Retour vers le passé

Je me retrouve à poser une question que je n’avais pas posée depuis très longtemps :

Vous prenez la carte bleue ? oui et Visa aussi ? Non, ah dommage. Bon va falloir que j’aille retirer de l’argent. C’est où ? C’est loin ? Vous pouvez me garder mes courses (mes affaires, mes enfants) svp?

Pas moderne l’Allemagne. En tout cas bien moins que la France et l’Angleterre. Et surtout bien moins que l’idée que nous nous en faisions. Fichus préjugés. Le fait que le client paie la plupart du temps en liquide, on savait. Nous pensions que c’était une question de préférence, d’habitude, pas une contrainte, imposée par l’environnement technique. Si les commerces prennent une carte, c’est généralement celle du réseau bancaire allemand, et c’est tout.

‘Le sans quoi ?’ le sans contact. Parfois. Rarement. Mais Les distributeurs proposent par défaut des montants vertigineux pour un Français habitué à retirer 50 euros les jours de grandes courses (ou de fête à l’école). Réaction primaire (la mienne) à la vue de l’écran : « Whaou ils sont riches les Allemands ! » autre réaction toujours aussi primaire (et toujours la mienne) : « Bon en même temps t’as vu leurs voitures ? »

Lorsque je suis allée m’inscrire à la Volkshochschule (l’équivalent de nos MJC, que l’on traduirait par ‘université populaire’) j’ai attendu patiemment derrière une dame qui comptait tout aussi patiemment sa liasse de billets pour payer son inscription à l’année (plusieurs centaines d’euros tout de même).

Avis aux voleurs à la tire.

En fait, il semblerait que le recours aux espèces provienne d’une grosse méfiance vis-à-vis de la protection des données personnelles et de l’informatique (bon, pas chez le docteur – malgré les affiches – car tout le monde entend tout sur tout le monde) – héritage douloureux de la Stasi.

Cette impression de décalage dans le temps s’accentue avec la prise de conscience de la faible connexion du pays. Lorsque n’écoutant que le bon sens de mon amie allemande, je demande ma carte de fidélité chez DM (un magasin formidable), l’employée me demande mon adresse postale. C’est tout. Je reste interloquée. J’attends qu’elle me demande de compléter avec mon mail, mon numéro de portable. Mon empreinte digitale. Non. Je repense à la dernière carte faite chez un commerçant de Lyon, où il ne m’a été demandé que mon adresse mail. Point. Justement en matière de points, je reçois des tas de courriers papier avec mes points de fidélité (pas encore tout compris sur leur utilisation, ça viendra).

Et surtout, surtout, incroyable mais vrai…. On m’avait prévenue mais je pensais que c’était exagéré, une blague pour nous effrayer…. Nous avons attendu 3 mois avant d’avoir internet à la maison. 3 MOIS. Vous vous rendez compte. 3 MOIS. En 2018. On aurait dû se méfier : le wifi se dit WLAN. WLAN la porte dans la tête. La faute au marché qui n’est pas libéralisé ? Le service client ? euh …. Disons que le client doit se contenter du service proposé faute de mieux.

Et encore, depuis l’installation de notre box, ça bugge presque tous les jours. ARRRRGH.  

Pendant cette période temporaire fort loooooooongue (comme un jour sans Brötchen), dans le but de ne pas perdre contact avec mes amis, ma vie et de façon générale mon époque, j’ai cherché un café avec wifi. J’ai demandé aux dames de mon cours de yoga qui ont ri : Heu non, y’en a pas par ici. Peut-être dans les cafés américains de la gare ? Oui sans doute, mais ça ne me fait pas envie du tout.

Sur différents aspects, nous avons l’impression d’un joyeux retour aux années 80 (surtout avec le look moustachu de certains) et parfois même aux années 40 (enfin, ce que nous en imaginons) : les enfants vont sonner les uns chez les autres pour aller jouer dans l’herbe ou sur les balançoires, ils se retrouvent pour aller manger seuls une glace à l’échoppe du coin.

Et ça franchement, c’est super agréable. Et je me dis que ça vaut bien un trimestre sans internet.

Enfin, je me le dis après coup.

Ach so

Daddy, this Sunday it’s the portes ouvertes of the Tierheim. Can we go?(Tierheim : refuge pour animaux)

Voilà à quoi ressemblent les conversations chez nous.

C’est sûr maintenant nous commençons à voir le bout du tunnel côté expression linguistique. Lorsque nous sommes arrivés ici, nous étions tous les quatre bilingues français / anglais, certains plus que d’autres : l’anglais est ma deuxième langue alors que mon mari et mes filles ont deux langues maternelles. Ici en Allemagne donc, il nous a fallu nous débrouiller dans notre troisième langue.

Mon mari parle peu allemand et travaille en anglais, comme c’était déjà le cas en France, avec des gens du monde entier. Les Allemands ont de façon générale un niveau d’anglais excellent. Je me débrouillais bien en allemand en arrivant (grâce à une amitié de longue date), suffisamment pour nous dépatouiller et je continue bien sûr d’apprendre. Les filles savaient seulement compter. Elles parlent maintenant couramment allemand.

Le système scolaire germanique accueille les étrangers avec des cours de langue (allemand langue étrangère) systématiques. L’économie est ouverte aux immigrants (dans le tram, la société de transport de Mainz se vante de transporter chaque jour 200.000 personnes de 200 nationalités). Et tout le système suit. Des cours d’allemand sont également proposés pendant les vacances. Des cours de langue maternelle sont aussi offerts, car bien sûr, l’apprentissage d’une langue étrangère est facilité quand on maîtrise bien sa propre langue. (Bon pour les cours de français, ça n’a pas l’air possible pour l’instant).

Nous nous sentons donc moins isolés. Au collège notre plus grande reçoit des cours particuliers une fois par semaine, et notre plus jeune des cours collectifs tous les jours. Elles ont pu progresser très vite.

Néanmoins… cela ne se fait pas sans heurts ni travail.

Au début le soir en rentrant de l’école, les filles n’arrêtaient pas de parler. Et moi, je passais d’un silence assourdissant à une cacophonie en stéréo d’histoires différentes, avec beaucoup de : « Tu m’écoutes maman ? Eh tu m’écoutes ? je répète car tu ne m’as pas répondu ! ». J’ajoute que mes filles ont un débit d’expression très élevé et qu’elles n’articulent pas. En outre en raison des particularités linguistiques familiales, si on rate un mot / une phrase / une interpellation… on ne sait pas à quelle langue se référer pour boucher le trou. Epuisant.

AU SECOURS ! Laissez-moi respirer.

‘’ Mais maman on ne peut pas parler de toute la journée ! Il faut bien qu’on s’exprime’’. Oui bien sûr.

‘’Tu sais maman rien que d’écouter parler quelqu’un ça me fatigue’’. Et oui forcément. Une telle concentration toute la journée ça mange de l’énergie. Je peux comprendre. Adulte aussi c’est dur de jongler d’une langue à l’autre. Bien sûr c’est une chance extraordinaire de vivre dans un environnement trilingue. Mais les cerveaux fument un peu, comme le smartphone quand on compose sur un message avec la mauvaise langue sélectionnée sur le clavier. (Et si en plus, je n’ai pas mes lunettes, je n’ose pas imaginer ce que mes destinataires reçoivent.)

On s’était dit avant de partir : les filles sont bilingues, elles apprendront plus vite une troisième langue (c’est vrai). Et au moins dans les cours de français et d’anglais ce sera très facile. Là c’est faux pour les cours du collège (à l’école primaire les cours d’anglais ne sont que de l’initiation donc tout va bien). Comme notre grande n’avait jamais appris de langue étrangère, elle ne savait pas ce qui était attendu d’elle dans les exercices comme une traduction par exemple. Déception et surprise aux premières notes : tout était juste -linguistiquement – et pourtant les notes n’étaient pas à la hauteur. Et pour rédiger un devoir de français ou d’anglais, il s’agit d’abord de comprendre les instructions (le texte à traduire etc…) en allemand… Même dans ces cours-là pas possible pour elle de se reposer !

La langue bien sûr n’est pas seulement un moyen d’expression, mais aussi une façon de penser. Cette chance énorme de pouvoir s’exprimer en plusieurs langues dès un jeune âge représente également l’apprentissage de plusieurs visions du monde. Les filles vont utiliser le mot qui correspond le mieux à leur besoin d’expression, quelle que soit sa langue – pour profiter des nuances de chacune.

Cette compréhension est d’ailleurs un des aspects les plus passionnants de cette expérience. Car la langue du pays, même si on la parle reste une barrière tant que le mode de pensée local reste étranger. Développer son vocabulaire permet aussi d’exprimer ses émotions, ses idées, ses sentiments, ses questionnements. Car, comment peut-on s’exprimer pleinement avec un vocabulaire restreint ? Notre vraie personnalité peut-elle apparaître dans la deuxième ou troisième langue ? N’en manque-t-il pas un gros bout ?

Personnellement j’affectionne les blagues au troisième degré, les jeux de mots parfois vaseux et autres joutes de langage. Comment faire des blagues au troisième degré ‘’quand on n’est soi-même pas encore au premier degré’’, comme m’a dit mon fils ? (Il se trouve que les Allemands s’expriment plus volontiers au premier degré qu’à d’autres – contrairement aux Anglais friands d’autodérision mais ça c’est un autre sujet).

Adieu les blagues donc, restons pragmatiques pour se faire comprendre dans les grandes lignes. A court terme, on s’en accommode. Mais à la longue l’esprit s’épuise et se racornit de devoir toujours lutter pour s’exprimer, il se frustre de ne disposer que d’outils basiques. C’est peut-être aussi une des raisons d’être de ce blog : pouvoir s’exprimer et échanger dans sa langue maternelle, de façon un peu approfondie (on essaie, on essaie). En tous cas, plus approfondie que ‘’Ein Vollkornbrot bitte’’ (un pain complet svp).

Je constate avec un certain désarroi que l’étendue du vocabulaire diminue avec sa fréquence d’utilisation ; ma fille de 8 ans parle déjà presque mieux l’allemand que le français et l’anglais, et oublie le français… Son frère ne le croyait pas, et pourtant maintenant sa sœur s’adresse souvent à lui avec des mots allemands. Forcément, c’est ce qu’elle entend et utilise toute la journée. Hier soir elle regardait une photo : ‘’Là mon frère était 16’’ (avait 16 ans). Saint Bécherelle aidez-moi !

J’essaie à doses homéopathiques de l’aider à maintenir ses connaissances en français. Pour limiter les dommages collatéraux de la pédagogie familiale, j’ai cherché par le lycée un(e) étudiant(e) pour lui donner des cours. Faute de Français(e) de souche, une jeune fille allemande s’est proposée. Elle était l’an dernier en seconde, dans la section que l’on pourrait appeler bilangue français du lycée. C’était sa 6ème année d’apprentissage. Elle parle presque comme vous et moi. Incroyable. Y’a un mystère à copier dans l’enseignement des langues. Un indice, les collèges et lycées proposent des échanges linguistiques. Ma grande va donc partir avec sa classe cet automne.

A Paris.

Help !

Arrivée à la maison de location temporaire à Mainz le 31 juillet 2018 au soir.

Notre maison ne sera disponible que dans deux semaines. Qu’importe. Cela nous donnera l’occasion de découvrir deux quartiers, de rencontrer la famille qui nous loue ce logement. Formidable. Nous allons sans doute échapper à la canicule qui commence en France. Le supermarché est encore ouvert à 20h : nous allons pouvoir nous concocter notre première dînette allemande. Oh génial regarde la confiture de prune au nom rigolo : Pflaummus (pflaoumemousse)! Et les saucisses et autres salamis sous blister pour le petit déj. Et le repas du soir. Et les fromages-déjà-tranchés-tous-pareils-et-en-plastique. On va se régaler !

Tout excités tous les 4 de toucher au but, après avoir passé la journée entassés dans la voiture, après toutes ces semaines de contraintes administratives en deux langues et des deux côtés de notre vie en transhumance, de rangement, de tri, de rendez-vous avec Emmaüs, d’aurevoirs intenses.

Partis (presque) sans nous retourner. Impatients de passer à la prochaine étape. Ravis du changement qui s’annonce. Nous baignons encore dans nos habitudes et toutes ces nouveautés piquantes stimulent notre curiosité. Nous nous croyons presque en vacances.

Ça n’allait évidemment pas durer.

Les jours qui suivent, nous découvrons que la canicule a bien cours sur les rives rhénanes. Nous inventons une marelle dans les rues entre les rares flaques d’ombre. Certains commerces sont fermés ‘’pour cause de chaleur’’. Vraiment ? Nous renonçons à tous les déplacements non indispensables.

Mon mari a attaqué son nouveau travail d’emblée. Avec les filles nous jouons à la famille qui vient de s’installer en Allemagne. Au fond de nous, notre corps et notre esprit n’ont pas encore compris qu’ils allaient rester là. Notre chez nous c’est toujours à Lyon. D’ailleurs on a toujours les clefs. Et nos meubles sont toujours là-bas.

Trop trop chaud. De l’eau il nous faut de l’eau.

Nous marchons jusqu’à la piscine. Que c’est long ce trajet dans l’haleine d’un four de céramiste ! Les plantes en haillons brûlés réclament grâce. ‘’Maman tu as vu les gens ici ils doivent beaucoup laver leurs voitures, elles brillent !’’. C’est vrai, c’est le cas, et une petite voix en moi persifle : ‘’Mmm j’espère que ce n’est pas leur seul passe-temps’’. Je m’étonne avec un amusement mâtiné d’un soupçon d’inquiétude du linge si bien rangé sur l’étendage dans un jardin. Pourvu que nos voisins ne viennent pas nuitamment remettre de l’ordre dans notre composition poétique de chaussettes et de culottes qui sèchent. Surtout qu’en ce moment, faute de matériel adéquat, le linge humide est disposé artistiquement sur les romarins du jardin.

La piscine enfin. Grands bassins bordés de pelouses avenantes et de majestueux platanes. Ah chouette ! Bondés comme il se doit pendant les vacances scolaires un jour de feu. Bon on fera avec.

Nous trempons avec délectation dans une eau trop tiède.

Allez les filles on y va. Une petite douche ? Nous entr’ouvrons la porte de la salle. Elle est pleine. De dames toutes nues ! Euh, ah. Euh finalement nous la prendrons à la maison cette douche. La nudité partagée d’un coup et avec promiscuité, alors que nous n’arrivons toujours pas à admettre que dorénavant oui nous allons toujours entendre parler allemand autour de nous, ça fait un peu trop. Nous y reviendrons progressivement, donc en l’absence de tout témoin pour commencer (nous n’y sommes toujours pas).

« Maman qu’est-ce qu’on mange au goûter ? »

Allez hop. Ni une ni deux. Je mitonne un clafoutis aux mirabelles. Bon oui, mais … bizarre. La petite voix me dit « pouah il n’a pas le même goût qu’à la maison. Et t’as vu les œufs blancs ? Pourquoi ils sont blancs d’abord ? Et le beurre ? Il n’a pas la même texture ; il n’a pas de goût. Et il fond tout de suite. Est-ce que tous mes gâteaux seront comme ça ici ? »

Même déception avec les crêpes. Les CREPES ! horreur, sacrilège. Pas le même goût ni la même texture.

Et ces fichues poubelles ? Faut-il enlever l’étiquette de la peau de banane avant de la mettre dans le sac de compost en papier ? Lequel se désagrège à peine touché. Et pourquoi, pourquoi, les bacs ne sont-ils vidés que tous les 15 jours ? Quand il fait 40 ° à l’ombre, je vous laisse imaginer l’état d’une poubelle de compost. Je les contourne avec méfiance, m’attendant à chaque instant à ce qu’elle se mette à remuer, à déborder de bulles de matières fétides comme le chaudron des sorcières de Macbeth. Sans compter les effluves peu ragoûtants. J’y jette mes déchets en apnée et les yeux fermés.

Pas découragées pour autant nous allons finaliser les inscriptions des filles dans leurs écoles respectives. A peine à 10 minutes à pied l’une de l’autre, et à peine plus de la maison. On apporte les bulletins français, l’école nous remet la liste des fournitures à acheter, des livres à commander, des formulaires abscons beaucoup trop longs.

L’aînée se réjouit de toutes ses nouveautés. La cadette moins, mais la rencontre avec sa maitresse, belle jeune femme sportive en short-birkenstock la rassure. Elle visite sa classe.

Je vais faire les inscriptions pour la cantine. Il faut payer par virement. Ah bon. Avec un compte allemand. Ah ben on n’en a pas encore voyez-vous, il faut une adresse pour ouvrir un compte et nous n’aurons notre maison que dans 2 semaines. Arrrrrgh… Après bien des discussions, des traductions (quel bonheur le vocabulaire administratif) nous trouvons une solution pour l’une, pas pour l’autre. Sandwiches donc ma grande. Je rêve de l’inscription à la cantine en France où il suffit de cocher la case idoine ‘mange à la cantine’ et de payer en ligne. Par carte.

Demain c’est la rentrée. Les cartables sont prêts. Les habits et les nu-pieds aussi. Les cœurs un peu moins, surtout le mien.

Mon sommeil est bref et agité. Je me réveille en sursaut : c’était un cauchemar hein ? Je vais me réveiller et tout cela s’envolera dans les limbes ? Qu’avons-nous fait ? Pourquoi sommes-nous ici ? Nous avons tout cassé, quitté des gens que nous aimons, renoncé à une super école où les filles étaient à l’aise.

Je ne veux pas être ici. Je ferme les yeux. Si je les serre assez fort assez longtemps, je les rouvrirai sur mon environnement familier à Lyon.

Le réveil sonne, inutile. Voilà longtemps que je tourne et je rumine.

C’est parti les filles. Trop tard pour renoncer. Le grand huit a démarré en trombe. Accrochez-vous. Accrochons-nous et faisons de notre mieux.

Vous allez rentrer dans de nouvelles écoles où vous ne connaissez personne. Tout sera différent de ce que vous connaissez.

Et vous ne comprendrez aucun mot.

Réapprendre la confiance

Hier matin je me suis promenée seule dans la grande forêt qui borde notre quartier. Un moment de grâce. L’écrin protecteur de grands hêtres, noisetiers et pins, peine à dissimuler une dizaine d’écureuils en pleine razzia de saison trahis par le froissement des premières feuilles mortes, et leur éclair roux. Là une cabane-tipi en branches. Je m’égare volontairement dans les nombreux sentiers tortueux. Je croise un groupe de mamies en pleine gym, une autre assemblée de mamans en poussettes en séance d’étirements collectifs. Un Kindergarten (maternelle) en goguette sur une aire de jeux en troncs sculptés (chiens interdits). Des dames ou des monsieurs seuls. Des marcheurs de tous les âges. Une grand-mère avec un bébé dans un landau. Tout ce petit monde marche et prend l’air. Aucune sensation de mal-être ou de peur insidieuse à se retrouver seule au détour d’un croisement. Les gens que je croise ne me donnent pas l’impression d’avoir d’autre motif que le sport et le plein air. Pas de regard furtif, ni de pas soudain accéléré. La forêt est propice à la détente, même pour une femme seule. Je le remarque et l’apprécie. Il faudra encore plusieurs promenades à ma vigilance pour se rasséréner, et oublier le mode de fonctionnement acquis après tant d’années de promenades au Parc de la tête d’or.

Le soir, mon mari est rentré du travail avec deux pots de confiture achetés devant une ferme. C’est un système très courant par ici, utilisé par les producteurs et les habitants en général. Sur une petite table sont disposées les productions proposées à la vente et à l’honnêteté bienveillante du chaland. Les prix sont indiqués. « Prière de laisser son obole dans la boîte prévue à cet effet ». Il y a fort à parier que le chiffre d’affaires collecté le soir correspond à celui qui est attendu.

La confiance et le respect semblent être des valeurs courantes en Rhénanie, en tous cas dans les petites villes. Bien sûr les vols existent. Nous nous sommes d’ailleurs fait voler un vélo tout neuf près de la gare. Mais cette impression générale de confiance nous oxygène d’une bouffée de fraîcheur. Et cela fait un bien fou.

D’ailleurs, le concitoyen est présupposé honnête. Le soupçon de mensonge, de dissimulation, de fourberie semble inconnu dans une joyeuse naïveté reposante. Je me souviens l’an dernier quand j’ai dû procéder à l’échange de deux feutres qui ne correspondaient pas à la liste des fournitures scolaires (à l’aide !). Le rayon papeterie du grand magasin étant au premier étage, je suis vite montée et me suis dirigée directement vers la caisse pour leur laisser lesdits stylos avec la preuve de mon achat – afin de pouvoir aller chercher les nouveaux sans être soupçonnée de vols (encore un réflexe acquis). La caissière, surprise par ma démarche, m’a laissé mes feutres et mon ticket de caisse. Elle m’a conseillé d’aller faire mes emplettes et de revenir vers elle ensuite. Tranquillement, sans inquiétude. (Enfin, la prochaine fois, c’est sûr je serai sereine.)

Cette confiance pourrait-elle naître du fait que l’habitant germain, respectueux des règles (trop ? nous y reviendrons), ne fait pas ce qui est interdit ?

A ce sujet, une anecdote. Je me promène avec une amie dans la campagne alentour, et nous passons devant le collège de nos filles, puis devant une école primaire. Dans les deux cas, l’accès est libre : au collège le portail est ouvert, à l’école, il n’y a même pas de portail. Et comme c’est l’heure de la récréation, les enfants jouent dans la cour à quelques mètres de nous et de la rue (très calme tout de même). Je fais part de ma surprise à mon amie : « Il n’y a pas de portail et les enfants ne sortent pas ! ». Elle me répond, stupéfaite de ma réaction, presque choquée : « Mais… c’est interdit ! ».

A bon entendeur…

“In England, everything is permitted except what is forbidden. In Germany, everything is forbidden except what is permitted. In France, everything is allowed, even what is prohibited. In the USSR, everything is prohibited, even what is permitted”. Winston Churchill.

Nous n’aurons plus l’occasion d’aller en URSS, mais pour les trois autres pays, nous avons vérifié cette approche. Par exemple dans le code de la route, un panneau bleu avec une flèche blanche barrée indique en France qu’il n’est pas possible de tourner dans cette direction. En Allemagne, on trouvera le même panneau avec une flèche non barrée indiquant quelle est l’orientation autorisée.

Au cheveu près

Depuis que nous vivons en Allemagne je poursuis la quête d’un coiffeur chez qui je pourrais retrouver la coupe que j’aime.

Je regarde les têtes des mamans que je croise à la sortie de l’école, je scrute les chevelures hirsutes têtes en bas des dames du cours de yoga, les mises des demoiselles du tramway ou celles mouillées de la piscine. J’enquête auprès des têtes sous les cheveux que je trouve mieux coupés que d’autres.

La femme allemande du 21 ème siècle a les cheveux longs – ce qui relègue la question du coiffeur à une opération de désherbage annuelle, sans enjeu ni risque – puisqu’il s’agit surtout de longueur à raccourcir.

Celles qui ont les cheveux courts n’ont pas de coupe à proprement parler. Souvent même, leur aspect capillaire donne l’impression qu’elles se sont elles-mêmes coupé les cheveux. Avec une tronçonneuse. Dans le noir. Les coupes courtes sont dures, presque agressives, sans douceur ni féminité. Efficaces.

Je cherche un carré moderne, fluide, dégradé. Les cheveux mi-longs me désespèrent de banalité : tristement égaux, tous égaux (ou à peu près – car le carré malencontreusement dentelé se croise fort souvent). En fait de coupe de cheveux, il s’agit plutôt de la taille annuelle de la haie du fond du jardin. Ou si le coiffeur a tenté un effet, le carré plonge violemment là encore. Vu de derrière, j’observe -pendant les réunions de parents d’élèves où je ne cherche surtout pas à tout comprendre- deux tremplins de saut à ski, catégorie olympique – à peu près symétriques et qui se tournent le dos.

La subtilité, la douceur, la féminité des coupes de cheveux se sont envolées à la frontière. Saarbrück, terminus pour les plutôt gracieuses de la tignasse, tout le monde descend.   

D’après mon expérience très personnelle (quatre coiffeurs, dont la gamme de prix s’échelonne de 20 à 60€ la coupe) et mes observations (constantes car désespérément intéressées dans ma vie sociale) et mes discussions avec les copines, le coiffeur allemand coupe en 2D. Aucun dégradé, aucun effilage qui donne cette subtile souplesse de la chevelure qui fait que la coupe encadre le visage, et retombe en place quand on secoue la tête. Non les cheveux courts relèvent plus du heaume permanent, arboré bon gré mal gré. Les carrés longs non effilés gonflent comme des quatre-quarts avec 10 fois trop de levure, et me font penser au casque que ma grand-mère mettait sur ses bigoudis pour faire sa mise-en-pli. On cherche la ficelle pour écarter les rideaux quand on discute avec un visage perdu là au-milieu.

Bien sûr les femmes aux cheveux plutôt longs ont des coiffures douces, charmantes et féminines. Elles les font toutes seules.

Le problème vient avec les ciseaux.

Dans un moment de désespoir capillaro-germanique, je suis allée il y a 3 mois chez le coiffeur en France. Est-ce parce que je me suis longtemps épanchée pendant son travail sur le manque de talent des coiffeurs que j’avais croisé dans mon parcours teuton ? Quand il a posé ses ciseaux, je me suis retrouvée avec les cheveux extrêmement effilés ‘’Là vous êtes tranquille pour 3 mois ! » a-t-il conclu tout fier, en glissant ses outils à sa ceinture tel un cowboy satisfait. Oui, et même six, hein, vu qu’il ne me reste pas grand-chose sur le caillou.

Le temps passant, les mèches dans le cou et l’envie de franchir la porte d’un salon commençaient à me chatouiller. Donc ce matin, après un rendez-vous administratif peu agréable, j’ai décidé de m’offrir une séance chez ce coiffeur parait-il-très-bien, dans la jolie rue montante. Premier passage dans un sens, deuxième dans l’autre. Allez hop c’est décidé j’y vais. Tant pis j’annulerai mon rdv pris hier à Strasbourg pour coupe-balayage en terrain connu.

J’ai passé un très bon moment, calme dans un salon à la déco moderno-cosy en confiant ma tête à une coiffeuse sympa. J’ai même décidé activement de décrisper mes orteils et lâcher mes épaules et … de faire confiance. Elle m’a proposé de couper 2 cm partout. Très bien très bien. J’acquiesce. Ça ne peut presque pas être pire que cette coupe trop effilée filasse qui a repoussé. Je la laisse à son affaire. Elle m’explique que ça va prendre encore du temps pour que tous mes cheveux aient la même longueur (je ne me souviens pas lui avoir dit que je me les laissais pousser).

Après un temps beaucoup trop court à mon goût, elle attaque le brushing. Elle laisse la raie au milieu – nécessaire pour une coupe équilibrée, mais pour la coupe seulement. Je ressemble à la tente canadienne de mes années scoutes, après l’orage. Pour finir elle me tend le miroir. Je m’admire de face, de dos. Et je sens comme une crispation m’envahir. Ce que je vois en me levant au pied de mon fauteuil me confirme ce que je pressentais. Presque pas de mèches par terre. Elle n’a quasiment rien coupé. Pour que ça repousse ? Bref je suis partie avec un sourire doux amer. Ai-je été prise pour une nouille (spätzle) ? A combien revient le millimètre de cheveu coupé ? Finalement je n’aurai pas besoin d’annuler le rdv en France dans 2 semaines.

Avis à tous mes amis coiffeurs : venez faire des prestations outre-Rhin. Au prix allemand, vous serez ravis du voyage. Et moi aussi.

PS : coiffeur en allemand se dit Friseur. Un héritage de l’ancienne appellation française du métier. Un faux ami aujourd’hui, la bouclette n’ayant plus cours semble-t-il.

PPS : J’aurais dû me méfier. Lors du transfert de clefs de notre nouvelle maison, j’avais demandé à notre propriétaire, une jeune femme à la coupe au carré stylisée charmante quel coiffeur elle me recommandait. “Oh je vais en Syrie. Ici en dix ans je n’ai pas trouvé.” Précisons qu’elle est syrienne et qu’elle en profite aussi pour voir sa famille. J’ai cru qu’elle était d’une exigence exceptionnelle. Mais sur le moment c’est autre chose qui m’a interpelé : “Ah bon, on peut encore se rendre en Syrie ?” “Oh oui, il y a même des fêtes et des mariages’‘. Tant mieux pour ceux qui peuvent continuer de vivre. Je ne lui pas demandé l’adresse.

Chiche ?

Notre petite famille s’est installée en Allemagne à Mainz en été 2018 pour les besoins professionnels de mon mari.

Nous avions depuis longtemps envie de nous lancer dans l’aventure de l’expatriation. C’était un fantasme assez sûr et serein puisque nous ne pouvions pendant longtemps pas le mettre en pratique pour des raisons familiales. Quand l’occasion s’est présentée à un moment opportun, faute d’excuse valable à nos propres yeux, nous nous sommes retrouvés face à notre envie déclarée et avons accepté de relever le défi (même si notre envie fondamentale était de partir en territoire anglophone).

Ce n’était pas une décision évidente : 120 collègues de monsieur ont été priés d’aller poser leur ordinateur en Rhénanie, sous peine de perdre leur emploi. Il s’agissait d’abandonner leur contrat de travail français pour un contrat allemand. Le départ n’était pas une expatriation (avec le filet de sécurité d’une organisation solidaire sur place, d’une école internationale financée par l’entreprise, et surtout d’une date de retour).
A part mon mari, un seul autre salarié a accepté de déménager toute sa petite famille sur les bords germains du Rhin. 

Jusqu’à présent, d’autres tâches ont eu la priorité dans ma vie – et Dieu sait, et vous imaginez aussi – combien il y en a des tâches quand on installe sa famille dans un pays étranger en free lance. J’ai été pendant de longs mois la seule de nous quatre à parler allemand. Il a fallu apprivoiser un nouveau quotidien, soutenir nos filles de 7 et 10 ans alors, qui commençaient à l’école sans parler la langue, le tout en étant soi-même perdue et très isolée.

On croit connaître un pays parce qu’on y a des amis d’enfance et qu’on y a fait du tourisme et un stage de vente chez IKEA à 17 ans, que ce pays a une frontière commune avec la France. On se sent ouverts puisque nous sommes une famille biculturelle – avec un papa anglais et une maman française, des enfants bilingues et habitués aux mélanges de langues et d’habitudes dans leurs écoles internationales.

Le quotidien a vite fait de vous rappeler que vous êtes en territoire étranger et que pour la vie de tous les jours le réflexe ne suffit plus.

Donc nous avons gravi ensemble les rochers acérés de notre première année en Allemagne – car passés les alpages verts et moelleux de l’enthousiasme des débuts de l’aventure familiale (heu environ les quelques jours précédant la rentrée scolaire), nous avons attaqué les dénivelés rocailleux.

On savait que ce serait dur. On ne se doutait pas à quel point.

Nous vivons des moments de doute, de remise en question, de perplexité, d’incompréhension, de ras-le bol, de joie, de soulagement et de fierté.

Nous rencontrons des gens adorables. D’autres moins.

De petit rien en gros tout, ce sont ces quiproquos, ces tâtonnements liés aux différences culturelles que j’ai envie de partager ici.

Et lors de mes trajets à pied ou en vélo dans notre coin calme et vert, je composais souvent des textes dans ma tête pour donner du sens à notre expérience et la partager.

Alors le 05 Août dernier, en plein repassage, apaisée par quelques gouttes de pluie sur le balcon, je me suis décidée à concrétiser cette envie de connexion. Ce blog est le fruit de cette envie mûrie.

Vous venez d’en lire le premier article.

Je me sens heureuse, fière et intimidée de m’être lancée dans cette nouvelle aventure dans l’aventure.

Je vous remercie de votre confiance. A bientôt.