Einmal hin, einmal her, Rundherum, das ist nicht schwer ! *
Un pas par ci, un pas par là, un p’tit tour, c’est pas difficile (* chanson enfantine)
-…..
Vous entendez ? C’est moi qui parle à mes filles.
J’essaie à nouveau.
-….
Ça marche ?
Non ? Vous non plus vous n’entendez rien ? Décidément !
J’ai l’impression de parler dans le vide, d’émettre un simple bruit de fond, des ondes inutiles. J’ai décidé de faire la grève de la parole chez moi.
Reprenons.
Voilà un mois à la Stammtisch virtuelle des parents de la classe de ma grande (réunion qui se tient d’habitude dans un restaurant fort charmant), j’ai appris que le collège avait envoyé un message précisant les conditions de retour des livres scolaires. J’avais raté l’information planquée au fin fond d’un long courrier (la direction est peu synthétique et consulter sur smartphone un drap de lit reçu dans une appplication est frustrant). J’ai tendance à cocher la case ‘lu’ au plus vite. Si c’est important, la même info nous arrivera de façon plus claire par les profs ou les élèves. Pas cette fois.
Nous étions cinq mamans à la Stammtisch, et c’était fort sympathique de revoir des visages connus. Il a été rappelé que les livres scolaires, loués par la ville de Mainz au tiers du prix d’achat, devaient être exceptionnellement rendus au château des princes-électeurs (Kurfürstlisches Schloss) . D’habitude les gamins partent le matin pour l’école avec leur sac de bouquins. Cette année c’est dans le centre-ville et le créneau est contraint : 8-15h, un jour différent pour chaque école. Souvenons-nous que les enfants d’une même fratrie fréquentent souvent des établissements différents. Les parents d’une famille nombreuse sont priés de se déplacer autant de fois qu’il le faudra.
Info reçue, je l’ai transmise à ma progéniture. J’ai écrit le rendez-vous sur le calendrier familial accroché au mur au-dessus de la table à manger. Par chance, cela tombait un jour de congés pour mes filles dû aux oraux de l’Abitur (bac). La veille, l’une était invitée à un anniversaire, l’autre avait un projet urgent du genre fabriquer un bracelet en perles. Elles accompagnaient aussi notre chienne Gaïa chez le véto pour acheter les produits anti-bestioles-qui-piquent. Donc le temps était compté. Je les avais prévenues plusieurs fois : rapportez bien tous vos livres vendredi au plus tard !
Devinez ?
La veille.
- Heu, mon livre de maths est chez une copine.
- Moi j’ai laissé celui de français dans mon casier. Mais t’inquiète j’en ai pas besoin.
- Si, il faut le rendre.
- Ah bon ?
- Je vous l’ai dit dix fois.
- Ah non pas du tout !
- Tu vas avoir le temps d’aller le chercher le livre de maths ? Et toi celui de français ?
- Ouais…
Aller-retour au collège pour l’une, qui vidange aussi le casier de sa sœur. Rendez-vous à mi-chemin avec l’amie au livre pour l’autre. Il semblerait que les manuels soient rassemblés. Rappel de la consigne :
-Je veux les livres dans le sac, avec le formulaire de retour, prêts à partir. Ce soir.
Le jour-même : un seul sac dans le salon. Attendons et voyons. Alors que je me brosse les dents dans la salle de bains, la porte s’ouvre sur une toute petite voix…
- Je ne trouve pas mon livre de géo.
- Cherche. Envoie des messages à tes copines pour savoir où il est.
Il faut qu’on parte.
La sœur :
-Ah j’ai vu un livre de géo hier dans mon casier. Y’a mon nom dessus, mais le mien est à la maison.
Là j’ai comme les fils se touchent.
- Et tu ne l’as pas pris ?
- Ben non.
On part en voiture.
D’abord direction le collège, pour aller chercher ce fameux livre. Retour à la maison. La petite descend. J’ai changé d’avis : je prends aussi les livres qui ne sont pas à rendre (à la troisième location, les manuels restent chez les élèves), au cas où. On repart (à deux mon mari et moi) en espérant ne pas avoir à se garer, j’aime pas conduire en ville quand je ne sais pas où je vais. Le GPS qui dit les noms des rues allemandes avec un accent français, c’est tout un poème et guère compréhensible. Le mettre en anglais c’est pire. Tout en allemand, dans MA voiture ? J’ai pas le coeur.
Deuxième départ. Einmal hin, einmal her…
Appel de la grande sœur : ça y est les échanges WhatsApp de la classe ont localisé le bouquin chez une copine-voisine. Mission accomplie, elle sait où il est. Elle s’apprête à raccrocher.
-Eh oh, va le chercher ! Dépêche-toi. On revient.
Retour à la maison, pour prendre le livre de géo.
Troisième départ. Einmal hin, einmal her…
La route est en travaux. Il faut un quart d’heure pour arriver au château des Princes-Electeurs au bord du Rhin, dans le centre-ville. A mi-chemin, l’alerte carburant s’éclaire.
A proximité du château, une longue queue s’étire sous les arbres jusqu’à une entrée latérale. Au moins c’est facile à trouver. Arrêt rapide, je descends de la voiture avec mes deux sacs… Mon mari remonte travailler à domicile. Je me poste derrière tout ce beau monde. L’ombre des tilleuls est parfumée. Les 80 personnes sur le trottoir respectent les distances. Mais je ne peux m’empêcher de remarquer que :
1/ rassembler une foule en période coronesque c’est pas bien malin (rappelons-nous le cirque tests / vaccins pour aller au restau) ;
2/ je me suis fait avoir : la queue est composée en majorité de collégiens et lycéens, sans leur maman. Plus loin devant j’aperçois des copines de ma grande, derrière, un copain de ma plus jeune qui me salue de la main. A l’idée de venir, les miennes ont fait la grimace.
Attendons.
45 minutes passent. Je fais mon courrier virtuel, texto à droite et à gauche, en avançant de deux pas de temps en temps. Les sacs suivent à mes pieds.
Au seuil d’une grande porte de bois, ouverte, il faut s’arrêter. Une dame imposante en uniforme bleu marine signale quand le prochain a le droit de pénétrer. Une affiche d’une grande librairie de Mainz a été installée. Cette prestation doit être un marché sous-traité.
Je suis intriguée de découvrir l’intérieur du palais qui est un des bâtiments repères de Mainz. A l’exception d’un grand lustre éclairé, le hall d’entrée est banal comme celui d’une administration. Décevant. L’entrée principale est-elle plus imposante ?
La dame me fait signe. C’est à moi. Me voilà dans la queue intérieure longue d’une vingtaine de personnes. Ah quand même ! Le monsieur derrière moi râle avec le sourire (ah, un autre qui s’est fait avoir par ses gosses). Il parle allemand avec un accent étranger derrière un masque. Je hoche la tête d’un air entendu quand je comprends qu’il trouve absurde ce regroupement en centre-ville si loin du collège. On est d’accord. On rigole. Et il ajoute : ils vont nous refaire le coup au mois d’aout pour aller chercher les nouveaux livres. Zut. J’y avais pas pensé.
Nous attendons dans une galerie des glaces qui tient plus de Castorama rayon salles de bains que de Versailles. Enfin je touche au Graal : une pièce aux murs habillés de bois peint avec quelques moulures en hauteur, dans laquelle ont été installées cinq tables sur tréteaux. Sur chacune : un ordinateur portable, une imprimante. A côté, des caisses de livres pleines, un/e préposé/e.
Un jeune homme à mèche blanche dans des cheveux noirs me fait signe de la main. Je pose le premier paquet de livres sur son bureau. Scan, impression du bon de retour A4. Au tour de l’autre paquet de manuels. Scan du livre de géo. Hésitation. Rescan. Il me dit : “celui-là appartient à Paula Schmidt”. Quoi ? Ni à ma fille donc, ni à la copine chez qui elle l’a récupéré in extremis. Impression d’une facture à payer si personne ne le rapporte.
J’envoie un message à ma fille : continue de chercher.
A la gare en face de l’arrêt de tram, un stand de fruits locaux me fait envie. Abricots à confiture de Finthen (banlieue agricole de Mainz), 5 euros les trois kilos. Parfait. Et 500 g de cerises aussi. Merci.
Retour à la maison.
- Ça y est on a trouvé mon livre ! C’est celui qui était dans le casier de ma sœur. Avec son nom à elle dessus.
- Donc, en gros de toute l’année scolaire tu ne l’as pas vu.
Vite coacher son ado pour identifier une copine qui s’apprête à descendre au château, pour lui confier le manuel à restituer et éviter de se retaper la queue. Lui sortir son vélo. A son retour, la regarder s’assoir avec un air satisfait. « Ah je me suis bien débrouillée quand même ! »
Je n’ai pas tout perdu. Cet aller-retour m’a permis de papoter avec une maman-copine venue accompagner sa fille, de faire une confiture d’abricots (meilleure que d’habitude) et le premier clafoutis de la saison. J’y ai aussi gagné le parfum des tilleuls. Et le droit de faire la grève de la parole.
Notre échappée à Strasbourg, le week-end dernier, a failli tomber à l’eau. La veille du départ, mon mari était malade. Test, hésitation. Einmal hin, einmal her… Tout le monde avait un besoin urgent de changer de tapisserie. Sous la menace d’une mutinerie, on a décidé de tenter le coup. A quatre, avec Gaïa.
Depuis un an et demi nous vivons au vert sans presque sortir de notre quartier. J’avais réservé un hôtel dans le centre de Strasbourg. Bruit, foule, quel choc ! J’avais l’impression d’être sur la presqu’île de Lyon un huit décembre (où je n’allais jamais).
A part une escapade de quelques jours en automne au fin fond de la forêt vosgiennes, c’était notre premier retour en France depuis l’été dernier. Quelle sensation bizarre d’être surprise d’entendre du français et de se sentir touriste dans son pays (enfin, presque, ça reste l’Alsace quand même). C’est tellement plus reposant en vacances de ne pas comprendre tout ce qui se dit autour de soi.
Peu de gens avec des masques (nous). Aucune distanciation. Sur un poteau de la place Kléber, une affiche sauvage invite à refuser le vaccin. En Allemagne, je n’ai rencontré que des gens qui rêvaient d’y avoir accès. J’ai failli reprendre un touriste au petit déjeuner qui allait au buffet sans masque. Ma réaction m’a fait peur. Suis-je en train de devenir allemande ? En croquant dans un mini croissant, je me surprends à penser que décidément les Français sont ingouvernables.
Oui et heureusement. L’ordre est beaucoup plus effrayant que le fouillis.
Vous serez ravis d’apprendre que la chienne n’a bouffé aucun jogger, ni aucune rame de tram. Pourtant elle a essayé. Ma fille ne trouvait pas les Flammekuchen sur la carte du restau ; il était écrit tarte flambée. Nous avons dévalisé deux librairies. Monoprix est resté inaccessible : contrairement à la mention sur internet, le magasin était fermé le dimanche matin. Bon sang mais c’est bien sûr ! On aurait dû y penser ! Le droit local alsacien est calé sur l’allemand : tout est fermé le dimanche ! Hélas. (Par chance on a quand même trouvé une supérette alimentaire pour les madeleines, les galettes bretonnes et les sardines).
A la boulangerie (quel bonheur de pouvoir y payer sans contact), j’ai craqué pour une superbe part de gâteau au fromage blanc. Ma fille m’a demandé : “pourquoi tu prends ça ? Y’en a en Allemagne.” Parce que c’est super bon. Une pâte brisée croquante et fondante, une garniture épaisse aérienne et peu sucrée, dans laquelle on enfonce tout le visage.
En attendant le rendez-vous pour le vaccin, nous avons, sur l’insistance de notre capitaine de 10 ans, loué un bateau électrique sur l’Ill. Petit tour bucolique, sous le pont couvert et entre des rives vertes où il doit être doux de vivre, et s’imaginer en Amazonie.
Et (suspense insoutenable) OUI OUI OUI ma fille et moi avons eu notre première dose de vaccin, au vaccinodrome de Strasbourg, installé dans l’Hôtel de Département au bord de la Petite France. Inspirées par la campagne de pubs de Rheinland-Pfalz, on avait mis des manches courtes. Finalement nous étions dans l’intimité d’un box avec une madame-pompier très sympa. C’était hyper bien organisé, efficace et rapide, avec des BLAGUES ! Le médecin des pompiers nous a demandé d’apporter un gâteau au chocolat pour la deuxième dose !!! Quand je pousse la porte d’un cabinet médical allemand, j’ai toujours peur de me faire engueuler. Pourtant certaines infirmières, parfois, sourient.
Retour à Mainz dans une ambiance douce-amère. Ravie du sparadrap sur mon épaule. Mais vague cafard. C’était court et bousculé ces retrouvailles avec la France. Pourtant en Alsace, comme un bout d’Allemagne où on parle aussi français, la transition est douce.
Je trouve d’ailleurs curieux que ce soit la région retenue comme exemple dans le livre de français de ma plus jeune édité par notre Land. Certes c’est la région limitrophe de Rheinland-Pfalz. Mais pour les collégiens, quel dépaysement apportent les photos de maisons à colombages et les noms de villages aux kilos de consonnes ? Sans tomber dans la caricature franchouillarde (Paris et la côte d’Azur), ne serait-ce pas plus intéressant de présenter le Nord, la Bretagne ou le Sud-ouest (ou l’Ardèche) ? Les Allemands aiment voyager et n’ont pas peur des kilomètres mais peu s’arrêtent en Alsace sur la route de leurs vacances. L’argument de la région proche ne tient pas vraiment.
Nous avons repris notre routine.
Quelques jours plus tard j’ai reçu un un mail avec les dates de mes deux rendez-vous vaccins à Mainz (fin juillet et fin aout). Comme quoi quand on ne l’attend plus…. C’était une convocation impossible à modifier (sauf à produire un certificat d’hospitalisation ou de quarantaine) ou à honorer. J’ai reçu la confirmation par courrier : quatre pages A4. QUATRE ! Je l’ai annulée en ligne avec un pincement au cœur. Et si jamais ça ne marchait pas mon rendez-vous en France ? Il faudrait refaire l’inscription à zéro. Ma généraliste n’a toujours pas éclusé les groupes prioritaires.
Restons optimiste. Et comptons les jours avant les vacances avec le sourire. Plus de manuels scolaires, plus de notes. Les cours vont être plus décontractés d’ici la remise des bulletins en grande pompe. Pour leurs sorties de classe le 14 juillet, j’ai suggéré à mes filles de s’habiller en bleu-blanc-rouge.
Chers amis de France, d’Allemagne et d’ailleurs,
je vous souhaite un bel été,
avec assez de changement d’air pour recharger les batteries !