Médaille de bronze de natation (en tissu)

Cette nuit un bruit soudain, intense et obstiné a traversé les couches de mon inconscience. Qu’est-ce que c’est ? Ah, c’est juste la pluie.

La pluie ?

De mémoire d’arbre, la dernière pluie remonte à avant la chute prématurée des feuilles craquantes. La génération actuelle de fleurs ne l’a jamais connue.

Hier matin, quand je suis passée à vélo près du grand terrain de jeu du quartier, un jardinier municipal armé d’une bruyante débroussailleuse, attaquait une herbe rare et sèche, pourtant recroquevillée au ras du sol. Ça sentait la roquette. Les touffes foncées aux fleurs-papillons jaune citron semblent être les seules plantes heureuses de la météo estivale prolongée. Elles, et une espèce de trèfle que je ne connais pas, mais dont les petites fleurs jaunes aussi dégagent un parfum très agréable quand on passe à côté.

Le temps change, enfin. 

J’adore l’automne, sa fraîcheur humide sur fond parfois bleu, sa lumière chaude entre les troncs mouillés et les feuilles multicolores. Les marrons et les châtaignes, la gelée de coings et la soupe de potimarron. La pluie rassurante.

C’est dommage en un sens : la piscine extérieure va fermer. (Le journal local précise que la dernière journée sera réservée à la baignade des chiens.)  J’adore nager dehors en septembre, quand la température de l’eau est confortable, équivalente ou presque à celle de l’air. Les bassins sont vides. Une amie nageuse (elle va à la piscine presque tous les jours) m’a fait remarquer le seuil psychologique local des 30°. Au-delà, le parking, les pelouses, les lignes de nage sont saturés. En deçà, même de quelques degrés, presque personne. Il m’est arrivé, sans grelotter, d’avoir la piscine à moi. Les Allemands sont frileux.

Toujours très couverts, ils craignent particulièrement la pluie. Dès qu’il tombe trois gouttes, les enfants sortent en bottes en caoutchouc et surpantalons étanches. Même au mois d’août. Les parents enfilent leurs vestes en goretex. Dès que les matinées fraichissent, les vestes et les écharpes apparaissent (c’est l’époque des chaussettes dans les sandales). Avec leur short au mois de septembre, mes filles passent pour des originales (même avec les températures récentes). Leurs copines s’inquiètent : ”Mais t’as pas froid comme ça ?”

Peut-être leurs origines anglaises ? En plein hiver, il est fréquent de voir outre-Manche des genoux à l’air, des blousons ouverts sur des T-shirts, des bras nus dans les restaus. Je me souviens être allée manger à Londres fin décembre avec une amie vêtue d’un polo à manches courtes, et pour sortir, d’une veste type tailleur, et d’une écharpe. J’étais emballée d’une veste épaisse, d’une écharpe et d’un bonnet, avec tout ce qu’il faut d’épaisseurs là-dessous. Et j’avais presque froid. Ces dernières années les climats océanique de l’Angleterre (‘’doux et humide’’) et continental de l’Allemagne (‘’très froid l’hiver, très chaud l’été’’) semblent s’être superposés.

Avec la pluie qui arrive pour s’installer si j’en crois les prévisions, comment allons-nous négocier les trajets pour le collège à vélo ? ou plus précisément comment vais-je négocier avec mes filles pour qu’elles n’arrivent pas trempées en cours ?

Echanges de ce matin :

-Si tu mettais un Kway dans ton cartable ?

-Non c’est bon j’ai un parapluie dans mon sac.

Un parapluie ? à vélo ? Moi j’ai un poncho de rando si besoin. Mais à mon âge le look passe bien après le besoin.

Heureusement les jours de sport elles ont de quoi se changer intégralement. Les gymnases ne sont accessibles qu’avec des baskets réservées à cet effet : propres et à semelles blanches. Les profs de sport insistent sur des vêtements lavés régulièrement et qui ne restent pas à croupir dans un casier. Tous les gamins se trimbalent un sac de sport complet avec vêtements et chaussures. D’ailleurs le kit de l’écolier (tous âges confondus) comprend outre le cartable et la trousse, la gourde, la petite boite pour le snack (Brotdose) et le sac de sport, type besace. Les sorties d’école ressemblent à des départs en trek.

Les gymnases sont multi disciplines : le sol reste libre. Pour faire de la gym, le matériel doit d’abord être installé. Il est rangé à l’issue de la leçon. Tous les agrès sont sur roulettes et le praticable enroulé. La première fois, j’ai été surprise de voir ces mini-gymnastes procéder à la manutention de grandes poutres ou des barres asymétriques. A plusieurs ça roule.

Le sport semble recevoir ici le respect qu’il mérite. C’est une discipline prise au sérieux. Les notes comptent, l’avis des profs est écouté, autant que ceux des autres matières. Peut-être parce que les enseignants ont tous deux spécialités (sport et maths, français et biologie ou autres).

La natation fait partie intégrante du programme. Les petits Allemands passent des diplômes, un peu comme les étoiles au ski. Le ‘’flocon’’ c’est le Seepferdchen (l’hippocampe) : l’enfant sait traverser la piscine sans se noyer. Ensuite viennent trois niveaux (bronze, argent et or) en fonction des compétences : durée de nage, distance minimale, nombre de nages, plongeons de plus ou moins haut. Dans le collège de mes filles, la natation est au programme de 6ème (l’an prochain).  Son professeur de français et de sport insiste pour qu’elle passe dès à présent le niveau requis (bronze) au cas où la piscine ferme à nouveau. Les autres enfants ont dû obtenir le certificat au primaire.

Dimanche nous sommes donc allées toutes les deux s’entraîner. Je veux voir son plongeon, elle l’a révisé avec son frère cet été. En partant elle a relu les 10 règles qu’elle doit connaitre par cœur. Allez plonge ! pas mal. Suffisant il me semble. Allez on le passe ce diplôme, comme ça ce sera fait ? Non. Si. Attends, je vais réviser les règles, elles sont affichées sur le mur.

Nous nous approchons de la maitre nageuse (doit-on dire maitresse nageuse ?), Schwimmmeister (non les 3 M ne sont pas dus à une touche coincée), une jeune femme en T-shirt et short rouge (les couleurs du club de Mainz 01) aux cheveux blonds ondulés aux épaules. Elle va chercher son chronomètre. Elle boite un peu, peut-être s’est-elle fait mal ?

Top c’est parti. Ma fille plonge et attaque ses longueurs de brasse. Il lui faut en faire au moins six et deux autres en dos. Elle slalome entre les gens, la maître nageuse longe le bassin et jette un œil de temps en temps sur la petite fille au bonnet bleu clair (le mien). Elle lui lance ensuite un anneau à aller chercher avec puis sans lunettes. Une bombe depuis le plongeoir. Les règles à réciter. C’est bon. Ouf ! c’est fait ! Ma fille est contente et soulagée. Moi aussi.

(pas le droit de faire
des photos à la piscine)

A Lyon mon fils a dû attendre le collège pour nager avec sa classe, faute de créneaux disponibles.  Pourtant, les piscines étaient réservées en journée aux écoles. Ici les deux bassins d’hiver (la piscine intérieure classique, et l’olympique extérieure, couverte d’une curieuse bulle gonflée) permettent à tout le monde de nager : les écoles, les clubs, le grand public (si l’on accepte la proximité de cours d’aquagym bruyants le matin). A l’entrée de la piscine, de grands containers en grillage sont remplis de matériel, pull-buoys, frites, ou mannequins. Chacun porte l’étiquette de l’établissement propriétaire.

Ça me fait vraiment du bien de nager et bouger dans l’eau, même juste pour regarder mon apprentie-nageuse. Je croise les doigts (Ich drücke die Daumen, je serre les pouces comme on dit ici) que la piscine ne soit pas condamnée à nouveau pour cause de corona. Surtout que si c’est le cas, les écoles aussi sans doute fermeront. Le prof de sport-français le craint. Avec sa classe, il a testé le dispositif vidéo vendredi.

Heureusement, côté diplôme aquatique ce sera fait. Enfin j’espère : sur le certificat la mètre-nageuse s’est trompée de colonne. Elle a attribué à ma fille le niveau argent. L’écusson en tissu, lui, est bien bronze.

L’écusson-médaille indispensable pour la 6ème

Heidelberg ~ (l’autre moitié)

Suite de l’article : Heidelbert (à moitié)

(Mon amie et moi avons faim : nous sommes à la recherche d’un restau de falafels pour midi.)

D’après l’adresse indiquée, le restaurant libanais se situe sur une petite rue, près de l’église des Jésuites. Nous trouvons l’église baroque, en grès rouge du Palatinat (comme le château, la cathédrale de Strasbourg, le lion de Belfort et tant d’autres monuments). Mais à l’adresse indiquée, une porte banale de résidence privée. Zut ! Tant pis, rabattons-nous sur ce café là au coin.

Il se trouve que c’est bien l’endroit que nous cherchions : l’accès en est sur le côté. Tables dehors dans une rue pavée. Encore peu de clients. Une jeune femme termine son assiette et la rapporte à l’intérieur. Nous la suivons. L’étalage de salades, taboulés, houmous fait envie. Nous choisissons une assiette complète pour deux et du thé froid maison.

Nous regardons passer les flâneurs, contemplons la rue depuis notre chaise, avec l’avantage involontaire de l’immobilité. On papote et déguste du caviar d’aubergine sur des bouts de pains libanais déchirés, les fameux falafels.

Ça va mieux ! on y va ?

Nous reprenons ensuite la rue de derrière : destination le château, en altitude sur la colline. Un château rouge donc.

-Tiens, c’est là, le funiculaire !

-Ah j’avais pas vu.

L’entrée sur la droite, ressemble à celle d’un petit musée ou d’un hôtel. Masque, ticket au guichet. Paiement par carte. Les mesures préventives liées au corona auront eu ceci de bon par ici : encourager le paiement dématérialisé (pas toutes les cartes partout encore, mais c’est déjà mieux). On attend dans l’escalier, à distance réglementaire, entre un couple avec un très gros chien et une famille à poussette. Le funiculaire arrive. La pente des rails soutenue et rectiligne est vertigineuse.

-On se met où pour mieux voir ?

-Peu importe on est tout le temps dans un tunnel.

-A Lyon aussi y’a un funiculaire, on l’appelle la Ficelle.

-Oui je sais on l’a pris cet été pour aller aux théâtres antiques.

-Je crois que là-bas aussi, passé le tout début, on ne voit rien du tout.

La montée jusqu’à la première gare est rapide. Pour le château c’est là. Ceux qui veulent atteindre le sommet de la colline, avec une autre montée digne d’un tremplin de saut à ski, restent à bord.

Plus de monde que ce matin, les touristes préfèrent visiter l’après-midi (comme nous en somme).

Nous faisons un tour des jardins, en longeant les murs extérieurs. Nos regards sont attirés vers la vieille ville et la rivière en bas. Les toits rouges d’Heidelberg se serrent au pied de leur château, contre les pentes boisées. Tiens, un châtaigner !

-Regarde c’est là-bas la Neckarwiese, la pelouse au bord de la rivière, où on va pour pique-niquer, trainer, refaire le monde.

-Ah oui, plus bas donc, en aval vers la ville nouvelle.

-C’est bizarre que la ville d’origine ne se soit développée que d’un côté de la rivière.

-Peut-être qu’il n’y avait pas de pont au début ?

Vue sur la vieille ville depuis le château

Notre ticket de funiculaire nous donne accès au château. Cérémonial pour entrer (comme partout en Allemagne) : remplir un papier avec ses coordonnées, son heure d’arrivée, le faire tamponner. Le rendre à la sortie où notre heure de départ sera enregistrée. Quand on pense que les Allemands sont très protecteurs de leurs données personnelles (et que c’est une des raisons pour lesquelles le paiement par carte était peu choisi), le corona a fait faire du chemin.

Le château est partiellement en ruine, et c’est tant mieux. Ça lui donne le charme de l’authentique, de l’à peu près. Des façades creuses, comme des décors de théâtre, avec des fenêtres ouvertes sur le ciel (dans les deux sens).

-J’ai lu que c’est Louis XIV qui a fait des destructions par ici.

-Oui. Décidément…

-J’ai l’impression que partout où je vais, les Français ont laissé des traces en creux. Lui ou Napoléon. D’ailleurs je suis en train de lire un livre sur Venise (Venise à double tour de Jean-Paul Kauffmann) : là-bas aussi Napoléon a fait démolir des bâtiments. Y a-t-il un endroit où il n’est pas allé ?

Dans les douves enherbées, mon amie me raconte qu’elle a vu des pièces de théâtre.

Dans ce château est née la Princesse Palatine, Liselotte von der Pfalz, mariée à Monsieur, le frère de Louis XIV. Nous passons devant une affiche à son effigie, le portrait d’une grosse dame moche, mal aimée à la cour. Elle a écrit 60.000 lettres (60.000 ?! ouais en même temps si on comptait tous les mails qu’on envoie depuis toujours à nos proches éloignés…). Des missives pleines d’esprit, de pertinence et d’humour, un regard intelligent sur les coulisses de la cour. Ma mère avait un recueil (une sélection) des lettres de la Princesse Palatine à Versailles. Celles que j’ai lues, à sa recommandation, étaient de vrais joyaux acérés.

Un petit tour dans la cour, le nez en l’air, nous passons en contrebas d’une terrasse de restaurant, avec un macaron Michelin sur la porte (dans un site aussi touristique ?!). Voici l’entrée du musée allemand de la pharmacie. Personne, allons-y.

De petites salles tarabiscotées se succèdent. Elles hébergent des meubles d’officines (souvent issus de cloîtres) avec leurs innombrables tiroirs, flacons et flasques, tous marqués du nom de la substance. Ensuite viennent des vitrines avec des échantillons de produits, parfois sous forme entière, avec le cas échéant les planches botaniques correspondantes. (A quoi pouvait servir la mue de serpent ? le lézard séché ?) Puis des alambics et flacons de distillation. Des jarres en verre avec un très grand tube me font penser au bec des costumes des médecins pendant la peste. Des outils pour peser, écraser, émietter, remplir les tubes de crème, des moules à suppositoires et à des tas d’autres choses (en forme de mouton ?). On se contente de regarder, d’admirer, de se questionner. Les explications écrites, ce sera pour une autre fois.

Nous revoilà dans la cour, sous un soleil blanc. Direction le Grosse Fass, le plus gros tonneau du monde. Nous contournons un groupe qui transpire pendant les explications du guide. Il leur ouvre une porte dérobée : « Vous avez payé pour la culture, pour le vin faudra attendre ! ». Nous on y va direct, au bas d’une pente pavée.

La pièce est sombre, ça sent à la fois le renfermé et le moisi, la ruelle un peu sale (à travers le masque). Pourtant c’est propre. A droite j’aperçois un gros tonneau.

-Ah oui quand même !

-Non c’est pas lui. Lui c’est le petit. Le Grosse Fass, il est là-bas.

-AH OUI !!!

Le tonneau est énorme, comme une maison de plusieurs étages. J’imagine construire une cabane dedans, avec des murs tous ronds. En bois sombre presque noir, ses pans sont entourés de contreforts. Un escalier permet de monter sur la terrasse construite à son sommet pour apprécier le dénivelé, puis redescendre de l’autre côté par un escalier en colimaçon (Euh, tu me donneras la main si j’ai le vertige en descendant ?).

Perkeo

Ce tonneau géant servait à recueillir les taxes en liquide (‘’en liquide’’, tiens tiens…), les prélèvements sur récolte des paysans alentours. Chacun y versait une part de sa production. Quel goût avait ce mélange ? Sur le mur la statue d’un nain italien mythologique, appelé le Perkeo. Il aurait été chargé de surveiller le tonneau. Mon amie m’explique qu’il voulait faire boire les visiteurs, et devant leur refus (ça nous en dit peut-être un peu plus sur le goût du breuvage), répondait Perché no (pourquoi pas ?) ? C’est chouette de visiter avec une ancienne habitante, j’ai l’impression de ne pas être une touriste.

La sortie s’effectue côté vallée, après le passage dans une grande cour dallée, où mon amie me signale une empreinte de chaussure dans la pierre. La trace d’un amant surpris qui aurait sauté par les fenêtres ?

La descente est pavée. Après quelques virages dans l’enceinte du château, un passage sous une dernière muraille (et le retour à la dame du petit formulaire tamponné), la voie est parfaitement rectiligne et bien pentue. Ça doit être sportif les jours de pluie. Comment faisaient-ils avec des chevaux, des charrettes ? Je n’y connais rien en attelages, mais il me semble que des virages auraient simplifié l’accès. Entre ces murs épais, ces arbres, ce château, ce chemin qui descend, cette rivière en contrebas, je repense à mes sorties d’enfant au sommet du Rocher des Doms à Avignon. Les couleurs, les odeurs, les arbres, tout y est différent, et pourtant l’ambiance générale, dans le sillage d’un passé lointain, a quelque chose de cousin.

Des marrons tombent à notre droite dans un fracas de percussions. Nous revoilà en bas. Il est temps de rebrousser chemin. Direction, le glacier recommandé, pardon la gare.

La Hauptstrasse, la rue principale piétonne, est bien plus animée que ce matin. Les terrasses des cafés aussi. Tiens un monsieur mange deux cornets de glace hi, hi. Oh et là regarde un cinéma !

C’est Gloria Gloriette, un cinéma d’art et d’essai, avec un accès par une traboule sombre, aux murs couverts d’affiches. Nous entrons, happées par ces promesses de films récents dont nous n’avons pas entendu parler. Ça fait tellement longtemps qu’on n’a pas pu mettre les pieds au cinoche. A Mainz, les deux cinémas confidentiels sont encore partiellement fermés pour cause de corona. Ailleurs, rien de bien intéressant à l’affiche pour l’instant. J’ai hâte que les programmations reprennent. Mais il n’y a pas de cinéma équivalent à Mainz, pourtant une ville bien plus peuplée que Heidelberg. La grande université doit y être pour quelque chose. Décidément, il fait bon être étudiant ici !

Un peu plus haut sur la grand rue, mon amie cherche dans une façade charmante et blanche, la trace d’un autre cinéma. Il a été remplacé par un supermarché.

Nous visons maintenant le numéro 100, pour les meilleures glaces de la ville (toujours d’après mon guide). La voilà la boutique. Miam ! Entrée interdite, les vendeuses sont dans la vitrine. On s’offre chacune deux boules généreuses et délicieuses. (1,50 euros la boule d’excellente glace dans une zone hyper touristique, pas mal hein ? La glace est une denrée de première nécessité pour les Allemands, un droit absolu. Je soupçonne le prix d’être encadré, comme celui de la baguette en France).

Il fait très chaud, elles fondent vite. Pourtant nous ne croquerons le cornet qu’en retrouvant la Bismarkplatz. Nos jambes et nos pieds commencent à se faire sentir. Nous cherchons les flaques d’ombre. Encore un petit effort. Nous rejoignons la gare par des rues différentes, à travers un quartier récent. Des glycines aux troncs honorables grimpent le long des immeubles. Je pense aux nouveaux quartiers de Gerland à Lyon (la proximité vivante d’un centre-ville en plus).

Ça y est, là, au fond, le champ de vélos et derrière, la gare.

Le train de retour est direct. Tant mieux. Nous sommes fatiguées. Mais nous avons encore plein de choses à nous dire pour cette heure de trajet et de grands sourires. J’ai rapporté de chouettes souvenirs, et de l’élan pour la semaine. Un marron brillant tout neuf.

Alors, je peux vous le dire aujourd’hui, en penchant légèrement la tête et en plissant un peu les yeux, sur un ton pénétré : Heidelberg, c’est beau !

PS : C’est quoi à votre avis les parfums des glaces ?

Heidelberg (à moitié)

Journée d’excursion-plaisir avec une amie ~ Le matin

Ce matin il fait encore nuit lorsque j’écarte le rideau. Le tout dernier croissant de lune penche, et accueille comme un berceau la silhouette de la sphère. Une planète brille fort tout près. Au loin, au ras de l’horizon citadin de feuilles et de béton, le ciel s’éclaircit. Je suis tout excitée par la journée qui s’ouvre. Avec une amie, nous partons passer la journée à Heidelberg.

Ça fait longtemps qu’on en parle toutes les deux. On a envie de se faire une virée entre copines. Elle y a fait ses études et moi, j’ai très envie de découvrir cette ville. Petite, j’ai entendu des adultes sérieux, la tête légèrement penchée dire que ‘’Oh, c’est beau Heidelberg’’, sur le ton entendu des initiés. J’ai envie d’entrer dans le club de ceux qui ont vu.

Enfant, c’est d’ailleurs une des seules choses que je connais de l’Allemagne. Grâce à un livre intitulé : Paris-Pékin par le Transsibérien que j’adorais, j’ai appris que traverser le rideau de fer c’est toute une histoire. Je sais aussi que ma commune est jumelée avec Schwarzenbek, une ville-de-la-Forêt-Noire. Mon imagination me voit déjà, ado, dans un car à destination de cette mystérieuse contrée sombre, au-delà de la frontière Est de la France, tout au bord de la carte. L’échange scolaire n’a pas eu lieu, et je viens de le vérifier (et de l’apprendre) Schwarzenbek se situe, non dans le Sud-Ouest montagneux de l’Allemagne mais dans le Nord, vers Hambourg.  Je suis un peu déçue par cette découverte qui modifie de façon posthume mes voyages imaginaires d’enfant. Une plaine du nord n’a pas la magie d’une sombre forêt.

Donc depuis deux ans que nous vivons en Allemagne, à moins de 100 kilomètres, il est temps d’aller vérifier si Heidelberg c’est beau.

C’est le moment de partir. Comme mes filles qui partent dormir chez une copine, je ne tiens pas trop en place. Hop vite une douche en chantant. Un p’tit déj solide de deux œufs durs – va falloir tenir jusqu’à notre déjeuner, et arpenter les rues avant. Un sac à dos avec de l’eau, un chapeau (la météo promet des températures estivales), un masque en tissu bleu à étoiles (cousu par ma fille pour son père) et du gel désinfectant. En croquant mes tartines de pain noir, je lis rapidement les pages de mon guide Lonely planet consacrées à Heidelberg, et fait quelques photos des restaus sympas et des visites.

Vite c’est l’heure. Bisous tout le monde, bonne journée.

– Mais tu vas où maman ?

– A Heidelberg.

– Tu rentres quand ?

– Ce soir, vers 18 heures.

– Comment je vais faire pour réviser ?

Réviser ? Quoi ? Y’a peut-être interro de maths bientôt. Encore ?

-Fais ce que tu peux, on continuera quand j’arrive.

(Ah les arrondis de grands chiffres !)

Sur le moment je ne prends pas le temps d’apprécier cette question de ma plus jeune. D’habitude il faut plutôt la supplier de se laisser aider pour les devoirs (j’écris ‘aider’ pour faire soft, mais le vrai mot serait plutôt ‘contrôler’).

Dans la rue le soleil tape déjà fort. Tram, avec le masque. J’ai renoncé au short. A mon âge, dans le train ? Bof. Pourvu que je ne crève pas de chaud.

A la gare je retrouve mon amie franco-allemande (voir l’article : Mon amie simultanée). Un train, puis un deuxième avec changement à Mannheim (où décidément tous mes voyages me font changer). Enfin Heidelberg HBF, la gare principale. C’est une gare assez grande, avec une passerelle couverte qui me fait penser à celle de Mulhouse (où je suis passée pour mon dernier voyage à Lyon via Bâle). Elle est située sur la large plaine du Rhin, au cœur des quartiers récents.

La ville ancienne et le château, sont plus haut sur la rive gauche d’une rivière verte, la Neckar, un affluent du Rhin. Elle a creusé son lit étroit entre deux pans de collines boisées. C’est là que nous nous dirigeons maintenant. Après avoir traversé la mer de vélos garés sur le parvis (y’en a beaucoup mais ils sont bien rangés, ce n’est pas comme à Amsterdam où je ne comprends pas comment les propriétaires les retrouvent et surtout y accèdent).

Des panneaux indiquent aux cyclistes et piétons la direction de la vieille ville, l’Altstadt : trois kilomètres. Nous renonçons au tramway, il fait bon dehors et sommes ravies de quitter notre masque. L’ambiance locale nous bercera au rythme de nos pas. Après quelques traversées de routes et de ronds-points (à la franco-allemande, en fonction du trafic et de notre témérité spontanée), nous longeons le trottoir qui nous amènera à la Bismarkplatz, la grande place Bismark, point de repère des transports publics et des grands magasins.

Nous nous enfilons dans des rues adjacentes.

Regarde c’est là que j’ai habité pour ma première année d’études, chez une dame.

La façade de la maison est ravissante, aux pierres beiges sculptées dans un style que je dirais ‘’allemand’’, à défaut de mieux m’y connaître. Un arbre a grandi devant depuis, un ailante de Chine, pressé et gracieux.

Les ruelles sont calmes. Quelques enfants jouent dans un square, par moment un vélo passe. Mon amie m’apprend que dans ce Land, le Bade-Wurtemberg, l’école vient juste de reprendre après les congés d’été. Nous avons de la chance : une combinaison de jour de semaine, vacances universitaires, contraintes liées au corona. Habituellement la ville grouille de touristes et d’étudiants. Ce mardi matin à Heidelberg pourrait être dans n’importe quelle ville.

Nous accédons par l’arrière au bâtiment de la faculté de mon amie. De grands platanes et marronniers ombragent des bancs, une cour pavée et quelques mètres carrés de pelouse. Ça sent l’herbe et la terre. Deux jeunes femmes travaillent sur une table, penchées sur leur portable. J’ai envie de reprendre des études ici. Vite une petite photo ! Attends une autre !

Oups qu’est-ce que c’est ? Un bruit brusque dégringole tout près le long d’un tronc en écailles de dinosaures et s’échoue dans un crépitement de feuilles sèches. Les marrons d’Inde commencent à tomber. J’en ramasse un, lisse et brillant.

A partir de la Bismarkplatz, nous empruntons la Hauptstrasse, la rue principale, et d’après mon guide (le Routard cette fois), la plus longue rue piétonne d’Europe. De part et d’autre de la voie pavée se trouvent les vitrines de grandes enseignes internationales. Des cafés et des glaciers.  On devine qu’à d’autres moments il doit être difficile d’avancer.

Mon amie m’indique au fur et à mesure que nous les croisons les bâtiments d’enseignement disséminés, les bibliothèques, restos U et salles d’étude. L’université date du XIVème siècle et aujourd’hui un habitant sur cinq est un étudiant. De grands noms de la littérature, de la philosophie, de la science sont passés par là. Sur les maisons, des plaques mentionnent les illustres résidents.

la bibliothèque universitaire

La rue principale est vraiment longue et jolie avec des bâtiments anciens. Chaque rue qui s’échappe d’un côté ou de l’autre, débouche sur le vert d’une forêt. Ça me fait beaucoup de bien ces petites montagnes. Le relief me manque à Mainz, même si par endroit à vélo on sent bien le dénivelé. Nous préférons nous perdre dans les ruelles. A quelques mètres du flux principal, apparaissent les commerces destinés aux habitants. Une boutique d’arts créatifs, des librairies et des boulangeries. Souvent nous trouvons porte close. La saison touristique marque le pas. Si on veut trouver ce livre de Mark Twain sur son voyage en Europe commencé à Heidelberg (A tramp in Europe), il faudra revenir cet après-midi.

Les petites rues ont un charme fou. Des maisons de deux, trois étages, mitoyennes, aux façades blondes, aux volets et portes de couleur : vert amande, rouge brique, bleus doux. Quelques fenêtres fleuries (T’as vu, l’autre là il a mis une tirelire pour ‘’financer son jardin de ville’’, quelques pots de tomates et d’ipomées grimpantes et pimpantes. Non mais ! Pour la peine, je ne la prendrai pas en photo sa fenêtre champêtre). Des vélos garés le long des murs partout. D’autres qui nous frôlent, car nous marchons volontiers sur la route pour mieux regarder.

Un détour par les rives de la Neckar, pour admirer le vieux pont et apercevoir, là-haut dans les arbres, grâce à un sportif qui y court, le Philosophenweg, le chemin des philosophes. Whaou trop beau ! Rive droite de la rivière, peu de maisons, et toutes récentes. La vieille ville a poussé du même côté au pied de son château. Ça doit être chouette aujourd’hui d’habiter là, en face, au pied d’une colline, dos à la forêt, avec vue sur l’Altstadt et pourtant au calme. La profusion de terrasses de cafés, vides en cette fin de matinée, laisse à penser que par moment, la promenade doit être moins agréable.

T’as pas faim toi ?

Nous passons devant un restau U installé dans d’anciennes écuries. Il est ouvert au public. Nous renonçons à ses tables installées sous les arbres, dans une cour pavée au bord d’une pelouse bien verte. Nous préférons trouver l’adresse repérée sur mes photos du guide. Les falafels nous font envie.

A suivre…

(Vous avez faim maintenant vous aussi ?)

Réunion d’équipe dans 3 semaines

Des réunions d’équipe, au bureau ou ailleurs, et de l’alpinisme sur papier.

Augustiner Strasse, Mainz

Ah au fait, ma chérie, le 25 septembre j’ai une réunion d’équipe au bureau.

Mon mari face à l’évier lave des courgettes sous le filet d’eau du robinet. Il ôte leur duvet rêche avec les doigts. Une planche à découper à la main, je m’apprête à écraser quelques gousses d’ail (rose, français, import direct du Sud-Ouest par nos soins). Nous préparons le dîner.

J’éclate de rire, un bon vrai fou rire, qui vient du ventre et ne s’arrête plus.

Il se retourne pour me regarder, penche un peu la tête. Son sourcil gauche se relève en point d’interrogation.

C’est drôle ?

Oui c’est à mourir de rire !

-…

Ça ne te frappe pas ? Avant, tu me prévenais plusieurs semaines à l’avance de tes voyages. Une semaine à Barcelone, deux semaines à Atlanta ou à Shangaï. Pour me préparer à l’idée de gérer seule la famille pendant une longue période. Et là, tu pars au bureau quelques heures, à 10 kilomètres de la maison, dans trois semaines, et tu me préviens déjà.

Il sourit, une courgette dans la main gauche, le grand couteau au manche de bois dans l’autre.

C’est pour se voir en direct, pour la première fois depuis six mois.

Ça va te faire tout drôle dis-moi de quitter ton bureau-chambre après tout ce temps !

Je ne peux plus m’arrêter de rire. Ah comme ça fait du bien !

Une de nos filles descend quatre à quatre les escaliers.

Tout va bien ?

Oui, oui !

Hi hi !

Qu’est-ce qui se passe ?

Rien.

Attends quelques jours, tu verras, ce sera dans un article de maman.

C’est drôle comme on peut rester coincés dans une ornière de sérieux pendant plusieurs jours quand on est adulte. Pourtant j’essaie souvent de trouver le petit détail comique dans la journée, de placer une blague ou un jeu de mot vaseux, des paroles de chansons qui collent avec ce que quelqu’un vient de dire. Histoire de se rappeler que la vie est une pièce de théâtre et que si nous n’en maîtrisons pas grand-chose, on peut quand même tâcher de voir le scénario dans lequel nous sommes lâchés avec des lunettes-à-rire (les jours de bonne humeur au moins).

J’ai beaucoup fait rire mes enfants – à mes dépens – cet été. J’agrémentais mes récits de courses au marché chez le poissonnier d’un petit air musical. Vous verriez tous ces coquillages et crustacés ! Quel bonheur ces étalages marins quand on vit au pays des Bratwurst ! Ils ne connaissent toujours pas la chanson de Bardot. Mais si j’aborde le sujet je suis quitte pour entendre à nouveau le refrain, à trois voix, sur une tonalité de fausset.

Donc réunion d’équipe dans trois semaines. Qu’à cela ne tienne. Préparons-nous.

Moi aujourd’hui je suis seule au pied de mon Everest, l’essai sur lequel je travaille. Je cherche à étalonner ma boussole. Lui proposer un Nord, qui colle avec mes ébauches de cartes. Tracer des azimuts. J’ai jeté sur le papier des idées, des scènes, une matière première que je pourrai froisser, trier, jeter. Aujourd’hui je ressens le besoin de retravailler en amont de ces premiers mots, pour trouver un sens qui fasse sens pour les lecteurs. Alors je tourne le dos à la paroi. Rebroussons chemin le long des petits cailloux déjà semés. Reprenons en sens inverse. Dans quelle direction dois-je me tourner ? Où se cache le bout du fil de la pelote, celui qui vous entrainerait dans une histoire et m’aiderait à sortir de mon labyrinthe ?

C’est un peu solitaire et frustrant comme recherche. Une réunion d’équipe c’est une bonne idée. Et si moi aussi j’en faisais une ?

Je prendrais le train, et je ferais un tour de France et d’Angleterre pour voir les personnes qui m’inspirent. Je prendrais l’avion pour la côte Est des Etats-Unis. Mes mentors vivent loin. Ils me nourrissent de leurs textes et leurs sourires, leurs coups de gueule et l’aveu de leurs coups de blues. Leurs tronches mal lunées ou lumineuses. Leur authenticité et leur sincérité.

Pour l’instant je me contente de réunions de papier, de mots écrits, d’échanges sur écran. J’empile des bouquins, des témoignages et modes d’emplois, des conseils et des exemples. Je suis des cours en ligne avec des journalistes ou des écrivains anglais et américains. Ce n’est pas un fait exprès cet environnement anglo-saxon. J’ai suivi les conseils de mon mari et mon intuition. Je me sens bien auprès de ces personnalités qui partagent leur parcours, leur apprentissage, leurs doutes et leur talent.

Donc imaginons une réunion d’équipe avec des gens, plus ou moins vivants, de différentes cultures. Tous pertinents, ne se prenant pas au sérieux, éprouvant le besoin de comprendre et de partager. On sauterait sur les occasions de jeux de mots vaseux et de blagues. Aucun participant ne serait blessé, intimidé ou moqué. On pourrait chanter nos échanges, si par hasard nos paroles coïncidaient avec celle d’une chanson. On aurait le droit d’éclater de rire.

On se programmerait une nouvelle date de rencontre, pas trop éloignée. Mais en se laissant le temps de savourer et digérer les échanges dont nous sommes sevrés depuis trop longtemps.

Il est cinq heures, Paris s’éveille… je dois y aller.

Dans trois semaines ça vous va ?

“I want to do fun things that make me happy (…). You might call me a child, good, for if adults had even the slightest ‘in the moment joy’ of a child, then frankly the world would be a better place!” Miranda Hart

(Je veux faire des choses sympa qui me rendent heureuse. Vous pouvez me traiter d’enfant, très bien. Mais si les adultes savaient, ne serait-ce que parfois, trouver de ‘la joie dans l’instant’, franchement, le monde serait bien plus agréable !)

Toucher avec tact

Comment témoigner son affection quand on n’a plus de droit de toucher ni d’embrasser ?

Une fenêtre sur la place du marché à Mainz

L’autre matin mon fils est reparti en France.

Mon mari les a emmenés à la gare, lui et sa copine, avec leurs sacs à dos et leur valise, leurs livres et leurs ordinateurs. Je suis restée à la maison avec ma benjamine à peine de retour d’une pyjama-party. Elle avait suivi le programme à la lettre : mis le pyjama et fait la folle une grande partie de la nuit. Epuisée, à peine rentrée, elle s’était échouée sur le canapé.

Ça m’arrangeait de ne pas descendre en ville. Les adieux en gare dans les courants d’air gris sont deux fois tristes. Je souffre de voir mon grand garçon repartir, sans savoir quand nous allons nous revoir. Et je me mords la langue pour ne pas laisser couler les larmes toutes prêtes. Je ne vais pas lui infliger une maman humide en public.

Les séparations sont douloureuses alors autant s’en affranchir dans un souffle, comme un sparadrap qu’on arrache. A bientôt, bon voyage. Un signe de la main ou deux, un sourire des lèvres à défaut du regard, et on tourne les talons.

Avant de voir la mine pâle de ma fêtarde de 9 ans, j’étais prête à y aller pourtant. Même en tram s’il n’y avait pas eu assez de place dans la voiture. Mais les trois branches de sauge cassées ce matin par un ballon maladroit m’avait mises en colère. Ça fait deux ans que je l’ai plantée, et elle s’était enfin décidée à pousser. La colère ça distrait de la tristesse, c’est très pratique.

Au moment du départ je me suis autorisée à faire un bisou à mon fils, COVID ou pas. Par politesse, j’ai respecté les consignes pour sa copine. Avec mon père cet été – groupe d’âge à risque – j’avais aussi renoncé à la bise. Les mesures d’hygiène nous obligent à une distanciation sociale extrême.

Ce sevrage des contacts physiques avec mes amis me pèse. Je suis une tactile, je mendie des gâtés à mes enfants qui n’en veulent plus vraiment. Ma plus jeune parfois me tend à contrecœur et à reculons le sommet de son crâne pour que je puisse y déposer un bisou rapide. Prièrer de se dépêcher et de limiter le contact au strict nécessaire.

Mais si j’apprécie le contact choisi et sélectif, je me hérisse à l’idée de toucher un corps que je n’estime pas. En France le rituel de la bise d’office me pèse et je m’y résous seulement pour ne pas passer pour une pimbêche, et quand je n’ai pas de rhume (réel ou opportun). J’apprécie la coutume allemande de faire un petit câlin à ses amis pour leur dire bonjour et aurevoir. Une accolade aux proches, un sourire aux autres. On fait le plein de contact rassérénant, et on garde ses joues pour ses très proches.

Depuis mars finalement, les seuls contacts physiques hors famille que j’ai eus sont ceux, expéditifs et impersonnels, du coiffeur et de la masseuse thaïlandaise (où je n’étais pas trop détendue : j’avais peur qu’elle me fasse un tour de reins). De l’infirmière qui m’a fait une prise de sang de contrôle en racontant ses vacances à sa copine. Elle aurait pu me regarder et me parler à moi, ça lui aurait évité de me piquer les deux bras, me faire un bleu douloureux et à moitié tourner de l’œil.

Cache-Cache, ébauche
de ma dernière sculpture

Faute de contact humain, je me replie sur le toucher végétal. Dans mes promenades, je frôle du bout des doigts les écorces rugueuses des pins rouges, j’enveloppe de la paume la peau lisse et tendue des hêtres, laisse glisser mes mains sous le parchemin des bouleaux. Quand personne ne regarde, je serre les gros troncs lisses entre mes bras. L’arbre choisi est frais et doux contre ma joue. Je ferme les yeux quelques secondes.

Le masque n’aide pas à compenser les manques d’échanges amicaux proches. Il dissimule notre humanité : un sourire, une grimace, des grognements, le rire. Il étouffe nos élans et endosse le rôle de son nom. Nous sortons protégés, mais surtout cachés.

Je parle dans une langue étrangère avec sans doute un accent français, et j’ai hélas l’ouïe qui baisse. Avec les masques j’ai été surprise de voir à quel point la mobilité du bas du visage, pas seulement des lèvres, enrichit nos échanges et leur compréhension. Ces jours-ci les conversations avec la boulangère ou le caissier de part et d’autre de plusieurs couches de tissus et d’un écran de plexiglas tiennent du surréalisme.

– Je voudrais deux pains complets

-Une baguette ?

-Deux pains complets s’il vous plait.

-Un pain complet ?

-Deux.

-Quoi d’autre ?

-Rien merci.

-Une baguette ?

C’est curieux cette étymologie commune entre tact et tactile . Comme si le « sentiment délicat de la mesure, des nuances, des convenances » (Larousse) avait un point commun avec le fait de toucher. Pour respecter les convenances, il faudrait entrer en contact physique, du bout des doigts certes mais toucher quand même.

Jusqu’à voilà peu, pour être poli, il fallait mettre en contact nos épidermes. Prouver que nous n’avions pas de poignard caché dans la manche. Que nous n’étions pas une pimbêche.

Aujourd’hui pour être poli, c’est le contraire. Ne nous touchons plus, n’échangeons pas nos microbes. Je te respecte donc je reste loin de toi. Sauf si tu es ma fille (mon fils). Là tant pis pour la politesse et le tact. Je te respecte et je t’aime donc je te ferai un petit bisou quand tu partiras, et un gros câlin quand tu reviendras.

Si tu le veux bien.

Et si tu ne fais pas ta pimbêche (ton crâneur).

Vous nagez avec un masque, vous ?

Le mode d’accès à la piscine a changé. Je me suis fait rappeler à l’Ordre. Ça faisait longtemps…

„DA LANG UND DAS ZÄHLT NICHT ALS MUNDSCHUTZ !“

(Par là et ça n’est pas un masque valide !).

Tétanisée je suis des yeux l’index accusateur qui m’indique que je devrais me trouver à 1 mètre à ma gauche. Et que ma capuche tirée de côté ne compte pas pour me couvrir le visage.

Il est 8h15 ce lundi matin. Je suis dans l’entrée de la piscine. Seule.

Je reconnais la jolie jeune femme qui m’accueille ainsi. Les cheveux blonds aux épaules, un léger maquillage, quelques taches de rousseur, des lunettes trendy. Elle a déjà encaissé plusieurs fois mon paiement pas plus tard que la semaine dernière. Je l’avais trouvée sympa. Elle m’avait même surprise en me disant aurevoir vendredi alors que je quittais les lieux : la sortie est assez éloignée de son guichet.

Depuis que la piscine a réouvert fin juin en mode Corona, je suis toujours passée par la caisse pour les bassins extérieurs. J’y présente mes cinq euros (oui avec les aménagements, les prix ont doublé), le formulaire avec mes coordonnées, dûment rempli et signé. Comme beaucoup de clients autour de moi, je n’ai pas de masque pour cette transaction rapide, qui se déroule de part et d’autre d’un écran de plexiglas, avec une caissière naturiste du museau. La caisse passée, plus personne ne porte de masque nulle part. Dans les vestiaires, sur les pelouses et dans l’eau, la distanciation sociale devient un concept très théorique.

Ce matin il fait frais. Mais j’ai décidé d’aller à la piscine, malgré la perspective de passer une demi-heure dans l’eau froide, avant et après une douche (extérieure) glacée. Je travaille beaucoup à mon projet de livre. Assise à mon bureau mais aussi tout le reste du temps. Mon esprit continue à mon su et mon insu à avancer et à triturer les sujets (merci à lui, mais parfois faudrait savoir faire des pauses). Ce matin il était important que je profite de mon corps pour mettre l’analyse en veilleuse. J’avais besoin de nager.

J’ai donc enfilé mon maillot sous mes habits, préparé mes cinq euros et rempli mon formulaire. Mis un gros sweat à capuche en prévision des frissons à la sortie. Je suis partie à pied à la piscine.

En arrivant je suis surprise de voir que les grilles rouges et blanches du Freibad (les bassins extérieurs) sont fermées. Comment faire ? Peut-on tout de même nager dehors ? (Je ne languis pas de devoir retourner dans la piscine couverte, 25 mètres seulement, bondée).

Je suis la seule cliente (je vous l’ai dit, il fait froid). Je me rapproche de l’autre entrée, celle du Hallenbad (bassin couvert) et essaie de comprendre la logique des panneaux temporaires. Par où faut-il passer ?

Les quelques marches pour entrer sont divisées en deux par des barrières. Des flèches indiquent l’entrée vers la gauche. Je me dirige donc vers la gauche. Ça fait faire un détour par la rampe. Il n’y a personne et je trouve cela absurde, mais mon monologue intérieur m’informe que « ils sont bien capables d’exiger les zig-zags même s’il n’y a que moi, donc vaudrait mieux suivre la consigne ». Je m’apprête donc à emprunter la rampe. Mais de nouveaux panneaux précisent qu’il s’agit de l’« entrée pour la seule piscine couverte ». Bon, moi je voudrais bien nager dehors. Je sais que l’accès pour l’extérieur, après la caisse est à droite. Mon raisonnement in petto en déduit : « Ah ok les gens qui nagent dedans on les fait entrer par la gauche, et les gens qui nagent dehors entrent par la droite. Logique. Je sais que tout le monde peut sortir par le tourniquet extérieur. » Donc je rebrousse chemin (quelques pas) pour emprunter les marches par la droite.

En montant, comme je n’ai pas emporté de masque (ce n’est pas un oubli, je ne pensais pas en avoir besoin) j’attrape ma grosse capuche par le côté et je fourre mon nez dedans (une intuition qu’il faut se couvrir puisque la caisse est à l’intérieur). Le supermarché d’en face accepte pour la durée des courses toute couverture de visage (foulard, écharpe…) : ils le mentionnent par écrit sur les murs et dans leurs annonces sonores. Pour les deux mètres à faire et les 20 secondes de transaction de part et d’autre de l’écran de plexiglas, il ne devrait pas y avoir de problème.

la capuche

Je grimpe l’escalier. Un sourire s’amorce derrière ma capuche bleu ciel. Je m’apprête à dire bonjour, un mot gentil (j’essaie toujours de placer un petit rien sympa). De ma main droite je commence à tirer sur la fermeture Eclair de mon sac pour attraper mon billet et mon formulaire. Je me demande si je vais pouvoir nager dehors, tant pis pour le froid. J’aime tellement sentir l’air et l’eau fraîche et voir et entendre les grands platanes, sentir l’herbe des pelouses. Regarder le ciel et les nuages. Je m’y sens déjà.

J’ai à peine fait un pas à l’intérieur que je m’arrête tétanisée par l’accueil incisif.

„DA LANG UND DAS ZÄHLT NICHT ALS MUNDSCHUTZ !“

Pendant quelques secondes, je n’ose plus bouger ni parler.
J’ai l’impression d’être une écolière indisciplinée, grondée par la directrice de l’école qui lui a déjà demandé 20 fois de ne pas laisser trainer ses affaires en plein milieu de l’entrée. Une sale tricheuse prise en flagrant délit de fraude minable.

Je réprime un garde-à-vous.

Prise de cours je ne sais comment réagir.

Ma bouche dit : « Merci. Je ne peux donc pas venir

Mes talons se tournent. Je sors, par n’importe quel côté. Le plus proche. (Oh tiens on dirait que c’est le bon ! si j’en crois les flèches en Scotch par terre que je découvre).

Je suis déçue, frustrée et en colère. Mon esprit rumine et ronchonne. Je me sens chauffer et les larmes monter.

J’allais écrire que j’ai un seuil de tolérance très bas pour les incohérences. En fait il est inexistant. Si je ne comprends pas la logique, j’ai du mal à suivre des règles que je considère absurdes.

Je me souviens de ma première visite au musée des Confluences à Lyon. J’étais seule dans le hall et me suis dirigée droit vers les caisses. Un gardien m’a interpelée et intimé l’ordre de retourner emprunter les zigzags de cordes. Il faisait son boulot (où commence l’excès de zèle ?). J’ai eu beaucoup de mal à obtempérer silencieusement. J’avais envie de lui expliquer ce qui était pour moi une évidence et aussi de lui demander s’il était complètement idiot. Je sais d’expérience qu’avec des gens qui appliquent les règles sans réfléchir, il vaut mieux faire profil bas et ne pas discuter. Mais la confrontation à ces murs de béton me coûte. Surtout que ces rappels sont rarement faits poliment.

La caissière ne faisait sans doute que son travail. C’est peut-être la 20ème fois qu’elle répète la même chose aujourd’hui. Je ne suis probablement pas la seule à avoir pris des habitudes à l’autre caisse, et à être perplexe devant leur organisation qui – à mes yeux au moins – est nouvelle.

Je suis rentrée à la maison quitter mon maillot sec.

En chemin j’ai trouvé ce que j’aurais dû lui dire :

Bonjour.

Et peut-être aussi :

Pourquoi n’en portez-vous pas un de masque ?

La fontaine des fous de carnaval à Mainz. Avec et sans masques.

Une histoire de nid

« Ils ont quitté le nid, sans le savoir vraiment, petit à petit vêtement par vêtement.» Bénabar dans sa chanson Quatre murs et un toit

Cette semaine nous avons le plaisir d’accueillir mon aîné et sa copine, pour quelques jours de vacances studieuses.

Il a quitté son domicile familial maternel (le nôtre) pour débuter ses études. Cela coïncidait avec notre départ en Allemagne. Après des années de garde alternée, il a pris pied dans un logement à lui, unique et permanent.

Nous avons emporté dans notre nouvelle maison les affaires qu’il n’avait pas choisies pour son studio : des cahiers de l’école primaire, des dessins, un télescope. Peu d’objets en somme. Les meubles, les livres, les vêtements sont presque tous restés à Lyon pour accompagner notre étudiant dans sa nouvelle vie.

Nous avons emballé dans des cartons les traces fugaces qu’il nous a laissées. Des souvenirs d’un passé révolu, comme tous les passés, du petit garçon qu’il n’était plus depuis longtemps. A Mainz, nous lui avons aménagé une chambre : de nouveaux meubles dans de nouveaux murs.

Brutalement nous n’avons plus eu le plaisir de le retrouver une semaine sur deux, ni de l’accueillir de temps en temps pour un déjeuner, une lessive, un week-end (trop loin Mainz pour un court séjour). Nous ne pouvions pas non plus nous recueillir dans son ancienne chambre pour une bulle de nostalgie.

Vacances de Toussaint par-ci, d’hiver par-là : chaque séjour à Mainz crée des souvenirs communs dans notre maison allemande. Sa chambre s’anime (autrement que pour servir de bureau depuis mars).

L’avantage d’avoir des enfants d’âges différents, c’est que leur départ de la maison familiale sera échelonné. On aura le temps de se préparer, de voir s’en aller chaque week-end, un livre ou un pull de plus.

On l’a vécu nous aussi au même âge. Partir avec un sac de voyage trop lourd, des affaires pour la quinzaine. Avec ses premiers sous s’acheter une machine à laver, une table et quelques chaises, un lit. Récupérer de vieux fauteuils et une télé en noir et blanc. Rentrer moins souvent.

Repères stables, à cette époque, nos grands-parents étaient ancrés dans une vie depuis des dizaines d’années. Une grand-mère à Avignon, des grands parents en Ardèche. Noël par-ci, Pâques par-là. Le festival, les rôties de châtaignes. On savait où on en était.

Aujourd’hui, pour cause de départ prématuré des grands-mères, les grands-pères refont leur vie. Ils changent de lieu de vie, sans vraiment déménager, sans le savoir vraiment, vêtement par vêtement. Et pourtant rien n’est plus pareil. Les maisons où leurs enfants ont fait leurs premiers pas, où leurs petits-enfants ont joué à cache-cache se taisent, se replient, s’assoupissent.

Nos repères côté ascendants s’effilochent pour nous comme pour nos enfants. A quoi tient l’âme d’une famille ? d’une maison ?

Aux pas dans le couloir du petit matin dans l’odeur des ficelles craquantes, au grincement de la poignée, au refus entêté du portail quand il pleut. A la porte entr’ouverte sur un courant d’air pour permettre à la flambée de prendre.

Le départ d’un être aimé impose un changement brutal. Avec les matins qui s’entassent sur les objets et les lieux, les transitions de celui qui reste, s’infiltre un changement plus insidieux, à peine perceptible. D’autant moins quand on vit à l’étranger. Les autres, ceux que l’on a quittés, avancent. Quand nous les retrouvons, notre absence est décuplée. La maison de Londres, celle d’Ardèche crépitantes de souvenirs abritent de moins en moins de vie. Chaque retour est un choc.

C’est une des raisons pour lesquelles nous avons pris la décision (avec le recul d’un séjour en France) de rentrer l’an prochain. Nous avons envie de nous ancrer quelque part, de nous enraciner, au sens littéral. Planter notre famille, entre quatre murs et sous un toit.

En déménageant en Allemagne nous nous sommes toujours dit que ce serait au moins pour 2-3 ans, tant que ça nous plairait. Nous ne sommes pas d’ici, ni l’un ni l’autre. Nous nous sentons en transition. Dans une famille où l’un des parents est de culture locale, l’enracinement pour l’autre se fait tout naturellement. Nous sommes habitués à notre environnement, mais nous nous restons tous les deux (tous les cinq) étrangers.

J’en ai discuté avec une amie la semaine dernière, de retour de la piscine. Elle aussi a vécu à l’étranger, au Japon, avec son mari. Au bout de quelques temps ils ont éprouvé un besoin de rentrer pour s’enraciner. Elle a employé le même mot.

Nous avons envie et besoin de construire un nid, pour nous et nos enfants avant qu’ils ne le quittent tous, vêtement par vêtement. De créer un jardin-refuge où gratter et creuser la terre et planter des fleurs entre nos racines.

(PS : Je n’allais tout de même pas vous mettre des photos de chaussettes !?)

Apprivoiser

L’année scolaire se termine avec son précipité de rituels.

-Qu’est-ce que signifie « apprivoiser » ?
-C’est une chose trop oubliée, dit le renard. Ça signifie « créer des liens ».
Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry.

Ce matin au petit jour je suis descendue dans le séjour. Ma cadette déjeunait déjà d’un muesli. La dernière dormait encore (les horaires de l’école-à-la-maison se décalent chaque jour). J’ai pris une tasse de café et suis sortie marcher pied nus dans l’herbe fraîche. Pour m’éveiller avec le jardin et les arbres, sentir le vent se lever avec le soleil.

Mon mari faisait du sport en écoutant un podcast. L’interview d’une dame américaine dont je n’ai aucune idée de l’identité. Je l’ai juste entendue en passant dire qu’elle relisait chaque année le Petit Prince et que chaque fois elle y découvrait de nouveaux trésors, et des réponses aux étapes qu’elle traversait à ce moment-là de sa vie.

Le Petit Prince, je viens de le racheter, en édition de poche et en français, dans la librairie du quartier. C’est une librairie jeunesse avec une sélection de livres pour adultes très intéressante http://nimmerland-mainz.com/. J’adore y aller, chercher des idées de lecture, des cadeaux. Le commerce du livre allemand est très bien organisé. N’importe quelle librairie peut vous commander le titre recherché pour le lendemain matin. Comme les médicaments dans les pharmacies. Mais ça en arrivant à Mainz voilà deux ans, je ne le savais pas encore.

Pour préparer notre première rentrée scolaire allemande, il s’agissait en quelques jours d’acheter les fournitures, réaliser différentes inscriptions, et commander les manuels. Ici en Rheinland-Pfalz, les livres scolaires doivent être achetés. Certains le sont neufs, mais d’autres peuvent être commandés à la ville de Mainz pour le tiers du prix. Ils seront utilisés trois ans de suite par des enfants différents : le manuel scolaire en copro. Une fois acquittée la commande en ligne auprès de la ville, je me demandais donc où acheter les livres complémentaires.

Me basant sur mon expérience française, j’ai commandé les titres demandés sur le site de la plus grosse librairie de Mainz – celle où j’étais déjà passée une fois, la seule dont je me souvenais vaguement du nom. Nous sommes allés les chercher quelques jours plus tard, en râlant de devoir descendre en ville dans la canicule. La vendeuse n’avait pas dû avoir envie de venir non plus :

-Je ne trouve pas votre commande.

-Essayez peut-être cet autre nom…

Nein, toujours rien.

J’ai commandé sur internet…

Ach so sur internet ! Fallait le dire.

Regard réprobateur par-dessus les lunettes.

Euh je pensais l’avoir (mal ?) dit.

Nous avons reçu nos livres au prix de gros efforts et en s’étonnant du manque de connexion des boutiques allemandes. En fait nous n’avions pas encore appris le mode d’emploi de l’achat de livres. Cette année je sais.

Hier j’ai commandé auprès de la ville une partie des manuels scolaires. En août, j’apporterai les listes complémentaires à ma librairie de quartier. Les charmantes libraires me les commanderont avec le sourire. Et j’irai le chercher le lendemain. Voilà. (Pour ce genre d’achats il ne me semble pas que l’on doive trop anticiper. La semaine dernière, chez le coiffeur, une dame a appelé pour prendre rendez vous pour fin août…. Fin août ? Deux mois d’avance ? Sérieusement ? comme dirait ma fille).

Donc le Petit Prince….

Je l’ai racheté pour pouvoir le lire à mes filles puisque notre édition familiale est – je l’espère – chez leur grand frère à Lyon. A certains moments de la vie le lire, le relire, est une priorité. Il me semble aujourd’hui que c’est le cas. Je les envie d’avoir à le découvrir.

Le livre de poche est posé sur le canapé. Un marque page en dépasse. Il n’avance pas trop.

Quand son humeur y consent, je lis quelques chapitres à ma benjamine. Elle apprécie en situation mais a du mal à s’y mettre. Elle préfère nettement lire des petits romans rigolos. C’est un peu le brocoli de la lecture : excellent pour la santé, mais apprécié plutôt par les enfants devenus grands. Je le lui ai expliqué, avec le renard : pour aimer quelque chose, quelqu’un, il faut le/la connaître, lui consacrer du temps. Renoncer à une découverte juste parce que c’est nouveau, c’est passer à côté de grands plaisirs, et perdre une occasion de grandir. Donc allez encore un chapitre ?

En lisant avec elle, je me rends compte à quel point son vocabulaire français, basé sur nos seuls échanges quotidiens, est limité. C’est ça aussi de grandir avec trois langues. La richesse de l’ouverture de la pensée et de l’expression se fait (au moins au début – croisons les doigts) aux dépens de la variété du vocabulaire.

Ma grande fille a adoré la dédicace de Saint-Exupéry que je lui ai lue à haute voix (vous savez : toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants mais bien peu s’en souviennent). Elle a aussi pour mission de lire le livre cet été. Collectivement, au soleil, nous allons apprivoiser le petit Prince.

Comme nous nous sommes laissé apprivoiser par notre environnement. Cela nous semble plus évident ces derniers temps.

Peu à peu, accepter d’apprendre le nom des fleurs en allemand. Se réjouir de passer un week end dans la forêt même si on y mange et parle teuton. S’abonner à des comptes Instagram (très peu et sélectionnés) en allemand. Bon nous n’avons pas encore envie de passer nos vacances ici tout de même ! (clin d’œil appuyé). Nous avons toujours tous les quatre besoin d’une pause, car même après deux ans le quotidien demande des efforts.

Heureusement les frontières viennent de rouvrir ! Nous quitterons pour les vacances le confort et la propreté allemands pour le charme et le bazar français. Ça nous fera du bien (c’est ce que l’on imagine aujourd’hui…on verra sur place). Nous retrouverons mon étudiant de fils, que nous n’avons pas vu depuis Fastnacht (carnaval), et qui vient de commencer ses concours (décalés de plus de deux mois, et privés d’oraux).

Avant les congés, deux étapes importantes auront lieu : la remise des bulletins, et le départ définitif de l’école primaire.

Les écoles nous envoient de nombreux mails. Chaque message nous explique un truc qui est repris en détails dans une pièce jointe. Je sais donc précisément quand seront remis les bulletins à chaque classe de chaque niveau… Un seul mail me suffirait (avec pièce jointe pour le coup : ledit bulletin). Mais ici c’est toute une affaire : une cérémonie officielle. Dans la classe, dirigée par la maitresse, et en présence de l’ensemble des enfants (pourtant séparés en deux groupes depuis le déconfinement). Chaque écolier est appelé au tableau pour recevoir son bulletin, et applaudi par tous.

Une page se tourne (cf. Billet d’humeur : La dernière fois, 23 février 2020) : la fin de l’école primaire pour le dernier de mes enfants. Ma plus jeune entre en 5ème classe (CM2) donc au Gymnasium (collège). Après quatre ans passés ensemble, les écoliers vont quitter leur maîtresse, se répartir dans les différents collèges de la ville. Fiesta corona-compatible, cadeaux. Offrande symbolique du cartable de l’école primaire à une école du Malawi. Un peu de tristesse et de nostalgie mêlées au soulagement d’en avoir fini avec les trajets scolaires.

Pourvu que le collège lui convienne. Elle a déjà changé régulièrement d’école et s’en est bien sorti. Elle semble savoir s’acclimater, créer des liens et se faire une place. Mais s’adapter n’est pas s’épanouir. On oublie parfois à quel point l’environnement compte pour cela, la nourriture (au sens large) pour se développer. Et que survivre n’est pas vivre.

Nous avons beaucoup jardiné récemment. Une anémone du Japon et un jeune arbuste (dont j’ai oublié le nom) végétaient côté soleil. Leur gros pot importé de Lyon a été mis côté ombre. Et nous leur avons donné de l’engrais (oui parfois on oublie de nourrir nos plantes). Elles prospèrent comme jamais.  L’arbuste s’est enfin décidé à pousser et lance de nouvelles branches feuillues vers le ciel. L’anémone du Japon emporte dans son élan naïf les branches de ses voisins, l’azalée et le papyrus.

J’observe aussi mes capucines poivrées que j’ai semé dans tous les petits trous. J’adore la rondeur sympathique de leurs feuilles. Certaines enflent, généreuses, toutes en feuilles et en fleurs orangées. Une autre dans le coin d’un petit pot sec dresse une unique fleur rabougrie au-dessus de feuilles miniatures. Un pense-bête, comme un post-it sur le frigo : pense à te nourrir, et à privilégier les environnements favorables !

J’écris dehors, à l’ombre de l’après-midi, à l’heure de l’été.

La Saint-Jean est passée. Mais, circonstances 2020 obligent, la grande fête annuelle n’a pas eu lieu à Mainz (elle est proposée de façon virtuelle https://www.mainzer-johannisnacht.de/). Celle qui célèbre le solstice d’été et le fils de la ville, Johannes Gutenberg, père de l’imprimerie.

Gutenberg masqué
Mainz garde ses distances sociales

En ce moment l’environnement conjoncturel râpe. Ras le bol de la paperasse administrative en allemand, du lave-linge qui fuit toujours mais par un autre trou (serait-il temps de passer à la qualité made in Germany ?), des déclarations d’impôts dans deux pays, de deux façons différentes (à l’aide).

J’ai besoin d’une pause et de rire. Je vais aller voir des amies et respirer les tilleuls verts de la promenade. On est trop sérieux quand on a 47 ans.

Une violette dans le béton

J’aime les surprises minuscules, pas vous ?

Vous savez, les clins d’œil inattendus de la vie ? Complices et charmants. Comme la pensée qui a fleuri ce printemps, égarée sur notre terrasse au deuxième étage entre les dalles.* Le coquelicot aperçu entre route et trottoir, rouge et dansant dans une mer de bitume. Ou, sur le béton du chemin des poubelles, ces violettes têtues.

Chacun de ces événements minuscules est un cadeau emmailloté dans plusieurs couches de lumière.

Tout petit, c’est une chance de l’avoir repéré. Il est littéralement inespéré puisque même si je guette ces mystères malicieux toute la journée, je ne cherche rien, faute de savoir quoi chercher. Il est aussi inutile : le trésor repose tout entier dans son existence pure, souvent éphémère. Cet émerveillement m’offre pendant quelques minutes la chance de sortir du sillon de mon quotidien et de moi-même.

Il est à peine 9h30 et déjà ce matin est riche de trois petits miracles aléatoires. De ceux qui laissent entrevoir le doigt d’un ange gardien malicieux.

Ma benjamine avait école ce matin. Mon mari l’a accompagnée à vélo sur une partie du trajet et en a profité pour faire des courses au supermarché voisin (ça dévore les ados, de vrais criquets comme disait ma cousine). En arrivant à la maison il s’est rendu compte qu’il avait perdu son trousseau de clefs.

Aïe !

Vous ne le savez pas, mais lorsque mon cher et tendre perd quelque chose plus rien n’existe jusqu’à ce qu’il l’ait retrouvé. La journée s’annonçait donc longue lorsqu’après avoir rebroussé chemin en quête des clefs il est revenu bredouille. Vite, j’ai composé une petite annonce à scotcher sur un réverbère. Et j’ai même fini par trouver un rouleau de Scotch (pardon, Tesafilm, du nom de la marque allemande).

Nous sommes donc repartis tous les deux à pied pour le supermarché en scrutant le goudron, les trottoirs et les herbes folles. Nous étions assez confiants : les Allemands sont honnêtes, aiment rendre les objets à leur propriétaire et ranger les trucs qui trainent. Mais son premier passage en vain nous intriguait.

Et c’est là que j’ai reçu le premier clin d’œil d’espoir de la journée.

Devant la caserne, un goudron noir et épais avait éclaté sous l’insistance obstinée des rejets de peupliers. Des pousses de dix centimètres en touffe serrée ça dégage une force incroyable ! Pourtant le grand peuplier de la haie avait été tronçonné l’an dernier – sans raison apparente, vu de la rue. J’en avais été attristée, car je le croisais tous les jours cet arbre.  Dans mes moments sombres lors des premiers mois ici en Allemagne, je m’accrochais à son élan vertical et mobile, au rythme de ses feuilles vertes puis jaunes d’or, de ses bourgeons bruns et collants. Elles me donnaient le sens du temps qui passe et l’espoir de sentir s’apaiser mon combat d’adaptation. En outre j’aime beaucoup le parfum des peupliers, qui me rappelle la cour de mon école primaire et les bords de rivière. Et le clapotis de leurs feuilles dans le vent. Donc ce matin quand j’ai vu que toute l’énergie de la sève printanière d’un arbre sacrifié avait fait éclater le goudron, comment dire… ? Hé hé ! Bien fait ! … Et puis si une tige naissante trouve sa voie dans un environnement borné, tous les espoirs sont permis.

Nous n’avions toujours pas trouvé les clefs. Même près des arceaux à vélo. Mon mari est donc retourné demander à la caisse du supermarché, et à toutes fins utiles, à la boulangerie d’à côté, même s’il n’y avait pas mis les pieds ce matin. Bingo ! Elles y étaient ! Gros gros soupir de soulagement ! La journée allait pouvoir se reprendre son cours.

Sur le chemin du retour, juste avant les peupliers-ninja nous avons tendu l’oreille. Des chants d’oisillons – d’habitude signes d’un nid – semblaient se déplacer… Nous les avons observés quelques minutes, le temps d’apercevoir une famille mésange. Les bébés étaient en fait des ados avec leurs parents en plein petit déjeuner dans l’épicéa . Je n’avais jamais vu de scène d’apprentissage chez les oiseaux.

Enfin, de retour – soulagés – à la maison, je consulte mon téléphone. J’y trouve un message de ma ‘’copine-deux mètres’’. « Salut Estelle, ce matin je suis allée faire des courses et j’ai trouvé des clefs. J’ai aperçu ton mari à vélo. Est-ce lui qui les as perdues ? » Eh oui c’était mon amie qui avait pris soin de les ramasser et de les donner à la boulangerie. Coïncidence incroyable non ?

Merci ange gardien !

Ça me rappelle deux anecdotes énigmatiques.

La première a eu lieu voilà six ou sept ans. Un ami m’avait recommandé un livre, un classique du yoga intitulé Le yoga sans postures. Il m’avait précisé que lui avait l’ancienne édition de poche, mais qu’il avait été réédité.

Un matin, j’allais écrire au saut du lit, mais c’était plutôt assise dans le lit, avec une tablette, je me suis commandée ledit livre en ligne. J’avais trouvé l’ancienne édition d’occasion. Il n’était pas encore 7 heures. En sortant de chez moi vers 8h30, j’ai ouvert machinalement la boite aux lettres. Là, se trouvait un paquet plat dans une enveloppe kraft sans timbre et avec mon nom écrit au stylo. J’ai déchiré le papier : c’était le livre que je venais de commander !

Il faut savoir que les boites aux lettres de l’immeuble n’étaient pas accessibles pour le dépôt du coté de l’entrée. Même si le vendeur s’était glissé dans le hall à la faveur d’une sortie, il n’aurait pas trouvé de fente dans laquelle y glisser son paquet. Comment était-il entré dans le local adjacent dont seul le facteur avait la clef ? Quelle était la probabilité que le vendeur de ce livre d’occasion ait habité ma ville voire même mon quartier ? Que de mystère… Un mystère bienveillant mais un peu effrayant aussi.

Autre temps, celui des études à Lyon. Je m’étais échappée le week-end de Pâques retrouver ma famille en Provence, autour du traditionnel pique-nique dans la garrigue de Frigolet. En fin d’après-midi le lundi, j’ai repris le train à Avignon pour Lyon. Inutile de dire qu’il était bondé, comme au retour de tout long week-end, qui plus est de beau temps. Je me suis calée dans l’entrée d’une voiture entre d’autres étudiants entassés et des bagages. J’ai sorti mon bouquin – le Parfum de Süskind – et j’ai attendu Lyon dans la chaleur et les hoquets du train.

Trois mois plus tard, j’ai retrouvé mon amie d’enfance allemande dans les Cyclades pour des vacances de bleu, de soleil et de pastèque. Nous campions sur les plages, sur des poussières d’îles encore peu courues. Sur la place d’un village, un matin, devant le kiosque où nous achetions des graines de tournesol salées, nous avons rencontré deux jeunes Français en sac à dos. L’un d’eux m’a dit : « Je te reconnais, je t’ai vue dans le train entre Avignon et Lyon le lundi de Pâques. Tu lisais le Parfum. »

Retour au présent.

Là, à l’instant, une graine de peuplier légère et duveteuse comme un flocon s’est invitée par la fenêtre entr’ouverte et flotte au-dessus de mon clavier. Je repense à la jeune fille que j’ai observée la semaine dernière, au bord du ruisseau sous les grands arbres. Le vent détachait des graines par milliers et elles tourbillonnaient dans le ciel. La demoiselle attendait son chien qui batifolait, et moi mon amie, en admirant les iris d’eau.

Elle levait la tête et dansait presque en tentant d’attraper ces graines-plumes, comme on le fait avec des flocons de neige.

(Et de quatre !)

* Dans les années 90, à l’époque où les tailleurs se faisaient encore, j’avais déjà croisé une pensée dans les dalles de béton, perdue entre des tours d’acier et de verre. C’était à la Défense lors de mon premier voyage professionnel de jeune embauchée. Je l’avais regardée avec compassion et lui avais quémandé tout le soutien possible. Je me sentais comme elle. En terrain stérile.

Aujourd’hui (à moins que ce soit hier, ou demain)

Les heures s’allongent, la lassitude guette, les tensions grignotent. L’espoir prend la couleur des fleurs de printemps, de dunes cachées au creux d’une ville, et de connexions égrainées au fil des jours.

Pffffffffff

…..

Y’en a maaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaarre.

…….

C’est loooooooooooooooooooooooong.

……..

Mouais.

……

J’ai mal au cou et au dos (encore, oui). Ça va bien mieux mais les tensions s’obstinent. Peut-être trop d’exercices (doux) hier. Ou ce mouvement malheureux pour attraper un plat dans la cuisine.

Déjà en temps normal (celui d’avant), je suis une éponge, le sherpa de vos émotions (de rien, je ne fais pas exprès et en plus hélas ça ne vous enlève aucun poids). Mais alors là… avec l’angoisse latente dehors, l’impossibilité de se défouler et de se changer vraiment les idées… Difficile d’évacuer les cailloux et les piquants. Je stocke involontairement la tension ambiante dans un sac à dos invisible.

Du coup la frustration et l’impatience sont venues me tenir compagnie. C’est sympa, cette présence. Parce que l’envie et la motivation sont parties en quarantaine chacune de leur côté. Elles en avaient ras le bol elles aussi. Elles m’ont laissé un désir de mordre mais pas l’énergie de m’en occuper. Des pantoufles défoncées (fait encore un peu froid pour les Birkenstock, et franchement je n’ai pas encore passé le cap des chaussettes dans les tongs. Même en confinement. J’ai été traumatisée gamine de ce côté-là par une mère frileuse qui donc habillait ses enfants plus qu’elle).

Fait beau.

….

On est allés aux poubelles ce matin (les nôtres, cf billet d’humeur du 14 avril, Mauvaise humeur).

…..

Et même à la ‘’déchetterie’’. Enfin au stock de vieux meubles, étendages démantelés et vélos cassés entreposés sur le trottoir à côté des poubelles (ici à Mainz c’est la déchetterie qui vient à nous). On avait deux vieilles chaises cassées. On ne les a plus. Il semblerait que tout le quartier ait vidé ses cagibis. Ce sera ça de fait.

….

Voilà.

….

Hein, vous dites ?

……

Ma fille attrape le téléphone quelques secondes et consulte la météo : 26° en fin d’après-midi. « Yeah ! on va pouvoir à nouveau dormir dans la tente ce soir maman ! Et toi tu mettras une jupe et un Tshirt à manches courtes. »

OK

Je n’ai pas beaucoup écrit ce matin. En tous cas pas ici. Je viens d’échanger plein de messages avec des copines. Avec la routine installée, les vacances que personne ne prend, le blues qui s’installe, les échanges se sont tassés et ça me manque terriblement. Alors j’ai fait des petits coucous à droite à gauche.

Mes petits signes envoyés dans le vide sont revenus avec des bouquets de bisous et de sourires. Ça va mieux. A quoi ça tient le moral hein ?

J’ai jalonné mes jours de quelques parenthèses personnelles qui me réjouissent. Parce que c’est dur de se motiver seule dans le no man’s land temporel de notre cabane. Je me réjouis de mon prochain cours virtuel lundi. Un cours de yoga en ligne auprès d’une prof américaine, anxieuse comme moi, qui l’assume et partage ses trucs. Pay what you can. Et hop un p’tit stock de sourires et de mot doux pour tenir jusqu’à mercredi.

Là je suivrai une démonstration de peinture faite par une école d’art anglaise. La dernière fois c’était comment peindre la vue depuis la maison de l’artiste (colline et bocages) à la façon de la montagne Sainte-Victoire de Cézanne. J’ai tenté d’adapter à l’aquarelle. J’ai aussi suivi un cours d’écriture : comment s’assurer d’écrire tous les jours (ben en fait, il suffit de .. le faire, plus dur à faire qu’à dire, justement).

Extra les ressources inventives, la solidarité et la générosité de certains !

L’activité est un prétexte. Une excuse pour ce connecter pendant une heure aux autres. Cloîtrés du monde entier, unissez-vous ! Coincés chez eux là-bas comme nous ici nous partageons, chacun dans son fuseau horaire, un intérêt et un moment… Pendant quelques minutes le cauchemar qui enveloppe la terre se dissipe, l’incertitude s’effiloche. Oh une éclaircie ! On se recentre. L’esprit se discipline pour suivre des explications. Il nous lâche un peu. Ouf quelques minutes de paix.

Les grands de ce monde ont réfléchi. Ont écouté les experts. Ont parlé. Se sont adressé à nos oreilles tendues, à notre espoir grand ouvert. J’ai dit à mon dos de bien écouter. Il peut relâcher la vigilance. Dès lundi prochain (20 avril), les petits magasins allemands vont pouvoir rouvrir. Les écoles reprendront progressivement à partir du 4 mai, avec une priorité pour les dernières années de cycle (de l’école primaire et du lycée). C’est ce qu’Angela a annoncé.

Je viens de recevoir le courrier de la direction de notre Land pour la mise en oeuvre locale. Notre grande restera encore à la maison pour une période indéterminée. Sa soeur reprendra le 4 mai de façon adaptée (15 élèves dans une salle de classe maximum, donc alternance de cours sur place et à la maison). Son école doit encore se gratter la tête et statuer pour mardi, jour de rentrée. Plus que deux semaines de classe à domicile – toutes choses égales ou meilleures par ailleurs…

Quoi ? Qu’est-ce que je ressens au fond de moi ? Serais-je déjà nostalgique de la relative docilité de ma plus jeune à mes côtés, sur le même bureau, qui s’applique dans son cahier et s’efforce d’en finir le plus vite possible ? De son petit coude qui frôle le mien ?

Pourtant je souffre aussi cette absence d’intimité.

Pas vous ?

C’est une chance folle d’être avec sa famille, de ne pas se retrouver complètement isolé. De barrer notre navire avec nos aimés, de partager notre cabine avec des gens connus et avec qui on s’entend bien. Néanmoins, un peu de solitude parfois fait du bien. Une île de quelques minutes de calme et de silence.

Je vais partir marcher cet après-midi puisque j’ai la chance de pouvoir le faire. Oh pas loin. Notre rayon d’action ne dépasse guère le kilomètre unique de la longe des Français. Pas loin donc. Sur les Grands Sables de Mainz. On y entend parfois l’autoroute, et c’est un peu lunaire. Mais au printemps, la flore de ce terrain acide et sec est originale. Les touffes basses de petits soleils éblouissants (dont je ne connais pas le nom) sont-elles déjà écloses ? Et les géraniums violets intense ?  Si on tourne le dos aux trop grands immeubles et qu’on estompe d’une main la ligne à haute tension, c’est la vraie campagne, avec les courbes du massif du Taunus au loin. La faille du lit du Rhin entre les deux.  Avec un p’tit tour d’espièglerie de l’imagination, des bruyères et des fougères, ce serait presque les Landes, les nôtres, celles qui tiennent tête à l’océan.

Les marcheurs font sagement le tour de la steppe sans couper par le milieu puisque c’est interdit pour cause de flore vénérable (environ 12.000 ans). Ce relief particulier date de la dernière ère glaciaire. (L’autre moitié de la lande est aussi une zone protégée inaccessible : elle est réservée aux exercices de l’armée américaine – il ne doit pas y avoir de plantes rares de l’autre côté de la grille….). Dommage, ce serait top cette lande rase ceinturée de pins rouges pour les pique-niques du soir.

Une amie-voisine m’a proposé qu’on se retrouve pour marcher. Pour être chacune tout simplement pendant une heure. Tout près et un peu loin. Je culpabilise mais je vais dire oui (à 2 mètres copine !). Moi qui ai refusé à ma fille de sortir avec une copine (une seule !) pour promener son chien (un chien !).

Le principe de précaution prend l’eau.

Plutôt lui que moi, hein. Car bientôt je vais parler à mes pantoufles défoncées. Vivement les Birkenstock sans chaussettes, que mes pieds changent de saison. Allez, chiche, aujourd’hui je sors les orteils, et je les peinturlure en arc en ciel ! Mon horizon va changer !

Me revoilà au clavier après la balade avec ma copine-2 mètres.  Elle m’a ramenée aux Grands Sables. Par un autre chemin bien plus bucolique que le mien qui longe les supermarchés et ses terroristes du caddie et la route. Et au bout de la ligne droite, elle m’a fait prendre un autre sentier. Celui en terre noire qui s’échappe sur la gauche. Il disparaît dans les pins et les chênes aux chatons vert tendre. J’avais toujours cru qu’il ne menait qu’à des habitations et des immeubles, le long de l’autoroute.

En fait le chemin descend en pente douce et longe des champs. Après une boucle secrète sous l’autoroute, il traverse d’anciens vergers, où quelques pommiers sont en pleine floraison rose et blanche. Un cerisier a déjà de toutes petits cerises. Le poirier est entre les deux, entre le pommier et le cerisier mais surtout entre fleur et fruit.

Sous nos pieds du sable. Gris pâle et doux, souple. Le sentier remonte et débouche sur une steppe ondulée, des dunes enherbées par endroit. Nous continuons sous le couvert des feuilles jeunes. Oh écoute, un pic-vert ! Comment dit-on pic-vert en allemand ? (j’ai oublié). Et là un couple de rapaces. Oh et là un rouge-gorge !

A ras de terre, personne.

Le ronronnement de l’autoroute s’est assoupi. Nous discutons comme d’habitude, comme si de rien n’était au-delà du moment. Mon amie me raconte ses boutures secrètes dans le bois voisin, en cachette de ‘’la police des hobbies’’ comme elle appelle en riant ses concitoyens zélés. Je lui parle de mes prélèvements discrets de plants de pâquerettes au ras de l’aire de jeux pendant que ma fille tourne sur la barre. ‘’Tu es sûre qu’il n’y a personne qui me voit?’’ Comme disait un humoriste anglais : ‘’Le meilleur moment pour faire des boutures c’est quand personne ne regarde’’.

Ouf, c’est rassurant de rire et de partager avec quelqu’un ! Elle a vécu en France et en Scandinavie. Alors les tâtonnements culturels, elle en connaît un rayon. Avec elle, pas besoin d’être au garde à vous. Attends, je vais regarder l’écorce de ce pin avec les doigts.

Je referme ce texte en bien meilleure forme que je ne l’ai ouvert. Ça m’a fait du bien cette balade amicale. Et j’ai pris du plaisir à partager avec vous.

Alors merci. Merci pour votre écoute différée, silencieuse, patiente.

Et devinez quoi ? J’entends le vélo de mon mari qui cogne contre le portillon. Il rentre du supermarché. Il a un grand sourire et il tend le bras tout haut.

Dans sa main : un kilo de farine !

Adonis

PS : Je viens de consulter mon guide Delachaux des plantes par la couleur. Les petits soleils aux feuilles-plumeaux ébouriffées sont des aristocrates héllènes : Adonis du printemps. Y’avait qu’à se fier à la couronne. Fleurs 4-8 cm, tépales (pétales et sépales) 10 à 20, jaune d’or. Pelouses sèches, steppes, pinèdes ; rare.  Europe médiane et orientale. Enchantée.