurs enfants ont fait leurs premiers pas, où leurs petits-enfants ont joué à cache-cache se taisent, se replient, s’assoupissent.

Nos repères côté ascendants s’effilochent pour nous comme pour nos enfants. A quoi tient l’âme d’une famille ? d’une maison ?

Aux pas dans le couloir du petit matin dans l’odeur des ficelles craquantes, au grincement de la poignée, au refus entêté du portail quand il pleut. A la porte entr’ouverte sur un courant d’air pour permettre à la flambée de prendre.

Le départ d’un être aimé impose un changement brutal. Avec les matins qui s’entassent sur les objets et les lieux, les transitions de celui qui reste, s’infiltre un changement plus insidieux, à peine perceptible. D’autant moins quand on vit à l’étranger. Les autres, ceux que l’on a quittés, avancent. Quand nous les retrouvons, notre absence est décuplée. La maison de Londres, celle d’Ardèche crépitantes de souvenirs abritent de moins en moins de vie. Chaque retour est un choc.

C’est une des raisons pour lesquelles nous avons pris la décision (avec le recul d’un séjour en France) de rentrer l’an prochain. Nous avons envie de nous ancrer quelque part, de nous enraciner, au sens littéral. Planter notre famille, entre quatre murs et sous un toit.

En déménageant en Allemagne nous nous sommes toujours dit que ce serait au moins pour 2-3 ans, tant que ça nous plairait. Nous ne sommes pas d’ici, ni l’un ni l’autre. Nous nous sentons en transition. Dans une famille où l’un des parents est de culture locale, l’enracinement pour l’autre se fait tout naturellement. Nous sommes habitués à notre environnement, mais nous nous restons tous les deux (tous les cinq) étrangers.

J’en ai discuté avec une amie la semaine dernière, de retour de la piscine. Elle aussi a vécu à l’étranger, au Japon, avec son mari. Au bout de quelques temps ils ont éprouvé un besoin de rentrer pour s’enraciner. Elle a employé le même mot.

Nous avons envie et besoin de construire un nid, pour nous et nos enfants avant qu’ils ne le quittent tous, vêtement par vêtement. De créer un jardin-refuge où gratter et creuser la terre et planter des fleurs entre nos racines.

(PS : Je n’allais tout de même pas vous mettre des photos de chaussettes !?)

La reprise (coulisses)

Retour de vacances en France, la rentrée au Gymnasium s’annonce, le travail a repris. Journées de transition.

Houhou !

Grands signes de la main.

Oh ça faisait longtemps que nous ne nous étions vus. C’est chouette de te croiser là.

Attends, je reviens, je vais juste rincer la terre de mes mains dans mon arrosoir.

Alors ces vacances ? ça se passe bien ? Contents de vous retrouver – ou de vous séparer après ces mois de vies superposées ? De quitter les quatre murs qui nous ont tous engoncés ?

Oui, oui nous ça s’est très bien passé merci. Nous venons juste de rentrer. De France oui. Une cure d’arbres et de reliefs, de paysages variés. Beaucoup de kilomètres, oui. Et le plaisir du parler-facile. Du laisser aller au fil de l’eau de journées tissées par les marées et les méandres de rivières, les bouillons blancs ou noirs des torrents (avant / après la pluie), les orages de montagne.

Nous avons retrouvé un jardin croustillant, comme au sortir du four, alors que la canicule frappe au thermomètre. Je pensais devoir traverser une jungle et sortir la tondeuse (manuelle, pour nos quelques mètres carrés), et bien non. Juillet a été très chaud et sec à Mainz.

J’avais planté comme une forcenée au printemps, dans un élan d’activité sur place, pour fleurir notre coin de planète, celui que par la force des choses, nous ne pouvions guère quitter. Je me doutais bien que tout ne résisterait pas à l’été. Les cosmos chocolat ont cramé comme beaucoup de leurs copains de massif tout plat. Donc je déterre, je ratisse les feuilles sèches, je taille ce qui pourrait être sauvé. J’arrose. Le lilas qui pendouillait, le cerisier qui jaunit, le gazon… Dans les pots abrités au nord d’un mur c’est la jungle. Le papyrus prend des allures arborescentes, l’arbuste que je ne connais que de vue, enfle et gonfle ses boutons en fines grappes coniques. L’environnement, hein, les conditions de vie… C’est important, faut faire attention où on plante, où on s’enracine. Si on veut que ça prenne…

A défaut de prendre racine, moi j’ai pris une résolution, tu sais : ne pas lutter contre la nature (une terre de remblai, sèche et récalcitrante, encore plusieurs semaines de grosses chaleurs), ni contre ma nature. Je vais planter tout de même, mais peu et dans du terreau de qualité. Je les placerai dans des coins qui se sont révélés propices à la vie végétale malgré le délaissement. Je chouchouterai ces quelques pots, comme le plant de kiwi que m’a confié une amie-artiste-voisine avant de partir en Suède pour un an (snif, elle va me manquer ; je lui enverrai des photos de ses 4 kiwis à maturité). Faire avec les conditions, accepter de ne pas toujours réussir, ne pas toujours accepter, se laisser porter par le courant…

Le courant du moment, c’est la fin des vacances qui chahute avec le flot du quotidien. C’est la reprise. Celle de la couturière qui raccommode des vies actives par-dessus la parenthèse des congés, le quotidien allemand de part et d’autre de congés en France. Nous entamons la 5ème semaine sur les 6 que comptent les vacances d’été allemandes. La semaine prochaine les filles rattaqueront en douceur avec des cours de maths et d’allemand proposés en matinée – sur la base du volontariat – par la ville de Mainz. Une forme de compensation des semaines d’abstinence scolaire confinées. Le ministère de l’éducation de Rhénanie-Palatinat s’en félicite sur des panneaux publicitaires 4x3m.

Et moi aussi. Quelle initiative opportune ! Les enfants vont pouvoir reprendre le rythme tranquillement, et libérer les lieux ensemble CINQ MATINEES D’AFFILEE ! Ce n’est pas arrivé depuis début mars…. Si j’enferme mon mari sur ses téléconfs, je m’octroie quelques heures de paix et de silence ! Inespéré après avoir eu l’impression d’être de garde 24/7 pendant 4 mois.

Lors de notre dernière étape, à la montagne en Haute-Savoie (au bout du monde littéralement), mon regard a été attiré sur la porte d’un buraliste-bibliothèque-bureau de poste-salle d’expositions par la une de Marianne : « Confinement + vacances : Libérez-moi de mes gosses ! ». On les aime plus que tout hein, nos enfants, mais on prie tous les dieux (et ministres) de l’éducation que les cours reprennent normalement mi-août. Matins ET après-midis avec les AG siouplait.

Les AG, ces clubs organisés par les collèges, proposent des activités variées aux élèves. En CM2 (5. Klasse), ma benjamine en aura deux par semaine, en 4ème (8. Klasse) ma grande, une seule. Elles ont émis leurs vœux en juin choisis dans un catalogue de plusieurs dizaines de possibilités (couture, danse acrobatique, arts plastiques, basket…) et attendent les affectations. Si elles ont toutes les deux danse, elles pourront faire partie du même spectacle (avec une centaine de jeunes, une chorégraphie travaillée, des acrobaties impressionnantes : grand écart porté, pyramides de minettes…). La prof est extra, la représentation de l’an dernier formidable ! On verra.

En attendant, la logistique de la rentrée se précise. La reprise donc, mais pas celle de la musicienne, qui rejoue le même passage à l’identique.

Lors de notre arrivée ici voilà deux ans, nous avions dû plonger tête la première dans le grand bain de paperasses alors incompréhensibles pour une rentrée le 6 aout. Cette année, on souffle : la rentrée scolaire de notre Land est plus tardive (elle est décalée d’une semaine chaque année, pour alterner les périodes entre les Länder). Ensuite pour commander les livres maintenant ON SAIT : pas de commande en ligne au petit bonheur grinçant avec récupération à perpette en ville. Non. Je suis allée hier avec plaisir à la librairie pour enfants du quartier, j’ai tendu ma liste à la libraire. J’irai chercher le paquet demain. Et voilà. Un truc de rayé sur la liste (sauf le bouquin de physique, pour lui faudra retourner).

Côté administratif c’est pareil : on a compris le pourquoi du comment, les comptes en ligne (pour les divers prestataires : casiers, cantine, livres loués par la ville) sont déjà ouverts avec nos références bancaires. Ça devrait être plus rapide. Le badge de cantine est arrivé, celui que nous avions attendu si longtemps il y a deux ans (et qui avait condamné notre fille aux sandwiches plusieurs semaines).

Il restera à acheter un cartable pour ma plus jeune. Elle a été ravie de donner l’ancien en fin d’année scolaire (et d’école primaire) pour une opération caritative à destination d’une école du Malawi. Elle avait rempli le cartable de fournitures, et écrit une lettre pour l’enfant qui recevra son sac à dos. Et hop une bonne action (et le droit d’avoir un cartable neuf pour le collège, hein ?).

Nous descendrons donc en ville acheter le cartable. Nous y retournerons pour les fournitures quand les profs auront donné leurs listes. Rien trouvé de plus simple (les supermarchés du coin n’ont pas de papeterie scolaire, et je préfère acheter local). Mais au moins cette année, on sait où aller, à quel article correspond chaque mot et où manger une glace en sortant.

Si tu veux tu pourras nous y retrouver.

C’était sympa de te croiser. Prends soin de toi et de ton été.

Ah et tu sais, j’ai trouvé des groseilles ce matin au marché. Cet après-midi, ce sera confitures. Je t’en ferai passer un pot.

PS : Tu sens ? Y’a une odeur bizarre dans la cuisine. Ma grande fille fait cuire au four des branches de bois. Elle les désinfecte avant de fabriquer des jeux pour sa gerbille et les nouvelles qu’elle va adopter. Elle est en affaires par mail avec une famille dans les environs de Mainz. Ils lui ont demandé une photo de la cage. Ils ne vont pas être déçus, avec le palace qu’elle a fabriqué.

Douce France

Cheeeeer pays de mon enfaaaaance (et de mon adolescence, vie adulte) …

Ah le retour dans un environnement familier ! Les petites choses prennent une saveur nouvelle, celles qui nous ont manqué comme celles qu’on avait oubliées.

La question des vacances est un sujet sensible pour qui habite à l’étranger. Faut-il partir à l’aventure dans un pays tiers ? Découvrir son pays d’accueil ? Rentrer dans son pays d’origine (et là pour nous la question se pose : en France ou en Angleterre ?). Bon l’Allemagne on avait déjà donné cette année, avec ou sans choix (Berlin à la Toussaint, et Mainz-à-la-maison à Pâques pour cause de coronassignation à résidence). Là nous aspirions à l’évasion. Comme Edouard Dutour l’a écrit dans un article humoristique sur les destinations de vacances (magazine Elle du 10 juillet 2020 – Ah lire Elle en été …) : « Folie, on envisageait parfois Bayreuth, jusqu’à convenir que passer des vacances en Allemagne, c’était franchir un drôle de cap. »

Donc nous le cap on ne l’a pas franchi et on l’a mis sur le Sud-Ouest. Objectif : tour de France des régions avec l’accent du midi, celles où on a des petits bouts de cœur accrochés. Un retour à nos sources, l’océan et l’Ardèche, et si possible une entrevue des sommets alpins.

A peine passée la frontière, mes filles ont ouvert la fenêtre de la voiture et crié à qui voulait entendre (personne en fait) : « ON EST FRANÇAIS ! ON N’EST PAS DES ALLEMANDS ! » (en référence à notre plaque minéralogique, qui pouvait prêter à confusion.)

Réadaptation aux conditions de vie d’avant – et aux nouvelles liées au corona.

Trop chouette de boire mon café du matin dans un bol, comme en Ardèche. A la maison nous n’avons que des mugs, exprès. Pour mieux savourer ces changements minuscules quand nous rentrons.

Entendre « Pardon madame » de la part d’un cycliste passé trop près de moi sur le trottoir. Je réponds « Ce n’est pas grave » – puisque je le pense. Mais je suis surprise par cette politesse (rare sous toutes les latitudes je suppose), mais surtout car ça fait bien longtemps que quelqu’un ne s’est pas excusé auprès de moi dans la rue. En Germanie, je reste sur mes gardes dans tous mes déplacements. Et si personne ne me dit rien, c’est que tout s’est bien passé.

D’ailleurs ici aussi mon fils et moi nous sommes pris une remarque de la part d’un automobiliste : « DE RIEN ! » Il s’était arrêté au passage piéton pour nous laisser traverser. D’habitude je fais un signe de la main – ne serait-ce que pour être sûre de son renoncement à me faire la peau. Mais là nous discutions et nous avons oublié ce salut sympathique. Le Français s’attend à des remerciements lorsqu’il daigne suivre le code de la route. L’Allemand s’insurge contre celui qui ne suit pas les règles par défaut, mais ne s’attend pas à un remerciement au passage piéton puisque c’est la norme.

Quel bonheur d’être en France ! De redécouvrir toutes ces petits choses tenues pour acquises et qui nous manquent tant quand on en est privé (à part la prise de risque inconsidérée quand on traverse). L’à peu-près. La douceur, la souplesse, la spontanéité, la tolérance pour les erreurs, les oublis. Bon ça ira pour cette fois, hein… Être dépaysé par le français entendu partout, dans la rue, sur la plage, les magasins. Surtout avec l’accent chantant du Sud-ouest.

Côté corona, des affiches collées partout montrent que l’information au moins est obligatoire. Pas de masque systématique à notre arrivée (jusqu’à lundi où la règle a changé – pourquoi cette interruption dans la protection ?), et pas de traçabilité. En Allemagne, du moins en Rhénanie-Palatinat, tous les lieux de ‘’séjour’’ (restaus, coiffeurs, piscines…) enregistrent sur des petits flyers les coordonnées des visiteurs. Et ce dans un pays très à cheval sur la conservation des données personnelles.

Nous on s’est un peu laissé aller au début. On s’est permis d’oublier le masque une ou deux fois pour les courses. Pas longtemps, juste dans l’élan du relâchement.

Avant d’arriver sur la côte atlantique une halte paisible de quelques jours en Dordogne nous a permis de couper la route et donner le la à nos vacances. Se reposer au vert, bien manger et faire du sport. Une auberge perdue dans les charmes, à l’aplomb d’une rivière paresseuse, au bout d’une route étroite nous attendait. Les yeux dans la canopée du vallon en contre-bas. Un p’tit coin de paradis tenu par un Anglais et une Française et leur fille. Des bâtiments en pierre blondes, des fleurs partout, un nid de rouge-queue dans le creux d’un chapeau accroché au mur en décoration, du gâteau aux noix du Périgord pour le petit déjeuner. Une chambre pour les trois enfants, de l’autre côté du jardin. Hé hé !

Nous avons descendu la Vézère en canoë pour certains et en kayak pour moi. Quelques heures de liberté relative. J’adore le kayak et les occasions d’en faire sont rares. Nous sommes partis avec notre pique-nique en bidons étanches. Ravis de découvrir ce paysage par un chemin d’eau. Un château élégant avec sa tour unique sur un éperon rocheux. Là dans la falaise, des campements préhistoriques, utilisés jusqu’au Moyen âge. Tiens une île de galets, juste en dessous de notre auberge dont on aperçoit un pan de mur dans la mer de feuillages. Et si on mangeait là ? on accoste, et se jette dans l’eau pour une baignade dans un semblant de rapide (j’veux pas me la jouer parce que je suis ardéchoise, surtout que les rapides de l’Ardèche par rapport aux torrents des Alpes c’est de la gnognote avec leurs trois kilomètres de plat après chaque escalier, mais là c’est franchement calme.). Alerte ! Une famille Bidochon a trouvé notre emplacement sympathique et a forcé ses canoës entre les nôtres. Se seraient-ils arrêtés là si nos bateaux ne leur en avaient suggéré la possibilité ? S’ils n’avaient pas eu besoin d’un public pour crier sur leurs gosses ? Ah l’instinct grégaire…  Donc cap sur le virage suivant pour déguster un premier melon estival et des rillettes de canard.

A l’arrivée de la descente, de petits groupes attendent déjà le prochain minibus pour remonter au lieu de départ. Une famille, un couple ou deux, trainent là fatigués…. Le mini bus arrive et nous nous faufilons avec tout notre barda pour trouver un siège. Tous, sauf une dame étrangère qui s’interrompt sur le point de poser un pied dans le véhicule :

Vous ne mettez pas de masque ? mais c’est TRES DANGEREUX !

Elle s’adresse à la collectivité, en français. Le petit couple vers la porte marmonne un « Ben nous on est comme ça » en haussant les épaules. Nous sommes tous ‘’comme ça’’, c’est-à-dire sans masque et dans un l’accoutrement approximatif de personnes qui ont passé la journée sur l’eau à pagayer, engoncés sous nos bidons étanches, sur un siège qui démange le postérieur humide. Et le “comme ça” nous va très bien. Nous sommes lâchement soulagés d’être assis au fond, moins concernés par la remarque car vaguement planqués. Et là je ressens un petit plaisir coupable : ça fait tellement de bien de ne plus être celle dont le comportement est minoritaire ! Yes ! Ici je peux la regarder avec la supériorité du nombre (à défaut d’une autre) la rabat-joie masquée !

Un monsieur québécois est plus malin que moi. Il intervient :

 –Vous avez un masque vous.

Oui

Alors pour vous il n’y a pas de problème, vous êtes en sécurité.
– ….

Elle monte.

Ce monsieur s’était déjà montré efficace et serviable lors du chargement des embarcations sur la remorque. Il nous avait aussi sauvé la vie en resserrant rapidement le frein à main du minibus qui commençait à glisser.

En quelques minutes, le comportement d’un seul individu nous avait donné un a priori très favorable sur tout une province. Comme celui de l’emmerdeuse (qui avait déjà interdit à son mari d’aider pour porter les canoés, alors que lui était volontaire – elle lui avait rappelé qu’il avait mal au dos, au fait) nous avait enlevé toute envie de connaître son peuple (non identifié).

A partir d’un échantillon de taille ”un”, on se fabrique toute une mythologie.

Nous plongeons avec délices dans celle que nous construisons sur la France sur les fondations de notre regard neuf. C’est la première fois que nous revenons aussi longtemps depuis deux ans.

Non mais t’as vu comme les gens sont sympas ! Ils blaguent (au sens méridional du terme) ! T’as vu comme c’est beau la France, comme c’est varié ! Au prochain confinement c’est sûr je veux être ici hein ! Coincée sous les pins à moins d’un kilomètre de l’océan.

Nous voyons tout avec des yeux d’amoureux éperdus, et lorsque nous parlons de notre vie à Mainz, les références à notre pays d’accueil sont masquées de biiiip pudiques.  Y’a pas à dire, c’est plus simple quand on se sent à l’aise dans les codes sociaux (et qu’on occulte sciemment que nous sommes dans des conditions de vacances).

A nous les coquillages et crustacés (ce qui me vaut de chantonner le refrain de la chanson de Bardot, au grand dam des oreilles des miens), le poisson tout frais, les cigales, les Gervita, et le piment d’Espelette. Le gâteau basque et les chocolats fins, puisque Bayonne est parait-il la capitale du chocolat depuis 400 ans. Les petites culottes de Monoprix et quelques T-shirts sportifs-chics, une robe rouge et un short vert.

Et surtout, des livres, des livres, des livres. Des kilos de livres. On a dévalisé la librairie de la rue en pente de Bayonne, au nom si charmant et aux critiques argumentées et sans ambiguïté (du type, pour un roman en vitrine : vous avez économisé 18,50 euros). Et aussi la librairie plus bas, vers les quais de la Nive. Et celle d’Hossegor. Les articles de papeterie mignons pour la rentrée, on s’en occupera en Ardèche (mon mari aussi achetait ses fournitures scolaires en France avant de rentrer en Angleterre). On n’oubliera ni saucisson ni crème de marrons.

Des kilos d’objets transitionnels pour survivre en terre étrangère : gastronomie, culture, mode. Les trois piliers de notre franchitude à transporter depuis le Sud. Car même la France de la lisière nord-est (la ‘’fausse France’’ comme dit ma fille) ne nous procure pas tout cela.

Nous rapporterons à Mainz les pots de confiture de cerises noires vides. Pourvu que le primeur ait toujours des groseilles et des cassis pour nos productions maison.

Je ne vous quitte pas sans vous annoncer une grande nouvelle. La discussion en famille d’hier (à la faveur de la prise de recul du voyage) a conclu : nous rentrons en France l’été prochain. Notre expérience allemande était prévue pour 2 ou 3 ans. Nous revoilà avec un nouveau projet où tout est à construire.

La France restera-t-elle aussi douce lorsqu’on y reposera nos meubles ?

La lutte avec l’ange*

Des adieux soudains au cœur de la lumière de l’été. La simultanéité du blanc et du noir, comme le yin et le yang enlacés, ou la difficulté de vivre ces émotions contraires.

Je lutte avec l’ange.

Je suis en lutte contre lui, avec lui. J’aimerais baisser les bras et capituler, m’avouer vaincue. Lui donner mes poignets joints en signe de soumission. Pour connaître enfin, quelques minutes de paix.

L’ange de la vie, l’ange de la mort.

J’accuse le coup des six derniers mois-corona, des deux ans en Allemagne, des 47 dernières années. De tout ce temps passé à refuser de m’accepter puisqu’il me fallait trouver une place dans la société et que je pensais que c’était à ce prix, un prix que je ne connaissais pas. Toutes ces années à tenter d’apprendre à me connaitre.

Je n’y suis toujours pas, il parait qu’il faut toute une vie. C’est bon signe, signe qu’elle n’est peut-être pas finie.

Nous sommes partis en vacances avec un petit bandeau noir au bras. Le ruban minuscule de la mort soudaine d’une petite gerbille. Une des deux sœurs hébergées dans la chambre de ma grande fille, dans une cage olympique fabriquée en un week end à partir d’une vitrine IKEA, de planches et de grillage. « Combien de temps ça vit une gerbille ? » a demandé une copine la veille en jouant avec elles. « Oh deux ans et demi, trois ans ». 24 heures. Combien pèse l’âme d’un petit rongeur dans le cœur d’une ado qui lui a consacré tant de projets de bricolage créatif, tant d’heures de jeu ? Assez lourd pour se frayer un passage jusque dans ces lignes.

Recours éperdu aux textes essentiels : « Ma chérie, c’est le temps perdu pour ta gerbille qui l’a rendue si importante à tes yeux. Tiens lis le Petit Prince ! » (On va y arriver oui ?). Et par procuration, à mes yeux à moi. Comme j’ai été attendrie de te voir faire sécher des rondelles de carottes pour elles, construire des jeux en bâtons de glace et rouleaux de papier toilette, en papier (toilette) maché et farine mouillée (même aux temps de la disette) !

La mort a fait irruption soudaine dans nos vies la veille de notre départ. Décision à prendre chez le vétérinaire (cette décision tellement humaine que les médecins nous refusent). Ma fille a été exemplaire de maturité et de dignité. Dans la voiture, les gorges sont longtemps restées nouées.

Escale en Bourgogne. Restau (ça fait si longtemps qu’on rêve de manger français). Texto : « Marie est très malade ». Oh non….. Quelques jours plus tard : « C’est allé très vite, Marie est partie ». Marie c’est une amie de la famille depuis toujours. (C’est pour elle que j’ai simplifié le mode d’abonnement à ce blog. ) Vue de l’extérieur c’est une dame âgée dont l’heure est venue comme elle vient toujours à un moment quand on vieillit. Vu de près, de l’intérieur d’une affection, c’est une étoile qui s’éteint, une fée qui s’envole. Un pilier de nos cœurs qui nous laisse tous un peu orphelins. Surtout qu’elle était une grande amie de ma maman. Vous voyez ce que je veux dire, non ? Si je vous faisais un dessin ce serait un sourire et son reflet.

Aujourd’hui c’est son enterrement. Elle était très croyante alors, c’est son à-Dieu. Je pense à elle et aux siens. Je regarde le ciel, parce que peut-être, sait-on jamais… On ne se trompe jamais à regarder le ciel. L’infini autour de nos vies, ça fait lever le menton et redresser les épaules et des éclaboussures de bleu c’est toujours bon à prendre.

Comme si souvent, mon esprit me dit d’accepter ce départ et mon corps s’y refuse. Alors je lutte avec l’ange.

Je suis désolée de vous écrire ce billet sombre comme les pins noirs au-dessus de ma tête dans le contre-jour. Pourtant je suis assise sur un transat, les pieds sur la mousse sèche, l’ordinateur sur les genoux. Je commence à avoir un peu chaud, je vais quitter mon sweat.

Peut-être que quelqu’un quelque part, en lisant cela, se sentira moins seul (e). Je le / la salue.

L’été est une saison cruelle, hautaine. Elle glorifie des corps toniques bronzés et en bonne santé. La vie jeune, grégaire et sans souci. Elle élude les isolés, les esseulés, les malades et les endeuillés, les accidentés. Comment trouvez-vous ma nouvelle tristesse ? Me va-t-elle bien au teint avec ce début de hâle ? Et mes nerfs à fleurs de peau ? C’est comment avec les tongs ?

J’apprécie la météo de ce coin des Landes que lapent les pelouses si vertes du Pays Basque. Le soleil va et vient comme les vagues, comme les marées. Comme les averses et les orages. Restent les pins et le sable, sur la dune le parfum des immortelles.

La tristesse est plus supportable dans un sweat douillet, sous un ciel menaçant, quand il tombe quelques gouttes. Quand on frissonne aussi de froid. J’aime quand l’extérieur s’accorde avec mon intérieur, et de plus en plus j’apprécie la pluie, le temps mobile, variable, indécis. Il y a quelques années je râlais de devoir mettre un jean au mois de juillet… Aujourd’hui je m’y blottis avec délectation.

Je lutte avec l’ange et je me rends compte au fil des mots, en vous écrivant, que cet ange en ce moment, s’appelle tristesse. Je ne le savais pas en commençant ce billet.

Je me sentais en colère, survoltée, à bouts de nerfs, éreintée par tous ces mois de confinement au sens large, d’exil de ma vie et de moi-même imposé depuis tous ces mois. Privée d’amitié d’enfance et d’en France, de famille, d’eau où nager pour me défouler vraiment et me resourcer, de la possibilité d’une évasion. Les échanges cœur à cœur avec mes amies allemandes, artistes, m’ont apporté beaucoup, comme les promenades sauvages, et la chasse au trésor quotidienne des nouvelles floraisons. J’ai envie de tenir un journal de ces jalons en jupons de pétales et d’étamines. Mais la camisole de la quarantaine, même tissée dans la transparence de la raison et de l’universalité gêne aux entournures.

Depuis que nous avons enfin pu nous évader de notre quotidien pénitentiaire, nous avons traversé la frontière vers le sud. Avant de partir, j’ai pris soin d’écrire une lettre au stress accumulé en moi, en lui souhaitant une belle vie. AILLEURS. Bien sûr la pandémie et ses paniques nous ont suivies, mais avec un autre accent – c’est toujours ça. Et j’ai décidé de m’accorder des vacances. Comme si une mère pouvait connaître une vacance, sans parler de plusieurs…. Enfin, on ne risque rien à essayer.

J’ai donc lâché le clavier et beaucoup d’autres activités (du genre vouloir contrôler mes enfants). Embrassé la mission de regarder le vent dans les feuilles et le sentir sur ma peau et dans mes cheveux, me mouiller le plus souvent possible, faire du sport dans l’espoir de renouer avec mon corps et de ramener mon esprit à mes bons et loyaux services – ou en tous cas plus près de moi et de mes besoins.

En effet, dans ce no man’s land sans repères ni projets dans lequel nous vivons tous depuis quelques temps, j’ai bien peur de m’être égarée. Pourtant je continue d’écrire beaucoup, avec mon stylo-boussole, dans des cahiers de toutes les tailles et de toutes les couleurs. (Je ne sais pas vraiment les utiliser : j’en ai des tas, neufs et entamés. Aucun n’est fini, les pages blanches s’éparpillent dans chacun).  J’ai rempli des tas de lignes sans avoir envie de publier sur ce site. Des bouts d’idées, des morceaux de paragraphes, des bouquets de mots et d’émotions.

Je voulais juste glaner ce qui me passait par la tête comme épingler les nuages de mon ciel sur une toile blanche avant qu’ils ne s’effilochent. Pour dépouiller mon méli-mélo silencieux, m’en souvenir lorsque j’aurais à nouveau envie de vous écrire et de partager.
Plusieurs sujets s’entre-mêlaient. Et je ne pouvais me décider pour l’un ou l’autre. Alors ils avançaient chacun tranquillement de leur côté. Pendant que je triais les calmars, ou désablais les tellines. Pendant que j’étendais le linge le long des doigts-de-sorcières rampant dans les aiguilles de pins. Pendant mes longueurs de piscine. Des petits germes, des graines de textes et d’échange.

Mais je refusais de m’approcher de mon ordinateur ou de mon téléphone. Un ras le bol violent des écrans et des réseaux (si peu) sociaux. Un besoin de couper, de me recentrer sur la vie réelle, de profiter de cette évasion tant désirée.

Hier je me suis dit, ça y est ! je sais comment je vais assembler mes petits bouts de puzzle. Je devine la forme qu’ils vont prendre. J’ai écrit une ébauche d’article dans mon carnet bleu turquoise.

Cet après-midi, j’ai fini mon roman après le déjeuner (délicieux les calamars, merci ! le roman aussi d’ailleurs), sur mon transat les pieds dans l’herbe et la mousse sèches. Je me suis levée, et suis allée chercher mon ordinateur dans l’armoire. J’avais éprouvé soudain le besoin de vous écrire.

J’ai ouvert mon fichier et j’ai commencé. Sans rien écrire de ce que j’avais prévu hier. Le carnet bleu turquoise est resté fermé. Les autres aussi.

Malgré l’intermédiaire de l’écran que je refusais, je ressens beaucoup de joie et un peu de cette paix fugace que je cherche depuis tant de jours avec ma natation et mon yoga quotidiens, grâce à ce partage avec vous.

Je vous en remercie.

Je vous souhaite un été dont les mélodies suivent parfois votre météo interne.

PS : Je vous prépare l’article dont je voulais vous parler hier. Il y sera question d’une huppe et de yoga sur la plage, en zone interdite. Et aussi du gâteau basque.

*En référence au livre de Jean-Paul Kauffmann sur le tableau de Delacroix, à l’église Saint-Sulpice à Paris.

Ah, et le roman que je viens de finir avec le sourire est Bienvenue au motel des pins perdus de Katarina Bivald.

Pieds-nus dans les cailloux

Les randonnées en montagne me manquent. Alors venez, je vous y emmène à ma façon.

Fermez les yeux. Imaginez.

Vous partez en randonnée en montagne, dans un paysage de printemps tardif. Forêts odorantes et fraîches, prairies étoilées, soleil téméraire et petit vent frisquet. Tout en haut vous apercevez le col entre les falaises. Le but de votre promenade où vous serez récompensé par un panorama sur tout le plateau au-dessus duquel vous vous élevez, et sur la vallée, 1000 m plus bas.

Vous avec quitté votre intérieur douillet au lever du soleil. Vous avez-rendez-vous avec vos compagnons du jour au bout de la piste de terre là où démarre un sentier oblique dans le sous-bois.

Vous y voilà. Le groupe s’organise, fait ses lacets et sangle son sac à dos. Tout le monde est bien équipé avec l’intégrale du matériel Décathlon – arc en ciel des collections de toutes les années passées.

On a dû mal vous orienter sur le but de la journée. Vous êtes en maillot de bain. Sans lunettes ni chapeau, ni crème solaire. Avec un sac à dos chargé d’eau et de nourriture pour 4 au moins. Et avec sur les oreilles des écouteurs qui diffusent d’un côté du hard rock, de l’autre des histoires. Vous frissonnez. Un regard sur vos pieds : ils sont nus.

C’est parti pour la grimpette. Une rando de trois heures en boucle, avec au milieu un col là-haut dans les alpages. Une balade plutôt facile pour se mettre en jambes en début de la saison. Tout le monde avance d’un bon pas et admire le paysage. Ça papote. Ça souffle un peu quand ça monte, ça boit une gorgée d’eau, grignote des noix ou un pruneau, et ça repart.

Vous tâchez de suivre. C’est un bon sentier de sous-bois, enfin bon, quand on porte des chaussures de randonnée montantes. Les cailloux et les aiguilles d’épicéa écorchent vos pieds. Vous vous tordez les chevilles. Vous tâchez d’éviter les pierres coupantes, les bêtes piquantes, les orties urticantes et les ronces.

Au sortir de la forêt vous avez les pieds en sang et la cheville gauche enflée. Vous continuez de marcher. Deux femmes du groupe, des habituées, des nanas du coin, la quarantaine sportive, vous racontent leur dernière sortie en montagne, dans les névés.

Préoccupé/e par votre corps dénudé et meurtri vous avez du mal à prendre part à leur conversation. Vous répondez machinalement. Pour être poli/e. Avec des monosyllabes. Qui les encourage à continuer, à raconter leur aventure qui n’en est pas une. Pas vraiment une quand on a des chaussures.

Sur les alpages le soleil tape dru. Votre peau rougit et brûle. La poussière s’immisce dans tous vos plis, vous irrite. Ça commence à vous gratter de partout. Vous avez beau les plisser, vos yeux sont éblouis, ils piquent et coulent. Dans vos oreilles le bruit continu vous envahit, ses vibrations se transmettent jusqu’au bout de vos doigts, de vos orteils écorchés. Vous tentez de changer de bande, les cris d’effroi d’un conte d’épouvante vous transpercent.

Le groupe profite d’un replat au bord des rochers pour se retourner, s’asseoir. Apprécier le chemin parcouru et la vue sur le plateau, le village repu dans un lambeau de brouillard.

Vous avez mal partout et voudriez aussi vous poser. Vous repérez une grosse pierre accueillante et vous y approchez votre postérieur. Hélas, la protection du maillot de bain n’en est pas une. Au toucher, cette pierre est glacée et ses sillons acérés. Vous vous relevez d’un coup, pour vous trouver nez-à-nez avec un gros monsieur qui vous raconte ses sorties d’alpinisme. Mouais.

Vous vous rendez compte que vous n’avez pas entendu le début de son épopée. Mais ça ne vous intéresse pas. C’est tellement incohérent avec l’image qu’il dégage que vous n’arrivez pas à accrocher. Et vous avez mal à la cheville et aux oreilles. Et aux yeux. Pas aux doigts, tiens, aux doigts pas encore.

C’est reparti pour les derniers dénivelés. Une flaque de neige crisse sous les semelles crantées, les pointes métalliques des bâtons de marche. Brûle la plante de vos pieds lacérés. Mmm en même temps cette fraîcheur fait du bien. La clique avance. Vous marchez avec eux. Parfois même vous les devancez sur ce sentier étroit. Vos pieds nus se dépêchent pour vous offrir quelques mètres d’avance, quelques secondes de paix palpitante dans cette combe protégée. Vous guettez de tous vos sens fatigués pour saisir la chance de surprendre un museau de marmotte. Une anémone ébouriffée au sortir de son bouton. Et vous les apercevez.

Le groupe vous double, la discussion est animée, le col s’approche et la faim se fait sentir.

Alors vous saluez discrètement la marmotte et l’anémone, vous les remerciez. Vous vous éloignez du sentier parce que l’herbe douce apaise la plante de vos pieds. Vos pas y sont plus rapides, élastiques, souples.

Vous continuez dans la combe sur les traces de votre curiosité (c’est quoi ces tâches colorées là-bas ?) là où la mousse d’alpage est si douce sous des restes de rosée.

Le groupe enchaine les derniers lacets juste en dessous du col. Ceux que la fatigue et l’impatience rendent ingrats. Le sentier lézarde entre blocs et terre tassée, traverse des pierriers. Les têtes se courbent, les pas raccourcissent. Le souffle aussi.

Votre trajectoire herbeuse vous a permis d’éviter les éboulis et de rejoindre le col dans une ample courbe. Ça y est ! Vous découvrez l’autre côté. La plaine, ses champs, ses autoroutes, toutes ses cicatrices humaines, et au loin des sommets plus hauts, enneigés.

Encore quelques pas horizontaux pour rejoindre le groupe dans le creux douillet du col, celui où vous mangerez. Vous allez pouvoir partager toutes les victuailles et l’eau transportées dans le sac à dos dont les sangles vous ont entaillé les épaules et les reins.

Vous pouvez vous assoir. L’herbe est froide mais confortable. Ça gratte un peu les cuisses. Le sac fait un dossier correct.

Mais vous avez aussi le droit de vous allonger, de quitter les écouteurs. De fermer les yeux. De profiter du vent et du soleil sur votre peau avant d’emprunter un pull pour vous emmitoufler.

Pour la descente, je vous laisse le choix.

Soit, vous redescendez comme vous êtes montés. Ce sera dur mais vous découvrirez peut-être une biche au détour d’un virage, un serpent enroulé ou une chenille hâtive, ou la promesse de myrtilles. Et malgré tout le ‘bruit’ de votre corps meurtri et agressé vous pourrez même peut-être parler cœur à cœur avec la personne que vous avez repérée là-bas, en short et en tongs. Elle a souri tout à l’heure.

Soit, vous mettez des vrais habits et des chaussures (Décathlon été 2014 – cassées, garanties anti-ampoules). Vous irez vite et vous n’aurez pas mal. Vous pourrez papoter avec le groupe. Vous ne verrez sans doute pas grand-chose. Et ne rencontrerez peut-être personne. Vous oublierez votre cœur en haut avec la chenille hirsute. Faites lui confiance, elle en prendra soin.

(Ce petit rêve était une façon de vous faire entrevoir, si c’est possible, la vie dans la peau de quelqu’un d’hypersensible).