Qu’on le veuille ou non

Sur la lecture, certains mots devenus (aussi) féminins, et le modelage

Parlons lecture.
C’est un truc pour distraire ma cervelle. Tout à l’heure nous prenons l’avion pour le sud de la France, pour une fête familiale. Nous sommes ravis. Entrainés par le quotidien et les préparatifs, nous ne réalisons pas que ce soir nous dormirons dans un parfum de glycine avec vue sur la mer.

Suite à un vol agité vers Istamboul, au tournant du siècle, j’ai cessé de vivre les vols comme un pont magique entre deux lieux, je ressens l’ampleur du vide sous mes pieds. L’hypersensibilité c’est aussi sentir chaque mouvement infime (je sens bouger les gratte-ciel), et hop à chaque vibration, l’imagination éclate en feu d’artifice. C’est un vrai boulot de ramener son esprit sur terre, surtout quand il n’y est pas.

Par un effet secondaire positif de la pandémie, là, pour l’instant, je m’en fous. Je reste distraite pour court-circuiter un éventuel reliquat d’angoisse. Après-tout je me suis passée d’elle pendant trente ans pour voyager et m’en suis très bien sortie.

Les Mayençaises qui lisent sont dangereuses

Parlons donc lecture.

Récemment mon mari me faisait écouter un podcast, un entretien avec une auteure (autrice ?) américaine très intéressante sur son rapport aux mots. Tous les deux (interviewer et interviewé) ont déclaré ne plus finir les livres. Ça m’a rassurée sur l’état de ma caboche (toujours elle). En effet depuis plusieurs années, au bout de quelques dizaines de pages, souvent, j’abandonne. Avant, je lisais un livre après l’autre – quel que soit le sujet (fiction ou documentaire) et les terminais au point final (à l’exception notoire de Sa majesté des mouches quand j’étais gamine et de Harry Potter plus tard).

Maintenant, je lis une dizaine de livres de front, et adapte le sujet au moment de la journée : non-fiction à midi, romans soft le soir, moins soft dans la journée. Si, ni la langue ni l’histoire, et dans l’idéal une combinaison des deux, ne me retiennent, si au bout de quelques pages je m’ennuie, j’arrête. Sur mes étagères, une pile de bouquins presque neufs, d’où dépasse un marque page égaré, attendent un trajet vers la boite-bibliothèque du quartier. Mes livres en français en disparaissent très vite. (Récemment j’y ai pris L’avare en français et un pavé allemand de Charlotte Link. Je ne l’ai jamais lue, mais j’aime bien les polars). Merci aux livres finis, qui ont sauté plus haut que la barrière de mes pannes.

Côté lecture j’ai écouté un podcast sur France Inter. Isabelle Carré y dévoile son rapport aux textes et aux auteurs. Comme elle, j’ai vécu la puissance d’une poignée de mots. Certaines phrases, lues ou entendues, ont littéralement changé ma vie.

C’est dur d’ajouter un e à auteure. Je suis de la vieille école, de l’âge de papier. La phrase « Colette est une grande écrivaine française » me semble une contradiction dans les termes. J’ai l’impression de lui planter sa plume dans le dos.

Une table / un table ? Un buffet / une buffet ? Quelle importance ? L’allemand a trois genres. L’anglais n’en a pas. Dans ces langues, les sociétés sont-elles plus ou moins misogynes que la française qui en a deux ? Quelle est la vrai influence du vocabulaire ? L’enjeu n’est-il pas le plafond de verre, les obstacles qui empêchent les femmes d’accéder à certains métiers ? De façon isolée, mettre des e avec des fleurettes partout ne corrige rien.

Au niveau de l’analyse socio-historique le genre des métiers est très intéressant. Oui les femmes ont longtemps été privées de l’accès à… à peu près tout et surtout à leur intelligence et à leur créativité. Combien de noms de femme ont réussi à briser les murailles patriarcales pour entrer dans l’art et dans l’Histoire ? George Sand qui a opté pour un prénom masculin ? Berthe Morisot ? Quel talent associé à quelle personnalité exceptionnelle fallait-il avoir pour s’imposer au milieu des moustaches ?

Dans ma pile de livres à lire attend Une chambre à soi de Virginia Woolf, parce que oui pour pouvoir s’exprimer, il faut un espace où s’étirer dans tous les sens, du vide rempli de silence et de temps.

Cette tirade féministe m’amène à partager une réflexion que je me fais souvent : qu’on le veuille ou non, même si on se bouche les yeux comme l’enfant qui ne veut pas voir / être vu, la réalité existe. Il y a des différences entre les hommes et les femmes – qui ne justifient aucunement l’oppression des unes par les uns, mais la lutte contre la misogynie ne justifie pas non plus l’aveuglement à ce qui est.


Pourquoi est-ce devenu si dur de nommer l’existant ?

Eglise Saint-Christophe

Pour ne froisser personne ? Mais si certains ne s’accommodent pas de la réalité ce n’est pas en la niant qu’elle disparaitra. En outre, maintenant que le moindre couillon peut partager avec le monde entier les états d’âme de ses deux neurones, céder devant chacun devient très dangereux. Ne plus dire, c’est bientôt ne plus penser. Ne plus penser, c’est perdre ses repères, vivre dans le flou et laisser la voie libre aux monstres qui eux ne perdent pas les leurs de repères. Ils foncent vers leur intérêt : eux-mêmes, leur pouvoir.

Diluons-nous dans des discussions stériles, perdons de vue l’essentiel et eux se frottent les mains.

Un dictateur, un bourreau… c’est masculin.

(Rappelez-vous la chanson de Renaud, Miss Maggie).

Même sage-femme on lui a trouvé un équivalent masculin, mais dictatrice ? (Tiens Word a l’air d’accepter, le dictionnaire Larousse aussi. Par contre tyran n’a pas fait le grand saut).

Je vous cite de mémoire, une phrase de Sue Townsend dans The secret diary of Adrian Mole aged 13 ¾ qui m’avait marquée dans les jeunes années 80 : Without the civilizing influence of girls, boys return to the wild.  (Sans l’influence civilisatrice des filles, les garçons retournent à l’état sauvage).

Oui il y a des différences entre hommes et femmes. Les unes donnent la vie, les autres la mort. On a beau le tourner dans tous les sens, on a beau chercher la femme meurtrière, l’exception qui existe toujours, je n’ai pas connaissance d’une femme dictateur, même dans les sociétés matriarcales.

-Quand je serai grand je serai dictateur.

Est-ce une prédisposition génétique, un acquis culturel ? Un froid choix de carrière ? A quel moment se produit la bascule ? Que pense la femme qui entend ces mots ?

Pour terminer sur une note plus légère, sachez que mon dernier cours de poterie s’est très bien passé. (Merci.) Comme vous le savez, ma reprise du cours de terre avait été frustrante. J’ai d’ailleurs sauté le cours suivant sous prétexte de doigt entaillé. Mais j’y suis retournée et ai repris mes marques. L’interruption de la pandémie, là aussi, devait être digérée.

Lorsque ma sculpture a été terminée, à l’avant-derniers cours, je n’aimais pas son visage et avais décidé de tout écraser. Puis j’ai échangé avec une amie sculpteur, rouvert mon bouquin de technique et sorti la terre à la maison pour m’entrainer.

A peine arrivée à la dernière séance (que celui qui ne fredonne pas Eddy Mitchell lève le doigt), j’ai ôté le visage. Complètement. Ma demoiselle est devenue fantôme. Pendant que les autres stagiaires menaient une discussion animée sur leurs familles et le Troisième Reich, j’ai modelé des colombins pour le nez, les lèvres, les arcades sourcilières, je les ai collés avec de la barbotine et fondus dans le visage. Petits tours de girelle pour vérifier l’aspect global.

Repartir de l’ébauche, m’a autorisée à me réconcilier avec ma création et par conséquent avec mon environnement. J’ai accueilli un conseil prématuré, avec le sourire : Minute, papillon !

A la fin, pour la remercier de s’être laissé faire, j’ai posé une bisette sur la joue d’argile fraîche de ma petite minette. Les autres ont ri. Et puisque j’étais d’accord, j’ai accepté leurs compliments :

-Bravo, tu t’es bien débrouillée.

-Elle a un air mélancolique, peut-être l’influence des discussions entendues ?

Sourires.

J’étais aux anges.

Quand ça veut, ça veut.

Amélanchier

P.S. : OUI ON VOTE ! Merci à l’amie qui glissera notre devoir civique dans l’urne de l’Institut Français de Mainz dimanche.

P.P.S. : Pour agrémenter notre voyage, Météo France annonce la tempête Diego. Purée…

P.P.P. S : Quand un nouvel abonné arrive ici, j’en suis tout heureuse. Quand c’est un nom connu échappé d’une autre vie, je suis touchée. Merci à vous tous.

Funambule

Comme un air de déjà vu et impro tous azimuts

C’est reparti comme en 20.

Devinez quoi ? Mes concitoyens, en manque de frissons de fin du monde, comme si les infos, les drapeaux jaune et bleu et les réfugiés que l’on croise à la mairie et dans les écoles ne suffisaient pas, mes concitoyens donc se sont repris d’une frénésie d’achats de farine et d’huile (qui ici est surtout d’olive). La farine, on a vérifié, est allemande. L’huile d’olive, méditerranéenne, natürlich. Les supermarchés ont réagi prestement : des affiches de rationnement sont réapparues sur les étagères vides. Achat limité à un ou deux article (s) par personne. S’il y en a ! comme a tagué un client au stylo Bic.

Les pates sont toujours un peu là elles, comme si elles n’étaient pas fabriquées à partir de blé (‘’rationnées’’ aussi à six paquets par tête), et le PQ aussi… enfin c’était le cas hier. Aujourd’hui les choses ont peut-être dégénéré. Pendant les confinements j’ai découvert le verbe hamstern qui était sur les affiches 4×3 : NICHT HAMSTERN ! Oui la langue allemande a un mot spécifique pour désigner le comportement qui consiste à stocker les provisions.

De façon excessive.

Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?

Pour répondre à un besoin fondamental de sécurité, à une angoisse profonde, inconsciente ? Peut-être la même qui pousse à produire des voitures et du matériel de grande qualité, des cartables pour bouts de chou qui résisteraient à l’ascension du Mont-Blanc ?

Côté commerces de proximité, je ne résiste pas à vous conter ma découverte de la pharmacie de garde. Dimanche dernier, nous avions besoin d’une aide à la digestion. Coup d’œil sur internet, quelques minutes de voiture. On se gare dans la rue centrale d’un faubourg de Mainz, où tout est fermé, même la pharmacie. Ouf, la lumière est allumée. Nous nous postons à l’entrée gardée par un rideau de fer et la porte en verre. Je sonne. Au bout de quelques minutes, un monsieur vient nous dire que sa collègue est au téléphone et va arriver. Il laisse la porte en verre en position ouverte. Ladite collègue rejoint son comptoir, et depuis l’arrière de ses parois de plexiglas anti-covid, nous demande de quoi nous avons besoin. J’avais effectué mes recherches sémantiques sur google, j’étais au taquet. Ce que je n’avais pas prévu c’est que j’allais devoir crier cela dans la rue.

-C’EST POUR LE VENTRE

-QUEL PROBLEME EXACTEMENT ?

J’explique en criant le moins fort possible. J’ai envie de me marrer.

-QUELLE FORME VOUS PREFEREZ : CACHETS, SACHETS, SUPPOS ?

Intraveineuses.

-Euh, ça.

-ÇA COUTERA X €.

Elle s’approche du rideau de fer, attrape mon billet à travers la grille, me rend la monnaie avant de me tendre le médicament, en restant à bonne distance. Merci madame. Pour le produit et l’expérience.

Whaou, combien d’attaques de pharmacies de garde ont traumatisé les pharmaciens ? Peut-être des personnes en manque de bonbons pour la gorge qui menaçaient l’employé pour pouvoir hamstern en paix le dimanche ?

Mainzer Sand

Ma vie de maman me vampirise. Vous savez, ce rôle ingrat qui consiste à tenter de piloter et éduquer contre leur gré des êtres en devenir. Mes filles ont des personnalités intenses, c’est le moins qu’on puisse dire. (Je vous vois venir, comme leur mère oui). Nos intensités s’amplifient mutuellement, entrent en résonnance. Je ne vous fais pas un dessin. Le corps le plus usé trinque.

Le métier de parent demande de prendre sur soi pour donner de l’amour et de l’attention (enfin, d’essayer). Je tente en parallèle d’avancer sur mes projets personnels et j’ai l’impression de cumuler plusieurs temps plein. Oui l’écriture n’est pas une activité qui s’arrête quand j’éteins mon portable. Le cerveau dans son élan, continue de créer. C’est loin du bureau que jaillissent les meilleures idées. En particulier la nuit, de quoi sinon me réjouir du moins accepter mes insomnies.

Funambule, les bras écartés, je vacille à la crête de la surstimulation.

Ne pas trop en faire. Même si j’en ai envie, même si j’ai des tonnes de projets.

Ce week-end, j’en ai trop fait.

C’est pas ma faute madame, ma fille voulait faire du shopping et avant cela j’avais envie d’assister à la Maison de Bourgogne, à une rencontre avec un auteur français (Paul Morris). Suite à son séjour en été dans une résidence d’artistes à côté de Mainz (déserte pour cause de pandémie), il venait présenter son manuscrit.

Nous étions six puis cinq à l’écouter (le sixième a déserté, faute de comprendre assez la langue a-t-il expliqué). C’était captivant d’entendre ses méthodes de travail, ses inspirations, de lui poser des questions. De rencontrer d’autres passionnés d’écriture. Même ma grande fille s’est régalée.

J’ai aussi révisé la dictée de rythme. La musique est une matière sérieuse ici.

Après vingt-cinq ans de pratique du piano, les subtilités rythmiques m’échappent toujours. Quand je joue à quatre mains avec une amie allemande, ou que j’en accompagne une autre qui joue du violon, je remarque notre différence d’approche. Elles comptent. Moi je lâche après deux mesures pour m’évader dans la mélodie.

Comment suivre des consignes quand l’impatience et l’imagination débordent ? Ouvrir selon les pointillés ? Je déchire le paquet.

(Je déchire même mon corps. Ce matin je tape avec neuf doigts. Le majeur droit, est emballé de gaze, je l’ai coupé en rangeant la cuisine. Il est sensible, je ne peux pas l’utiliser. Au piano, punie, je ne travaille que la main gauche.)

En cuisine, c’est impro à partir de recettes. Un seul oignon ? Non mais ça suffit pas. Je vais en mettre trois. L’ail pareil. Et puis un peu tout au fond. Dans une casserole passe encore. Mais en tricot et en couture, le produit fini me déçoit. Sans surprise. Récemment j’ai terminé un gilet en laine mohair bordeaux, avec une grande fierté. Oui il est joli et à ma taille mais c’est grâce à la décision de me discipliner. Jusqu’au bout. Petite victoire.

J’ai commencé un nouvel ouvrage en me faisant violence. Malgré ma relecture attentive de l’énoncé (comme j’explique à qui vous savez), le point texturé m’échappe. Mon encolure ne ressemble pas à la photo. J’ai tout recommencé pour la deuxième fois. Les premiers rangs me permettent de comprendre. Je tricote moins pour le résultat que pour apprendre. Cependant, il serait bien que je renonce à ma nouvelle ambition de perfection en laine, sinon comme Pénélope, chaque soir, je vais défaire mon travail du jour…

En matière d’impro, laissez-moi vous conter fleurette.

Il fait une chaleur de fin mai et une sécheresse méditerranéenne. (D’ailleurs il parait que le sable du Sahara va revenir bientôt, lui qui nous avait permis de moins complexer niveau brillance de voiture, au pays du Salon de l’auto.)

Tant pis, je vais quand même semer. Comme à mon habitude, j’ai craqué au rayon graines. Plusieurs fois, oui. Même si je m’en tiens aux plantes fleuries les plus faciles, pour notre jardin de poche, j’ai de quoi fleurir un terrain de foot. Je vous livre ma technique complètement faillible :

  • Etaler tous les sachets sur la table, imaginer et s’extasier la bouche ouverte,
  • Lire les instructions et constater que c’est trop tôt pour semer dehors,
  • Gratter la terre dans tous les espaces vides,
  • Ne pas déranger ce qui pousse, même les plantes sauvages, même les moignons de trucs à moitié secs,
  • Semer les graines une par une, en les espaçant, en respectant des profondeurs différentes en fonction de leurs tailles,
  • Les recouvrir délicatement de terre,
  • Constater qu’il en reste beaucoup dans les sachets : renverser et étaler tout ce qui reste.
  • Brasser la terre. Encore.
  • Arroser.
  • Oublier ce qu’on a semé et où.
  • Regarder le ciel, il va pleuvoir bientôt, non ? Non. Deux semaines plus tard, tout inonder.
  • Regarder tous les jours les coins de terre nue, les mains sur les hanches en disant : Alors, ça vient ?

(Espérer que les voisins à ce moment-là ne sont pas à leur fenêtre).

Je vous dirai ce qu’il en est de mes capucines, cosmos, tournesols, soucis, prairies fleuries, nigelles de damas et bleuets.

Je vous souhaite des semis jolis.

PS : Vous soutenez l’Ukraine ? C’est important et généreux à vous. Si vous voulez soutenir l’Allemagne, envoyez de la farine. Par poignée, sur les hamsters.

En couleurs

Un film français en VO au ciné, premier cours de poterie depuis les événements (non pas ceux-là, les autres)

Chers amis,

Merci de passer par là. Quelle joie de vous y retrouver !

Pour vous écrire, j’ai dû ouvrir le répertoire Mainzalors pour trouver le document Word que j’utilise comme brouillon à mes articles. D’habitude, il est dans les derniers documents ouverts. Mais là j’ai tellement écrit pour d’autres projets (et d’autres ont fait des exposés sur les huskies) que ma page a plongé dans les tréfonds du menu déroulant.

Commençons par échanger de bonnes nouvelles.

Je vois du bleu et du jaune partout. Pas vous ?

Des petits drapeaux jaune et bleu ornés d’une colombe de la paix et de son rameau d’olivier qui flottent sur le devant des bus mayençais, la flamme de l’Union Européenne associée à celle de l’Ukraine au garde-corps d’un balcon. Des plants de pensées minuscules, évadées d’une jardinière, qui dressent dans la pelouse du parc des pétales bleu étoilé de jaune. La mésange à contre-jour qui picore la boule de graines suspendue. Le gamin en patins à roulette avec un pantalon soleil et un anorak bleu roi (non pas vous madame, vous y’a que du jaune, et beaucoup trop d’ailleurs). Le sac Ikea où j’emballe le panneau fabriqué par ma grande pour sa présentation sur les Années folles à Berlin.

Les étoiles de forsythia éclaboussent un ciel trop bleu.

Avez-vous remarqué comme beaucoup des toutes premières fleurs sont jaunes ? Et cette année, le ciel beaucoup trop bleu. La terre craque et crisse. Les feuilles persistantes aussi. Mes azalées sont-elles perdues ?

Marguerite Yourcenar la bien nommée a écrit : « Il suffit d’une fleur au printemps pour pardonner au Bon Dieu. » Cette année on va exiger un gros bouquet.

Depuis lundi en Rheinland-Pfalz, les enfants ne sont plus testés que deux fois par semaine – et non trois – à l’école. A compter de lundi prochain, ils auront le droit de quitter le masque en classe. Mes filles ont prévenu : elles le garderont.

Autre bonne nouvelle, je n’ai pas étranglé la préposée de la mairie de Mainz, quand elle a buté sur ma demande : m’établir le certificat de vie annuel sur un formulaire français. « Ici, on est en droit allemand ». Oui mais non. J’ai déjà essayé. Les Français ils veulent ça. Plouf, plouf…. Quel sera le plus obstiné des deux ? Les frenchies s’en tirent bien, le site web ne me donne aucun moyen de les joindre. Et moi j’erre dans le no woman’s land entre deux administrations bêtes et obstinées. C’est comme ça et pas autrement.

Zu Hilfe, zu Hilfe zu Hilfe, ich bin verloren ! (à l’aide, je suis perdue).

A la mairie donc, un groupe d’une quarantaine de personnes, surtout des femmes et des enfants faisaient la queue devant l’entrée. Je me suis postée derrière, avant de comprendre qu’ils étaient ensemble, probablement ukrainiens à attendre de pouvoir déclarer leur arrivée. J’ai patienté à la porte d’un autre service. Autour de moi, les gosses jouaient à touche-touche.

Touche pas – touche pas, ma chambre, ma maison, ma rue, ma ville, mon pays. Mes copains. Mon papa.

Une autre poignée de gamins, allemands, au marché samedi, vendaient des cookies trop pâles et des cupcakes au citron (en barquettes de papier coloré, devinez…) pour faire des sous pour les réfugiés. Nous en avons acheté bien sûr. Ils nous ont proposé un kit de protestation maison, dessiné aux crayons de couleur, avec affiches A4 et autocollants-badges.

Difficile de revenir aux petits riens de la vie quand d’autres perdent tout. Et pourtant… il le faut. Dans les moments les plus difficiles de mon existence, où l’essentiel me lacérait, je rêvais, épuisée, de m’affaler à l’ombre d’un pin sur une plage pour me peindre les ongles des pieds. Je ne l’ai jamais fait. Mais c’est cette image qui revenait. Le sable qui râpe un peu les jambes, le vent qui emmêle les cheveux, les yeux qui se plissent pour regarder la mer, l’odeur du vernis, la couleur qui colle, et attrape les poussières. Tâche anodine, dont l’inutilité restaure la confiance en la vie.

Habile transition vous en conviendrez (on fait comme on peut), vers mes dernières aventures.

Après dix-huit mois d’interruption covidesque, pleine d’entrain, j’ai repris, enfin, le chemin du cours de poterie.

Cling, paf, bang. L’enthousiasme qui s’écrase à terre fait un bruit de casserole.

Tout à la joie de se retrouver, mes co-stagiaires ont bavardé, fort et sans interruption, avec comme sujet de prédilection, natürlich, l’actualité. Et vas-y que je t’en rajoute une couche d’horreurs. Je m’intéresse à l’avis d’une dame, originaire d’Europe de l’est. L’occupation russe elle connaît. Elle parle la langue, a vécu à Moscou. Sa remarque : « Les Russes ne me font pas peur» m’interpelle. Il faudra que je lui repose la question.

Après deux ans d’hibernation, j’ai redécouvert qu’au bord du Rhin, les réflexions sont cash. Pour une Française, c’est limite de l’impolitesse (pour un Anglais, la frontière est loin derrière).

Dans un documentaire d’Arte (oh j’adore cette série : Invitation au voyage ), l’attitude et le visage d’une petite fille au Sénégal m’avaient tapé dans l’œil. Assise au sol, devant le mur de terre ocre de son école, en pantalon et T-shirt roses, entre d’autre gosses bariolés, les jambes croisées, le coude appuyé sur le genou, la joue dans la main, un peu écrasée, elle plongeait ses grands yeux noirs dans l’œil de la caméra. Arrêt sur image. Capture d’écran. C’est ça. C’est elle ma prochaine sculpture. Quelle poésie dans les gestes d’enfants !

Alors j’ai coupé mon pain terre (gris foncé, chamottée) et commencé à modeler un corps assis en tailleur.

-Ça ce n’est pas un enfant. C’est un dos, des cuisses, des fesses d’adulte. Un enfant n’a pas de taille.

-…

Oui je sais. Ce n’est pas mon premier. PATIENCE.

Mais c’est pas mal, non, après une heure d’un projet qui en comptera une quinzaine, d’avoir déjà modelé un corps ? Non ?

-Tu sais qu’il te faudra évider ta sculpture ?

Ça c’est la prof.

Oui je sais, ça fait vingt ans que je fais du modelage. Non ne j’ai pas la même technique qu’ici. Et non, je n’ai pas envie de changer. Elle me convient et je l’ai apprise avec des pros.

-Tiens regarde, ton bras là il va pas !

C’est très vrai, il ne va pas.

Photo prise en vitesse

Mais p…  Laissez-moi le temps de travailler ! Laissez-moi chercher, me tromper, recommencer.

Elle se poste tout contre moi, et place ses mains de part et d’autre de ma sculpture, sur sa girelle. Et vas-y que je pousse ici, que je tasse là.

J’ai envie de hurler : « Arrête ! Je ne supporte pas qu’on touche ma pièce. Tes conseils tu me les donnes avec des mots. Tu ne fais pas à ma place. Je veux apprendre, et surtout sentir et faire. Je m’en fous si elle est ratée.»

-Voilà c’est déjà mieux comme ça non ?

NON. Maintenant, j’ai envie de tout écraser et de partir.

-Tiens, prends cette latte de bois et tasse ta terre. Comme ta voisine, là.

Oui mais elle, elle monte des plaques, sa pièce est creuse. Elle n’a pas le même besoin de tendre l’argile.

Bonne élève soumise (sait-on jamais, y’a peut-être quelque chose à apprendre), j’attrape la morceau de bois.

PAF, PAF, PAF !

-Oh oui tiens ça fait du bien !

Rires.

Ça défoule, mais pas assez.

FOUTEZ-MOI LA PAIX !

Je n’ai rien dit. Je m’en veux. Sous les coups de marteau d’affirmations, je tétanie. Mon censeur intérieur filtre des remarques trop dures. Il ne laisse rien sortir. Même la boutade qui me libèrerait. Je bous mais je me tais.

Repartir dépitée, frustrée et en colère.

Mes pieds impatients ont envie de taper dans des cailloux. Ils m’ont emmenée trop vite vers le cinéma où je devais retrouver mon mari. Au bras, mon panier vide (artisanal, ardéchois, en châtaignier). Je n’ai pas pu emporter les quatre sculptures cuites depuis belle lurette et entreposées dans une armoire de la VHS (MJC) : même une seule aurait été trop lourde pour la trimballer en ville toute la soirée. Mais j’ai été ravie de les revoir. Notre longue séparation m’a permis de les apprécier. Un poivron, un p’tit gars qui joue à cache-cache derrière un arbre, un bouquet de noisettes, une fleur avec un cœur-visage de femme.

Ce serait vraiment dommage de renoncer à cette activité. J’ai beau râler, les gens sont sympas. Mais j’ai besoin de calme pour créer. Suggestion de ma famille : tu pourrais mettre un casque pendant le cours. Hmm, oui, ça atténuerait les effets secondaires.

Kino Capitol, Mainz

Soirée au cinéma donc. J’adore le Capitol cette salle rétro, nichée dans une rue piétonne, avec ticket en papier. Dans la salle, la tapisserie est ornée de grosses fleurs style années 70, de lustres art déco. Les ados se précipitent au balcon. Paf, des bouchons de porcelaine de bouteilles de bière à l’ancienne sautent. Entre deux gorgées, elles sont glissées dans l’anneau du support à popcorn.

La programmation privilégie les films d’art et d’essai, parfois en VO. C’était le cas avec Eiffel (titre allemand : Eiffel in love), proposé à l’initiative de la Maison de Bourgogne (Haus Burgund) de Mainz, très active. Dans la salle on entendait des éclats de voix en français. Derrière nous ça s’esclaffait avant les réparties humoristiques… au rythme d’affichage des sous-titres. Leur lecture est bonne pour notre allemand (et de toute façon comment les éviter ?).

Eiffel, campé par un Romain Duris qu’il me semble n’avoir pas revu depuis l’Auberge espagnole (pourtant si, forcément), dessine sa tour comme un refrain. Quand il rentre d’un chantier, il est sale, presque comme il se doit. Fait notable… Dans les films les tabliers restent immaculés. La partie sur sa vie, son œuvre, le caractère de l’homme est intéressante. L’histoire d’amour gentiment hollywoodienne. Même sans panier vide à ses pieds, qui a fait s’esclaffer ma voisine quand elle s’est glissée entre mes genoux rabattus et la rangée de fauteuils, un très bon moment.

Longue vie à ce cinéma d’un autre temps. Le bâtiment a été racheté par des investisseurs l’an dernier. Une pétition a circulé pour le protéger.

Le programme des prochaines semaines est sur notre table à manger. Tous les jours je l’ouvre pour rêver. Bientôt passeront La panthère des neiges et L’événement, et d’autres films étrangers que j’ai envie de découvrir, tant pis pour les VO. Il est intéressant de voir quelles créations passent la frontière.

La prochaine séance de poterie se rapproche. J’appréhende, mais j’ai une idée. Et si je recommençais à zéro, sans dire ce vers quoi mes doigts se dirigent ?

Ce que je modèle ? Mystère, mystère. Vous verrez bien, et moi aussi.

Les surprises ça a du bon parfois.

Cherche garde-fou

Retour de vacances en France, sidérée par l’actualité.

Lyon, hôtel de ville

J’ai la gueule de bois.

J’aurais pu vous raconter mon escapade à Koblenz avec mon amie d’enfance de Köln. Mais c’était il y a un siècle. Inscrite sur des cadavres, elle semble anodine.

Ça se bouscule et ça cogne dans la salle de bains juste en dessous : les filles tentent de donner à Gaïa sa deuxième douche de l’année (youpi !). Le lave-linge ronronne, avec la première d’au moins 200 lessives aujourd’hui. En rangeant la valise, mes pensées se sont envolées, comme à leur habitude. Vraiment c’est dommage que Monop ne livre pas à l’étranger. J’ai vu en passant à Lyon des chemisiers qui me plaisaient bien. Tient le plant de cardamome, au parfum de cannelle, a les feuilles toutes enroulées, il a dû faire chaud derrière la fenêtre pendant notre absence. (Le trempage n’a pas suffi à tout récupérer). Pourvu que l’œil de ma grande dégonfle sinon je devrai appeler le pédiatre. Oh les jonquilles miniatures sont écloses et les crocus sont sortis ! Un peu décevante la couleur (pas ceux de la photo).

Le soleil nous a accompagné, hier lors de notre traversée de la Bourgogne, de la Lorraine et du Palatinat. Merci à lui de s’inviter quand même. Les yeux pleins de lumière, le dos libéré par mon ostéopathe lyonnais (yes !, lui au moins ne fait pas de papouilles), j’ai rechaussé mes pantoufles (Birkenstock s’il vous plait) pour m’asseoir à mon bureau. Après une grosse semaine de vacances en France, le quotidien reprend.

C’est Mardi-Gras dans un carnaval de silence.

Tout va bien.

Pourtant, sans avoir bu une goutte d’alcool, j’ai la gueule de bois.

Encore une fois la normalité a changé de goût.

Les unes des journaux ont basculé.

Comme une impression de déjà lu, déjà entendu, déjà pensé mais comment n’ont-ils rien vu venir ?

Sur les pistes du Grand Massif en Haute-Savoie, nous avons skié, dans un coin que j’aime depuis longtemps, logés dans un gite au fond d’une impasse, où un ruisseau chante au pied du chalet, et où, frissonnants, nous avons sentir les étoiles exploser la nuit. Au retour, nous avons fait un détour par Lyon, histoire de croiser pour la première fois depuis trop longtemps des proches éloignés. 

Sur le télésiège de milieu d’après-midi, plusieurs fois, m’a été confié un petit skieur niveau Flocon. Les groupes de gamins sont éparpillés avec des adultes pour les remontées. Toujours je blague avec eux. J’adore les enfants de ces âges, déjà autonomes, encore innocents. Leur spontanéité me rafraichit pour plusieurs heures.

Joshua 7 ans était penché sur le garde-fous :

-Comme je me suis mangé ce matin ! paf au changement de neige ! Hier c’était un record. Cinq chutes. Aujourd’hui juste une.

-Euh, recule-toi un peu. Tu viens d’où ?

-J’habite à Toulouse, il a fallu 7 heures pour venir, ça m’a gaspillé une journée, mais bon c’est comme ça.

C’est comme ça. Fatalité souriante.

Une blondinette à lunettes sous un casque blanc m’a répondu avec une bouche armée de deux incisives toutes neuves.

-Ben, j’habite à Juvisy. Tu connais Juvisy ? Sur les télésièges, y’a toujours quelqu’un qui connait un ami ou un cousin à Juvisy.

– Non, moi à Juvisy, je ne connais que toi.

-Avant j’habitais dans un pays très chaud, à Riad.

-Ah ? Tu faisais quoi là-bas ?

-Y’avait la piscine chaude le matin et le soir et des serviteurs pour nous donner ce qu’on voulait. Même les bébés ils pouvaient commander un biberon dans le jacuzzi.

Vu de la hauteur de son regard espiègle, le tableau me fait sourire. Elle est attachante cette gosse. J’aime me faire des amis de tous les âges, surtout ceux qui n’ont pas encore appris à tricher, et ceux qui ont renoncé. J’imagine la tête de sa mère : “Vous pourriez me donner votre adresse mail, c’est pour échanger avec votre fille elle est extra !” Et pourquoi pas après tout ?

La fraîcheur naïve est une denrée si précieuse.

Ce matin je me suis inscrite au cours de poterie à la VHS (Volkshochschule, équivalent de nos MJC). Après 18 mois sans terre sous les doigts, j’espère que cette fois ça va marcher. Après la fermeture pendant les confinements et les travaux pour ouvrir une fenêtre dans la salle pour l’aération obligatoire (mes filles se caillent en cours), personne ne s’était réinscrit. Les cours, segmentés en cinq à sept séances, sont calés sur les périodes scolaires. A chaque vacances il faut se réinscrire. Mes collègues, pour la plupart âgés, craignant covid et courants d’air, ont renoncé à sortir de chez eux. En janvier, j’étais la seule inscrite et le cours a été annulé. J’ai hâte de sentir la terre humide et souple au creux de mes paumes, et de récupérer mes pièces cuites (un poivron, un petit garçon qui joue à cache-cache derrière un arbre). Je reverrai M., dame très chic aux cheveux blancs courts, née en 1935 à l’est de l’Allemagne, qui m’avait raconté l’exode de sa famille (à l’âge de Joshua) dans la neige pendant la guerre.

Je ne comprends pas.

Je n’ai jamais compris.

L’Histoire regorge de civilisations très évoluées évanouies.

Pourquoi les hommes ont-ils la mémoire si courte ? Pourquoi se laissent-ils berner par des monstres pour leur dérouler un tapis rouge ?

Hypnotisés. Sidérés. Abasourdis.

Le virtuose de la malveillance ne court pas les rues. Comment imaginer la méchanceté pure en quelqu’un d’autre ? Comment, quand on est ni bon ni méchant comme écrivait Prévert, comment imaginer derrière des traits si proches des nôtres, le règne exclusif de la cruauté ?

J’ai hélas connu la perversité sur le plan intime. Le monstre est charmant avec l’entourage, il envoûte, séduit, fait rire. Quand j’ai su mettre des mots sur ce qui m’arrivait, personne, à part une amie qui m’a sauvé la vie, ne m’a crue. Les traces que le monstre laisse de son anormalité ne font sens qu’a posteriori : pas d’amis, aucun geste gratuit, mensonges, manipulations. Il encercle sa proie.

Peu à peu le couteau sous la gorge, le visage sous les coups de pied, mon regard a basculé : d’adorant il est devenu terrorisé. La personnalité à laquelle je n’avais trouvé au début aucun défaut ruisselait de venin. J’ai compris. Les accusations qui m’étaient adressées me permettaient de décoder les coups fomentés. Pour soupçonner, il faut avoir l’idée soi-même. Pour se protéger, tendre un miroir.

Ma naïveté en a pris un coup. Puis un autre. J’ai retenu. Toujours vérifier la cohérence entre paroles et actions. Je ne me laisserai plus berner par le charme pervers. Enfin j’espère.

La bouche collante, le doigt dans le pot de confiture, l’enfant de trois ans répond les yeux dans les yeux, non ce n’est pas lui. Il prend, il jette selon son bon vouloir. Donne des coups de pied dans la fourmillière et démonte les insectes vivants. Mignon et attendrissant, mais monstre tout de même.

Là l’échelle de la terreur a connu une inflation terrible.

Aucun charme trompeur. Aucune raison apparente. Un mode de fonctionnement qui donne des frissons. Un homme, un seul, terrorise la planète. La fourmillière dans laquelle il tape c’est notre maison.

Pas plus que le cinglé orange, lui non plus je ne peux ni le nommer ni le regarder. Même en photo sur un écran. Lorsque le regard trahit la cruauté extrême, même les caricatures me mettent mal à l’aise.

De quel droit laissons-nous faire ? Comment les psychopathes accèdent-ils au pouvoir suprême ? Où sont les garde-fous (au sens propre) ?

Il nous avait prévenus pourtant :  c’est pour mieux te manger mon enfant.

Quand le grand méchant loup meurt à la fin, toutes canines dehors, le petit chaperon rouge et sa mère-grand sortent du ventre en dansant.

Cherchons chasseur sachant chasser l’inhumanité.

Pourquoi quelqu’un ne va-t-il pas tuer le monstre : un mort contre des centaines, des milliers, des millions ? Le calcul est vite fait. Assassiner les dictateurs… Vaste programme ? Facile à dire ? Cela créerait un précédent ? Un clone du système le remplacerait aussitôt ? Sur la seule base de déclarations d’intentions ? On ne peut pas flinguer tous ceux qui nous dérangent ?

Tous non. Mais un seul ?

Non mais Estelle, c’est quoi ces mots violents ? Est-ce la seule solution ?

Lac Léman vers Vevey

En descendant par la Suisse, un panneau au bord de l’autoroute affichait la silhouette de charlot. Charlie Chaplin a vécu à Vevey au bord du lac Léman pendant 25 ans. Cette riviera entre vignobles et sommets le long d’une presque mer rassurante, évoque une douceur de vivre tentante. J’ai proposé à mes filles de revoir Le dictateur. Pour nous souvenir non pas que la guerre ne sert à rien, ça on sait, mais que le génie, l’intelligence et l’amour existent toujours, même si les médias, monomaniaques, les mettent si peu en valeur.

Que dans les moments graves, le rire est plus que jamais indispensable. Il est temps plus que jamais de sortir respirer une fleur.

Vous entendez ? Non ? Moi non plus. Le lave linge s’est arrêté. Aucun bruit chez les voisins. Elle est russe, il est ukrainien. Ils nous emmerdent régulièrement avec leurs nuits de beuverie dans leur jardin, hiver comme été ; ils ne craignent pas le froid autour de leur feu de camp.

Mais là je tends l’oreille. J’ai presque envie de les entendre à des heures indues sous nos fenêtres.

Leur gueule de bois post-vodka symbole de normalité m’épargnerait-elle la mienne ?

Mr Chaplin, we need you

PS : Il m’est difficile de publier cet article. Si vous le lisez c’est que j’ai cliqué en fermant les yeux.

Sous-vêtements assortis

Pour aller chez le toubib et le kiné, c’est mieux non ? Non.

Ne pas laisser de bazar

Ça faisait une semaine que je programmais ma tenue de sous-vêtements pour ce vendredi matin, pour être sûre de pourvoir, avec les cycles de lavage, trouver dans le tiroir en haut à gauche une culotte et un soutif assortis. J’avais décidé de faire quelque chose contre ce mal au dos chronique, handicapant du mouvement et de l’humeur (demandez à mon entourage). J’avais rendez-vous chez un médecin ostéopathe recommandé par une amie.

J’y suis allée terrorisée, comme pour tout ce qui concerne la santé. Avec l’impression de tromper mon généraliste, qui a refusé de me prescrire des séances de kiné. Chéri tu peux m’accompagner stp ? Comme là c’est sûr il va m’envoyer au cimetière, je serai trop perturbée pour me consacrer au trajet. Je ne crois pas que ce soit une bonne idée de partir en pleine nuit, quand les rues sont vides. En essayant de déranger le moins possible les conducteurs pressés c’est sûr je vais me paumer. Avec à la clef, une rechute du lumbago et 170 de tension.

Ma meilleure moitié est compréhensive. Merci à lui.

Dans ce cabinet inconnu, j’ai montré patte blanche et me suis posée là où on m’a dit : sur la chaise en haut de l’escalier. J’ai pris mon air le plus détaché possible, genre je sais ce que je fais ici. De temps en temps, je redresse mon dos, cale mes reins contre le dossier. Non mais là c’est bon dans cette position (peu naturelle) j’ai plus mal. Et puis à ma dernière consultation en France on m’avait donné des exercices. Je les fais régulièrement (à peu près, enfin, parfois). Je fais du yoga tous les jours ou presque avec ma meilleure amie Adriene. Je nage dans le grand bain, 1 km en brasse et crawl. Le dos m’est impossible sinon je fonce dans les lignes ou les nageurs. On se souviendra que je crains la réprimande. Le papillon m’a coincé le haut du dos, quand j’ai réessayé en Forêt Noire. Ce n’est pas le moment de faire des folies de mon corps. Donc oui ça va. Je viens consulter mais tout va bien.

Le médecin, souriant et sympathique jeune homme (euh, il a fini ses études quand même ? Ah oui j’aperçois quelques rides) brun, en jean et baskets m’a appelée. La salle, aérée, était vide à part une table de kiné, une armoire en bois, et un fauteuil en bois d’inspiration asiatique. Dans un coin en face, sur une petite table, un ordi. Devant, sur un tabouret à roulettes, le docteur. Je m’en suis approchée et lui ai tendu le questionnaire en attendant les consignes.

C’est toujours ça qui manque dans les nouvelles situations : les consignes.

Que faire de mon corps ? Le poser où ? Dans quelle position ? Quel degré de nudité ?

Il faudrait un metteur en scène ou un chorégraphe.

Je m’en suis rendue compte en repensant à l’épisode sauna textilfrei (à oilp). Ce n’est pas de se dénuder en public avant le goûter qui pose problème, c’est de le faire à bon escient. Ne pas se retrouver en tenue d’Eve au milieu de maillots et de peignoirs. Ou inversement. Textilfrei. A partir de cette limite, tout quitter. Oui mais où et comment ? La transition est délicate.

Lors d’une première fois, mal à l’aise, on essaie de copier sans en avoir l’air, en se méfiant de ses impulsions. A plusieurs reprises, au café avec une amie, par réflexe , j’ai proposé de payer la note de nos deux thés (comme on a l’habitude en France, un coup l’une, un coup l’autre). La copine allemande était perplexe : tu veux que je te rembourse ? La deuxième fois, on peut expliquer, et faire passer sa bizarrerie pour un trait culturel.

Donc revenons à notre vendredi matin. Je m’attendais à me déshabiller et à montrer, bonne élève que j’avais mis des sous-vêtements, sans trous, (je ne vais quand même pas ajouter propres), assortis et que je m’étais bien épilée.

-Quittez vos bottes et allongez-vous sur le ventre.

-Les bottes c’est tout ?

– Oui. Défaites juste votre ceinture.

Soit.

Il appuie à différents points de mon sud-ouest.

-Vous avez mal là ?

-Non.

-Et là ?

-Non.

Il continue son exploration des douleurs dorsales.

-Vous faites quoi dans la vie ?

Ich bin Schrifstellerin (Je suis écrivaine )

(Alors là ça n’a l’air de rien, mais depuis trois ans que j’écris tous les jours, j’ose enfin l’avouer, dans l’intimité confidentielle d’un cabinet médical, dans une langue où le mot reste neutre (littéralement : productrice d’écrits), même si l’Académie Goncourt ne m’a pas adoubée. Donc méga victoire pour bibi qui cherche sa voie depuis bientôt… trente-trois ans.)

-C’est super ! Qu’est-ce qu’il y a comme gens intéressants !

Rire qui se veut modeste, derrière mon masque je rougis à peine (après tout il n’a rien lu de moi). Il enchaine :

-On n’a pas le temps de parler, sinon je vais être encore plus en retard. Mais je ne résiste pas. Vous écrivez quoi ?

-Un blog sur l’intégration d’une famille franco-anglaise chez les Teutons. Et un bouquin aussi. Vous parlez français ?

-Non pas du tout. Je ne suis pas doué pour les langues.

Tant pis, tant que vous vous y connaissez en vertèbres, muscles, et patientes angoissées.

-Et là ?

-Non.

Remontez un peu sur la table…

AIE AIE AIE … *#@*ZqX*!!§***… ce mouvement-là faut pas…

-Retournez-vous sur le dos.

Combien de temps vous me laissez ?

Il tâte mes cervicales.

-Ça va. Vous pouvez vous relever.

Avant midi ?

Je renfile mes bottes, en faisant attention avec la perfide flexion avant.

-On peut vous aider avec de la kiné ou de l’ostéopathie mais il faudrait apprendre à vous relaxer, parce qu’au moindre stress ou à la moindre émotion forte ça va revenir.

Il a bien compris le bougre.

-J’y travaille promis.

C’est pour ça qu’Adriene c’est ma meilleure pote, elle s’entend bien avec mes émotions fortes. Lisa aussi avec ses cours de yoga contre l’anxiété.

-Tenez une ordonnance pour six séances de kiné, c’est remboursé. Si ça ne marche pas on essaiera l’ostéopathie.

-Merci docteur.

10 minutes.

Il ne m’a pas envoyée au cimetière.

Mon mari a trouvé dans la boulangerie du quartier, de délicieux beignets de carnaval moelleux comme des nuages, où les petits grains de sucre collaient aux lèvres et aux joues juste assez pour avoir envie de les lécher. Et de se frotter le bout du nez avec le dos de la main. Tiens en fait y’a un arrêt de tram juste là. J’ai un peu honte de ne pas avoir vérifié avant.

Monsieur mon corps vous pouvez vous détendre.

Rompez.

Les six rendez-vous chez le kiné sont pris pour les semaines suivantes. La secrétaire m’a demandé d’arriver avec deux serviettes, une grande et une petite. Pas de consignes côté sous-vêtements, mais j’arbore la parure assortie – bleu roi, Monop, natürlich (j’ai pas encore basculé chez Tchibo pour les sous-vêtements, mais ça ne saurait tarder, je suis mûre. J’en suis à ceux de mes filles et aux chaussettes).

La kiné, une grande femme jeune et sportive, aux longs cheveux blonds, jean gris moulant et baskets Nike me propose d’entrer dans une salle équipée de matériel de sport. Elle vient d’aérer, je me dis que je vais me cailler. J’enlève mes baskets.

-Je me déshabille ?

-Non, non, ouvrez juste la ceinture je vais d’abord faire un bilan. Allongez-vous sur le ventre. Vous avez mal là ?

Non. Non. Non. J’ai mal tout le temps sauf quand elle appuie. C’est bon signe paraît-il.

Consultation : 20 minutes.

La dernière a eu lieu hier. Toutes consultations très intéressantes. J’ai appris à mobiliser mes abdos. Depuis le temps que je ne les avais pas vus, j’avais oublié où ils étaient (le premier qui me répond sous ton nez, je le mords). Avec ma pote Adriene, j’ai réussi à faire des abdos en mobilisant tout le reste du corps sauf eux. Ce qui fait que j’aime pas faire des abdos (qui aime ?), après j’ai mal au cou. Puis à la tête.

Donc, abdos pour de vrai, tous les jours.

Autre info qui peut servir, grâce à mon cher et tendre qui me l’a offert, j’ai lu un livre écrit par un Norvégien sur les étirements. Ma position de nuit est idéale pour me donner des maux dans le bas du dos (ça, trois bébés costauds, et la vieillerie). J’ai changé mes habitudes de sommeil. Je revis.

Chers amis français, appréciez à sa juste valeur un système médical où chaque minute n’est pas (encore) comptée (au plus court). Mes récits d’outre-Rhin ont inspiré un ami médecin : il a évoqué l’idée de facturer une visite à domicile quand il ira chercher un patient en salle d’attente.

Merci au système allemand, certes expéditif et à deux vitesses (selon l’assurance détenue), qui m’a bien aidée.

Un jour peut-être j’oserai publier un des tous premiers articles écrits sur le violent choc culturel avec le milieu médical local. Quand on est paralysée juste parce qu’on passe devant un hôpital, vous imaginez la rencontre avec des infirmières qui donnent des ordres. Et sourient. Parfois.

Je vous souhaite des abdos résistants et un dos compréhensif.

Les consignes de la salle d’attente du pédiatre (de Janosch)

PS : Vous connaissez les albums pour enfant de Janosch ?

Une tranche de Forêt Noire ?

Coucou ! Kuck Kuck ! Trois jours dans un village loin de tout, niché dans la forêt.

Ça fait envie hein ?

C’est encore mieux que ça.

Pour fêter les anniversaires hivernaux, notre famille aime s’évader le temps d’un week-end à la montagne. (Oui, oui je vais actualiser mon âge sur la page d’accueil de ce site…). Quand nous vivions à Lyon, nous le faisions chaque année, gâtés que nous étions par la géographie. Une fois dans une chambre d’hôtes en contrebas d’un col de Chartreuse, une autre dans le Vercors ou le Beaufortain.
Depuis Mainz, on peut viser le Taunus pour des balades en forêt. Mais l’urbanisation et les grosses routes restent plus proches. Les sommets hésitants n’offrent aucun village perdu, où l’altitude dépayse en accéléré.

Alors où s’échapper ? La Forêt Noire au sud, le massif de l’Eifel au nord-ouest (où j’ai envie d’aller voir les éclosions de narcisses au printemps). Ce sera la Forêt Noire.

Je rêvais d’y aller depuis toujours.

Pour notre rencontre, il y a trois ans, lors de notre premier hiver en Allemagne, je suis restée bougon. Oui la proximité dans le même village étagé de vignobles et de sapins enneigés, les fermes affichant leur production de fruits (et d’eaux de vie), la route des crêtes ont failli vaincre ma mauvaise volonté et mes comparaisons chroniques. Bien tenté, mais non c’est pas aussi haut / charmant / gourmand / varié (etc…) que mon Vercors adoré. Où sont les fromageries ? Et pourquoi les pistes de ski de fond sont-elles aussi mal fléchées ? Et l’autoroute est-elle toujours aussi chargée ?

Il nous fallait un nouvel essai. Mon sevrage de reliefs commençait à peser. Au marché, sentir la gorge se serrer en regardant la tomme de Savoie c’est moyen.

Mes recherches en ligne m’ont emmenée vers une vallée au nord du massif, donc plus proche de Mainz. Inconnue sur mes guides touristiques. Tant mieux. Mais où loger ? Les villages ont l’air minuscules. Gites ? Encore faire les courses, la bouffe… Approfondissons la quête. Un hôtel tout confort, avec piscine et spa… Tiens donc… De la disponibilité pour quatre deux semaines avant ? Yes ! C’est pas un peu cher ? Si mais c’est tout compris, ET ça fait combien de temps qu’on est pas partis en week-end ? Euh…..

Les chiens ? Non. (Tant mieux. hi, hi. Elle est moche en ce moment notre Gaïa, la captivité ne lui va pas au poil : il tombe. Ma fille propose de tester la nourriture hypoallergénique).

Cerise sur la forêt noire, le lundi, les filles n’ont pas cours pour cause de conseils de classe. Nous partons pour trois jours. TROIS.

Départ vendredi en fin d’après-midi, pour poser Gaïa à la pension pour chiens du côté de l’aéroport de Francfort. Cap plein sud sur l’autoroute chargée (comme partout tout le temps dans notre coin d’Allemagne). Pour nous distraire, nous jouons à Boggle avec les plaques minéralogiques. T’as vu DO-GS ! Je laisse volontiers mon mari au volant. Je ferai le retour de jour. L’autoroute allemande est infernale pour qui s’en tient au code de la route français. Dans les sections sans limitation de vitesse, je reste coincée derrière les camions à 100 km/h. Doubler c’est se retrouver, d’un coup, talonnée par une grosse bagnole noire piaffante, invisible la seconde précédente.

Enzklösterle

Le village d’Enzklösterle s’étale à 500 mètres d’altitude, le long d’un gros ruisseau. En arrivant de nuit, on n’en voit que les sportifs s’entrainer au basket dans le gymnase. De jour, à pied, nous découvrirons le coin. Pas de maisons à colombages ni de boutiques de souvenirs, aucune horloge-coucou made in Taïwan à l’horizon. Juste de grosses maisons qui dissimulent leurs années sous le crépi. Quelques linteaux de porte sur le grès rouge, trahissent les âges. (1856, 1852). Bien sûr une maison bleue ici, une autre là verte ou jaune. Comme souvent, la palette des façades dérape. Trois églises d’aspect moderne.

Pourtant la vie s’est installée ici depuis longtemps, autour de la récolte des myrtilles sauvages. Nos promenades en forêt le long du bien nommé Heidelbeerweg (chemin des myrtilles) nous l’ont prouvé : les sous-bois sont tapissés de plants (géants par rapport à ceux de l’Ardèche ou des Alpes).

L’hôtel est un gros paquebot amarré à la pente dans le cœur du village. Moderne sans excès, d’un style qui rappelle les villes thermales. Balcon à chaque chambre. Restaurant tout en vitres, dont les lumières éclairent le jardin et une terrasse enneigés. Quelle chance tout ce blanc !

Nous franchissons le seuil juste avant 20 heures. La réceptionniste nous confie la clef, et nous indique comment aller à notre chambre à la fin du repas.

-Dépêchez-vous, dans quelques minutes, le service ne vous acceptera plus. Si vous finissez avant 21h30, je pourrai vous accompagner. Sinon non. J’aurai terminé mon service.

Le repas s’est éternisé autour d’un menu composé d’une ribambelle de plats et amuse-bouche. Ralentir on a dit. Les serveuses sont en tenue traditionnelle, robe longue bleu ciel, plastron noir et haut blanc à manches courtes. Elles doivent se geler. L’accent local est très marqué avec des ch. Mais ça va, on comprend.

En Allemagne on mange à tout heure et dans un rythme qui bouscule nos habitudes. Le buffet du petit déjeuner est extra, avec vraiment de quoi manger (pas juste les traditionnelles tartines et viennoiseries françaises qui déboutent les touristes du nord de l’Europe). Il y a même du Sekt avec des flûtes à disposition. A partir de 14h, un buffet est installé pour le traditionnel Kaffee-Kuchen (café et gâteau – plus crudités et soupe). Effectivement tout est compris. Comment résister ? C’est dingue ce besoin de se jeter sur ce qui est disponible, même quand vraiment on n’a plus faim… Les yeux plus gros que le ventre… un travers à tous les âges. Diner qu’on retarde pour agrandir l’appétit. A 19h nous sommes les derniers à arriver.

J’ai l’impression d’être dans un bateau de croisière (où je n’ai jamais mis les pieds) où les passagers se croisent à table, sans jamais sortir du bâtiment (mais je n’en sais rien).

Balades dans la neige…. Ça crisse, et glisse. Côté sud de la montagne, des gouttes tombent, côté nord, l’hiver arrête le temps.

-Regarde maman on se croirait dans la Reine des Neiges !

J’allais le dire. Avec ces mamelons de neige, ces rochers couverts de mousses et de petites stalactites, ces troncs enneigés, on se croirait dans un dessin animé. Je guette les trolls.

Traversée d’une piste (rouge à vue de nez, je ne m’attendais pas à une pente aussi marquée par ici) où deux tire-fesses à pioche remontent les skieurs. Escale pour quelques glissades sur une piste de luge où les enfants et parents bariolés, avec leurs luges en bois et leurs grands sourires me font penser à un livre d’images des années 50 : Jean-Jacques et Martine aux sports d’hiver.

Après le déjeuner / goûter : sacro-saint temps calme. (Comprendre : interdit aux enfants de venir solliciter leurs parents. Interdit on a dit.)

#nofilter

On va se baigner ? La piscine rectangulaire aux escaliers arrondis donne sur une pente de pelouse enneigée. Une pancarte limite l’accès. Avant d’entrer on compte des yeux le nombre de baigneurs… dans les huit un bébé ça compte tu crois ? Après quelques longueurs, le spa… Allons-nous passer la porte sur laquelle est inscrit : textilfrei (sans textile) ? Accès à partir de 14 ans.

Les filles veulent venir. L’une peut, l’autre doit se contenter de cabrioles dans la piscine (fais gaffe aux gens, hein !). Celle qui peut, hésite. Faut vraiment se mettre nu ?

Plusieurs saunas, un laconium (pièce chaude mais moins), un hammam fermé (zut). Des corps dénudés dans les pièces, enveloppés de chastes serviettes blanches sinon. On va s’y faire, hein, on ne les connait pas ces gens. C’est un exercice d’intégration.

Ma première expérience de sauna date du siècle dernier, après une rando itinérante avec l’UCPA dans le Beaufortain. Nous étions partis mi-septembre pour une semaine (géniale) dans la pluie puis la neige avec des nuits en chalets d’alpage (où il était recommandé de ne pas avoir envie de rejoindre la nuit la cabane au fond du pré, sous l’orage et à l’aveugle). En haut du Cormet de Roselend l’épaisseur de neige nous avait obligés à renoncer. Nous étions rentrés en taxi par le long chemin de la vallée vers le sauna et un gros saignement de nez le soir. Donc, depuis j’ai évité. Là j’hésite.

Le deuxième jour puisque ce fichu hammam est encore fermé je tente cinq minutes dans le sauna. Le contact du bois est agréable. Je pense à Sinnika, une petite fille finlandaise d’un de mes albums du Père Castor d’enfance. Ici pas de branches vertes pour se fouetter. Pas de lac glacial où se jeter. Mais je sors en serviette sur la terrasse et marche pieds nus dans la neige. (Non pas de photo !)

Le dernier jour, surprise, le soleil brille dans un ciel très bleu. Les rayons jouent entre les troncs. C’est superbe. Nous n’en revenons pas de tant de beauté et de lumière, nous qui vivons dans le gris depuis plus d’un mois. Le ruisseau chantonne, les gouttes tombées des pins, sapins, hêtres ou bouleaux nous éclaboussent. Même les filles avancent d’un bon pas sur le sentier, sans râler, jusqu’à une plateforme de bois avec vue sur la vallée et les deux pistes de ski. Un panneau indique qu’il est possible de s’y marier (ah c’est donc pour ça ces bancs et ce pupitre de bois !). Des pancartes pédagogiques (coiffées d’une boule violette) expliquent l’économie du village tournée vers la récolte des myrtilles. C’est sûr je veux revenir en été (avec des boites) !

Récolte des myrtilles

Dans le fond d’un vallon, un écriteau symbolise la frontière entre l’évêché de Mainz et celui de Konstanz (oui elle, au bord du lac), il y a 1500 ans. Mainz est restée longtemps une ville très importante. Un de ces quatre je vous écrirai un article dessus.

Dans la descente mes orteils s’écrasent au fond de mes bottes de neige. J’évite de déraper. Ma plus jeune se précipite sur sa pelle pour glisser.

A part trois retraités en pique-nique sur la plateforme, surpris de voir des enfants un lundi (y’ a pas école ?), et deux tout en bas, personne.

Pour la fin de la balade, ma fille marche à côté de moi. Frissonnante et lèvres bleues, elle a accepté de fermer sa parka. (Yeux au ciel ! ces jeunes !)

-C’est génial de marcher comme ça dans la nature, ça change vraiment les idées. J’ai plein d’envies et de projets qui me viennent !

Oui, respirer l’humus, prendre en photo une graminée enneigée, écouter la neige crisser sous les bottes, sentir ses doigts geler quand on n’a pas envie d’enfiler des moufles, tout ça permet de court-circuiter les soucis qui tournent en boucle. Le corps prend le pas sur l’esprit tout-puissant. Un instant nous oublions nos chaines.

Libérés, délivrés, on vous avait prévenus… (Pardon)

Dernier buffet à l’hôtel avant de repartir. Vite vite va te servir, aujourd’hui il y a de la forêt noire !

Oui, avec de la chantilly en plus

Echanges

Voter pour rire, préparer le lycée et échanger ses gamins (ou ses parents).

A voté.


Oui oui.

J’ai voté en ligne pour le test grandeur nature du premier tour des élections législatives organisé par le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Le consulat avait proposé. J’ai sauté sur l’occasion. Pourtant, le jour des élections, je pressens l’envie de glisser un papier dans une enveloppe, à l’Institut français de Mainz. Le petit frisson du devoir civique réalisé n’aura pas la même saveur depuis mon bureau. Néanmoins, c’est drôlement pratique.

Sur la liste électorale pour du beurre, une douzaine de candidats tous plus poétiques les uns que les autres : le parti des abeilles en grève, des coccinelles, des herbes aromatiques au balcon… J’ai choisi une femme, avec des co-équipiers-arbres dont un châtaigner.

Devoir accompli pour rire (et rêver).

Bonjour les amis, me revoilà.

Ça fait longtemps que je n’ai pas écrit. Je m’assois tous les jours à mon bureau pour travailler à un projet d’écriture. Mais dans une phase de relecture / correction, je n’écris pas vraiment. Pour vous ici, souvent j’hésite. Ai-je quelque chose de neuf à partager ?

Râler encore contre les covid-contraintes ? Bof. Contre la voisine qui nous a engueulés pendant une bonne minute parce que notre chienne Gaïa, tenue en laisse, avait osé s’approcher d’elle (sans la toucher, sans aboyer, sans la surprendre) ? Elle nous a demandé si on emmenait notre chien à la Hundeschule (à l’école des chiens)… Mon mari lui a souhaité bonne année. Et moi j’ai eu l’envie furieuse de lui conseiller d’aller à l’école des humains. Pour apprendre l’humanité.

Non. Sans intérêt.

Au fond, Mainz

Mes actualités brûlent trop pour être partagées à grande échelle. Secrets. Suspense. Comme tout le monde j’ai des soucis, et j’essaie qu’ils ne me bouffent pas. Puis j’ai mal au dos. J’ai appelé le kiné ce matin. Elle m’a demandé mon numéro de téléphone.

-C’est un numéro de portable français…

-Nein. On ne peut pas appeler la France.

-Sur whatsapp ça marche très bien. Mais tenez le numéro allemand de mon mari.

Elle note. Puis me propose :

-Vous êtes disponible aujourd’hui ?

-Oui

-Ça m’avait agacée le coup de la France.

Ah bon. D’une part je ne m’en étais pas rendu compte. Les échanges cash sont normaux ici. Et d’autre part, je n’avais imaginé, depuis le temps que je le donne ce numéro étranger, que ça pouvait énerver. (Oui la flemme de tout mettre à jour, et la volonté symbolique de me rattacher à mon pays).

Vous l’aurez remarqué, l’objet de mes articles ici est d’essayer sous prétexte d’anecdotes quotidiennes de m’approcher au plus près de mes émotions, en espérant toucher les vôtres. Alors c’est frustrant cette auto-censure. Mais pour les sujets qui irradient autour de moi, pas le choix.

Alors parlons échanges.

Austausch (échanges scolaires) et non Umtausch comme j’ai dit une fois par erreur à des amis (échange définitif comme quand on rapporte un objet cassé au magasin). Et non ce n’était pas un lapsus ;o)

Oma Else Café

Ma grande fille est en troisième, année charnière. En seconde les élèves peuvent partir six mois ou un an suivre une scolarité à l’étranger. Aller simple dans une famille qui fait profession d’accueillir des jeunes du monde entier. Aucun étudiant à recevoir en retour. Plusieurs organismes le proposent, le lycée l’encourage. Les filles d’une amie sont ainsi parties au Canada et aux USA. Alors je demande à la mienne :

-Ça te dirait pas ?

-Si je pars je vais oublier tout mon allemand.

Ah oui c’est vrai. Pour nous ‘’l’échange’’ c’est tous les jours. Dommage dans un sens. Car en plus de la langue, l’apprentissage de l’autonomie, d’une autre façon de vivre, sans ses parents sur le dos serait chouette.

Un peu d’air dans nos voiles assouplirait les échanges.

Ado 10-Maman 0. A tous les coups on perd !

Si je suis occupée quand elle arrive, je me fais engueuler :

-Tu ne t’intéresses pas à moi !

Si je cherche à l’aider aussi…

-Tu as envoyé tes candidatures ?

-C’est MON stage, MON problème.

OK. OK.

Equilibre délicat.

Am Ballplatz

Une connaissance de Mainz m’a demandé de l’aider à trouver une famille française pour un échange (un vrai) de deux semaines. Les amis parisiens contactés, tout de suite séduits ont contacté leur collège. Non. Impossible. Le Covid et tutti quanti vous n’y pensez pas !

Quel dommage… Entre rigidité de l’Education Nationale et films doublés, comment les petits Français pourraient-ils briller en langues étrangères ?

Autre actualité scolaire : la préparation de la seconde. Les classes, identiques depuis cinq ans, éclatent en fin de collège. L’emploi du temps du lycée est très personnalisé. Presque du sur-mesure. Chaque collégien choisit parmi une trentaine de combinaisons : 3 cours principaux, Leistungskurse, 9 cours fondamentaux Grundkurse, une éventuelle option (philo ou italien). Les profs leur donnent des recommandations pour leur matière (vert, jaune ou rouge). Parmi les choix réputés les plus durs… sport et arts (théâtre, arts plastiques ou musique). Le nombre d’heures hebdomadaires est le plus élevé… en sport. Eh oui.

La semaine dernière, j’ai assisté avec ma fille à une soirée d’information en ligne sur l’environnement numérique du collège. Différentes présentations étaient données en parallèle. Spontanément, je me serais inscrite à une seule (par devoir… les maths) et j’y serais restée, regrettant de ne pas voir le reste.

J’ai laissé mon ado piloter.

J’ai découvert comment elle faisait en classe.

Elle a ouvert toutes les sessions qui l’intéressaient : théâtre, français Abibac (double bac français/allemand), italien, histoire en anglais… puis elle a zappé de l’une à l’autre. Fais voir qui c’est qu’est connecté là ? Ah bon ?

Surprise totale pour moi : presque personne dans la présentation maths où nous n’avons fait que passer par curiosité. Pourtant ils sont un certains nombre à choisir la matière, ma fille entre autres. Mais ils n’avaient rien à apprendre sur le sujet.

Un problème se pose pour ma miss : si elle fait Abibac elle renonce à son anglais – car les forts en anglais le prendront en cours principal (ce qu’elle ne peut pas faire puisqu’elle a français), reste le cours fondamental où elle va s’ennuyer. Ni une ni deux, elle a envoyé la question à la prof qui organise les emplois du temps (un joyeux casse-tête) : pourrais-je avoir un quatrième cours principal ? Réponse : si ça colle niveau horaires pourquoi pas…

Comme j’aurais aimé dérailler du ‘’maths à tous prix’’… Choisir le sport ou l’art comme matières principales avant le bac, sans avoir l’impression de commettre une erreur ni de me fermer des portes. Ma plus jeune révise pour les interros de sport comme pour les autres matières. Cet aprem piscine :  elle veut améliorer sa rapidité à la brasse. La pédagogie allemande fait envie.

Malgré tous ces choix, notre famille manque de projets. Nous trépignons. On s’était dit qu’on resterait deux-trois ans en Allemagne. Notre quatrième année n’ouvre aucune perspective de changement. Quel départ serait compatible avec la scolarité des enfants ? Avant le lycée ? Pendant ? Rester cet été est-ce s’engager pour trois ans d’un bloc ? En ai-je envie ?

J’ai vraiment besoin de poser mes valises. Pourtant hier je proposais à mon mari de partir en famille un trimestre à l’étranger quelque part… Pour échanger notre quotidien pour un ailleurs. Aventurière casanière. La routine pour se rassurer et s’apaiser, l’évasion pour échapper à l’ennui…. Une ligne de vie que je suis les bras écartés en balancier. Là encore.

Acheter une maison à Mainz ? Oserais-je ? Pas sûre du tout…. Ça aurait quelque chose de définitif (même si c’est faux). Mais j’en ai ras-le bol de ne pas pouvoir effectuer les travaux pour mettre mon chez moi à mon gout. De râler contre notre frigo minuscule.

L’Allemagne est le pays de l’Union Européenne qui compte le plus de locataires (53%). La part d’Allemands propriétaires de leur logement varie fortement entre Berlin (17,4%) et la Saare (64.7%). La Rhénanie avec 58% se situe dans la fourchette haute, mais le marché reste peu mobile et l’immobilier cher : implantation à Mainz de sièges d’entreprises (ZDF, Schott, … et maintenant Biontech qui grossit), proximité de Francfort (ce que le Brexit ne va pas améliorer sans doute, en entrainant le rapatriement en Hessen d’activités londoniennes).

Le Brexit parlons-en… Payer un bras pour envoyer des cadeaux de noël en Angleterre et un autre pour aller chercher les nôtres à la poste, parce que bon, les frais de douane ma brave dame… Ça tourne en rond cette histoire. Régler des taxes pour financer les agents qui lisent les étiquettes (et doivent bien se marrer. On a reçu dans un carton ’’céramique et papier’’ : comprendre tasses et livres).

Janvier s’étire. Les photos d’hiver regardées en été m’interrogent… Comment survivre au ciel blanc, à l’air glacial, aux arbres nus ? Plongée dedans, je guette les chatons sur les branches (noisetiers déjà équipés), la violette égarée, le perce neige hâtif (dans ma jardinière) … Même aux jours les plus froids, la nature s’épanouit. Les jasmins d’hiver, toutes étoiles jaunes dehors éclairent les rues. Le printemps se prépare en hiver. Rien ne s’arrête. Alors je m’en sors.

(Note à moi-même : tout de même, commander du mimosa au fleuriste du marché.)

Pour les longues soirées, les guirlandes au jardin (fairy lights en anglais, les lumières de fée, c’est pas charmant ?) font des semaines sup, et nous regardons des films. Décider en famille d’un programme relève de l’impossible. J’ai renoncé aux discussions interminables pour lire dans mon lit. Avec la sortie de Spiderman, les filles ont eu un coup de cœur. Commun. Tom Holland passe ses samedis soirs en notre compagnie.

Histoire de dédramatiser la question ado, vendredi j’ai glissé la Boum. Au siècle dernier, les deux films avaient eu un franc succès en Allemagne. Toutes mes copines de Cologne connaissaient Sophie Marceau. Ma benjamine a passé son tour (y’a de l’action ? des blagues ? Euh non). Mon ado a bien aimé, ‘’mais plus personne ne parle comme ça aujourd’hui…’’ A ce point ?

Mes filles adoptent, sans pourtant les fréquenter, le parler des jeunes français. Stylé revient dans leurs phrases aussi souvent que classe, puis canon à d’autres époques. Le super classe c’est quand c’est grave stylé.

Eh oui, moi aussi j’apprends.

Et j’imagine. Si je montais un système d’échanges pour les parents ? Une école de la parentalité avec stages dans une autre famille / culture, pour apprendre ailleurs comment me comporter chez moi ?

Vous en penseriez quoi les filles ?

(Pourvu qu’elles ne répondent pas qu’elles voudraient bien un Umtausch plutôt qu’un Austausch).

Sources statistiques : de.statista.com

A nous tous, 2022

Noël ardéchois, crèche provençale, actualité des lettres d’une Allemande expatriée en France il y a 300 ans. Guten Rutsch ! Bonne année !

Bonjour !

Hep !

Léger coup sur l’épaule.

(Etirement)

Tu peux ouvrir les yeux sur 2022.

J’ai laissé filer 2021 une heure plus tôt. Elle a glissé sous la porte de la maison. On n’allait pas la retenir la coquine. Tu les as entendus les explosions vers minuit ? Je croyais que c’était interdit pour la lutte anti-covid. Les pétards m’ont vaguement réveillée. J’ai senti la présence de mes filles entrées souhaiter bonne année à leur mère dans les limbes (et regarder les feux d’artifice par ma fenêtre).

2022 commence d’emblée mi-mai. A notre promenade ce matin avec Gaïa sur le Mainzer Sand (dunes), nous n’avions pas de manteau. La douceur du fond de l’air augure-t-elle de celle des jours ? . Le froid me manque.

T’as pas de résolutions ? Moi non plus. Je n’en ai jamais au 1er janvier.

Quand je veux introduire du changement dans ma vie, je m’y prends tout de suite (surtout quand il y a urgence, du genre : absolument éviter de me pencher en déséquilibre vers l’avant sinon couic, pincement dans le dos). Ou jamais (réduire le chocolat).

C’est la rentrée scolaire, avec son parfum de cahier neuf et de crayons bien taillés qui me pousse dans le dos pour découvrir et essayer. Les calendriers sont une affaire d’organisation collective, une convention pour arriver à l’heure à l’école. Rien d’absolu. Regarde, les Chinois, attendront un mois pour changer d’année. Sous nos latitudes les jours grandissent déjà depuis le solstice.

Tiens un café. Prends ton temps. Je te donne rendez-vous de l’autre côté.

Je sirote une tasse de tisane (appelée Calm and relax : un sachet emballé par mon ado pour sa mère à Noël, entre plusieurs cadeaux charmants fabriqués par elle. Je crois qu’elle essaie de me dire quelque chose). Des coups de marteau résonnent, elle bricole dans sa chambre. Je viens de croquer le premier marron glacé post-gastro (oui, c’est la saison). Mon fils au piano joue en alternance Amélie Poulain et I’m walking in the air (je vais lui piquer la partition) et d’autres morceaux dont j’ignore le titre. Quand il sera reparti en Angleterre (testé avant, après, pendant), la moindre mesure de ces mélodies me fera fondre le cœur.

De retour à Mainz après une échappée jolie en Ardèche d’à peine cinq jours sur place.

Premier trajet d’une traite. Google nous dit : 837 kilomètres en 8h37. Si seulement… En données corrigées des variations saisonnières et des pauses pipi : onze heures. La chienne ne sort que deux fois sur le trajet. Elle est bien sage dans le coffre à côté des grosses valises. Mais ces deux jours en voiture valaient le coup. Apercevoir de beaux paysages, on en a tant rêvé !

Lyon

Longueurs et langueurs d’autoroute. Les genoux dans les dents, à essayer de caser nos pieds entre/ sous/derrière des sacs qui dégueulent. Pourtant nous avons laissé des cadeaux sous le sapin pour le retour. Le coffre de toit est plein. Vous voyagez léger vous ? L’ambiance reste pacifique malgré la réduction de l’espace vital. Quand un estomac se réveille, repérer le sandwich en kit tient du jeu de piste. Trésor ultime dans les tréfonds : la banane écrabouillée. A chaque fois.

Nous avions pourtant réussi à obtenir nos passeports au consulat de Francfort dans les temps. Service adorable, hyper rapide. La dame qui a vérifié nos empreintes digitales me l’a confirmé : oui le Palmen Garten (jardin botanique) en face de son bureau vaut le coup. On reviendra au printemps.

Mais l’Angleterre s’est refusée à nous. Hop elle a relevé le pont-levis et prohibé les plongeons dans l’omicron. Ceux qui passent entre les barreaux de la herse gagnent quatorze jours aux oubliettes. Quatorze jours ? Pour dix jours de vacances ?

Mon fils, dont le semestre a fini début décembre, est déjà en France. Discussions par texto : On ne sait pas ce qu’on fait. Mainz ? Ardèche ? Tu crois qu’en passant par la Belgique ça le ferait ?

-Allo papa, on peut descendre en Ardèche ?

-Dites-moi que je chauffe la maison.

Discussions en famille, négociations.

-Allez venez asseyez-vous. De quoi avez-vous envie ?

-Non non on ne veut pas rester en Allemagne. On a besoin d’un changement. Tu te souviens aux vacances l’an dernier, nous ; on a été bien sages et on est restés. Avec les conséquences que tu sais.

(Vague menace de vague à l’âme prolongé ; prise au sérieux.)

-…

-Des amis ont pris le risque de partir et ça s’est bien passé.

C’est sûr. Un changement d’air s’impose. Les dernières semaines au collège ont été intenses. Les profs craignent-ils la fermeture des écoles et donc une interruption des notes ? Les filles ont besoin d’une coupure. Leurs parents aussi. Oui mais l’Ardèche c’est bien loin. En train ? Non, complet.

Ma plus jeune se braque. Elle veut un noël anglais. Elle ne connait que ça depuis qu’elle est née. Comment faire ? Non en Ardèche y’a pas de sapin de noël. Y’en a jamais eu. Ma mère ne voulait pas tuer d’arbre. Enfants, nous décorions une belle branche morte suspendue au-dessus de la cheminée. Les guirlandes frisaient à la chaleur. A la demande de mes frères et moi, une concession avait été faite avec une brassée de genêts verts. Non, pas de sapin donc. Le clou de la fête dans ma maison d’enfance, c’est la crèche. En terre cuite non peinte, une farandole de santons hauts d’une vingtaine de centimètres, achetés année après année chez un santonnier de Saint-Rémy de Provence. Vous savez, sur la route de Maillane.

Ma mère redoutait novembre. On triche un peu, elle disait, on va faire la crèche. Mon père dit encore qu’elle décorait la longue hotte de la cuisine de la Toussaint à Pâques. De quoi sauter l’hiver à pieds joints et mains occupées. On partait en balade dans la garrigue glaner les accessoires végétaux. Oliviers en touffe de thym, collines de mousses, pierres volcaniques ou fossiles. Mon père sortait l’escabeau pour attraper LE carton dans le placard du haut de l’entrée. Mes frères et moi plongions des mains impatientes dans les chips de polystyrène.  A tâtons nous essayons de reconnaitre notre prise avant de la voir. On fouillait longtemps pour trouver les derniers petits moutons.

Pour nous c’était la fête, et on connaissait la Pastorale des santons de Provence d’Yvan Audouard par coeur. mais aujourd’hui mon argument pour l’Ardèche brille moins qu’un sapin illuminé.

-Mais si tu verras, on fera la crèche.

Elle ne l’a jamais faite. Nous en possédons une faite maison par mon fils tout petit et moi (avec, s’il vous plait, modelé par lui, des accessoires trop souvent oubliés : un doudou et un ballon de foot pour le petit Jésus). Faute de place où l’installer, elle reste planquée dans la remise.

-Promis, au retour, nous concocterons un menu londonien de noël.

Nous nous partageons entre nos deux lieux de cœur. Décembre c’est pour la famille paternelle à Londres. Depuis qu’on vit en Allemagne, nous ne descendons dans le sud de la France qu’aux beaux jours. Ma benjamine se souvient à peine de l’hiver en Ardèche. Finalement, elle se laisse raisonner. Merci à elle.

On a fait la crèche. Mangé des escargots le 24 au soir, comme moi dans mon enfance. Je suis heureuse de leur faire découvrir tout un pan des fêtes. Dans un album pour enfant qui présente les différentes traditions de Noël ma grande s’écrira un index pointé vers les pages : Regarde on les fait toutes ! couronne de l’avent, lentilles, crèche…

Quand on vit à cheval sur trois pays, les traditions et rituels prennent de l’importance. Ce sont des repères. Plus encore pour notre famille sans grand-mère, où à la culture, s’ajoute la continuité de la filiation. Attraper un santon, c’est reproduire le geste de mamie Millou qu’elle ne connaissent pas. A Londres, accrocher les stockings, c’est retrouver un instant l’autre grand-mère. Et cuisiner le Christmas cake, selon sa particulière, communier avec une tante trop tôt disparue. Les absents ne sont-ils pas parfois les plus présents ?

L’âge et la pandémie offrent une conscience accrue de l’impermanence des choses et des êtres. On apprend à profiter de ceux qui ont tenu le coup jusqu’à aujourd’hui, à nos côtés. La covid murmure : souvenez-vous de rester spontané ! Vos plans initiaux sont tombés à la mer du Nord, tant pis. Attrapez toutes les occasions !

Dans ma maison d’enfance, chacun se précipite sur les étagères pour en tirer un Astérix ou un Tintin (en anglais s’il vous plaît, il fallait allier l’agréable à l’utile. A noter que les traductions des Astérix sont excellentes, à chaque lecture je découvre de nouveaux jeux de mots). La grande traversée (The great crossing) sous le bras, je farfouille. Je feuillette. Tiens un recueil sur Colette. Oh et les lettres de la Princesse Palatine ! moi qui l’avais cherché l’été dernier. Ma mère me l’avait mis dans les mains voilà trente ans, séduite par ce franc-parler intelligent et la dénonciation des hypocrisies.

Vous connaissez Liselotte ? Je vous l’avais présentée lors de mon article sur Heidelberg. Elle était la fille du Prince Electeur de la ville, envoyée en France à 19 ans pour servir de deuxième épouse à Monsieur, frère de Louis XIV (et permettre par contrat à la France de revendiquer une partie du Palatinat). Elle avait dû abjurer sa foi protestante. Elle a, écrit-elle, hurlé de Strasbourg à Chalons refusant de quitter son pays.

Installée à la cour avec son homosexuel de mari, elle a porté les enfants attendus. Passionnée de chasse à courre, elle y accompagnait le roi qu’elle faisait rire. Sa liberté de langage, sa bonhommie, peut-être son origine étrangère la préservait des intrigues mais l’isolait. Son regard lucide découd les manœuvres politiques et luttes d’influences, les séductions ambitieuses. Elle les décrit (en allemand) dans ses nombreuses lettres quotidiennes à ses relations outre-Rhin. Un régal à savourer.

Je picore. Tiens, elle est morte en 1722 cette princesse. Un anniversaire donc.

Ecoutez.

(Saint-Cloud le 1er octobre 1687)

… La cour devient si ennuyeuse qu’on n’y tient plus car le roi s’imagine qu’il est pieux s’il fait en sorte qu’on s’ennuie bien… C’est une misère quand on ne veut plus suivre sa propre raison et qu’on ne se guide que d’après des prêtres intéressés et de vieilles courtisanes ; cela rend la vie bien pénible aux gens honnêtes et sincères… SI vous voyiez comment les choses vont présentement, vous ririez bien, mais aux gens plongés dans cette tyrannie, à la pauvre dauphine, par exemple et à moi, la chose il est vrai, paraît ridicule, mais nullement risible.

Ou bien

(Saint-Cloud le 16 aout 1721)

Il n’est pas de mode du tout d’aimer sa femme en ce pays-ci. Mais (..) les femmes en punissent bien les hommes. La vie que tout le monde mène ici est vraiment étonnante.

Les lettres de la Princesse Palatine, jeunes de trois cents ans, le premier blog de femme expatriée ?

Dans une pérennité garante de qualité.

Avant notre temps pressé, seules les créations de valeur traversaient les siècles. Que restera-t-il en 2100 à classer par les Monuments nationaux ? Un opéra Bastille qui dégringole à peine fini ? Et chez les antiquaires, la collection 2014 d’Ikea ?

Que conservera l’an prochain de nos mots trop nombreux jetés dans le vide ?

Tout.

Trop.

Rien.

Les années passent, les préoccupations des femmes et des hommes se ressemblent.

Je ne résiste pas au clin d’œil :

(Saint-Cloud, le 6 juin 1721, 6h du matin.)

… j’avoue que de ma vie je n’aurais pu me décider à faire inoculer mes enfants du moment qu’ils étaient en bonne santé, mais la Princesse de Galles est plus intelligente que je ne l’ai été, tout a bien réussi Dieu merci ! On prétend qu’on n’a pas la petite vérole une fois qu’on est vacciné….

Ici côté vaccin, j’ai réussi à prendre rendez-vous pour ma moins de 12 ans et pour mon booster. J’ai hésité à prendre d’emblée celui pour le 4ème. J’appréhende un peu, le numéro deux m’avait flanquée à terre. Littéralement.

Mais cela me simplifiera la vie. La dernière semaine nous sommes allés deux fois au cinéma (DEUX fois en une semaine !!!!) : en France (Sing 2) et en Allemagne (Spiderman, en anglais). Pour le premier on a contrôlé notre vaccin. (2/2 ? OK.) Pour le deuxième à Mainz, nous avons dû montrer le vaccin, un test tout frais du jour, notre carte d’identité (avec le petit jeu : mais si regardez c’est le même nom – et là j’ai pu frimer avec ma nouvelle au format carte de crédit. Top je ne peux pas la lire sans lunettes.) Et scanner sous le regard sérieux de l’employé l’application Luca de déclaration de présence. Ah oui, on a aussi montré notre ticket de cinoche.

C’est la joie du 2G (vaccinés ou guéris) et 2G+ (idem + test négatif) depuis début décembre (ce qui revient au confinement des non-vaccinés). Dans les débats sur le pass vaccinal français je n’ai pas entendu de comparaisons internationales. Pourquoi les exemples des pays voisins sont-ils si peu utilisés dans les arguments politiques ? Il y a tant à apprendre d’une autre vision des choses.

Plaque d’égout aux armes de Mainz (sans lien avec le paragraphe précédent ;o))

Un autre café ?

Vous pouvez refermer les yeux. Dans les demi-rêves tout semble possible. Alors moi aussi je les referme pour y croire.

Je vous adresse mes meilleurs vœux pour des lendemains qui fredonnent.

Et surtout,

Pour une ronde d’aujourd’hui qui sourient,

Une guirlande de maintenant chantants

Une dentelle de rires fous, parce qu’il y a-t-il rien de meilleur que de rire ?

A nous deux, 2022.

A nous tous, 2022.

Et des fleurs, des brassées de fleurs.

Citations extraites de Lettres de la Princesse Palatine aux Editions du Mercure de France.

PS : Question fondamentale. Dans le dessin animé Sing (Tous en scène), le cochon a un accent allemand. Quelle est son origine dans la version germanique ?

Comme un mois de décembre

Marché de Noël de Mainz, souffrance des ados et anniversaires mi-décembre.

Prenez un manteau chaud, des chaussures confortables, un bonnet, votre téléphone avec votre pass sanitaire et votre carte d’identité. Je vous emmène au marché de Noël de Mainz.

Ça vous va si on se gare derrière le théâtre ?

Tous les pas se dirigent vers le grand sapin de Noël. A ses côtés, sous des spots qui passent du rouge au violet, le Staatstheater entre en scène spectral et vaguement menaçant. Des lumières projettent sur le sol le portrait de Gutenberg, un message de bon noël, et les Rois mages avec la distanciation sociale de rigueur.

Dans le sud de l’Allemagne, plusieurs marchés ont été fermés pour raison sanitaires. A Mainz, pour l’instant il est ouvert. Un système malin a été mis en place : attribution après contrôle individuel d’un bracelet de couleur. Il s’obtient soit à l’entrée principale, au pied de la cathédrale, soit dans de petites cabanes des rues commerçantes. Un vigile l’autre jour m’a dit : Ah Französin ? Willkommen in Mainz !

Depuis la mise en vigueur du dispositif 2G, les bracelets sont le sésame coupe-queue pour entrer dans un magasin. Le fast pass comme m’a dit une amie. Il ne sert à rien de tenter de gruger. Chaque stand contrôle les poignets avant la transaction. Si besoin, il peut aussi en distribuer, moyennant le même contrôle.

A l’entrée du marché de Noël, la pyramide géante de bois est décorée de personnages de Mainz : un joueur de foot du Mainz 05, un petit bonhomme de la chaine de télé ZDF.

Les jours d’ouverture sont-ils comptés ? La joie d’être venue en est grandie.

Au premier regard, le marché semble identique à celui d’il y a deux ans, principalement des cabanes pour manger et boire (Glühwein – vin chaud – pour les adultes et Fruitpunch pour les enfants – jus de fruit chaud et épicé) et de de l’artisanat régional de qualité.

Peut-être un peu moins de stands. Tiens là avant se trouvait le vendeur de Kaiserschmarn (spécialité autrichienne : lanières de crêpes aux raisins secs couvertes de sucre glace, mangé avec de l’Apfelmus – compote de pommes. Délicieux. Tient parfois lieu de plat principal à la cantine de mes filles.).

De la colonne de pierre antique au centre de la Liebfrauenplatz partent des guirlandes de lumière, en un chapiteau brillant. D’autres s’accrochent aux branches des platanes. Le manège illumine le vieux puits Renaissance. A dix-huit heures les cloches de la cathédrale saint-Martin carillonnent de longues minutes. Je lève la tête mais bien sûr ne les vois pas. Oh tiens la lune là entre les nuages.

Les Mainzer se retrouvent en petits groupes, avec à la main la tasse bleu nuit étoilée du Glühwein. On n’entend que de l’allemand. Il ne semble pas y avoir de touristes.

Ciel noir, lumières. On avance en se cognant un peu à des silhouettes masquées. Au fil des pas les odeurs changent. Là, la piquante fumée de barbecue, plus loin vin chaud, crêpes ou friture. L’air pince les doigts.

Contre le flanc de la cathédrale, la crèche se contemple derrière une vitrine, à partir d’une estrade. Tiens le petit Jésus est déjà arrivé.

Du côté qui descend vers le Rhin, un village de grands tonneaux-cabanes permet de boire et manger assis. Les créneaux se réservent longtemps en avance. Ma fille y a été invitée pour l’anniversaire d’une amie. Alors que je les prenais en photo, un type dedans a dû se sentir visé, il a tiré sur le rideau à carreaux du fenestron.  

Notre première venue nous a laissé une impression douce-amère de communion autour du Glühwein et des Bratwurst. Une célébration à ciel ouvert juste pour le plaisir d’être ensemble.

Après une matinée de shopping, j’y retourne avec une amie pour un déjeuner sur fond de ciel bleu dans l’ombre de la cathédrale. Calme. Pas de lumières. Elle me signale le magasin de décorations de noël en bois Käthe Wolfahrt qui propose des classiques de grande qualité. Oui il me semblait. La petite crèche en bois en demi-cercle en 2D était à 60 euros. Plusieurs clients attendent pour entrer. Ils sont implantés dans le gros village de Rothenburg ob der Tauber qui mérite le déplacement paraît-il.

Envie d’y revenir en famille pour manger sur place.

Le samedi suivant à la tombée de la nuit, ça grouille. L’ambiance est beaucoup moins agréable. Plus ‘’groupes en beuverie’’ malgré les poussettes et les enfants. La queue pour les stands de viandes grillées s’étire dans la foule. J’opte pour un wrap de saumon grillé au feu de bois sur place. Nous nous faufilons derrière les cabanes. Dans une clairière de stands il est possible de s’arrêter de marcher pour manger.

Ma benjamine pose son assiette de Currywurst Pommes sur le bord de la maquette métallique de la cathédrale avec légendes en Braille. Je finis mon sandwich parfumé au raifort et à la moutarde au miel et à l’aneth. Pas mauvais. A proximité de nous deux jeunes femmes boivent du vin chaud dans des gobelets de terre cuite. Le thermos jaune prêté par le bar des tonneaux est à leurs pieds. Le froid mord moins que la semaine dernière.

Une famille de trois finit une Bratwurst dans un Brötchen, le hot-dog allemand (probablement l’ancêtre de l’américain). Je n’entends pas ce qui se dit. Mais aux gesticulations du père, à son doigt pointé avec insistance vers la tête de son grand fils je comprends qu’il lui demande s’il y en a là-dedans. Son visage et sa mâchoire sont crispés. Il semble lutter pour retenir ses éclats de voix. Entre les deux, la mère ne dit rien. Le jeune homme non plus.

Je ne peux pas m’empêcher de regarder. C’est insolite cette tension sous les lumières de Noël.

-Ça a l’air de barder, je dis à ma grande.

Elle me répond :

-T’a vu, le jeune il a des écouteurs.

Ah oui, donc il n’écoute pas son père qui s’escrime à essayer de lui faire passer un message. En public, il a choisi la fuite passive. Provocation et lâcheté. Ah, l’adolescence ! Grr l’adolescence !

Ça me rassure un peu.

L’après-midi même j’avais pété un plomb avec la mienne d’ado. Elle aussi sait très bien me montrer sans ouvrir la bouche que ce que je lui dis ne l’intéresse pas. (Je me souviens de moi au même âge et je suis assez reconnaissante qu’elle ne suive pas les traces de sa mère). Quand on passe du côté parental, on se rend compte de la réalité des choses. Il n’y a pas de mode d’emploi universel genre video Youtube Eduquez votre ado en moins de dix minutes. On ne fait jamais que le mieux possible. L’apprentissage s’acquiert un jour après l’autre. Chaque enfant est différent. Nous sommes pour chacun une maman ou un papa différent.

Je m’en veux de ne pas être plus patiente. En même temps – c’est pas pour m’absoudre ni me justifier – dans son bouquin sur les parents hypersensibles, Elaine Aron explique bien que si les limites sont dépassées le monstre rugit. Et les limites sont si vite dépassées… (Elle a aussi écrit un livre sur l’éducation des enfants hypersensibles. Chez nous ces deux sujets se heurtent et s’amplifient mutuellement).

Foule, bruit, agitation, cacophonie lumineuse.

D’un coup j’en ai ras le bol.

Bon on a fini on s’en va ?

Quand je dis cela, les miens savent qu’il faut se dépêcher.

Après deux ans d’incertitudes menaçantes, la santé psychologique des ados est catastrophique. Celle de tous sans doute mais les jeunes accusent encore plus le coup. Cet été j’ai lu que la sécu française avait mis en place un soutien spécifique pour eux. Une dizaine de séances de psy sont prises en charge. S’il est possible de trouver des rendez-vous.

Abstand bitte !

Ici le désastre est amplifié par six mois d’école à la maison en 2021, en plus de la dose de 2020 quasi universelle. SWR annonçait la semaine dernière que les services psy pédiatriques de Rheinland-Pfalz étaient débordés. Les mamans avec qui j’en parle me confient les difficultés de leurs enfants. A demi-mot, différents maux psychosomatiques. L’aide sera disponible, oui peut-être, dans six mois. Les listes d’attente s’allongent. Comment ne pas se sentir seul et dépassé ?

Dans notre échantillon familial, nous le constatons. C’est vraiment dur.

Deux ans de covid, à 14 ans c’est 1/7ème de la vie. A 11 ans, 18%. Presque 1/5ème de la vie. (Oui je révise les fractions avec ma benjamine ces jours-ci pour une interro. Bien sûr, comme les autres sujets de maths, elles s’enseignent différemment en allemand. J’essaie en vain de placer le PPCM et le PGCD*).

Notre mois de décembre familial est excitant et épuisant. Les filles sont nées à une semaine d’écart sur la deuxième quinzaine. Entre les Plätzchen (sablés de l’Avent) et les supports de bougies, je fais des gâteaux tous les jours. Pour éviter l’implosion de leur mère, depuis quelques années je leur avais demandé de séparer leurs fêtes avec les copains. Une fin novembre / début décembre, l’autre en janvier.  L’étalement des réjouissances égayait la grisaille du début d’année.

En 2019 ma benjamine a pu accueillir ses copines dans une salle d’escalade indoor. Ma grande a choisi une séance d’accrobranche sur les hauteurs de Wiesbaden à Neroberg. Les invitations ont été dessinées avec soin. Rendez-vous était pris pour mars 2020 à la réouverture printanière.

Vous l’avez deviné : voilà trois ans que ma fille n’a pas pu fêter son anniversaire.

Trois ans à 14 ans c’est beaucoup trop. (Je vous épargne les fractions.)

Cette année ça a l’air de pouvoir se faire (moyennant tests et tutti quanti du 2G+). Et même avec des invités garçons. Leurs fêtes se suivent, heureusement hors nos murs (laser game, escape game). Croisons les doigts encore disponibles, serrons le deuxième pouce.

En fond de tout cela, les préparatifs de Noël s’accélèrent. Envoyer des colis, commander des cadeaux, non pas sur le grand méchant A si possible maman. T’es sûr ? Ce serait plus simple. Trouver des idées qui plaisent, n’encombrent pas et ne pèsent pas lourd.

Cette année, mon plus grand souhait serait de recevoir en cadeau du vide.

Objets triés. Tâches envolées. Contraintes effacées.

Tout ce rien bien emballé avec des rubans.

J’ai sorti mon stylo Bic qui marche et mon plus joli bout de papier qui traine et je commence :

Cher Père Noël, cette année je voudrais une gomme magique.

Une qui efface les erreurs, les engueulades avec ma fille et les grosses fôtes.

PS : Combien de gâteaux avons-nous fait pour ce humming bird cake ? Deux ? Non, trois. Notre chienne Gaïa ne vous en dira pas plus.

*Pour nos amis allemands et les francophones qui comme moi ont un souvenir vague : PGCD = Plus Grand Commun Diviseur. PPCM = Plus Petit Commun Multiple.

Doutes et incertitudes

Aller-retour au consulat de Francfort, corona-contraintes en hausse… La Bratwurst reste une valeur sûre.

Notre couronne de l’Avent

Alors nous y revoilà. Je ne vous fais pas un dessin.

A la période de l’Avent, l’Allemagne déploie son charme. C’est elle qui a inventé le sapin illuminé. Couronnes de branchages avec quatre bougies, décoration des maisons, lumières dans les jardins. Avec la fermeture programmée de certains marchés de Noël, l’avent 2021 a commencé dans une ambiance douce-amère. Si on veut revoir celui de Mainz on a intérêt à se bouger.

L’épidémie repart de plus belle. Le taux de personnes vaccinées plafonne en Allemagne fin novembre à 68%. La perplexité concernant le vaccin me surprend. Douter ? Un Allemand ? D’habitude ici c’est oui ou c’est non. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas une règle ? Ça va le devenir. Le nouveau chancelier étudie la possibilité de rendre le vaccin obligatoire à compter de février.

Rheinland-Pfalz passe samedi 4 décembre en 2G+ : vaccin ET test pour toute activité en intérieur (restau, ciné, musée etc…). Comme avant le vaccin en fait. Dimanche pour le concours de gym de ma plus jeune j’ai joué le jeu (le club avait de l’avance sur le dispositif). A l’entrée du gymnase un p’tit jeune assis derrière une table a exigé de moi : mon certificat de vaccination, ma carte d’identité, mon résultat de test et ma connexion à LUCA (l’application où on déclare sa présence à un endroit) … Franchement, ça m’a un peu saoulée.

Les annulations tombent. Ce matin mail du collège : le Jugendmaskenzug de Fastnacht (défilé des jeunes pour carnaval) n’aura pas lieu. La journée de fabrication des masques calée pour les élèves en janvier non plus. Les feux d’artifice de la Saint-Sylvestre sont interdits (comme l’an dernier, mais à minuit des pétards avaient quand même éclaté).

Air de déjà vu, de déjà pas aimé.

Pourvu, pourvu qu’ils ne nous ferment pas les écoles.

Merci de croiser les doigts / serrer les pouces.

La France exige le troisième rappel dans un délai serré sans proposer l’infrastructure nécessaire pour tenir l’échéance. Un peu fort non ? J’ai trouvé sur Doctolib un créneau à Metz. Prévoir de passer la frontière est aléatoire.

L’Allemagne encourage ce nouveau vaccin mais le dispositif reste aussi rétro et lourdingue qu’au printemps. Soit faire la queue à un bus pendant des heures, soit s’inscrire en ligne en remplissant un formulaire de douze pages et espérer que le rendez-vous attribué d’office dans deux mois conviendra. Doctolib est un logiciel franco-allemand, mais je ne l’ai jamais vu utilisé ici. J’ai découvert sa double nationalité par hasard, lors d’une crise personnelle de râlerie sur la lourdeur administrative germaine (oui c’est pire qu’en France, c’est dire).

La France où nous avons posé un pied hier. Et où l’administration, merci à elle, a été très sympathique. Comme quoi à l’exportation elle se bonifie. Nous avons fait un aller-retour express au consulat français de Francfort pour faire renouveler des passeports. Sortie à l’aube dans la nuit froide, achat des tickets de tram et de train à la dernière minute (pourquoi ces fichues applications ne permettent-elles pas l’anticipation d’achat ?) Heureusement nous avions un guide personnel. Une amie travaille dans la rue du consulat et nous avons fait le trajet ensemble. Le train est presque vide. Le métro de Francfort aussi. Epoque bizarre.

En deux stations nous y sommes. L’adresse est charmante : Zeppelinallee, en face du Palmengarten (‘’jardin des palmiers’’, le jardin botanique). On reviendra le visiter et jeter un œil au Senckenberg Museum, le musée d’histoire naturelle, tout près. L’avenue plantée d’arbres, aux grandes maisons bourgeoises face au parc me rappelle le boulevard des Belges à Lyon, où les consulats donnent directement sur le Parc de la Tête d’Or. Souvent Francfort évoque Lyon. Leur jumelage leur va bien.

Après le consulat d’Indonésie aux photos aguichantes voici le nôtre. Les drapeaux français et européen attachés à l’étage ne flottent pas. J’essaie de prendre une photo mais ça ne rend pas. Avec toutes les caméras, je m’attends à me faire interpeler. Le vigile est une dame allemande qui ne parle pas français. Elle coche nos noms sur la liste. Puis nous fait passer la grille. Porte noire, ifs, ambiance verte et humide, bow windows… ça me rappelle Londres pas toi ?

9 heures. On est un peu en avance. On attend dehors.

Un homme encore jeune vient nous chercher. Efficace, sympathique. Il enregistre nos demandes et nos empreintes digitales.

-On les aura quand monsieur les passeports ?

-Entre deux et quatre semaines. Nous n’avons aucun poids sur les délais.

-Ah. Ils sont faits où ?

-A Douai.

L’envoi par la poste nous a été déconseillé car plus long. C’est dommage. Je me suis cassé la tête pour acheter le format d’enveloppes recommandé avant que mon mari corrige mon interprétation de son écriture : pas 29 cm, 20 ! Pour le retrait, le rendez-vous en fin de matinée sera rapide. Il faut venir avec l’enfant de plus de douze ans pour le contrôle des empreintes.

-Ah bon, donc je n’ai pas besoin de lui couper la main ?

-Non non la main doit être attachée au corps.

Ah, ah. Ben quoi j’essaie de créer un peu de lien. Mes filles me reprocheront le soir cette plaisanterie médiocre.

-T’imagine s’il n’avait pas compris que tu blaguais ? Tu te faisais arrêter !

-Oui c’est ce que je me suis dit un peu tard.

Il est des lieux où il vaut mieux se retenir. Avec un interlocuteur allemand je n’aurais pas osé. Le degré de compréhension local par défaut est le premier. C’est culturel. Un réflexe à prendre pour les étrangers. Hard pour le sens de l’humour anglais.

Le monsieur vérifie notre inscription sur les listes électorales. Pour les présidentielles nous pourrons voter à Mainz, à l’Institut Français. Ou en ligne peut-être. Le consulat testera le dispositif en janvier avec un scrutin factice. Je me suis portée volontaire. Ils ont besoin d’un échantillon le plus gros possible. Si vous êtes Français en Allemagne, et que ça vous dit…

C’est tout bon. On peut y aller. M. Macron sourit sur la cheminée. Les affiches du couloir sont en français. En un pas on quitte l’hôtel particulier et la France pour l’Allemagne. Sensation curieuse.

Les prochaines semaines nous allons guetter les mails du consulat. Pour savoir quand on y retournera. Et découvrir la tonalité de nos vacances de Noël. (Pourquoi dit-on vacances pour cette période hyper chargée ?)

Activons tous nos gris-gris.

ZAZ et Carla Bruni à l’affiche.

On savait qu’on devait y passer à cette expédition. On avait retardé parce qu’on avait mieux à faire et surtout parce que cela obligeait à faire sauter l’école aux enfants. Elles s’en sont plaint : en raison de profs absents, elles auraient pu commencer plus tard.

Sur le trajet vers le métro, on se plante un instant devant une colonne d’affiches de spectacle. Ceux à l’Alte Oper de Francfort font envie. Si on est coincés en Allemagne à Noël, restera-t-il des places ? J’en doute. Ma fille photographie le concert de Justin Bieber annoncé pour 2023. Moi ceux de chanteuses françaises. Madame la présidente Carla Bruni passe à Francfort. Enfin… doit passer. ZAZ à Mannheim. L’autre jour au rayon musique d’un grand magasin son CD était diffusé. Elle est très populaire ici. C’est d’ailleurs mon amie de Cologne qui me l’avait fait connaitre lors d’une visite à Lyon. J’avais bien accroché et elle m’avait laissé le CD. Moi aussi je serai toujours la môme des chemins, la petite fille des herbes folles qui se casse la gueule et qui rigole.

Francfort depuis le train. Si, si au loin.

Retour à Mainz. L’horloge de la gare affiche midi.

Ma grande fille saute dans le tram pour rejoindre ses cours. Elle ira à la cantine à 14h (14 heures !). Sur le parvis, des petites cabanes de bois échappées du marché de Noël de la vieille ville proposent des snacks. Une Bratwurst Pommes ? Yes. Currywurst pour ma plus jeune. Elle déjeune avec nous avant de rejoindre le collège. Son créneau de déjeuner est plus tôt.

Pas encore trop de queue à la cabane. Une grille ronde suspendue au-dessus d’un barbecue accueille des saucisses de toutes les tailles. Même d’un demi-mètre. On essaie d’éviter la fumée que le vent rabat sur nous. En voyant les jeunes devant nous sortir leur portable et leur pièce d’identité, mon mari fait mine de partir. C’est un peu trop non ? on mange dehors après tout ! Je suis mieux disposée. Je sors ce qu’il faut. En France, c’est contrôlé avec une application sans pièce d’identité. Ici c’est à l’ancienne et exhaustif. La dame lit mes documents attentivement. Ça a l’air de lui convenir. Elle ne tique pas sur le texte en français (ce qui arrive souvent). Elle me remet un pass, un bracelet jaune fluo. Si je veux passer ma journée au marché de Noël je n’aurai pas d’autre contrôle.

La Bratwurst brûlante couverte de moutarde un peu sucrée, dans un Brötchen (petit pain) est délicieuse. Les frites croquantes très salées et épicées. La Currywurst de ma fille (la même saucisse découpée en tranches avec un appareil exprès s’il vous plait) est servie sur une assiette en carton. Elle baigne dans une sauce tomate au curry. Je ne résiste pas j’y trempe une de mes frites. (Si vous voulez essayer : ketchup + curry + un peu de cumin. Très bon avec les côtes de porc).

Mon mari remarque : en France ou en Angleterre, on n’achèterait jamais des saucisses grillées sur un bord de route. Non. Mais en Allemagne, c’est un must. Et c’est très bon.

Le type dans la cabane d’à côté s’ennuie. A cette heure-là le Glühwein (vin chaud servi dans des tasses en verre consignées) n’attire pas le chaland. Sous son bonnet rouge à pompon blanc il fait la gueule. Son stand diffuse des chants de noël en allemand.

Enseigne : crêpes françaises

Mes pieds commencent à geler. On rentre ?

Nous avons pris la décision difficile de renoncer à un week-end à Sarrebrücken où nous devions retrouver des amis français. Corona cata, stress scolaire (et ambiant) des enfants (et des parents). Je ne sais pas vous, mais décembre sur mon échelle de stress est un mois qui crève le plafond. Malgré le bonheur à revoir les copains, il est important de freiner un peu. Voilà un bon côté de l’incertitude, obliger à renoncer.

Demain le 4, on plantera les lentilles de la Sainte-Barbe, tradition provençale. On décorera la maison. On est un peu à la bourre : ici c’est fait pour le premier dimanche de l’Avent, avec la couronne (pas le sapin qui attend la dernière minute). On a de quoi bricoler des décorations en papier, macramé, branches et pâte autodurcissante. On passera du temps dans la cuisine à patisser des Plätzchen, petits sablés de Noël.

Ma fille a déjà fait des Zimtsterne (étoiles à la cannelle). Pour les amandes et noisettes en poudre, c’était pas gagné. Quand on a besoin d’un ingrédient saisonnier, tout le monde est déjà passé avant. Les magasins entretiennent cette course : aucun réassort. Pourquoi renoncent-ils ainsi à du chiffre d’affaires ?

Mais qui est ce on si occupé ? (Ma tante institutrice disait : on pronom imbécile mis pour celui qui l’emploie). Et nous qui pensions retrouver du temps libre avec une annulation de dernière minute…

Le Christmas Cake fait par mon mari est bien emballé sur le micro-ondes. Ça sentait trop bon les épices chaudes et le gâteau dans la maison. Chacun a donné un tour de cuillère à la pâte lourde de fruits secs. Les filles ont glissé deux pièces de 1 livre. Porte-bonheurs minuscules. Nos calendriers de l’Avent ont été remplis avec des munitions anticipées : chocolats anglais et papillotes rapportés de France (pourquoi ne mettent-ils plus les pétards dans les papiers ?). Ici les mamans cachent de petits cadeaux. Pour nous les bricoles seront dans les stockings le 25 au matin.

A Mainz ou à Londres ? Les paris sont ouverts.

A ajouter au casse-tête : trouver des idées de cadeaux légers… Si on part, ce sera en train et chargés. Et sinon, nous viserons à limiter le coût de l’envoi. (Les colis pour l’Angleterre ont doublé avec le Brexit.)

Je veux y croire.

Ou alors je nage en plein déni.

Je vais aller me faire un thé. Quand il fera un peu moins froid, j’apporterai les poubelles au local. Je prendrai mon sac à main en cas de contrôle inopiné de mon statut vaccinal.

Je vais installer un QR code à la salle de bains pour contrôler le temps de présence. Au-delà de deux heures la lumière s’éteindra. Cette pandémie, ça donne plein d’idées.

Courage les amis.

Om y cron, pardon, on y croit !

Une idée cadeau pour les Mayençais : Mainz Kocht. Ce livre de cuisine est édité par Nimmerland, chouette librairie pour enfants (et parents) de Mainz : recettes préférées des habitants et superbes illustrations de Paula Stein artiste locale. Devinez quelle recette j’ai donnée ?

Autres idées à la charmante boutique d’une créatrice devenue copine : Sonnstagskind.