Connaissez-vous Hans Arp ?

Un dimanche au musée dans la vallée du Rhin

Mais si, vous en avez entendu parler… Cet artiste, peintre, sculpteur et poète, s’appelle aussi Jean Arp.

C’est un artiste allemand naturalisé français, né à Strasbourg en 1886 et mort en 1966 à Bâle. Il a cofondé le mouvement Dada et fait partie des surréalistes.

Longtemps je connaissais son nom sans savoir l’identifier. Je l’ai mieux découvert voilà quelques années à Bâle où avec Susanne mon amie allemande d’enfance de Köln nous avions passé quelques jours d’été. Entre visites culturelles et parts de gâteau, nous avions eu le plaisir de nous baigner dans le Rhin, comme les locaux. Le mode d’emploi est simple : se placer en amont de la zone de baignade, se mettre en maillot, fourrer toutes ses affaires dans un sac étanche rouge bleu ou vert en forme de poisson et se laisser emporter comme sur un toboggan en papotant les bras sur le sac. Ne pas rater l’échelle de sortie en aval. Le courant est très fort.

Donc le musée Hans Arp sur les bords du Rhin à quelques kilomètres au sud de Bonn, ça faisait longtemps qu’on en parlait comme but d’excursion entre Mainz et Köln. Au moment de l’exposition Rodin, les incertitudes de la pandémie avaient gobé le dimanche. Mais là tous les voyants étaient au vert.

Nous sommes donc partis dimanche matin en longeant le Rhin vers le nord, après une halte chez une copine pour récupérer notre plus jeune, ravie et épuisée. Elle avait fêté l’anniversaire d’une camarade, avec jeu de piste en forêt, pizza maison autour d’un feu de camp dans le jardin des parents et nuit par terre dans une grande chambre de bois. (J’étais un peu jalouse).

La route qui longe les gorges du Rhin est très belle, mais l’autoroute qui la double à l’ouest permet d’aller plus vite dans un paysage vallonné de champs de colza et forets mixtes, où le vert clair des feuillus de mai se mêle aux tons sombres des conifères et des épicéas desséchés. Les éoliennes criblent les crêtes de pointillés métalliques imposants. Les travaux semblent ne jamais progresser.

Tout en haut, le musée

Nous sommes arrivés en avance. C’est à noter car lorsque nous retrouvons des amis allemands, nous mettons un point d’honneur à être à l’heure. Ne pas faire attendre les autres était un réflexe bien avant d’immigrer, mais aujourd’hui nous visons la minute exacte quitte à poireauter cachés devant le lieu de rendez-vous. (On m’a déjà reproché d’être dix minutes en avance).

Nous avons rejoint la vallée du Rhin pour atteindre la petite ville de Rolandseck et quitté la route sur la gauche pour un parking ombragé par d’antiques marronniers en fleurs en contrebas d’une colline. En attendant midi, nous avons grignoté un casse-croute, dans la voiture. Nos amis déjeunent d’un brunch tardif après une grasse matinée que nous ne faisons pas. Nous avons donc un décalage d’horaires d’alimentation le week-end et je n’aime pas visiter en mourant de faim.

Message. Où êtes-vous ? Oh zut, ils vont croire qu’on était en retard.

L’entrée du musée est sous la gare de Rolandseck, installée à flanc de coteau. Ce bâtiment de la ligne Mainz-Koblenz-Köln, construit dans les années 1850 pour servir de correspondance avec le trafic sur le Rhin, garde un charme désuet. Il marque la limite entre les Länder Rheinland-Pfalz et Nordrhein-Westfalen.

Les sommets des Siebengerbirge, le bout de l’île et le bac

Juste sous la gare, au point kilométrique 640 du Rhin (depuis la ville de Konstanz sur le lac) se trouve le bac pour la rive opposée. Faute de pont, le bateau Siebengebirge fait la navette avec une poignée de voitures et de passagers. Son nom vient des collines en rive droite du fleuve car, vu de loin, seules les sept principales se distinguent (sieben : sept, Gebirge : montagnes). Ça me rappelle une rue de Köln dans le quartier d’une amie : Siebengerbirgsallee.

Lorsqu’après la visite, nous descendrons sur une petite plage de sable déguster les muffins à la fraise et le gâteau à la rhubarbe de saison, on apercevra la pointe d’une grosse île sur le Rhin. Elle s’appelle Nonnenwerth, en souvenir des nonnes qui y étaient installées. Aujourd’hui leur cloitre est transformé en pensionnat. J’ai dit à ma fille :

-C’est pas génial, aller à l’école sur une île ?

Elle m’a répondu :

-Non, t’es enfermée deux fois.

Sur cette île aura lieu le premier juillet un concert extérieur de Zaz (prononciation allemande tzatz ;o)), auquel nous ne pourrons assister puisque nos demoiselles seront, elles aussi sur scène.

Pour l’instant nous montons le long de pelouses vers le parvis du musée, où nous retrouvons Susanne et son mari devant une sculpture majestueuse sur fond de Rhin et de collines. Nous ne les voyons pas assez nos amis. Lorsque nous vivions en France nous passions de longs week-ends ensemble. Aujourd’hui sous prétexte de vivre à deux heures de trajet, nos retrouvailles restent brèves.

Après le passage à la caisse, un corridor blanc s’enfonce dans la colline (sous les voies). Des cercles de lumière en enfilade éclairent un tunnel. Un panneau précise qu’il s’agit d’une œuvre d’art intitulée Kaa, comme les anneaux siffleurs du célèbre serpent.

Un virage à droite et quelques marches nous permettent de rejoindre la zone d’exposition temporaire consacrée à Paula Modersohn-Becker, avec, intercalées entre ses peintures, ses sources d’inspiration. Un portrait de Renoir, un de Cranach, des paysages de Sisley ou Vuillard. Je n’ai jamais entendu parler de cette femme dont mon amie me dit qu’elle a vécu à la fin du XIXème siècle et est morte très jeune (31 ans). En quatorze ans d’exercice artistique, elle a créé près de deux mille peintures et dessins, d’un style expressionniste. Ma fille me dit : c’est simpliste. Je ne suis pas d’accord. Les aplats de couleur évocateurs sont émouvants. Je tâcherai de regarder le film sur sa vie dont m’a parlé Susanne (Paula.)

Cette courte exposition répartie sur trois pièces vaut en mon sens le détour, comme l’architecture du musée consacré à l’art contemporain.

Au-delà, le corridor, vitré, tourne puis s’enfonce dans la colline. Pour monter, messieurs-dames vous avez le choix, un ascenseur géant ou un escalier de 230 marches.

Nous voilà prévenus.

Nous montons à pied dans un cylindre creux, dont la moitié de la paroi laissée à cru dévoile des strates de cailloux, de rochers ou de terre à peine moulées en vagues verticales. L’ascension se poursuit dans un escalier en ”colimaçon aplati”. C’est suffisamment bien fait pour éviter de se trouver nez à nez avec le vide mais l’impression de vertige enfle. Essoufflés, nous arrivons sur une plateforme vitrée dont la terrasse plonge sur la vallée du Rhin. Je n’ai pas osé m’approcher de la barrière. Notre ami nous signale au loin les ruines d’un château, comme sur le moindre sommet dans de coin d’Allemagne.

Voici donc le bâtiment principal du musée, en haut de la colline, bien au-dessus de son entrée et de la gare, du parking et du Rhin. Tout est blanc, vitré, haut, lumineux et vaste.

Au premier niveau, des sculptures modernes, objets utilitaires de métal détournés et peints jalonnent un sol gris. L’artiste contemporaine est Bettina Pouttschi, le titre de l’expo : Fluidity. Cette dame est née à Mainz en 1971 et vit et travaille à Berlin. Ma fille me demande : franchement tu trouves ça beau ? Non. Trois barrières anti-émeutes tordues sur elles-mêmes, peintes en blanc et empilées qui guident un néon allongé pour un luminaire géant ? Non ce n’est pas beau. Mais c’est intéressant.

L’accès au deuxième niveau est moins facile pour les personnes sujettes au vertige – suivez mon regard. Les contre-marches des escaliers sont vides. Pourquoi les architectes modernes ne pensent-ils pas aux handicapés du vide ?

Le dernier étage est consacré aux œuvres de Hans Arp et de sa femme Sophie Taeuber-Arp. Des sculptures de petite taille sur des sellettes dans un camaïeu de bleu, beige et violet, des tableaux en différents matériaux, des découpages. Les formes fluides et simples des sculptures sont trompeuses. Je m’y suis essayée. Déçue par notre visite annulée, j’avais choisi de reproduire en terre une création de Arp. André Breton avait dit de cet artiste qu’il fait partie des « modèles inimitables ». (Ouf).

Elles sont intéressantes, mais je suis déçue de ne pas voir plus de statues majestueuses, installées dans le monde entier chez leurs acheteurs. Un jour j’irai photographier celle qui orne la place de la mairie de Mainz La clé des jaquemart. Les titres des tableaux ne sont-ils pas poétiques ? Le voilier dans la forêt, Coulisses de forêt, Tête éclair ou clef sans tonnerre

Dans une salle au fond, une exposition ludique et colorée de Bettina Pouttisch permet de jouer avec une caméra pour créer des formes abstraites sur un écran. Le plus gros succès auprès de mes filles.

Retour via le restaurant installé dans la gare, un établissement de standing au décor vaguement art déco. Les convives sont très chics à l’occasion de la fête des mères et toutes les tables intérieures sont occupées. Boire un café ou un thé sur la terrasse est heureusement possible car nous sommes assoiffés.

Notre ami nous dit :

-Je vais aux toilettes il parait qu’elles sont à voir…

Bien entendu, on y est tous allés.

Des trompe-l’œil kitsch sur tous les murs font croire au visiteur qu’il est observé. Par une vieille dame entre les urinoirs. Par un satyre à une lucarne chez les dames. Ma plus jeune en sort en pouffant :

-T’as vu maman, y’a un zizi avec des plantes qui sortent !

Non je n’avais pas vu, mon amie non plus. Bien sûr nous sommes retournées. Hi, hi. Et aussi : pourquoi ?

Redescente au parking, pas le temps de nous balader, nous devons rentrer, demain quelqu’une a interro de chimie. Nous avons révisé les acides et les bases à l’aller (en trilingue : ma fille apprend en allemand, mon mari les connait en anglais et moi en français… ça fait de joyeux micmacs, PH 7). Nous allons continuer.

Retour sous une météo capricieuse, entre ciel sec et de déluge. De la boite à gants je sors des rouleaux de réglisse, mon péché mignon en voiture, que chacun suce selon sa technique. (Je croque.)

Les œuvres de Hans Arp sont exposées dans plusieurs musées (Strasbourg, Bâle entre autres) et sur de nombreux parvis dans le monde entier. Mais si, vous en avez déjà vu.

Pour organiser une visite, c’est par là : Musée Hans Arp

PS : Avez-vous remarqué à droite de l’entrée un pochoir de banane qui rappelle Andy Warhol ? Il s’agit d’une œuvre de Thomas Baumgärtel qui a tagué, depuis le début de sa « bananeraie » en 1983, plus de quatre mille lieux culturels en Allemagne et au-delà. Pour ce Banksy jaune, Kunst ist Banane, l’art est une banane.

Ouvrez l’œil là où vous irez.

Tout l’monde dehors

Le printemps à Mainz et une sortie au café-théâtre pour voir Lars Reichow

Le soleil est de sortie, les températures agréables ont jeté les terrasses sur les trottoirs, et les Mayençais dans les rues. Les cartes affichent : Frühlingslimo, Spargel, Spargel, Spargel, Erbeerkuchen, Rhabarberstreusel (limonade maison de printemps asperges x 3, gâteaux à la fraise, à la rhubarbe). Et vous me remettrez bien une petite fête du vin s’il vous plait, les vendanges sont encore trop loin. Les cabanes de producteurs fleurissent, celles des maraichers se déguisent, rouges à petits points blancs, pour vendre fraises et asperges en attendant cerises et abricots. Celles des vignerons proposent des dégustations. Au marché le week-end, la tradition du Marktsfrühstück des beaux-jours a repris post-pandémie (petit déjeuner pris au marché avec verre de vin local et Brötchen à la saucisse). Les locaux sont de bons vivants. Et, pourvu qu’on n’essaie pas de traverser la route hors des passages piétons, la vie à Mainz est douce.

La preuve en musique avec la chanson Mein Mainz de Lars Reichow.

Si vous ne comprenez pas l’allemand (ou le dialecte local), regardez les images, elles sont calées sur le texte. Vous verrez nos lieux de vie. Le refrain rappelle que « Mainz, tu n’es ni Rome ni Venise, tu préfères faire un tour de manège. »

Cet artiste mayençais touche-à-tout, auteur, compositeur, chanteur, comédien, animateur radio et télé, je ne le connaissais pas la semaine dernière. Il est Kabarettist, comme Alfons que j’avais vu l’an dernier à l’Unterhaus de Mainz, célèbre salle de café-théâtre (voir article Soirée au Kabarett) et un pilier de la scène mayençaise. Pour mon anniversaire cet hiver, une amie m’a offert une sortie au théâtre pour aller l’écouter, je la remercie. C’était jeudi soir et c’était top.

Je suis rentrée à minuit et demi de notre virée à Francfort. J’ai envie d’écrire que ce n’est plus de mon âge, et pourtant, là où nous sommes allées nous étions parmi les plus jeunes. (Non ce n’était pas un thé dansant à l’accordéon, je vous vois venir.)

Laissez-moi vous emmener.

Nous avions donc rendez-vous en gare jeudi à juste avant 17 heures pour prendre le train pour Francfort. La desserte fréquente entre Mainz, capitale de Rhénanie-Palatinat et la capitale financière située en Hesse, de l’autre côté du Rhin permet une excursion pour la soirée. Ce soir-là nous avons eu la surprise de voir fleurir les policiers sur le trajet. Dans la banlieue de Francfort, des dizaines de véhicules à gyrophare étaient garés le long du stade. La gare de Francfort grouillait de monde.

-Que se passe-t-il ? je demande à mon amie

-Ce doit être un match de football, les supporters de Francfort sont assez virulents.

L’échelle du dispositif signale un match international. J’apprendrai le lendemain qu’il s’agissait du match Frankfurt Eintracht contre Wet Ham de Londres, une demi-finale de l’UEFA Europa League. Ah oui, ils craignent la baston.

Nous le foot on s’en fout, du moment qu’on ne nous embête pas (et on a eu de la chance de ne pas avoir de supporters déchainés dans le train du retour). Nous avons plongé dans les entrailles nauséabondes du métro. Les corridors aveugles, aux piliers couverts d’affiches de spectacles rappellent que Francfort est bien plus importante que Mainz, jumelée avec Lyon et cinquième plus grande ville allemande.

En quelques minutes nous sommes arrivées à la station Merianplatz, un des coins agréables pour sortir parait-il. Des rues résidentielles se croisent, sous des arbres isolés, de variétés différentes, ici un grand chêne, là un érable tout rond. Ils évoquent la forêt plutôt que l’allée de platanes urbaine. Le quartier en immeubles de pierre sombre dégage un air résidentiel paisible. Sur les trottoirs, les terrasses de cafés branchés, avec leurs bancs, fauteuils et parasols bariolés, lui donnent un air de vacances.

Après un casse-croute de tapas végétariens dans l’un de ces troquets (peut mieux faire), nous nous sommes dirigées vers la salle de spectacle, die Käs (le fromage), un entrepôt industriel reconverti, au fond d’une cour. C’est un vrai café-théâtre avec un comptoir, à droite en entrant, où commander bières et bretzels, et des tables disséminées dans la salle pour les consommer. Nous sommes arrivées en avance, comme tout le monde, juste à temps pour trouver deux places au milieu, suffisamment en derrière au cas où ça prendrait au monsieur de solliciter l’auditoire immédiat. Pourvu que l’énorme lustre, d’inspiration vaguement art Déco (dont on se demande s’ils sont faits en éclats d’opaline ou carapaces de crevettes) ne se détache pas.

Avant de nous installer nous avons commandé nos bouteilles au bar. Sachant que le z se prononce TZ en allemand, essayez donc de prononcer Fritz Spritz Rhababerschorle sans rigoler ni postillonner partout. Un p’tit kleenex pour votre écran ?

(Parenthèse à bulles : Fritz c’est la marque, spritz c’est, comme cela s’entend, un truc qui fait psssschiiiiit, le Schorle, en général de pommes mais qui peut être au vin, est un mélange très apprécié ici et très agréable : la douceur du jus de fruit est coupée par le piquant des bulles d’eau gazeuse pour une consommation peu sucrée très désaltérante. Là c’était à la rhubarbe, une boisson rosée, au petit goût acidulé délicieux.)

Le lustre s’est éteint et les spots ont révélé l’artiste se glissant à travers les rideaux noirs du fond. La scène étroite est occupée curieusement par, à gauche, un clavier électronique, au milieu une table ronde haute de bar, et à droite un piano à queue laqué noir.

Le comédien-auteur-compositeur-musicien, beau gosse d’une grosse cinquantaine d’années, que nous appellerons Lars pour simplifier, est en costume bleu foncé tirant sur le gris, sur un T-shirt noir à col en V sous des cheveux châtains. Je n’ai pas vu ses chaussures. La tête du grand monsieur devant moi m’a privé de cet élément d’information crucial et m’a obligée à regarder tantôt à sa droite, tantôt à sa gauche, au risque d’un torticolis.

Lars attaque d’emblée par un discours de bienvenue, destiné en particulier aux femmes puisque, dit-il, les hommes ne sont-là que pour les conduire au théâtre en particulier un soir de match. Entre les sketches, il entonne des chansons de sa composition, parfois au clavier, parfois au piano, et se lance dans des imitations de personnages célèbres. Certaines personnalités me sont inconnues, mais la plupart me font marrer, comme Angela Merkel ou la famille royale anglaise. Lorsqu’il a entonné l’accent régional de Mainz, je me suis crue au marché. Côté franchouillardises, il s’est aventuré dans une traduction libre de la chanson de Gainsbourg Je t’aime moi non plus.

La salle s’esclaffe aux textes pleins d’humour et applaudit les prises de position engagées, toutes créations sensibles et intelligentes. Fait inédit, sans lire à proprement parler, il suit le fil du spectacle sur un IPad où il fait défiler, le moment venu, ses partitions. La chanson de clôture (Putins Krieg, la guerre de Poutine) donne la chair de poule, et ses derniers mots déchainent les applaudissements :  Dieser Krieg zerreißt uns das Herz : cette guerre nous déchire le cœur. (traduction ci-dessous)

Le spectacle tire à sa fin. Pour nous encourager à donner le meilleur de nous-mêmes en matière d’effets sonores corporels, Lars nous enregistre avec son IPad. Il nous fait écouter l’équivalent de Baden-Baden.

La chanson sur Mainz, dont mon amie m’a appris l’existence, qui termine tous ses spectacles à l’Unterhaus, n’a bien sûr pas été jouée à Francfort. (Ce n’est pas une question de rivalité : la rivale de Mainz c’est Wiesbaden, juste en face de l’autre côté du Rhin, elle aussi capitale de Land.)

À la sortie, le match n’était pas terminé. Les cris et sifflements d’une grappe de fans agglutinée devant un écran de télé installé sur le trottoir par un bistrot a accompagné notre descente dans le métro.

Au retour j’ai attrapé à une poignée de secondes près le tramway de 00h00. Il paraît que les bus et trams de Mainz se retrouvent tous là, à la gare à minuit pile pour un ballet mystérieux.

Je vais tâcher d’écouter une de ses chroniques musicales mensuelles à la radio sur SWR2.

Je ne vous en dis pas plus. Si Lars Reichow passe vers chez vous, allez-y.

Toutes les sorties culturelles ne sont pas aussi réussies.

Samedi mon mari et moi avions décidé de profiter de notre soirée en amoureux : les deux filles étaient de bringue chacune de leur côté. La balade dans les rues de la vieille ville, le nez en l’air, était un rêve. SANS masque ! Voilà quelques semaines déjà qu’ils ne sont plus obligatoires, même à l’intérieur (sauf transports et cabinets médicaux) mais on en était à se demander s’il allait falloir une campagne d’affichage pour rappeler de les quitter. Le vent de la liberté a soufflé en tempête lors de notre entrée dans un restaurant sans nous arrêter au seuil pour montrer patte blanche.

Nous avions décidé d’aller au cinoche. Une fois n’est pas coutume, j’avais laissé mon mari choisir le film (à sa décharge, compte tenu de nos contraintes horaires, les options étaient limitées). On va aller voir ça, tu sais c’est le réalisateur dont on ne comprend pas toujours ce qu’il veut dire.

Dans une salle de poche d’un cinéma sympathique (Palatin), nous étions une dizaine. Pendant les cinq premières minutes, l’écran montre les rideaux fermés d’une chambre, sans mouvement, sans bande son (à part le bavardage et les papiers froissés des spectateurs de derrière).

Je me penche vers mon mari et je chuchote :

-Deux heures comme ça je vais pas tenir.

-C’est figé, il doit y avoir un problème.

Tiens ça change enfin. Une femme se lève. Pénombre, contre jour. Elle va voir… heu rien.

Deuxième scène, plan sur un parking plein à l’aube. Les alarmes des voitures se déclenchent les unes après les autres dans un crescendo agressif (je me suis bouché les oreilles) puis s’éteignent progressivement. Troisième scène dans un café, conversation entre la femme et un homme. On ne comprend pas grand-chose sinon les mots bactérie, virus, certificat de décès. Je souffle et soupire. Les figurants n’ont jamais été autant observés. Quatrième scène looooooongue dans un studio d’enregistrement de sons. La caméra bouge à peine. L’intrigue bégaiera s’il y en avait une.

C’est bon j’en peux plus on s’en va. Trente minutes le tout. Un quart du film. Avec du rien. Je me suis crue dans la chanson de Delerm : pas d’histoire, pas de dialogue, pas de décor… pas de public. En sortant, furieuse, j’ai ajouté que tout ça je l’aurais coupé au montage. Je n’aime pas qu’on me vende du vent les yeux dans les yeux.

Par décence je ne citerai pas le titre (Memoria).

Foncez au théâtre les amis allemands voir Lars Reichow.

La guerre de Poutine de Lars Reichow

Est-ce une victoire quand des tanks traversent les frontières
Pour bombarder des villes étrangères pacifiques ?
Est-ce une victoire quand les roquettes qui tombent du ciel 
Visent des enfants et leur petite vie en liberté ?
Est-ce une victoire quand un peuple assassine et bombarde ses frères
Et que sa patrie est en ruines ?
Est-ce une victoire quand dans la boue printanière des tranchées
Tant de jeunes hommes meurent ?
Combien de larmes coulent de la mer ?
Non ne détourne pas le regard, c’est ici que ça se passe, regarde !
C’est la guerre quand tu dois te rendre au bunker 
Parce là où avant se tenait une maison il n’y a plus rien.
C’est la guerre quand des millions de personnes doivent fuir
Parce que trop de sang a été versé sur leurs terres.
La guerre de Poutine, puisque seul le langage de la destruction absolue a cours, 
Avec des tanks, des bombes et des grenades.
Notre victoire, puisqu’au fond de nous brûle encore la flamme 
De la décence de la démocratie.
Regarde cette guerre !
La paix viendra-t-elle un jour ?
Qui apaisera cette souffrance ?
La guerre nous déchire le cœur.
La guerre nous déchire le cœur.

Traduction personnelle
Théâtre de Mainz, avec en banderole une citation de Mère courage de Brecht Der Krieg soll verflucht sein (La guerre sera maudite)

Votez.

Vacances en France, retrouvailles et soirée électorale

La Côte d’Azur tient ses promesses.

Les parfums nous mènent par le bout du nez. Soumise je cède, de l’eucalyptus au jasmin rose, de l’oranger en fleurs au pittorsporum, du romarin au thym de la garrigue à cette plante collante et camphrée qui me rappelle les étés au bord de la mer de mon enfance. La glycine me suit partout.

Les aiguilles de pin crissent sous les pas et embaument la montée vers le fort. Le maquis de cistes et d’euphorbes rappelle celui de la Corse, là-bas au fond, où la mer et le ciel se répondent dans des harmonies de bleu ou de plomb, où l’horizon apparait ou s’efface sous les coups de pinceau de la lumière.

Assise sur la terrasse, je porte deux paires de lunettes l’une sur l’autre de vue et de soleil. C’est l’heure grise. Un merle chante. Un outil de chantier martèle. Le vent fait claquer les stores, emmêle les cheveux et emporte les voix.

Une mouette chasse un rapace qui s’approche de son nid, un pic vert piaille et sort d’un buisson en flèche. Une buse attrape entre ses serres une grosse sauterelle qui venait d’atterrir, vrombissante, dans les boutons d’or. Hier soir quand j’ai fermé les volets, un gecko m’a frôlée en tombant. Mes filles tressent des couronnes de pâquerettes.

Dans cet air doux et parfumé, entre des villas de la Belle époque au charme suranné, je pardonne leur raideur aux palmiers et aux oiseaux de paradis. Pas aux immeubles. Mais bien sûr chacun veut sa part de vue paradisiaque.

Comment résister à la baignade quand le soleil chauffe les galets ? Le premier contact avec la mer fait rentrer le ventre et hausser les épaules. Comment sortir d’une eau transparente même fraîche ?

Nous faisons une cure de beauté et de nature sauvage dans ce territoire densément construit. Une cure de France. Chez Picard, mes filles prennent des selfies avec leur pizza préférée.

Mon mari travaille dans le bureau. J’écris face à un paysage à couper le souffle, la mer calme aujourd’hui lèche le cap Ferrat. Le phare se tait jusqu’à la nuit où il nous guidera vers la terrasse pour écouter les grenouilles de la maison du dessous, les étoiles et la lune. Avez-vous remarqué comme la nuit, les parfums de fleurs se renforcent ?

Quelle joie d’entendre l’accent méridional chantant. Celui qui me fait retrouver le mien. Celui qui entendu à Paris me fait monter les larmes aux yeux. Mais dans ce territoire prisé des étrangers, ça parle anglais, américain et italien. A Beaulieu, on entend du russe. Sur les panneaux, tout est traduit en cyrillique, sauf l’affiche de soutien à l’Ukraine sur la vitrine du petit casino. L’Ukraine, vraiment peu présente à Nice par rapport à Mainz. Nous n’avons dû la croiser que dans la librairie où j’allais faire des stocks.

C’était après ma séance de coiffeur, avant les courses chez Monoprix. Vous connaissez ma sainte trinité des vacances à la maison : bouquins / coupe / shopping.

J’ai confié ma tête à un artisan avec vue sur mer, et me suis laissé convaincre de faire un balayage.

-Mais j’ai pas le temps, toute ma famille m’attend…

Ils ont patiemment attendu. Moi aussi. J’ai mijoté sous une cape, des papillotes de plastique, un casque chauffant et mon masque.

-Vous gardez le masque, vous.

-Oui je suis formatée à l’allemande. Ça fait qu’une semaine qu’on a le droit de l’enlever, et personne ne le fait.

(Entre cet épisode et aujourd’hui, j’ai abandonné le masque, en bonne Française).

Epreuve du miroir à main :

-Ça vous plait ?

-Oui oui.

Pour une fois c’est vrai.

Voilà le moment que je redoute : payer devant la haie d’honneur des employés du salon autour du comptoir. Epreuve du pourboire. Avec moi les gars, désolée c’est mort. En France je ne sais pas faire. Glisser un billet ou une pièce dans une poche ou une main, je trouve cela humiliant pour la personne qui reçoit. En Allemagne je sais faire : on annonce le montant qu’on veut payer, même par carte. Il n’y a pas de geste dérobé.

Allez zou. Reprenons là où je vous ai quittés la dernière fois.

Nous sommes bien arrivés à Nice, dans la nuit, secoués par les rafales et avons changé de saison en une heure et demie.

A l’aéroport, ma fille ado s’est fait contrôler sa valise.

-Mettez-vous de côté. Vous êtes étudiante ? Ouvrez votre valise. La police arrive.

(Avec un uniforme et en allemand ça fait peur, même quand on est adulte).

Je surveille à distance, mon mari la rejoint tandis que deux types avec gilet pare-balles, pistolet et toute la quincaillerie à la ceinture jettent un œil aux bricoles d’une ado. Au scan, ils avaient repéré un objet volumineux suspicieux.

Un livre.

Je vous avais prévenus : les Mayençaises qui lisent sont dangereuses.

Librairie Masséna

Premier tour des élections présidentielles. Soirée électorale.

Nous avons voté par procuration à l’Institut Français de Mainz (merci copine !). A vingt heures, nous attendons avec appréhension les résultats dans cette leçon de citoyenneté pour nos filles. Leurs commentaires ouverts sont intéressants : elles ne connaissent de la politique que la théorie apprise à l’école et discutée en famille lors des dernières élections allemandes. Nous n’avions pas le droit de voter pour le chancelier, mais pour les européennes et les municipales oui. C’était une expérience très intéressante de faire des croix (combien ? où ?) sur un drap de lit dans une ambiance plus décontractée que dans un bureau de vote français.

 Les candidats se succèdent à l’écran. Un ami anglais se lève et quitte la pièce :

-C’est pas intéressant.

A chaque nouveau visage, ma plus jeune demande :

-Et lui / elle c’est une bonne personne ?

Oui, si c’est un parti modéré. Non si c’est un populiste extrémiste. Lui / elle c’est un (e) journaliste.

Ma plus grande a étudié les programmes reçus à Mainz, nous lui avons appris à décoder le vocabulaire séducteur et fallacieux.

Quand celle que nous nommerons la blondasse arrive à l’écran, je n’arrive pas à écouter. J’ai envie de vomir. Ma fille dit :

-C’est la seule qui sourit.

Et pour cause.

En avril 2002, le premier tour des élections avait eu lieu pendant que j’étais en vacances en Corse. Je n’avais pas fait de procuration. Jeune et idiote, je ne me sentais pas concernée. Ce serait sans doute comme toujours un duel entre la droite (modérée) et la gauche (modérée). J’ai écouté les résultats à l’autoradio de la Toyota, sur une petite route. Je n’ai plus jamais raté d’élection.

La présence de l’extrême droite au deuxième tour se normalise. Quelle horreur. Les gens n’ont-ils aucune mémoire ?

Je ne veux rien savoir de son programme, je ne regarderai pas le débat qui n’en a que le nom. En consultant d’autres infos j’ai vu qu’elle voulait gouverner par référendum. Ben voyons. Court-circuiter les institutions, agir anticonstitutionnellement (yes, je l’ai placé). Augmenter encore le pouvoir présidentiel. Glisser vers un régime autocratique.

C’est sûr on n’en a pas d’exemple de référendum catastrophique autour de nous. Le Royaume-Uni ne se mord pas du tout les doigts depuis le Brexit. Et les dictateurs on ne sait pas non plus comment, insidieusement, ils arrivent au pouvoir. On ne l’a jamais vu.

Hier sur France Inter j’ai entendu que plusieurs états américains reviennent sur le droit à l’avortement. Cette glissade collective de ‘’l’Ouest’’ vers le chaos donne l’impression de caprice d’enfants gâtés. Quoi tout n’est pas parfait ? La baguette magique n’existe pas ? Alors cassons tout. Quand on frôle une civilisation équilibrée, quand il semble que les Hommes ont enfin compris qu’attaquer son voisin ne sert à rien, y’en a qui s’ennuient.

Ils tirent dans le tas.

Putain.

Votez Macron. Même si vous ne pouvez pas le voir.

S’abstenir c’est faire le lit de l’extrême droite.

Votez pour la démocratie.

Je me suis plantée dans mon article précédent, j’ai dit que je n’avais jamais vu de dictatrice. Y’en a une qui se prépare pour notre usage exclusif.

Le bruit de bottes glacent tout le monde, pas juste l’étranger, celui qui ‘’dérange’’. Même l’électeur qui se croyait l’élu, du bon côté de la barrière. A Marineland tout le monde dansera avec des ballons sur le nez. Dans des cages.

Savez-vous que la ville de Mainz se frotte les mains ? Avec les taxes versées par BioNTech, elle a touché la poule aux œufs d’or. Dans la presse les articles fleurissent : comment utiliser cette manne ? Le laboratoire a été fondé par des chercheurs turcs. Des immigrés.

Aujourd’hui le monde entier les remercie.

J’ai un faible pour Emmanuel Macron : il ressemble à mon petit frère. L’autre jour quelqu’un lui a demandé un selfie. A la fête de famille le week-end dernier un invité m’a dit :

-Il ressemble à Macron ton frère, j’étais encore avec lui la semaine dernière, c’est frappant.

J’ai aussi un a priori positif pour un homme qui épouse une femme plus âgée, qui ne profite pas du tremplin du pouvoir pour se barrer, casqué ou non, dans les bras d’une actrice. Un homme raisonnable et fiable donc, qui ne demande pas de croire au père Noël et se bat pour l’Europe unie.

Depuis que je regarde la politique française avec un œil infiltré sur la politique anglaise et un regard extérieur et comparatif, je vous le dis : avant de casser l’imparfait, jeter un regard par-dessus la frontière. Sous les pieds méprisants du cirque de BOJO, l’herbe pourtant bien arrosée est nettement moins verte. C’est quand on la perd qu’on se rend compte de la chance qu’on avait.

Nous sommes venus jusqu’ici pour des fêtes de famille. Avec des cousines égarées depuis des années, trop d’années, nous nous sommes tombées dans les bras, en pleurs. En rires.

-Regarde-nous comme des godiches ! On a le mascara qui dégouline.

Tant pis. Je m’en fous. C’est bon de tenir ceux qu’on aime dans les bras, on aurait presque oublié, fichue pandémie. Dans l’assemblée endimanchée, quelle importance les yeux de panda quand on a des étoiles dans le cœur ?

Quitter le bord de mer pour une journée volée avec un autre bout de famille pour un pique-nique dans la garrigue. Entre les pins, ne pas chercher les traces de son enfance. Ne pas se dire que les générations ont glissé et que les parents aujourd’hui c’est nous, que ma cousine a bientôt l’âge de ma mère à son départ. Bien regarder les présents pour ne pas penser aux absents. Casser quelques tiges de thym en fleur pour la tisane de nos enrhumées. En partant, laisser des petits bouts de cœur avec chacun.

Sur la piste de cailloux blancs, conduire lentement, faire un écart dans le bas-côté pour ne pas déranger une partie de boules.

Oublier le compte à rebours vers le nord.

PS : Puisque nous sommes à Villefranche-sur-mer, je ne résiste pas à vous parler d’un de mes films fétiches dans lequel une scène y est située : An affair to remember de Leo Carey (Elle et Lui), avec Cary Grant of course. Fait orginal, c’’est un remake de 1957, par le même réalisateur, Leo Carey, de Love Affair (1939).

C’est un des deux films qui ont inspiré Sleepless in Seattle (Nuits blanches à Seattle). L’autre, The courtship of Eddie’s father (Il faut marier papa) n’est pas mentionné, coquine de Norah Ephron.

(Je n’ai pas trouvé de lien gratuit sur internet qui ne soit pas en .ru.)

PPS : Je n’aime pas faire de politique ici, mais certains sujets trop graves emportent mes doigts.

Qu’on le veuille ou non

Sur la lecture, certains mots devenus (aussi) féminins, et le modelage

Parlons lecture.
C’est un truc pour distraire ma cervelle. Tout à l’heure nous prenons l’avion pour le sud de la France, pour une fête familiale. Nous sommes ravis. Entrainés par le quotidien et les préparatifs, nous ne réalisons pas que ce soir nous dormirons dans un parfum de glycine avec vue sur la mer.

Suite à un vol agité vers Istamboul, au tournant du siècle, j’ai cessé de vivre les vols comme un pont magique entre deux lieux, je ressens l’ampleur du vide sous mes pieds. L’hypersensibilité c’est aussi sentir chaque mouvement infime (je sens bouger les gratte-ciel), et hop à chaque vibration, l’imagination éclate en feu d’artifice. C’est un vrai boulot de ramener son esprit sur terre, surtout quand il n’y est pas.

Par un effet secondaire positif de la pandémie, là, pour l’instant, je m’en fous. Je reste distraite pour court-circuiter un éventuel reliquat d’angoisse. Après-tout je me suis passée d’elle pendant trente ans pour voyager et m’en suis très bien sortie.

Les Mayençaises qui lisent sont dangereuses

Parlons donc lecture.

Récemment mon mari me faisait écouter un podcast, un entretien avec une auteure (autrice ?) américaine très intéressante sur son rapport aux mots. Tous les deux (interviewer et interviewé) ont déclaré ne plus finir les livres. Ça m’a rassurée sur l’état de ma caboche (toujours elle). En effet depuis plusieurs années, au bout de quelques dizaines de pages, souvent, j’abandonne. Avant, je lisais un livre après l’autre – quel que soit le sujet (fiction ou documentaire) et les terminais au point final (à l’exception notoire de Sa majesté des mouches quand j’étais gamine et de Harry Potter plus tard).

Maintenant, je lis une dizaine de livres de front, et adapte le sujet au moment de la journée : non-fiction à midi, romans soft le soir, moins soft dans la journée. Si, ni la langue ni l’histoire, et dans l’idéal une combinaison des deux, ne me retiennent, si au bout de quelques pages je m’ennuie, j’arrête. Sur mes étagères, une pile de bouquins presque neufs, d’où dépasse un marque page égaré, attendent un trajet vers la boite-bibliothèque du quartier. Mes livres en français en disparaissent très vite. (Récemment j’y ai pris L’avare en français et un pavé allemand de Charlotte Link. Je ne l’ai jamais lue, mais j’aime bien les polars). Merci aux livres finis, qui ont sauté plus haut que la barrière de mes pannes.

Côté lecture j’ai écouté un podcast sur France Inter. Isabelle Carré y dévoile son rapport aux textes et aux auteurs. Comme elle, j’ai vécu la puissance d’une poignée de mots. Certaines phrases, lues ou entendues, ont littéralement changé ma vie.

C’est dur d’ajouter un e à auteure. Je suis de la vieille école, de l’âge de papier. La phrase « Colette est une grande écrivaine française » me semble une contradiction dans les termes. J’ai l’impression de lui planter sa plume dans le dos.

Une table / un table ? Un buffet / une buffet ? Quelle importance ? L’allemand a trois genres. L’anglais n’en a pas. Dans ces langues, les sociétés sont-elles plus ou moins misogynes que la française qui en a deux ? Quelle est la vrai influence du vocabulaire ? L’enjeu n’est-il pas le plafond de verre, les obstacles qui empêchent les femmes d’accéder à certains métiers ? De façon isolée, mettre des e avec des fleurettes partout ne corrige rien.

Au niveau de l’analyse socio-historique le genre des métiers est très intéressant. Oui les femmes ont longtemps été privées de l’accès à… à peu près tout et surtout à leur intelligence et à leur créativité. Combien de noms de femme ont réussi à briser les murailles patriarcales pour entrer dans l’art et dans l’Histoire ? George Sand qui a opté pour un prénom masculin ? Berthe Morisot ? Quel talent associé à quelle personnalité exceptionnelle fallait-il avoir pour s’imposer au milieu des moustaches ?

Dans ma pile de livres à lire attend Une chambre à soi de Virginia Woolf, parce que oui pour pouvoir s’exprimer, il faut un espace où s’étirer dans tous les sens, du vide rempli de silence et de temps.

Cette tirade féministe m’amène à partager une réflexion que je me fais souvent : qu’on le veuille ou non, même si on se bouche les yeux comme l’enfant qui ne veut pas voir / être vu, la réalité existe. Il y a des différences entre les hommes et les femmes – qui ne justifient aucunement l’oppression des unes par les uns, mais la lutte contre la misogynie ne justifie pas non plus l’aveuglement à ce qui est.


Pourquoi est-ce devenu si dur de nommer l’existant ?

Eglise Saint-Christophe

Pour ne froisser personne ? Mais si certains ne s’accommodent pas de la réalité ce n’est pas en la niant qu’elle disparaitra. En outre, maintenant que le moindre couillon peut partager avec le monde entier les états d’âme de ses deux neurones, céder devant chacun devient très dangereux. Ne plus dire, c’est bientôt ne plus penser. Ne plus penser, c’est perdre ses repères, vivre dans le flou et laisser la voie libre aux monstres qui eux ne perdent pas les leurs de repères. Ils foncent vers leur intérêt : eux-mêmes, leur pouvoir.

Diluons-nous dans des discussions stériles, perdons de vue l’essentiel et eux se frottent les mains.

Un dictateur, un bourreau… c’est masculin.

(Rappelez-vous la chanson de Renaud, Miss Maggie).

Même sage-femme on lui a trouvé un équivalent masculin, mais dictatrice ? (Tiens Word a l’air d’accepter, le dictionnaire Larousse aussi. Par contre tyran n’a pas fait le grand saut).

Je vous cite de mémoire, une phrase de Sue Townsend dans The secret diary of Adrian Mole aged 13 ¾ qui m’avait marquée dans les jeunes années 80 : Without the civilizing influence of girls, boys return to the wild.  (Sans l’influence civilisatrice des filles, les garçons retournent à l’état sauvage).

Oui il y a des différences entre hommes et femmes. Les unes donnent la vie, les autres la mort. On a beau le tourner dans tous les sens, on a beau chercher la femme meurtrière, l’exception qui existe toujours, je n’ai pas connaissance d’une femme dictateur, même dans les sociétés matriarcales.

-Quand je serai grand je serai dictateur.

Est-ce une prédisposition génétique, un acquis culturel ? Un froid choix de carrière ? A quel moment se produit la bascule ? Que pense la femme qui entend ces mots ?

Pour terminer sur une note plus légère, sachez que mon dernier cours de poterie s’est très bien passé. (Merci.) Comme vous le savez, ma reprise du cours de terre avait été frustrante. J’ai d’ailleurs sauté le cours suivant sous prétexte de doigt entaillé. Mais j’y suis retournée et ai repris mes marques. L’interruption de la pandémie, là aussi, devait être digérée.

Lorsque ma sculpture a été terminée, à l’avant-derniers cours, je n’aimais pas son visage et avais décidé de tout écraser. Puis j’ai échangé avec une amie sculpteur, rouvert mon bouquin de technique et sorti la terre à la maison pour m’entrainer.

A peine arrivée à la dernière séance (que celui qui ne fredonne pas Eddy Mitchell lève le doigt), j’ai ôté le visage. Complètement. Ma demoiselle est devenue fantôme. Pendant que les autres stagiaires menaient une discussion animée sur leurs familles et le Troisième Reich, j’ai modelé des colombins pour le nez, les lèvres, les arcades sourcilières, je les ai collés avec de la barbotine et fondus dans le visage. Petits tours de girelle pour vérifier l’aspect global.

Repartir de l’ébauche, m’a autorisée à me réconcilier avec ma création et par conséquent avec mon environnement. J’ai accueilli un conseil prématuré, avec le sourire : Minute, papillon !

A la fin, pour la remercier de s’être laissé faire, j’ai posé une bisette sur la joue d’argile fraîche de ma petite minette. Les autres ont ri. Et puisque j’étais d’accord, j’ai accepté leurs compliments :

-Bravo, tu t’es bien débrouillée.

-Elle a un air mélancolique, peut-être l’influence des discussions entendues ?

Sourires.

J’étais aux anges.

Quand ça veut, ça veut.

Amélanchier

P.S. : OUI ON VOTE ! Merci à l’amie qui glissera notre devoir civique dans l’urne de l’Institut Français de Mainz dimanche.

P.P.S. : Pour agrémenter notre voyage, Météo France annonce la tempête Diego. Purée…

P.P.P. S : Quand un nouvel abonné arrive ici, j’en suis tout heureuse. Quand c’est un nom connu échappé d’une autre vie, je suis touchée. Merci à vous tous.

Funambule

Comme un air de déjà vu et impro tous azimuts

C’est reparti comme en 20.

Devinez quoi ? Mes concitoyens, en manque de frissons de fin du monde, comme si les infos, les drapeaux jaune et bleu et les réfugiés que l’on croise à la mairie et dans les écoles ne suffisaient pas, mes concitoyens donc se sont repris d’une frénésie d’achats de farine et d’huile (qui ici est surtout d’olive). La farine, on a vérifié, est allemande. L’huile d’olive, méditerranéenne, natürlich. Les supermarchés ont réagi prestement : des affiches de rationnement sont réapparues sur les étagères vides. Achat limité à un ou deux article (s) par personne. S’il y en a ! comme a tagué un client au stylo Bic.

Les pates sont toujours un peu là elles, comme si elles n’étaient pas fabriquées à partir de blé (‘’rationnées’’ aussi à six paquets par tête), et le PQ aussi… enfin c’était le cas hier. Aujourd’hui les choses ont peut-être dégénéré. Pendant les confinements j’ai découvert le verbe hamstern qui était sur les affiches 4×3 : NICHT HAMSTERN ! Oui la langue allemande a un mot spécifique pour désigner le comportement qui consiste à stocker les provisions.

De façon excessive.

Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?

Pour répondre à un besoin fondamental de sécurité, à une angoisse profonde, inconsciente ? Peut-être la même qui pousse à produire des voitures et du matériel de grande qualité, des cartables pour bouts de chou qui résisteraient à l’ascension du Mont-Blanc ?

Côté commerces de proximité, je ne résiste pas à vous conter ma découverte de la pharmacie de garde. Dimanche dernier, nous avions besoin d’une aide à la digestion. Coup d’œil sur internet, quelques minutes de voiture. On se gare dans la rue centrale d’un faubourg de Mainz, où tout est fermé, même la pharmacie. Ouf, la lumière est allumée. Nous nous postons à l’entrée gardée par un rideau de fer et la porte en verre. Je sonne. Au bout de quelques minutes, un monsieur vient nous dire que sa collègue est au téléphone et va arriver. Il laisse la porte en verre en position ouverte. Ladite collègue rejoint son comptoir, et depuis l’arrière de ses parois de plexiglas anti-covid, nous demande de quoi nous avons besoin. J’avais effectué mes recherches sémantiques sur google, j’étais au taquet. Ce que je n’avais pas prévu c’est que j’allais devoir crier cela dans la rue.

-C’EST POUR LE VENTRE

-QUEL PROBLEME EXACTEMENT ?

J’explique en criant le moins fort possible. J’ai envie de me marrer.

-QUELLE FORME VOUS PREFEREZ : CACHETS, SACHETS, SUPPOS ?

Intraveineuses.

-Euh, ça.

-ÇA COUTERA X €.

Elle s’approche du rideau de fer, attrape mon billet à travers la grille, me rend la monnaie avant de me tendre le médicament, en restant à bonne distance. Merci madame. Pour le produit et l’expérience.

Whaou, combien d’attaques de pharmacies de garde ont traumatisé les pharmaciens ? Peut-être des personnes en manque de bonbons pour la gorge qui menaçaient l’employé pour pouvoir hamstern en paix le dimanche ?

Mainzer Sand

Ma vie de maman me vampirise. Vous savez, ce rôle ingrat qui consiste à tenter de piloter et éduquer contre leur gré des êtres en devenir. Mes filles ont des personnalités intenses, c’est le moins qu’on puisse dire. (Je vous vois venir, comme leur mère oui). Nos intensités s’amplifient mutuellement, entrent en résonnance. Je ne vous fais pas un dessin. Le corps le plus usé trinque.

Le métier de parent demande de prendre sur soi pour donner de l’amour et de l’attention (enfin, d’essayer). Je tente en parallèle d’avancer sur mes projets personnels et j’ai l’impression de cumuler plusieurs temps plein. Oui l’écriture n’est pas une activité qui s’arrête quand j’éteins mon portable. Le cerveau dans son élan, continue de créer. C’est loin du bureau que jaillissent les meilleures idées. En particulier la nuit, de quoi sinon me réjouir du moins accepter mes insomnies.

Funambule, les bras écartés, je vacille à la crête de la surstimulation.

Ne pas trop en faire. Même si j’en ai envie, même si j’ai des tonnes de projets.

Ce week-end, j’en ai trop fait.

C’est pas ma faute madame, ma fille voulait faire du shopping et avant cela j’avais envie d’assister à la Maison de Bourgogne, à une rencontre avec un auteur français (Paul Morris). Suite à son séjour en été dans une résidence d’artistes à côté de Mainz (déserte pour cause de pandémie), il venait présenter son manuscrit.

Nous étions six puis cinq à l’écouter (le sixième a déserté, faute de comprendre assez la langue a-t-il expliqué). C’était captivant d’entendre ses méthodes de travail, ses inspirations, de lui poser des questions. De rencontrer d’autres passionnés d’écriture. Même ma grande fille s’est régalée.

J’ai aussi révisé la dictée de rythme. La musique est une matière sérieuse ici.

Après vingt-cinq ans de pratique du piano, les subtilités rythmiques m’échappent toujours. Quand je joue à quatre mains avec une amie allemande, ou que j’en accompagne une autre qui joue du violon, je remarque notre différence d’approche. Elles comptent. Moi je lâche après deux mesures pour m’évader dans la mélodie.

Comment suivre des consignes quand l’impatience et l’imagination débordent ? Ouvrir selon les pointillés ? Je déchire le paquet.

(Je déchire même mon corps. Ce matin je tape avec neuf doigts. Le majeur droit, est emballé de gaze, je l’ai coupé en rangeant la cuisine. Il est sensible, je ne peux pas l’utiliser. Au piano, punie, je ne travaille que la main gauche.)

En cuisine, c’est impro à partir de recettes. Un seul oignon ? Non mais ça suffit pas. Je vais en mettre trois. L’ail pareil. Et puis un peu tout au fond. Dans une casserole passe encore. Mais en tricot et en couture, le produit fini me déçoit. Sans surprise. Récemment j’ai terminé un gilet en laine mohair bordeaux, avec une grande fierté. Oui il est joli et à ma taille mais c’est grâce à la décision de me discipliner. Jusqu’au bout. Petite victoire.

J’ai commencé un nouvel ouvrage en me faisant violence. Malgré ma relecture attentive de l’énoncé (comme j’explique à qui vous savez), le point texturé m’échappe. Mon encolure ne ressemble pas à la photo. J’ai tout recommencé pour la deuxième fois. Les premiers rangs me permettent de comprendre. Je tricote moins pour le résultat que pour apprendre. Cependant, il serait bien que je renonce à ma nouvelle ambition de perfection en laine, sinon comme Pénélope, chaque soir, je vais défaire mon travail du jour…

En matière d’impro, laissez-moi vous conter fleurette.

Il fait une chaleur de fin mai et une sécheresse méditerranéenne. (D’ailleurs il parait que le sable du Sahara va revenir bientôt, lui qui nous avait permis de moins complexer niveau brillance de voiture, au pays du Salon de l’auto.)

Tant pis, je vais quand même semer. Comme à mon habitude, j’ai craqué au rayon graines. Plusieurs fois, oui. Même si je m’en tiens aux plantes fleuries les plus faciles, pour notre jardin de poche, j’ai de quoi fleurir un terrain de foot. Je vous livre ma technique complètement faillible :

  • Etaler tous les sachets sur la table, imaginer et s’extasier la bouche ouverte,
  • Lire les instructions et constater que c’est trop tôt pour semer dehors,
  • Gratter la terre dans tous les espaces vides,
  • Ne pas déranger ce qui pousse, même les plantes sauvages, même les moignons de trucs à moitié secs,
  • Semer les graines une par une, en les espaçant, en respectant des profondeurs différentes en fonction de leurs tailles,
  • Les recouvrir délicatement de terre,
  • Constater qu’il en reste beaucoup dans les sachets : renverser et étaler tout ce qui reste.
  • Brasser la terre. Encore.
  • Arroser.
  • Oublier ce qu’on a semé et où.
  • Regarder le ciel, il va pleuvoir bientôt, non ? Non. Deux semaines plus tard, tout inonder.
  • Regarder tous les jours les coins de terre nue, les mains sur les hanches en disant : Alors, ça vient ?

(Espérer que les voisins à ce moment-là ne sont pas à leur fenêtre).

Je vous dirai ce qu’il en est de mes capucines, cosmos, tournesols, soucis, prairies fleuries, nigelles de damas et bleuets.

Je vous souhaite des semis jolis.

PS : Vous soutenez l’Ukraine ? C’est important et généreux à vous. Si vous voulez soutenir l’Allemagne, envoyez de la farine. Par poignée, sur les hamsters.

En couleurs

Un film français en VO au ciné, premier cours de poterie depuis les événements (non pas ceux-là, les autres)

Chers amis,

Merci de passer par là. Quelle joie de vous y retrouver !

Pour vous écrire, j’ai dû ouvrir le répertoire Mainzalors pour trouver le document Word que j’utilise comme brouillon à mes articles. D’habitude, il est dans les derniers documents ouverts. Mais là j’ai tellement écrit pour d’autres projets (et d’autres ont fait des exposés sur les huskies) que ma page a plongé dans les tréfonds du menu déroulant.

Commençons par échanger de bonnes nouvelles.

Je vois du bleu et du jaune partout. Pas vous ?

Des petits drapeaux jaune et bleu ornés d’une colombe de la paix et de son rameau d’olivier qui flottent sur le devant des bus mayençais, la flamme de l’Union Européenne associée à celle de l’Ukraine au garde-corps d’un balcon. Des plants de pensées minuscules, évadées d’une jardinière, qui dressent dans la pelouse du parc des pétales bleu étoilé de jaune. La mésange à contre-jour qui picore la boule de graines suspendue. Le gamin en patins à roulette avec un pantalon soleil et un anorak bleu roi (non pas vous madame, vous y’a que du jaune, et beaucoup trop d’ailleurs). Le sac Ikea où j’emballe le panneau fabriqué par ma grande pour sa présentation sur les Années folles à Berlin.

Les étoiles de forsythia éclaboussent un ciel trop bleu.

Avez-vous remarqué comme beaucoup des toutes premières fleurs sont jaunes ? Et cette année, le ciel beaucoup trop bleu. La terre craque et crisse. Les feuilles persistantes aussi. Mes azalées sont-elles perdues ?

Marguerite Yourcenar la bien nommée a écrit : « Il suffit d’une fleur au printemps pour pardonner au Bon Dieu. » Cette année on va exiger un gros bouquet.

Depuis lundi en Rheinland-Pfalz, les enfants ne sont plus testés que deux fois par semaine – et non trois – à l’école. A compter de lundi prochain, ils auront le droit de quitter le masque en classe. Mes filles ont prévenu : elles le garderont.

Autre bonne nouvelle, je n’ai pas étranglé la préposée de la mairie de Mainz, quand elle a buté sur ma demande : m’établir le certificat de vie annuel sur un formulaire français. « Ici, on est en droit allemand ». Oui mais non. J’ai déjà essayé. Les Français ils veulent ça. Plouf, plouf…. Quel sera le plus obstiné des deux ? Les frenchies s’en tirent bien, le site web ne me donne aucun moyen de les joindre. Et moi j’erre dans le no woman’s land entre deux administrations bêtes et obstinées. C’est comme ça et pas autrement.

Zu Hilfe, zu Hilfe zu Hilfe, ich bin verloren ! (à l’aide, je suis perdue).

A la mairie donc, un groupe d’une quarantaine de personnes, surtout des femmes et des enfants faisaient la queue devant l’entrée. Je me suis postée derrière, avant de comprendre qu’ils étaient ensemble, probablement ukrainiens à attendre de pouvoir déclarer leur arrivée. J’ai patienté à la porte d’un autre service. Autour de moi, les gosses jouaient à touche-touche.

Touche pas – touche pas, ma chambre, ma maison, ma rue, ma ville, mon pays. Mes copains. Mon papa.

Une autre poignée de gamins, allemands, au marché samedi, vendaient des cookies trop pâles et des cupcakes au citron (en barquettes de papier coloré, devinez…) pour faire des sous pour les réfugiés. Nous en avons acheté bien sûr. Ils nous ont proposé un kit de protestation maison, dessiné aux crayons de couleur, avec affiches A4 et autocollants-badges.

Difficile de revenir aux petits riens de la vie quand d’autres perdent tout. Et pourtant… il le faut. Dans les moments les plus difficiles de mon existence, où l’essentiel me lacérait, je rêvais, épuisée, de m’affaler à l’ombre d’un pin sur une plage pour me peindre les ongles des pieds. Je ne l’ai jamais fait. Mais c’est cette image qui revenait. Le sable qui râpe un peu les jambes, le vent qui emmêle les cheveux, les yeux qui se plissent pour regarder la mer, l’odeur du vernis, la couleur qui colle, et attrape les poussières. Tâche anodine, dont l’inutilité restaure la confiance en la vie.

Habile transition vous en conviendrez (on fait comme on peut), vers mes dernières aventures.

Après dix-huit mois d’interruption covidesque, pleine d’entrain, j’ai repris, enfin, le chemin du cours de poterie.

Cling, paf, bang. L’enthousiasme qui s’écrase à terre fait un bruit de casserole.

Tout à la joie de se retrouver, mes co-stagiaires ont bavardé, fort et sans interruption, avec comme sujet de prédilection, natürlich, l’actualité. Et vas-y que je t’en rajoute une couche d’horreurs. Je m’intéresse à l’avis d’une dame, originaire d’Europe de l’est. L’occupation russe elle connaît. Elle parle la langue, a vécu à Moscou. Sa remarque : « Les Russes ne me font pas peur» m’interpelle. Il faudra que je lui repose la question.

Après deux ans d’hibernation, j’ai redécouvert qu’au bord du Rhin, les réflexions sont cash. Pour une Française, c’est limite de l’impolitesse (pour un Anglais, la frontière est loin derrière).

Dans un documentaire d’Arte (oh j’adore cette série : Invitation au voyage ), l’attitude et le visage d’une petite fille au Sénégal m’avaient tapé dans l’œil. Assise au sol, devant le mur de terre ocre de son école, en pantalon et T-shirt roses, entre d’autre gosses bariolés, les jambes croisées, le coude appuyé sur le genou, la joue dans la main, un peu écrasée, elle plongeait ses grands yeux noirs dans l’œil de la caméra. Arrêt sur image. Capture d’écran. C’est ça. C’est elle ma prochaine sculpture. Quelle poésie dans les gestes d’enfants !

Alors j’ai coupé mon pain terre (gris foncé, chamottée) et commencé à modeler un corps assis en tailleur.

-Ça ce n’est pas un enfant. C’est un dos, des cuisses, des fesses d’adulte. Un enfant n’a pas de taille.

-…

Oui je sais. Ce n’est pas mon premier. PATIENCE.

Mais c’est pas mal, non, après une heure d’un projet qui en comptera une quinzaine, d’avoir déjà modelé un corps ? Non ?

-Tu sais qu’il te faudra évider ta sculpture ?

Ça c’est la prof.

Oui je sais, ça fait vingt ans que je fais du modelage. Non ne j’ai pas la même technique qu’ici. Et non, je n’ai pas envie de changer. Elle me convient et je l’ai apprise avec des pros.

-Tiens regarde, ton bras là il va pas !

C’est très vrai, il ne va pas.

Photo prise en vitesse

Mais p…  Laissez-moi le temps de travailler ! Laissez-moi chercher, me tromper, recommencer.

Elle se poste tout contre moi, et place ses mains de part et d’autre de ma sculpture, sur sa girelle. Et vas-y que je pousse ici, que je tasse là.

J’ai envie de hurler : « Arrête ! Je ne supporte pas qu’on touche ma pièce. Tes conseils tu me les donnes avec des mots. Tu ne fais pas à ma place. Je veux apprendre, et surtout sentir et faire. Je m’en fous si elle est ratée.»

-Voilà c’est déjà mieux comme ça non ?

NON. Maintenant, j’ai envie de tout écraser et de partir.

-Tiens, prends cette latte de bois et tasse ta terre. Comme ta voisine, là.

Oui mais elle, elle monte des plaques, sa pièce est creuse. Elle n’a pas le même besoin de tendre l’argile.

Bonne élève soumise (sait-on jamais, y’a peut-être quelque chose à apprendre), j’attrape la morceau de bois.

PAF, PAF, PAF !

-Oh oui tiens ça fait du bien !

Rires.

Ça défoule, mais pas assez.

FOUTEZ-MOI LA PAIX !

Je n’ai rien dit. Je m’en veux. Sous les coups de marteau d’affirmations, je tétanie. Mon censeur intérieur filtre des remarques trop dures. Il ne laisse rien sortir. Même la boutade qui me libèrerait. Je bous mais je me tais.

Repartir dépitée, frustrée et en colère.

Mes pieds impatients ont envie de taper dans des cailloux. Ils m’ont emmenée trop vite vers le cinéma où je devais retrouver mon mari. Au bras, mon panier vide (artisanal, ardéchois, en châtaignier). Je n’ai pas pu emporter les quatre sculptures cuites depuis belle lurette et entreposées dans une armoire de la VHS (MJC) : même une seule aurait été trop lourde pour la trimballer en ville toute la soirée. Mais j’ai été ravie de les revoir. Notre longue séparation m’a permis de les apprécier. Un poivron, un p’tit gars qui joue à cache-cache derrière un arbre, un bouquet de noisettes, une fleur avec un cœur-visage de femme.

Ce serait vraiment dommage de renoncer à cette activité. J’ai beau râler, les gens sont sympas. Mais j’ai besoin de calme pour créer. Suggestion de ma famille : tu pourrais mettre un casque pendant le cours. Hmm, oui, ça atténuerait les effets secondaires.

Kino Capitol, Mainz

Soirée au cinéma donc. J’adore le Capitol cette salle rétro, nichée dans une rue piétonne, avec ticket en papier. Dans la salle, la tapisserie est ornée de grosses fleurs style années 70, de lustres art déco. Les ados se précipitent au balcon. Paf, des bouchons de porcelaine de bouteilles de bière à l’ancienne sautent. Entre deux gorgées, elles sont glissées dans l’anneau du support à popcorn.

La programmation privilégie les films d’art et d’essai, parfois en VO. C’était le cas avec Eiffel (titre allemand : Eiffel in love), proposé à l’initiative de la Maison de Bourgogne (Haus Burgund) de Mainz, très active. Dans la salle on entendait des éclats de voix en français. Derrière nous ça s’esclaffait avant les réparties humoristiques… au rythme d’affichage des sous-titres. Leur lecture est bonne pour notre allemand (et de toute façon comment les éviter ?).

Eiffel, campé par un Romain Duris qu’il me semble n’avoir pas revu depuis l’Auberge espagnole (pourtant si, forcément), dessine sa tour comme un refrain. Quand il rentre d’un chantier, il est sale, presque comme il se doit. Fait notable… Dans les films les tabliers restent immaculés. La partie sur sa vie, son œuvre, le caractère de l’homme est intéressante. L’histoire d’amour gentiment hollywoodienne. Même sans panier vide à ses pieds, qui a fait s’esclaffer ma voisine quand elle s’est glissée entre mes genoux rabattus et la rangée de fauteuils, un très bon moment.

Longue vie à ce cinéma d’un autre temps. Le bâtiment a été racheté par des investisseurs l’an dernier. Une pétition a circulé pour le protéger.

Le programme des prochaines semaines est sur notre table à manger. Tous les jours je l’ouvre pour rêver. Bientôt passeront La panthère des neiges et L’événement, et d’autres films étrangers que j’ai envie de découvrir, tant pis pour les VO. Il est intéressant de voir quelles créations passent la frontière.

La prochaine séance de poterie se rapproche. J’appréhende, mais j’ai une idée. Et si je recommençais à zéro, sans dire ce vers quoi mes doigts se dirigent ?

Ce que je modèle ? Mystère, mystère. Vous verrez bien, et moi aussi.

Les surprises ça a du bon parfois.

Cherche garde-fou

Retour de vacances en France, sidérée par l’actualité.

Lyon, hôtel de ville

J’ai la gueule de bois.

J’aurais pu vous raconter mon escapade à Koblenz avec mon amie d’enfance de Köln. Mais c’était il y a un siècle. Inscrite sur des cadavres, elle semble anodine.

Ça se bouscule et ça cogne dans la salle de bains juste en dessous : les filles tentent de donner à Gaïa sa deuxième douche de l’année (youpi !). Le lave-linge ronronne, avec la première d’au moins 200 lessives aujourd’hui. En rangeant la valise, mes pensées se sont envolées, comme à leur habitude. Vraiment c’est dommage que Monop ne livre pas à l’étranger. J’ai vu en passant à Lyon des chemisiers qui me plaisaient bien. Tient le plant de cardamome, au parfum de cannelle, a les feuilles toutes enroulées, il a dû faire chaud derrière la fenêtre pendant notre absence. (Le trempage n’a pas suffi à tout récupérer). Pourvu que l’œil de ma grande dégonfle sinon je devrai appeler le pédiatre. Oh les jonquilles miniatures sont écloses et les crocus sont sortis ! Un peu décevante la couleur (pas ceux de la photo).

Le soleil nous a accompagné, hier lors de notre traversée de la Bourgogne, de la Lorraine et du Palatinat. Merci à lui de s’inviter quand même. Les yeux pleins de lumière, le dos libéré par mon ostéopathe lyonnais (yes !, lui au moins ne fait pas de papouilles), j’ai rechaussé mes pantoufles (Birkenstock s’il vous plait) pour m’asseoir à mon bureau. Après une grosse semaine de vacances en France, le quotidien reprend.

C’est Mardi-Gras dans un carnaval de silence.

Tout va bien.

Pourtant, sans avoir bu une goutte d’alcool, j’ai la gueule de bois.

Encore une fois la normalité a changé de goût.

Les unes des journaux ont basculé.

Comme une impression de déjà lu, déjà entendu, déjà pensé mais comment n’ont-ils rien vu venir ?

Sur les pistes du Grand Massif en Haute-Savoie, nous avons skié, dans un coin que j’aime depuis longtemps, logés dans un gite au fond d’une impasse, où un ruisseau chante au pied du chalet, et où, frissonnants, nous avons sentir les étoiles exploser la nuit. Au retour, nous avons fait un détour par Lyon, histoire de croiser pour la première fois depuis trop longtemps des proches éloignés. 

Sur le télésiège de milieu d’après-midi, plusieurs fois, m’a été confié un petit skieur niveau Flocon. Les groupes de gamins sont éparpillés avec des adultes pour les remontées. Toujours je blague avec eux. J’adore les enfants de ces âges, déjà autonomes, encore innocents. Leur spontanéité me rafraichit pour plusieurs heures.

Joshua 7 ans était penché sur le garde-fous :

-Comme je me suis mangé ce matin ! paf au changement de neige ! Hier c’était un record. Cinq chutes. Aujourd’hui juste une.

-Euh, recule-toi un peu. Tu viens d’où ?

-J’habite à Toulouse, il a fallu 7 heures pour venir, ça m’a gaspillé une journée, mais bon c’est comme ça.

C’est comme ça. Fatalité souriante.

Une blondinette à lunettes sous un casque blanc m’a répondu avec une bouche armée de deux incisives toutes neuves.

-Ben, j’habite à Juvisy. Tu connais Juvisy ? Sur les télésièges, y’a toujours quelqu’un qui connait un ami ou un cousin à Juvisy.

– Non, moi à Juvisy, je ne connais que toi.

-Avant j’habitais dans un pays très chaud, à Riad.

-Ah ? Tu faisais quoi là-bas ?

-Y’avait la piscine chaude le matin et le soir et des serviteurs pour nous donner ce qu’on voulait. Même les bébés ils pouvaient commander un biberon dans le jacuzzi.

Vu de la hauteur de son regard espiègle, le tableau me fait sourire. Elle est attachante cette gosse. J’aime me faire des amis de tous les âges, surtout ceux qui n’ont pas encore appris à tricher, et ceux qui ont renoncé. J’imagine la tête de sa mère : “Vous pourriez me donner votre adresse mail, c’est pour échanger avec votre fille elle est extra !” Et pourquoi pas après tout ?

La fraîcheur naïve est une denrée si précieuse.

Ce matin je me suis inscrite au cours de poterie à la VHS (Volkshochschule, équivalent de nos MJC). Après 18 mois sans terre sous les doigts, j’espère que cette fois ça va marcher. Après la fermeture pendant les confinements et les travaux pour ouvrir une fenêtre dans la salle pour l’aération obligatoire (mes filles se caillent en cours), personne ne s’était réinscrit. Les cours, segmentés en cinq à sept séances, sont calés sur les périodes scolaires. A chaque vacances il faut se réinscrire. Mes collègues, pour la plupart âgés, craignant covid et courants d’air, ont renoncé à sortir de chez eux. En janvier, j’étais la seule inscrite et le cours a été annulé. J’ai hâte de sentir la terre humide et souple au creux de mes paumes, et de récupérer mes pièces cuites (un poivron, un petit garçon qui joue à cache-cache derrière un arbre). Je reverrai M., dame très chic aux cheveux blancs courts, née en 1935 à l’est de l’Allemagne, qui m’avait raconté l’exode de sa famille (à l’âge de Joshua) dans la neige pendant la guerre.

Je ne comprends pas.

Je n’ai jamais compris.

L’Histoire regorge de civilisations très évoluées évanouies.

Pourquoi les hommes ont-ils la mémoire si courte ? Pourquoi se laissent-ils berner par des monstres pour leur dérouler un tapis rouge ?

Hypnotisés. Sidérés. Abasourdis.

Le virtuose de la malveillance ne court pas les rues. Comment imaginer la méchanceté pure en quelqu’un d’autre ? Comment, quand on est ni bon ni méchant comme écrivait Prévert, comment imaginer derrière des traits si proches des nôtres, le règne exclusif de la cruauté ?

J’ai hélas connu la perversité sur le plan intime. Le monstre est charmant avec l’entourage, il envoûte, séduit, fait rire. Quand j’ai su mettre des mots sur ce qui m’arrivait, personne, à part une amie qui m’a sauvé la vie, ne m’a crue. Les traces que le monstre laisse de son anormalité ne font sens qu’a posteriori : pas d’amis, aucun geste gratuit, mensonges, manipulations. Il encercle sa proie.

Peu à peu le couteau sous la gorge, le visage sous les coups de pied, mon regard a basculé : d’adorant il est devenu terrorisé. La personnalité à laquelle je n’avais trouvé au début aucun défaut ruisselait de venin. J’ai compris. Les accusations qui m’étaient adressées me permettaient de décoder les coups fomentés. Pour soupçonner, il faut avoir l’idée soi-même. Pour se protéger, tendre un miroir.

Ma naïveté en a pris un coup. Puis un autre. J’ai retenu. Toujours vérifier la cohérence entre paroles et actions. Je ne me laisserai plus berner par le charme pervers. Enfin j’espère.

La bouche collante, le doigt dans le pot de confiture, l’enfant de trois ans répond les yeux dans les yeux, non ce n’est pas lui. Il prend, il jette selon son bon vouloir. Donne des coups de pied dans la fourmillière et démonte les insectes vivants. Mignon et attendrissant, mais monstre tout de même.

Là l’échelle de la terreur a connu une inflation terrible.

Aucun charme trompeur. Aucune raison apparente. Un mode de fonctionnement qui donne des frissons. Un homme, un seul, terrorise la planète. La fourmillière dans laquelle il tape c’est notre maison.

Pas plus que le cinglé orange, lui non plus je ne peux ni le nommer ni le regarder. Même en photo sur un écran. Lorsque le regard trahit la cruauté extrême, même les caricatures me mettent mal à l’aise.

De quel droit laissons-nous faire ? Comment les psychopathes accèdent-ils au pouvoir suprême ? Où sont les garde-fous (au sens propre) ?

Il nous avait prévenus pourtant :  c’est pour mieux te manger mon enfant.

Quand le grand méchant loup meurt à la fin, toutes canines dehors, le petit chaperon rouge et sa mère-grand sortent du ventre en dansant.

Cherchons chasseur sachant chasser l’inhumanité.

Pourquoi quelqu’un ne va-t-il pas tuer le monstre : un mort contre des centaines, des milliers, des millions ? Le calcul est vite fait. Assassiner les dictateurs… Vaste programme ? Facile à dire ? Cela créerait un précédent ? Un clone du système le remplacerait aussitôt ? Sur la seule base de déclarations d’intentions ? On ne peut pas flinguer tous ceux qui nous dérangent ?

Tous non. Mais un seul ?

Non mais Estelle, c’est quoi ces mots violents ? Est-ce la seule solution ?

Lac Léman vers Vevey

En descendant par la Suisse, un panneau au bord de l’autoroute affichait la silhouette de charlot. Charlie Chaplin a vécu à Vevey au bord du lac Léman pendant 25 ans. Cette riviera entre vignobles et sommets le long d’une presque mer rassurante, évoque une douceur de vivre tentante. J’ai proposé à mes filles de revoir Le dictateur. Pour nous souvenir non pas que la guerre ne sert à rien, ça on sait, mais que le génie, l’intelligence et l’amour existent toujours, même si les médias, monomaniaques, les mettent si peu en valeur.

Que dans les moments graves, le rire est plus que jamais indispensable. Il est temps plus que jamais de sortir respirer une fleur.

Vous entendez ? Non ? Moi non plus. Le lave linge s’est arrêté. Aucun bruit chez les voisins. Elle est russe, il est ukrainien. Ils nous emmerdent régulièrement avec leurs nuits de beuverie dans leur jardin, hiver comme été ; ils ne craignent pas le froid autour de leur feu de camp.

Mais là je tends l’oreille. J’ai presque envie de les entendre à des heures indues sous nos fenêtres.

Leur gueule de bois post-vodka symbole de normalité m’épargnerait-elle la mienne ?

Mr Chaplin, we need you

PS : Il m’est difficile de publier cet article. Si vous le lisez c’est que j’ai cliqué en fermant les yeux.

Sous-vêtements assortis

Pour aller chez le toubib et le kiné, c’est mieux non ? Non.

Ne pas laisser de bazar

Ça faisait une semaine que je programmais ma tenue de sous-vêtements pour ce vendredi matin, pour être sûre de pourvoir, avec les cycles de lavage, trouver dans le tiroir en haut à gauche une culotte et un soutif assortis. J’avais décidé de faire quelque chose contre ce mal au dos chronique, handicapant du mouvement et de l’humeur (demandez à mon entourage). J’avais rendez-vous chez un médecin ostéopathe recommandé par une amie.

J’y suis allée terrorisée, comme pour tout ce qui concerne la santé. Avec l’impression de tromper mon généraliste, qui a refusé de me prescrire des séances de kiné. Chéri tu peux m’accompagner stp ? Comme là c’est sûr il va m’envoyer au cimetière, je serai trop perturbée pour me consacrer au trajet. Je ne crois pas que ce soit une bonne idée de partir en pleine nuit, quand les rues sont vides. En essayant de déranger le moins possible les conducteurs pressés c’est sûr je vais me paumer. Avec à la clef, une rechute du lumbago et 170 de tension.

Ma meilleure moitié est compréhensive. Merci à lui.

Dans ce cabinet inconnu, j’ai montré patte blanche et me suis posée là où on m’a dit : sur la chaise en haut de l’escalier. J’ai pris mon air le plus détaché possible, genre je sais ce que je fais ici. De temps en temps, je redresse mon dos, cale mes reins contre le dossier. Non mais là c’est bon dans cette position (peu naturelle) j’ai plus mal. Et puis à ma dernière consultation en France on m’avait donné des exercices. Je les fais régulièrement (à peu près, enfin, parfois). Je fais du yoga tous les jours ou presque avec ma meilleure amie Adriene. Je nage dans le grand bain, 1 km en brasse et crawl. Le dos m’est impossible sinon je fonce dans les lignes ou les nageurs. On se souviendra que je crains la réprimande. Le papillon m’a coincé le haut du dos, quand j’ai réessayé en Forêt Noire. Ce n’est pas le moment de faire des folies de mon corps. Donc oui ça va. Je viens consulter mais tout va bien.

Le médecin, souriant et sympathique jeune homme (euh, il a fini ses études quand même ? Ah oui j’aperçois quelques rides) brun, en jean et baskets m’a appelée. La salle, aérée, était vide à part une table de kiné, une armoire en bois, et un fauteuil en bois d’inspiration asiatique. Dans un coin en face, sur une petite table, un ordi. Devant, sur un tabouret à roulettes, le docteur. Je m’en suis approchée et lui ai tendu le questionnaire en attendant les consignes.

C’est toujours ça qui manque dans les nouvelles situations : les consignes.

Que faire de mon corps ? Le poser où ? Dans quelle position ? Quel degré de nudité ?

Il faudrait un metteur en scène ou un chorégraphe.

Je m’en suis rendue compte en repensant à l’épisode sauna textilfrei (à oilp). Ce n’est pas de se dénuder en public avant le goûter qui pose problème, c’est de le faire à bon escient. Ne pas se retrouver en tenue d’Eve au milieu de maillots et de peignoirs. Ou inversement. Textilfrei. A partir de cette limite, tout quitter. Oui mais où et comment ? La transition est délicate.

Lors d’une première fois, mal à l’aise, on essaie de copier sans en avoir l’air, en se méfiant de ses impulsions. A plusieurs reprises, au café avec une amie, par réflexe , j’ai proposé de payer la note de nos deux thés (comme on a l’habitude en France, un coup l’une, un coup l’autre). La copine allemande était perplexe : tu veux que je te rembourse ? La deuxième fois, on peut expliquer, et faire passer sa bizarrerie pour un trait culturel.

Donc revenons à notre vendredi matin. Je m’attendais à me déshabiller et à montrer, bonne élève que j’avais mis des sous-vêtements, sans trous, (je ne vais quand même pas ajouter propres), assortis et que je m’étais bien épilée.

-Quittez vos bottes et allongez-vous sur le ventre.

-Les bottes c’est tout ?

– Oui. Défaites juste votre ceinture.

Soit.

Il appuie à différents points de mon sud-ouest.

-Vous avez mal là ?

-Non.

-Et là ?

-Non.

Il continue son exploration des douleurs dorsales.

-Vous faites quoi dans la vie ?

Ich bin Schrifstellerin (Je suis écrivaine )

(Alors là ça n’a l’air de rien, mais depuis trois ans que j’écris tous les jours, j’ose enfin l’avouer, dans l’intimité confidentielle d’un cabinet médical, dans une langue où le mot reste neutre (littéralement : productrice d’écrits), même si l’Académie Goncourt ne m’a pas adoubée. Donc méga victoire pour bibi qui cherche sa voie depuis bientôt… trente-trois ans.)

-C’est super ! Qu’est-ce qu’il y a comme gens intéressants !

Rire qui se veut modeste, derrière mon masque je rougis à peine (après tout il n’a rien lu de moi). Il enchaine :

-On n’a pas le temps de parler, sinon je vais être encore plus en retard. Mais je ne résiste pas. Vous écrivez quoi ?

-Un blog sur l’intégration d’une famille franco-anglaise chez les Teutons. Et un bouquin aussi. Vous parlez français ?

-Non pas du tout. Je ne suis pas doué pour les langues.

Tant pis, tant que vous vous y connaissez en vertèbres, muscles, et patientes angoissées.

-Et là ?

-Non.

Remontez un peu sur la table…

AIE AIE AIE … *#@*ZqX*!!§***… ce mouvement-là faut pas…

-Retournez-vous sur le dos.

Combien de temps vous me laissez ?

Il tâte mes cervicales.

-Ça va. Vous pouvez vous relever.

Avant midi ?

Je renfile mes bottes, en faisant attention avec la perfide flexion avant.

-On peut vous aider avec de la kiné ou de l’ostéopathie mais il faudrait apprendre à vous relaxer, parce qu’au moindre stress ou à la moindre émotion forte ça va revenir.

Il a bien compris le bougre.

-J’y travaille promis.

C’est pour ça qu’Adriene c’est ma meilleure pote, elle s’entend bien avec mes émotions fortes. Lisa aussi avec ses cours de yoga contre l’anxiété.

-Tenez une ordonnance pour six séances de kiné, c’est remboursé. Si ça ne marche pas on essaiera l’ostéopathie.

-Merci docteur.

10 minutes.

Il ne m’a pas envoyée au cimetière.

Mon mari a trouvé dans la boulangerie du quartier, de délicieux beignets de carnaval moelleux comme des nuages, où les petits grains de sucre collaient aux lèvres et aux joues juste assez pour avoir envie de les lécher. Et de se frotter le bout du nez avec le dos de la main. Tiens en fait y’a un arrêt de tram juste là. J’ai un peu honte de ne pas avoir vérifié avant.

Monsieur mon corps vous pouvez vous détendre.

Rompez.

Les six rendez-vous chez le kiné sont pris pour les semaines suivantes. La secrétaire m’a demandé d’arriver avec deux serviettes, une grande et une petite. Pas de consignes côté sous-vêtements, mais j’arbore la parure assortie – bleu roi, Monop, natürlich (j’ai pas encore basculé chez Tchibo pour les sous-vêtements, mais ça ne saurait tarder, je suis mûre. J’en suis à ceux de mes filles et aux chaussettes).

La kiné, une grande femme jeune et sportive, aux longs cheveux blonds, jean gris moulant et baskets Nike me propose d’entrer dans une salle équipée de matériel de sport. Elle vient d’aérer, je me dis que je vais me cailler. J’enlève mes baskets.

-Je me déshabille ?

-Non, non, ouvrez juste la ceinture je vais d’abord faire un bilan. Allongez-vous sur le ventre. Vous avez mal là ?

Non. Non. Non. J’ai mal tout le temps sauf quand elle appuie. C’est bon signe paraît-il.

Consultation : 20 minutes.

La dernière a eu lieu hier. Toutes consultations très intéressantes. J’ai appris à mobiliser mes abdos. Depuis le temps que je ne les avais pas vus, j’avais oublié où ils étaient (le premier qui me répond sous ton nez, je le mords). Avec ma pote Adriene, j’ai réussi à faire des abdos en mobilisant tout le reste du corps sauf eux. Ce qui fait que j’aime pas faire des abdos (qui aime ?), après j’ai mal au cou. Puis à la tête.

Donc, abdos pour de vrai, tous les jours.

Autre info qui peut servir, grâce à mon cher et tendre qui me l’a offert, j’ai lu un livre écrit par un Norvégien sur les étirements. Ma position de nuit est idéale pour me donner des maux dans le bas du dos (ça, trois bébés costauds, et la vieillerie). J’ai changé mes habitudes de sommeil. Je revis.

Chers amis français, appréciez à sa juste valeur un système médical où chaque minute n’est pas (encore) comptée (au plus court). Mes récits d’outre-Rhin ont inspiré un ami médecin : il a évoqué l’idée de facturer une visite à domicile quand il ira chercher un patient en salle d’attente.

Merci au système allemand, certes expéditif et à deux vitesses (selon l’assurance détenue), qui m’a bien aidée.

Un jour peut-être j’oserai publier un des tous premiers articles écrits sur le violent choc culturel avec le milieu médical local. Quand on est paralysée juste parce qu’on passe devant un hôpital, vous imaginez la rencontre avec des infirmières qui donnent des ordres. Et sourient. Parfois.

Je vous souhaite des abdos résistants et un dos compréhensif.

Les consignes de la salle d’attente du pédiatre (de Janosch)

PS : Vous connaissez les albums pour enfant de Janosch ?

Une tranche de Forêt Noire ?

Coucou ! Kuck Kuck ! Trois jours dans un village loin de tout, niché dans la forêt.

Ça fait envie hein ?

C’est encore mieux que ça.

Pour fêter les anniversaires hivernaux, notre famille aime s’évader le temps d’un week-end à la montagne. (Oui, oui je vais actualiser mon âge sur la page d’accueil de ce site…). Quand nous vivions à Lyon, nous le faisions chaque année, gâtés que nous étions par la géographie. Une fois dans une chambre d’hôtes en contrebas d’un col de Chartreuse, une autre dans le Vercors ou le Beaufortain.
Depuis Mainz, on peut viser le Taunus pour des balades en forêt. Mais l’urbanisation et les grosses routes restent plus proches. Les sommets hésitants n’offrent aucun village perdu, où l’altitude dépayse en accéléré.

Alors où s’échapper ? La Forêt Noire au sud, le massif de l’Eifel au nord-ouest (où j’ai envie d’aller voir les éclosions de narcisses au printemps). Ce sera la Forêt Noire.

Je rêvais d’y aller depuis toujours.

Pour notre rencontre, il y a trois ans, lors de notre premier hiver en Allemagne, je suis restée bougon. Oui la proximité dans le même village étagé de vignobles et de sapins enneigés, les fermes affichant leur production de fruits (et d’eaux de vie), la route des crêtes ont failli vaincre ma mauvaise volonté et mes comparaisons chroniques. Bien tenté, mais non c’est pas aussi haut / charmant / gourmand / varié (etc…) que mon Vercors adoré. Où sont les fromageries ? Et pourquoi les pistes de ski de fond sont-elles aussi mal fléchées ? Et l’autoroute est-elle toujours aussi chargée ?

Il nous fallait un nouvel essai. Mon sevrage de reliefs commençait à peser. Au marché, sentir la gorge se serrer en regardant la tomme de Savoie c’est moyen.

Mes recherches en ligne m’ont emmenée vers une vallée au nord du massif, donc plus proche de Mainz. Inconnue sur mes guides touristiques. Tant mieux. Mais où loger ? Les villages ont l’air minuscules. Gites ? Encore faire les courses, la bouffe… Approfondissons la quête. Un hôtel tout confort, avec piscine et spa… Tiens donc… De la disponibilité pour quatre deux semaines avant ? Yes ! C’est pas un peu cher ? Si mais c’est tout compris, ET ça fait combien de temps qu’on est pas partis en week-end ? Euh…..

Les chiens ? Non. (Tant mieux. hi, hi. Elle est moche en ce moment notre Gaïa, la captivité ne lui va pas au poil : il tombe. Ma fille propose de tester la nourriture hypoallergénique).

Cerise sur la forêt noire, le lundi, les filles n’ont pas cours pour cause de conseils de classe. Nous partons pour trois jours. TROIS.

Départ vendredi en fin d’après-midi, pour poser Gaïa à la pension pour chiens du côté de l’aéroport de Francfort. Cap plein sud sur l’autoroute chargée (comme partout tout le temps dans notre coin d’Allemagne). Pour nous distraire, nous jouons à Boggle avec les plaques minéralogiques. T’as vu DO-GS ! Je laisse volontiers mon mari au volant. Je ferai le retour de jour. L’autoroute allemande est infernale pour qui s’en tient au code de la route français. Dans les sections sans limitation de vitesse, je reste coincée derrière les camions à 100 km/h. Doubler c’est se retrouver, d’un coup, talonnée par une grosse bagnole noire piaffante, invisible la seconde précédente.

Enzklösterle

Le village d’Enzklösterle s’étale à 500 mètres d’altitude, le long d’un gros ruisseau. En arrivant de nuit, on n’en voit que les sportifs s’entrainer au basket dans le gymnase. De jour, à pied, nous découvrirons le coin. Pas de maisons à colombages ni de boutiques de souvenirs, aucune horloge-coucou made in Taïwan à l’horizon. Juste de grosses maisons qui dissimulent leurs années sous le crépi. Quelques linteaux de porte sur le grès rouge, trahissent les âges. (1856, 1852). Bien sûr une maison bleue ici, une autre là verte ou jaune. Comme souvent, la palette des façades dérape. Trois églises d’aspect moderne.

Pourtant la vie s’est installée ici depuis longtemps, autour de la récolte des myrtilles sauvages. Nos promenades en forêt le long du bien nommé Heidelbeerweg (chemin des myrtilles) nous l’ont prouvé : les sous-bois sont tapissés de plants (géants par rapport à ceux de l’Ardèche ou des Alpes).

L’hôtel est un gros paquebot amarré à la pente dans le cœur du village. Moderne sans excès, d’un style qui rappelle les villes thermales. Balcon à chaque chambre. Restaurant tout en vitres, dont les lumières éclairent le jardin et une terrasse enneigés. Quelle chance tout ce blanc !

Nous franchissons le seuil juste avant 20 heures. La réceptionniste nous confie la clef, et nous indique comment aller à notre chambre à la fin du repas.

-Dépêchez-vous, dans quelques minutes, le service ne vous acceptera plus. Si vous finissez avant 21h30, je pourrai vous accompagner. Sinon non. J’aurai terminé mon service.

Le repas s’est éternisé autour d’un menu composé d’une ribambelle de plats et amuse-bouche. Ralentir on a dit. Les serveuses sont en tenue traditionnelle, robe longue bleu ciel, plastron noir et haut blanc à manches courtes. Elles doivent se geler. L’accent local est très marqué avec des ch. Mais ça va, on comprend.

En Allemagne on mange à tout heure et dans un rythme qui bouscule nos habitudes. Le buffet du petit déjeuner est extra, avec vraiment de quoi manger (pas juste les traditionnelles tartines et viennoiseries françaises qui déboutent les touristes du nord de l’Europe). Il y a même du Sekt avec des flûtes à disposition. A partir de 14h, un buffet est installé pour le traditionnel Kaffee-Kuchen (café et gâteau – plus crudités et soupe). Effectivement tout est compris. Comment résister ? C’est dingue ce besoin de se jeter sur ce qui est disponible, même quand vraiment on n’a plus faim… Les yeux plus gros que le ventre… un travers à tous les âges. Diner qu’on retarde pour agrandir l’appétit. A 19h nous sommes les derniers à arriver.

J’ai l’impression d’être dans un bateau de croisière (où je n’ai jamais mis les pieds) où les passagers se croisent à table, sans jamais sortir du bâtiment (mais je n’en sais rien).

Balades dans la neige…. Ça crisse, et glisse. Côté sud de la montagne, des gouttes tombent, côté nord, l’hiver arrête le temps.

-Regarde maman on se croirait dans la Reine des Neiges !

J’allais le dire. Avec ces mamelons de neige, ces rochers couverts de mousses et de petites stalactites, ces troncs enneigés, on se croirait dans un dessin animé. Je guette les trolls.

Traversée d’une piste (rouge à vue de nez, je ne m’attendais pas à une pente aussi marquée par ici) où deux tire-fesses à pioche remontent les skieurs. Escale pour quelques glissades sur une piste de luge où les enfants et parents bariolés, avec leurs luges en bois et leurs grands sourires me font penser à un livre d’images des années 50 : Jean-Jacques et Martine aux sports d’hiver.

Après le déjeuner / goûter : sacro-saint temps calme. (Comprendre : interdit aux enfants de venir solliciter leurs parents. Interdit on a dit.)

#nofilter

On va se baigner ? La piscine rectangulaire aux escaliers arrondis donne sur une pente de pelouse enneigée. Une pancarte limite l’accès. Avant d’entrer on compte des yeux le nombre de baigneurs… dans les huit un bébé ça compte tu crois ? Après quelques longueurs, le spa… Allons-nous passer la porte sur laquelle est inscrit : textilfrei (sans textile) ? Accès à partir de 14 ans.

Les filles veulent venir. L’une peut, l’autre doit se contenter de cabrioles dans la piscine (fais gaffe aux gens, hein !). Celle qui peut, hésite. Faut vraiment se mettre nu ?

Plusieurs saunas, un laconium (pièce chaude mais moins), un hammam fermé (zut). Des corps dénudés dans les pièces, enveloppés de chastes serviettes blanches sinon. On va s’y faire, hein, on ne les connait pas ces gens. C’est un exercice d’intégration.

Ma première expérience de sauna date du siècle dernier, après une rando itinérante avec l’UCPA dans le Beaufortain. Nous étions partis mi-septembre pour une semaine (géniale) dans la pluie puis la neige avec des nuits en chalets d’alpage (où il était recommandé de ne pas avoir envie de rejoindre la nuit la cabane au fond du pré, sous l’orage et à l’aveugle). En haut du Cormet de Roselend l’épaisseur de neige nous avait obligés à renoncer. Nous étions rentrés en taxi par le long chemin de la vallée vers le sauna et un gros saignement de nez le soir. Donc, depuis j’ai évité. Là j’hésite.

Le deuxième jour puisque ce fichu hammam est encore fermé je tente cinq minutes dans le sauna. Le contact du bois est agréable. Je pense à Sinnika, une petite fille finlandaise d’un de mes albums du Père Castor d’enfance. Ici pas de branches vertes pour se fouetter. Pas de lac glacial où se jeter. Mais je sors en serviette sur la terrasse et marche pieds nus dans la neige. (Non pas de photo !)

Le dernier jour, surprise, le soleil brille dans un ciel très bleu. Les rayons jouent entre les troncs. C’est superbe. Nous n’en revenons pas de tant de beauté et de lumière, nous qui vivons dans le gris depuis plus d’un mois. Le ruisseau chantonne, les gouttes tombées des pins, sapins, hêtres ou bouleaux nous éclaboussent. Même les filles avancent d’un bon pas sur le sentier, sans râler, jusqu’à une plateforme de bois avec vue sur la vallée et les deux pistes de ski. Un panneau indique qu’il est possible de s’y marier (ah c’est donc pour ça ces bancs et ce pupitre de bois !). Des pancartes pédagogiques (coiffées d’une boule violette) expliquent l’économie du village tournée vers la récolte des myrtilles. C’est sûr je veux revenir en été (avec des boites) !

Récolte des myrtilles

Dans le fond d’un vallon, un écriteau symbolise la frontière entre l’évêché de Mainz et celui de Konstanz (oui elle, au bord du lac), il y a 1500 ans. Mainz est restée longtemps une ville très importante. Un de ces quatre je vous écrirai un article dessus.

Dans la descente mes orteils s’écrasent au fond de mes bottes de neige. J’évite de déraper. Ma plus jeune se précipite sur sa pelle pour glisser.

A part trois retraités en pique-nique sur la plateforme, surpris de voir des enfants un lundi (y’ a pas école ?), et deux tout en bas, personne.

Pour la fin de la balade, ma fille marche à côté de moi. Frissonnante et lèvres bleues, elle a accepté de fermer sa parka. (Yeux au ciel ! ces jeunes !)

-C’est génial de marcher comme ça dans la nature, ça change vraiment les idées. J’ai plein d’envies et de projets qui me viennent !

Oui, respirer l’humus, prendre en photo une graminée enneigée, écouter la neige crisser sous les bottes, sentir ses doigts geler quand on n’a pas envie d’enfiler des moufles, tout ça permet de court-circuiter les soucis qui tournent en boucle. Le corps prend le pas sur l’esprit tout-puissant. Un instant nous oublions nos chaines.

Libérés, délivrés, on vous avait prévenus… (Pardon)

Dernier buffet à l’hôtel avant de repartir. Vite vite va te servir, aujourd’hui il y a de la forêt noire !

Oui, avec de la chantilly en plus

Echanges

Voter pour rire, préparer le lycée et échanger ses gamins (ou ses parents).

A voté.


Oui oui.

J’ai voté en ligne pour le test grandeur nature du premier tour des élections législatives organisé par le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Le consulat avait proposé. J’ai sauté sur l’occasion. Pourtant, le jour des élections, je pressens l’envie de glisser un papier dans une enveloppe, à l’Institut français de Mainz. Le petit frisson du devoir civique réalisé n’aura pas la même saveur depuis mon bureau. Néanmoins, c’est drôlement pratique.

Sur la liste électorale pour du beurre, une douzaine de candidats tous plus poétiques les uns que les autres : le parti des abeilles en grève, des coccinelles, des herbes aromatiques au balcon… J’ai choisi une femme, avec des co-équipiers-arbres dont un châtaigner.

Devoir accompli pour rire (et rêver).

Bonjour les amis, me revoilà.

Ça fait longtemps que je n’ai pas écrit. Je m’assois tous les jours à mon bureau pour travailler à un projet d’écriture. Mais dans une phase de relecture / correction, je n’écris pas vraiment. Pour vous ici, souvent j’hésite. Ai-je quelque chose de neuf à partager ?

Râler encore contre les covid-contraintes ? Bof. Contre la voisine qui nous a engueulés pendant une bonne minute parce que notre chienne Gaïa, tenue en laisse, avait osé s’approcher d’elle (sans la toucher, sans aboyer, sans la surprendre) ? Elle nous a demandé si on emmenait notre chien à la Hundeschule (à l’école des chiens)… Mon mari lui a souhaité bonne année. Et moi j’ai eu l’envie furieuse de lui conseiller d’aller à l’école des humains. Pour apprendre l’humanité.

Non. Sans intérêt.

Au fond, Mainz

Mes actualités brûlent trop pour être partagées à grande échelle. Secrets. Suspense. Comme tout le monde j’ai des soucis, et j’essaie qu’ils ne me bouffent pas. Puis j’ai mal au dos. J’ai appelé le kiné ce matin. Elle m’a demandé mon numéro de téléphone.

-C’est un numéro de portable français…

-Nein. On ne peut pas appeler la France.

-Sur whatsapp ça marche très bien. Mais tenez le numéro allemand de mon mari.

Elle note. Puis me propose :

-Vous êtes disponible aujourd’hui ?

-Oui

-Ça m’avait agacée le coup de la France.

Ah bon. D’une part je ne m’en étais pas rendu compte. Les échanges cash sont normaux ici. Et d’autre part, je n’avais imaginé, depuis le temps que je le donne ce numéro étranger, que ça pouvait énerver. (Oui la flemme de tout mettre à jour, et la volonté symbolique de me rattacher à mon pays).

Vous l’aurez remarqué, l’objet de mes articles ici est d’essayer sous prétexte d’anecdotes quotidiennes de m’approcher au plus près de mes émotions, en espérant toucher les vôtres. Alors c’est frustrant cette auto-censure. Mais pour les sujets qui irradient autour de moi, pas le choix.

Alors parlons échanges.

Austausch (échanges scolaires) et non Umtausch comme j’ai dit une fois par erreur à des amis (échange définitif comme quand on rapporte un objet cassé au magasin). Et non ce n’était pas un lapsus ;o)

Oma Else Café

Ma grande fille est en troisième, année charnière. En seconde les élèves peuvent partir six mois ou un an suivre une scolarité à l’étranger. Aller simple dans une famille qui fait profession d’accueillir des jeunes du monde entier. Aucun étudiant à recevoir en retour. Plusieurs organismes le proposent, le lycée l’encourage. Les filles d’une amie sont ainsi parties au Canada et aux USA. Alors je demande à la mienne :

-Ça te dirait pas ?

-Si je pars je vais oublier tout mon allemand.

Ah oui c’est vrai. Pour nous ‘’l’échange’’ c’est tous les jours. Dommage dans un sens. Car en plus de la langue, l’apprentissage de l’autonomie, d’une autre façon de vivre, sans ses parents sur le dos serait chouette.

Un peu d’air dans nos voiles assouplirait les échanges.

Ado 10-Maman 0. A tous les coups on perd !

Si je suis occupée quand elle arrive, je me fais engueuler :

-Tu ne t’intéresses pas à moi !

Si je cherche à l’aider aussi…

-Tu as envoyé tes candidatures ?

-C’est MON stage, MON problème.

OK. OK.

Equilibre délicat.

Am Ballplatz

Une connaissance de Mainz m’a demandé de l’aider à trouver une famille française pour un échange (un vrai) de deux semaines. Les amis parisiens contactés, tout de suite séduits ont contacté leur collège. Non. Impossible. Le Covid et tutti quanti vous n’y pensez pas !

Quel dommage… Entre rigidité de l’Education Nationale et films doublés, comment les petits Français pourraient-ils briller en langues étrangères ?

Autre actualité scolaire : la préparation de la seconde. Les classes, identiques depuis cinq ans, éclatent en fin de collège. L’emploi du temps du lycée est très personnalisé. Presque du sur-mesure. Chaque collégien choisit parmi une trentaine de combinaisons : 3 cours principaux, Leistungskurse, 9 cours fondamentaux Grundkurse, une éventuelle option (philo ou italien). Les profs leur donnent des recommandations pour leur matière (vert, jaune ou rouge). Parmi les choix réputés les plus durs… sport et arts (théâtre, arts plastiques ou musique). Le nombre d’heures hebdomadaires est le plus élevé… en sport. Eh oui.

La semaine dernière, j’ai assisté avec ma fille à une soirée d’information en ligne sur l’environnement numérique du collège. Différentes présentations étaient données en parallèle. Spontanément, je me serais inscrite à une seule (par devoir… les maths) et j’y serais restée, regrettant de ne pas voir le reste.

J’ai laissé mon ado piloter.

J’ai découvert comment elle faisait en classe.

Elle a ouvert toutes les sessions qui l’intéressaient : théâtre, français Abibac (double bac français/allemand), italien, histoire en anglais… puis elle a zappé de l’une à l’autre. Fais voir qui c’est qu’est connecté là ? Ah bon ?

Surprise totale pour moi : presque personne dans la présentation maths où nous n’avons fait que passer par curiosité. Pourtant ils sont un certains nombre à choisir la matière, ma fille entre autres. Mais ils n’avaient rien à apprendre sur le sujet.

Un problème se pose pour ma miss : si elle fait Abibac elle renonce à son anglais – car les forts en anglais le prendront en cours principal (ce qu’elle ne peut pas faire puisqu’elle a français), reste le cours fondamental où elle va s’ennuyer. Ni une ni deux, elle a envoyé la question à la prof qui organise les emplois du temps (un joyeux casse-tête) : pourrais-je avoir un quatrième cours principal ? Réponse : si ça colle niveau horaires pourquoi pas…

Comme j’aurais aimé dérailler du ‘’maths à tous prix’’… Choisir le sport ou l’art comme matières principales avant le bac, sans avoir l’impression de commettre une erreur ni de me fermer des portes. Ma plus jeune révise pour les interros de sport comme pour les autres matières. Cet aprem piscine :  elle veut améliorer sa rapidité à la brasse. La pédagogie allemande fait envie.

Malgré tous ces choix, notre famille manque de projets. Nous trépignons. On s’était dit qu’on resterait deux-trois ans en Allemagne. Notre quatrième année n’ouvre aucune perspective de changement. Quel départ serait compatible avec la scolarité des enfants ? Avant le lycée ? Pendant ? Rester cet été est-ce s’engager pour trois ans d’un bloc ? En ai-je envie ?

J’ai vraiment besoin de poser mes valises. Pourtant hier je proposais à mon mari de partir en famille un trimestre à l’étranger quelque part… Pour échanger notre quotidien pour un ailleurs. Aventurière casanière. La routine pour se rassurer et s’apaiser, l’évasion pour échapper à l’ennui…. Une ligne de vie que je suis les bras écartés en balancier. Là encore.

Acheter une maison à Mainz ? Oserais-je ? Pas sûre du tout…. Ça aurait quelque chose de définitif (même si c’est faux). Mais j’en ai ras-le bol de ne pas pouvoir effectuer les travaux pour mettre mon chez moi à mon gout. De râler contre notre frigo minuscule.

L’Allemagne est le pays de l’Union Européenne qui compte le plus de locataires (53%). La part d’Allemands propriétaires de leur logement varie fortement entre Berlin (17,4%) et la Saare (64.7%). La Rhénanie avec 58% se situe dans la fourchette haute, mais le marché reste peu mobile et l’immobilier cher : implantation à Mainz de sièges d’entreprises (ZDF, Schott, … et maintenant Biontech qui grossit), proximité de Francfort (ce que le Brexit ne va pas améliorer sans doute, en entrainant le rapatriement en Hessen d’activités londoniennes).

Le Brexit parlons-en… Payer un bras pour envoyer des cadeaux de noël en Angleterre et un autre pour aller chercher les nôtres à la poste, parce que bon, les frais de douane ma brave dame… Ça tourne en rond cette histoire. Régler des taxes pour financer les agents qui lisent les étiquettes (et doivent bien se marrer. On a reçu dans un carton ’’céramique et papier’’ : comprendre tasses et livres).

Janvier s’étire. Les photos d’hiver regardées en été m’interrogent… Comment survivre au ciel blanc, à l’air glacial, aux arbres nus ? Plongée dedans, je guette les chatons sur les branches (noisetiers déjà équipés), la violette égarée, le perce neige hâtif (dans ma jardinière) … Même aux jours les plus froids, la nature s’épanouit. Les jasmins d’hiver, toutes étoiles jaunes dehors éclairent les rues. Le printemps se prépare en hiver. Rien ne s’arrête. Alors je m’en sors.

(Note à moi-même : tout de même, commander du mimosa au fleuriste du marché.)

Pour les longues soirées, les guirlandes au jardin (fairy lights en anglais, les lumières de fée, c’est pas charmant ?) font des semaines sup, et nous regardons des films. Décider en famille d’un programme relève de l’impossible. J’ai renoncé aux discussions interminables pour lire dans mon lit. Avec la sortie de Spiderman, les filles ont eu un coup de cœur. Commun. Tom Holland passe ses samedis soirs en notre compagnie.

Histoire de dédramatiser la question ado, vendredi j’ai glissé la Boum. Au siècle dernier, les deux films avaient eu un franc succès en Allemagne. Toutes mes copines de Cologne connaissaient Sophie Marceau. Ma benjamine a passé son tour (y’a de l’action ? des blagues ? Euh non). Mon ado a bien aimé, ‘’mais plus personne ne parle comme ça aujourd’hui…’’ A ce point ?

Mes filles adoptent, sans pourtant les fréquenter, le parler des jeunes français. Stylé revient dans leurs phrases aussi souvent que classe, puis canon à d’autres époques. Le super classe c’est quand c’est grave stylé.

Eh oui, moi aussi j’apprends.

Et j’imagine. Si je montais un système d’échanges pour les parents ? Une école de la parentalité avec stages dans une autre famille / culture, pour apprendre ailleurs comment me comporter chez moi ?

Vous en penseriez quoi les filles ?

(Pourvu qu’elles ne répondent pas qu’elles voudraient bien un Umtausch plutôt qu’un Austausch).

Sources statistiques : de.statista.com