La valse des hésitations

Einmal hin, einmal her, Rundherum, das ist nicht schwer ! *

Un pas par ci, un pas par là, un p’tit tour, c’est pas difficile (* chanson enfantine)

-…..

Vous entendez ? C’est moi qui parle à mes filles.

J’essaie à nouveau.

-….

Ça marche ?

Non ? Vous non plus vous n’entendez rien ? Décidément !

J’ai l’impression de parler dans le vide, d’émettre un simple bruit de fond, des ondes inutiles. J’ai décidé de faire la grève de la parole chez moi.

Reprenons.

Voilà un mois à la Stammtisch virtuelle des parents de la classe de ma grande (réunion qui se tient d’habitude dans un restaurant fort charmant), j’ai appris que le collège avait envoyé un message précisant les conditions de retour des livres scolaires. J’avais raté l’information planquée au fin fond d’un long courrier (la direction est peu synthétique et consulter sur smartphone un drap de lit reçu dans une appplication est frustrant). J’ai tendance à cocher la case ‘lu’ au plus vite. Si c’est important, la même info nous arrivera de façon plus claire par les profs ou les élèves. Pas cette fois.

Nous étions cinq mamans à la Stammtisch, et c’était fort sympathique de revoir des visages connus. Il a été rappelé que les livres scolaires, loués par la ville de Mainz au tiers du prix d’achat, devaient être exceptionnellement rendus au château des princes-électeurs (Kurfürstlisches Schloss) . D’habitude les gamins partent le matin pour l’école avec leur sac de bouquins. Cette année c’est dans le centre-ville et le créneau est contraint : 8-15h, un jour différent pour chaque école. Souvenons-nous que les enfants d’une même fratrie fréquentent souvent des établissements différents. Les parents d’une famille nombreuse sont priés de se déplacer autant de fois qu’il le faudra.

Info reçue, je l’ai transmise à ma progéniture. J’ai écrit le rendez-vous sur le calendrier familial accroché au mur au-dessus de la table à manger. Par chance, cela tombait un jour de congés pour mes filles dû aux oraux de l’Abitur (bac). La veille, l’une était invitée à un anniversaire, l’autre avait un projet urgent du genre fabriquer un bracelet en perles. Elles accompagnaient aussi notre chienne Gaïa chez le véto pour acheter les produits anti-bestioles-qui-piquent. Donc le temps était compté. Je les avais prévenues plusieurs fois : rapportez bien tous vos livres vendredi au plus tard !

Devinez ?

La veille.

  • Heu, mon livre de maths est chez une copine.
  • Moi j’ai laissé celui de français dans mon casier. Mais t’inquiète j’en ai pas besoin.
  • Si, il faut le rendre.
  • Ah bon ?
  • Je vous l’ai dit dix fois.
  • Ah non pas du tout !
  • Tu vas avoir le temps d’aller le chercher le livre de maths ? Et toi celui de français ?
  • Ouais…

Aller-retour au collège pour l’une, qui vidange aussi le casier de sa sœur. Rendez-vous à mi-chemin avec l’amie au livre pour l’autre. Il semblerait que les manuels soient rassemblés. Rappel de la consigne :

-Je veux les livres dans le sac, avec le formulaire de retour, prêts à partir. Ce soir.

Le jour-même : un seul sac dans le salon. Attendons et voyons. Alors que je me brosse les dents dans la salle de bains, la porte s’ouvre sur une toute petite voix…

  • Je ne trouve pas mon livre de géo.
  • Cherche. Envoie des messages à tes copines pour savoir où il est.

Il faut qu’on parte.

La sœur :

-Ah j’ai vu un livre de géo hier dans mon casier. Y’a mon nom dessus, mais le mien est à la maison.

Là j’ai comme les fils se touchent.

  • Et tu ne l’as pas pris ?
  • Ben non.

On part en voiture.

Christus Kirche

D’abord direction le collège, pour aller chercher ce fameux livre. Retour à la maison. La petite descend. J’ai changé d’avis : je prends aussi les livres qui ne sont pas à rendre (à la troisième location, les manuels restent chez les élèves), au cas où. On repart (à deux mon mari et moi) en espérant ne pas avoir à se garer, j’aime pas conduire en ville quand je ne sais pas où je vais. Le GPS qui dit les noms des rues allemandes avec un accent français, c’est tout un poème et guère compréhensible. Le mettre en anglais c’est pire. Tout en allemand, dans MA voiture ? J’ai pas le coeur.

Deuxième départ. Einmal hin, einmal her…

Appel de la grande sœur : ça y est les échanges WhatsApp de la classe ont localisé le bouquin chez une copine-voisine. Mission accomplie, elle sait où il est. Elle s’apprête à raccrocher.

-Eh oh, va le chercher ! Dépêche-toi. On revient.

Retour à la maison, pour prendre le livre de géo.

Troisième départ. Einmal hin, einmal her…

La route est en travaux. Il faut un quart d’heure pour arriver au château des Princes-Electeurs au bord du Rhin, dans le centre-ville. A mi-chemin, l’alerte carburant s’éclaire.

A proximité du château, une longue queue s’étire sous les arbres jusqu’à une entrée latérale. Au moins c’est facile à trouver. Arrêt rapide, je descends de la voiture avec mes deux sacs… Mon mari remonte travailler à domicile. Je me poste derrière tout ce beau monde. L’ombre des tilleuls est parfumée. Les 80 personnes sur le trottoir respectent les distances. Mais je ne peux m’empêcher de remarquer que :

1/ rassembler une foule en période coronesque c’est pas bien malin (rappelons-nous le cirque tests / vaccins pour aller au restau) ;

2/ je me suis fait avoir : la queue est composée en majorité de collégiens et lycéens, sans leur maman. Plus loin devant j’aperçois des copines de ma grande, derrière, un copain de ma plus jeune qui me salue de la main. A l’idée de venir, les miennes ont fait la grimace.

Kurfürstlisches Schloss

Attendons.

45 minutes passent. Je fais mon courrier virtuel, texto à droite et à gauche, en avançant de deux pas de temps en temps. Les sacs suivent à mes pieds.

Au seuil d’une grande porte de bois, ouverte, il faut s’arrêter. Une dame imposante en uniforme bleu marine signale quand le prochain a le droit de pénétrer. Une affiche d’une grande librairie de Mainz a été installée. Cette prestation doit être un marché sous-traité.

Je suis intriguée de découvrir l’intérieur du palais qui est un des bâtiments repères de Mainz. A l’exception d’un grand lustre éclairé, le hall d’entrée est banal comme celui d’une administration. Décevant. L’entrée principale est-elle plus imposante ?

La dame me fait signe. C’est à moi. Me voilà dans la queue intérieure longue d’une vingtaine de personnes. Ah quand même ! Le monsieur derrière moi râle avec le sourire (ah, un autre qui s’est fait avoir par ses gosses). Il parle allemand avec un accent étranger derrière un masque. Je hoche la tête d’un air entendu quand je comprends qu’il trouve absurde ce regroupement en centre-ville si loin du collège. On est d’accord. On rigole. Et il ajoute : ils vont nous refaire le coup au mois d’aout pour aller chercher les nouveaux livres. Zut. J’y avais pas pensé.

Nous attendons dans une galerie des glaces qui tient plus de Castorama rayon salles de bains que de Versailles. Enfin je touche au Graal : une pièce aux murs habillés de bois peint avec quelques moulures en hauteur, dans laquelle ont été installées cinq tables sur tréteaux. Sur chacune : un ordinateur portable, une imprimante. A côté, des caisses de livres pleines, un/e préposé/e.

Un jeune homme à mèche blanche dans des cheveux noirs me fait signe de la main. Je pose le premier paquet de livres sur son bureau. Scan, impression du bon de retour A4. Au tour de l’autre paquet de manuels. Scan du livre de géo. Hésitation. Rescan. Il me dit : “celui-là appartient à Paula Schmidt”. Quoi ? Ni à ma fille donc, ni à la copine chez qui elle l’a récupéré in extremis. Impression d’une facture à payer si personne ne le rapporte.

J’envoie un message à ma fille : continue de chercher.

A la gare en face de l’arrêt de tram, un stand de fruits locaux me fait envie. Abricots à confiture de Finthen (banlieue agricole de Mainz), 5 euros les trois kilos. Parfait. Et 500 g de cerises aussi. Merci.

Retour à la maison.

  • Ça y est on a trouvé mon livre ! C’est celui qui était dans le casier de ma sœur. Avec son nom à elle dessus.
  • Donc, en gros de toute l’année scolaire tu ne l’as pas vu.

Vite coacher son ado pour identifier une copine qui s’apprête à descendre au château, pour lui confier le manuel à restituer et éviter de se retaper la queue. Lui sortir son vélo. A son retour, la regarder s’assoir avec un air satisfait. « Ah je me suis bien débrouillée quand même ! »

Je n’ai pas tout perdu. Cet aller-retour m’a permis de papoter avec une maman-copine venue accompagner sa fille, de faire une confiture d’abricots (meilleure que d’habitude) et le premier clafoutis de la saison. J’y ai aussi gagné le parfum des tilleuls. Et le droit de faire la grève de la parole.

Notre échappée à Strasbourg, le week-end dernier, a failli tomber à l’eau. La veille du départ, mon mari était malade. Test, hésitation. Einmal hin, einmal her… Tout le monde avait un besoin urgent de changer de tapisserie. Sous la menace d’une mutinerie, on a décidé de tenter le coup. A quatre, avec Gaïa.

Depuis un an et demi nous vivons au vert sans presque sortir de notre quartier. J’avais réservé un hôtel dans le centre de Strasbourg. Bruit, foule, quel choc ! J’avais l’impression d’être sur la presqu’île de Lyon un huit décembre (où je n’allais jamais).

A part une escapade de quelques jours en automne au fin fond de la forêt vosgiennes, c’était notre premier retour en France depuis l’été dernier. Quelle sensation bizarre d’être surprise d’entendre du français et de se sentir touriste dans son pays (enfin, presque, ça reste l’Alsace quand même). C’est tellement plus reposant en vacances de ne pas comprendre tout ce qui se dit autour de soi.

Peu de gens avec des masques (nous). Aucune distanciation. Sur un poteau de la place Kléber, une affiche sauvage invite à refuser le vaccin. En Allemagne, je n’ai rencontré que des gens qui rêvaient d’y avoir accès. J’ai failli reprendre un touriste au petit déjeuner qui allait au buffet sans masque. Ma réaction m’a fait peur. Suis-je en train de devenir allemande ? En croquant dans un mini croissant, je me surprends à penser que décidément les Français sont ingouvernables.

Oui et heureusement. L’ordre est beaucoup plus effrayant que le fouillis.

Strasbourg

Vous serez ravis d’apprendre que la chienne n’a bouffé aucun jogger, ni aucune rame de tram. Pourtant elle a essayé. Ma fille ne trouvait pas les Flammekuchen sur la carte du restau ; il était écrit tarte flambée. Nous avons dévalisé deux librairies. Monoprix est resté inaccessible : contrairement à la mention sur internet, le magasin était fermé le dimanche matin. Bon sang mais c’est bien sûr ! On aurait dû y penser ! Le droit local alsacien est calé sur l’allemand : tout est fermé le dimanche ! Hélas. (Par chance on a quand même trouvé une supérette alimentaire pour les madeleines, les galettes bretonnes et les sardines).

A la boulangerie (quel bonheur de pouvoir y payer sans contact), j’ai craqué pour une superbe part de gâteau au fromage blanc. Ma fille m’a demandé : “pourquoi tu prends ça ? Y’en a en Allemagne.” Parce que c’est super bon. Une pâte brisée croquante et fondante, une garniture épaisse aérienne et peu sucrée, dans laquelle on enfonce tout le visage.

En attendant le rendez-vous pour le vaccin, nous avons, sur l’insistance de notre capitaine de 10 ans, loué un bateau électrique sur l’Ill. Petit tour bucolique, sous le pont couvert et entre des rives vertes où il doit être doux de vivre, et s’imaginer en Amazonie.

Et (suspense insoutenable) OUI OUI OUI ma fille et moi avons eu notre première dose de vaccin, au vaccinodrome de Strasbourg, installé dans l’Hôtel de Département au bord de la Petite France. Inspirées par la campagne de pubs de Rheinland-Pfalz, on avait mis des manches courtes. Finalement nous étions dans l’intimité d’un box avec une madame-pompier très sympa. C’était hyper bien organisé, efficace et rapide, avec des BLAGUES ! Le médecin des pompiers nous a demandé d’apporter un gâteau au chocolat pour la deuxième dose !!! Quand je pousse la porte d’un cabinet médical allemand, j’ai toujours peur de me faire engueuler. Pourtant certaines infirmières, parfois, sourient.

Retour à Mainz dans une ambiance douce-amère. Ravie du sparadrap sur mon épaule. Mais vague cafard. C’était court et bousculé ces retrouvailles avec la France. Pourtant en Alsace, comme un bout d’Allemagne où on parle aussi français, la transition est douce.

Je trouve d’ailleurs curieux que ce soit la région retenue comme exemple dans le livre de français de ma plus jeune édité par notre Land. Certes c’est la région limitrophe de Rheinland-Pfalz. Mais pour les collégiens, quel dépaysement apportent les photos de maisons à colombages et les noms de villages aux kilos de consonnes ? Sans tomber dans la caricature franchouillarde (Paris et la côte d’Azur), ne serait-ce pas plus intéressant de présenter le Nord, la Bretagne ou le Sud-ouest (ou l’Ardèche) ? Les Allemands aiment voyager et n’ont pas peur des kilomètres mais peu s’arrêtent en Alsace sur la route de leurs vacances. L’argument de la région proche ne tient pas vraiment.

Nous avons repris notre routine.

Quelques jours plus tard j’ai reçu un un mail avec les dates de mes deux rendez-vous vaccins à Mainz (fin juillet et fin aout). Comme quoi quand on ne l’attend plus…. C’était une convocation impossible à modifier (sauf à produire un certificat d’hospitalisation ou de quarantaine) ou à honorer. J’ai reçu la confirmation par courrier : quatre pages A4. QUATRE ! Je l’ai annulée en ligne avec un pincement au cœur. Et si jamais ça ne marchait pas mon rendez-vous en France ? Il faudrait refaire l’inscription à zéro. Ma généraliste n’a toujours pas éclusé les groupes prioritaires.

Restons optimiste. Et comptons les jours avant les vacances avec le sourire. Plus de manuels scolaires, plus de notes. Les cours vont être plus décontractés d’ici la remise des bulletins en grande pompe. Pour leurs sorties de classe le 14 juillet, j’ai suggéré à mes filles de s’habiller en bleu-blanc-rouge.

Chers amis de France, d’Allemagne et d’ailleurs,

je vous souhaite un bel été, 

avec assez de changement d’air pour recharger les batteries !

La Moselle au fil des vignes

Quelques jours de vacances sur les rives de la Moselle. Vignobles escarpés, villages de contes de fées. Un petit air de liberté au goût de glace à la fraise.

Avant la Moselle pour moi c’était un coin indécis du nord-est de la France : département ? région ? rivière ? Je n’y avais jamais mis les pieds et n’en avais pas envie. Même après trente ans à Lyon, mes vacances en France c’était partout sauf dans le nord-est et je situe le début du nord entre Valence et Vienne.

Maintenant que j’habite encore plus au nord, et que l’ancienne Moselle est au sud (vous suivez ?) je sais que c’est une rivière (ouf, et un département, oui). Elle prend sa source en France, traverse le Luxembourg et sillonne l’Allemagne jusqu’au Deutsches Eck à Koblenz où elle se jette dans le Rhin. Le décompte à rebours des 195 kilomètres depuis Trier (Trêves) est affiché sur la rive de ce cours d’eau international.

Nous l’avons aperçue la première fois lors de notre excursion au château d’Eltz (voir article : Burg Eltz). Même sous le soleil de mars, la vallée dégageait une impression sombre avec l’eau et le sol bruns, les arbres nus, les rochers de schiste et les toits d’ardoise.

La découverte de ses rives vantées par les guides touristiques faisait partie de nos plans de week-end depuis notre installation à Mainz. Notre première tentative était tombée à l’eau faute de place dans les hôtels convoités (ah cette manie de vouloir réserver deux semaines avant la date… ). Une maman de l’école m’avait raconté leur escapade familiale de quelques jours. Ça m’avait fait envie. Partis de Mainz en train avec leurs vélos à bord, ils avaient fait une rando itinérante entre les villages. Maintenant avec le chien, ça devient compliqué. Hélas.

Pour les vacances de Pentecôte, après la colo de cheval de nos filles nous avons décidé de partir au vert en famille. Pour assurer notre départ juste après la fin du confinement, et donc ne passer aucune frontière, nous avons mis le cap sur la Moselle. C’est le coin qui nous proposait le plus de dépaysement sans quitter le Rheinland-Pfalz. Nous sommes donc partis avec des tonnes de sacs (pourquoi ?), de quoi nous faire à manger pour 10 jours (au cas où les restaus restent inaccessibles) et la niche du chien (pliable) pour un gîte loué à Trittenheim, en amont de la partie touristique.

Beilstein

Après un pique-nique improvisé dans une forêt (où le muguet est sur la fin mais où un ravissant petit nid tombé nous a accueillis), nous nous garons à Beilstein. Ce petit village moyenâgeux préservé est niché au pied de parois de vignobles sous une ruine de château. Il fait beau et très chaud. (Le changement de météo a été soudain : quelques jours plus tôt c’était encore écharpe et blouson). Le parking le long de la route est presque plein. Nous grimpons à travers des vignes escarpées. On a pris par mégarde le chemin étroit des vignerons dans la terre et le schiste friable : la vue est plus dégagée que dans les ruelles, mais j’ai besoin de me concentrer sur mes pas pour ne pas céder au vertige.

La Moselle, le monorail

Un monorail digne du Space mountain serpente entre les ceps. Nous découvrirons le soir qu’il sert à tracter un chariot de type bobsleigh-de-fret pour descendre le raisin. Pas de terrasses comme en Ardèche. Les rangées de vignes parallèles plongent tout droit sur des pistes noires. Les vins de Moselle chers à Jacques Brel poussent sur des vignobles tout schuss.

Dans la cour intérieure de ce qui reste du château de Metternich (qui est une propriété privée) nous découvrons avec surprise que pour la première fois depuis des millions d’années, la terrasse du café est accessible sans test corona. Bonheur de se faire servir une eau gazeuse fraiche et un petit Apfelstrudel.

Les ruelles étroites de maisons à colombages serpentent autour de terrasses de café. La Marktplatz, place du marché, date du début du XIVème siècle. Partout les enseignes de vignerons proposent des dégustations. Nous préférons visiter l’église baroque de l’ancien couvent de carmélites, claire et fraîche. Les murs sont blancs, les hautes fenêtres sans vitraux et les décorations peintes de couleurs douces. Une bulle de lumière gaie. Devant nous, une pélerine de Saint-Jacques, sa coquille pendue au sac, se recueille à genoux. J’adore les églises vides. J’y fais le plein de paix. Là je dois garder un œil sur ma fille qui tente d’ouvrir la porte d’un confessionnal (pourquoi y’en a-t-il cinq ?). Mon mari garde le chien dehors. Nous visitons en alternance.

Redescente vers la voiture. La pélerine et une copine attendent le bac pour l’autre rive. Il coulisse le long d’un câble, comme celui que j’avais pris à Bâle avec Susanne mon amie allemande d’enfance (voir article : L’amitié franco-allemande prend sa source en Espagne). Nous rembarquons pour descendre à Tritterheim, en amont de la rivière (oui, encore une qui coule vers le nord).

Notre gite est au deuxième étage d’une maison au bord de la route (ça ne se voyait pas sur les photos), dans une exploitation viticole. Juste en face se dresse une arche construite en pierres et caisses de bouteilles de vin où le village salue ses visiteurs. Willkommen / Bis bald (bienvenue / à bientôt). Sur un des poteaux est affichée la photo d’une jeune femme élégante avec une couronne et un verre de blanc à la main : la dernière reine locale.  Elles sont choisies tous les deux ans semble-t-il à la fête du vin du village.

L’appartement bien équipé est extrêmement propre. Je mets la pression sur ma famille : il ne s’agit pas de rendre le logement en piteux état. On fait toujours attention, mais là, où nous louons pour la première fois en Allemagne chez l’habitant, il en va de notre honneur franco-anglais. Ma fille trépigne, avec un grand sourire elle demande à la propriétaire :

-On peut se baigner dans la Moselle ?

-Oh non. Y’a des algues qui grattent et des bateaux dangereux.

Elle fait la grimace. Comme nous tous. Zut ! Tant pis pour les maillots.

Péniche (si, si, au fond)

Par moment on aperçoit une péniche de marchandises qui navigue sur la rivière (moins imposantes que celles qui croisent sur le Rhin). Dans certains villages, de longs quais ont été bâtis pour les accueillir. Ce trait de béton droit sur la rive d’un cours d’eau tout en courbes, le contraste entre industrie et paysage bucolique sont insolites. L’extérieur des virages, érodé par le courant est escarpé, l’intérieur tout en douceur. Pas de canoé ni de kayak sauf dans un ou deux coins touristiques. Personne ne se baigne. Difficile de voir dans quel sens le courant coule, l’eau marron entre des rives vertes semble immobile, domptée par des barrages et écluses. La Moselle est un décor à ne pas toucher.

Je discute avec la propriétaire du gîte dans la cour, à bonne distance. Elle et son mari exploitent 3 ha de vignes autour de chez eux et un peu en face dans les pentes. Ils ont vendu les endroits les plus escarpés. Le travail en dévers est trop dur pour leurs articulations. C’est la raison pour laquelle leurs enfants ont renoncé à prendre la suite. Je ne sais pas comment ils font. Dans plusieurs vignobles j’aurais refusé de descendre autrement que sur les fesses. J’aurais même choisi de faire le tour. Elle me pose des questions sur notre famille polyglotte, me dit qu’elle ne pourrait pas travailler dans un bureau et me demande ce que je fais dans la vie. Je lui parle de mon écriture et lui donne l’adresse de mon blog. Elle le consultera grâce une application de traduction.

Trittenheim (à droite)

Rapide tour dans le village. Il s’étale à l’intérieur d’une ample boucle de la Moselle, à l’écart des destinations touristiques. Sur la plupart des maisons des enseignes invitent à acheter du vin (Weingut, Weinprobe, Winzer, Weinverkauf …) et presque toutes proposent des chambres à louer. 1000 habitants, 800 lits d’accueil, 50 exploitants (150 il y a quelques années). Le vignoble est très morcelé. Presque aucun magasin. Une poignée de restaurants dont un étoilé.

Notre premier jour est un jour férié (jeudi de Fronleichnam). La seule activité se concentre auprès de la mairie pour les tests du corona. La boulangerie est fermée. L’office de tourisme aussi. Nous achetons nos Brötchen frais à la station-service en face de chez nous, qui les cuit sur place.

Au départ en balade, nous longeons la Moselle et la prairie d’accueil des campings cars. Tout le long de la rivière s’égrènent des villages et autant de pelouses à camping-cars. Aucune tente. Les véhicules sont garés comme des œufs dans une boite, parallèles et assez serrés. Sous l’auvent, une table et des chaises. Sur le toit une parabole. Vue imprenable sur le camion du voisin. C’est parti pour les vacances au bord d’une rivière où on ne peut pas se baigner. Certains s’installent pour toute la belle saison. Nous n’avons encore trouvé aucun endroit où planter notre tente en Allemagne ailleurs que sur un parking. Moi qui pensais que le camping était un loisir de pleine nature. Faudra qu’on m’explique.

La tour de l’ancien passeur du bac

Deux tours carrées blanches de part et d’autre de l’eau m’intriguent. J’apprendrai qu’elles hébergeaient les passeurs du bac. Sur le pont, les filles portent Gaïa ; elle a la pétoche, voudrait s’éloigner des bords, et marcher au milieu de la route. Dans les vignes sur un rocher, un cadran solaire, et en grandes lettres Trittenheimer Apotheke (pharmacie de Trittenheim). Je me dis que ce doit être le sponsor du carré. Mon mari me dit que non. Il a lu que c’était une appellation du vin local.

Grimpette sur le chemin vers la Grillhütte.

A louer pour barbecues

C’est formidable ça. En Rheinland-Pfalz (et peut-être partout en Allemagne), chaque ville ou village dispose dans la forêt d’une cabane à barbecue et la loue à qui veut. En décembre 2019, la fête de Noël de la classe de ma benjamine avait été organisée dans celle de notre quartier, en pleine forêt, dans la nuit et sous la pluie. Extra ! Celle de Trittenheim est luxueuse. Longues tables et bancs sous des bouleaux, cabane fermée en cas de pluie, barbecue abrité un peu à l’écart. Toboggan, cage de football et toilettes. Le tout sur un grand pré calé contre la forêt, accessible en voiture pour apporter le matériel. Les troncs d’arbre portent des traces d’escalade.

Ça râle un peu dans notre sillage. Trop chaud, mal à la tête, quand est-ce qu’on rentre ? On mange une glace ? Ok une glace à la pizzeria au retour (on commandera derrière un monsieur qui prend 6 boules dans un pot, pour lui tout seul). A condition de pousser un peu pour aller voir la chapelle Saint-Laurent sur la crête dans les vignes. Toute blanche, elle est visible depuis la route. La grande croix, mémorial aux morts des deux guerres mondiales me met mal à l’aise. Il n’y a pas de hiérarchie dans les morts bien sûr. Mais je ne peux m’empêcher de penser : si certains avaient foutu la paix au monde… L’orage menace puis s’éloigne. Le dîner en terrasse s’approche.

Le restaurant où ma fille et mon mari ont réservé est charmant. Dans un village un peu en amont du nôtre, à une poignée de kilomètres de l’autre côté de la boucle de la Moselle. Il occupe le rez-de chaussée surélevé d’une grosse maison en bordure de rivière, avec vue sur les vignobles et la petite chapelle blanche. La serveuse nous explique qu’elle est lituanienne et que leur établissement rouvre le jour-même post confinement. Le chef est son mari et a gagné le championnat du monde de cuisine en Afrique du Sud.

Dans cette contrée viticole, nous devons être des clients décevants : je ne bois pas de vin et mon mari un verre. Par contre on mange. Gaspacho au poulpe, veau aux pommes de terre violettes et dessert glacé au pamplemousse. Le Flammkuchen de ma plus jeune est craquant et fondant comme il faut. Un délice. Premier repas en terrasse depuis fin août dans la lumière douce près de tilleuls aux fleurs non écloses. Partout du vert. Le bonheur.

Trier, Porta Nigra

Le troisième jour, nous avons décidé de visiter Trier (Trêves). Mon unique passage date d’il y a plus de trente ans. A dix-sept ans, j’étais alors en stage pour l’été chez Ikea à Cologne. Je logeais chez une amie américaine musicienne mariée à un Allemand. Un samedi nous avions pris le train pour découvrir la cité romaine, plus ancienne ville d’Allemagne. Je me souviens avoir eu très chaud et soif et de m’être ennuyée à arpenter de longues rues inintéressantes. La pause dans l’ombre de l’imposante Porta Nigra, vestige des remparts romains et symbole de la ville m’avait sauvée. Je ne le dis pas à mes filles. Peut-être que ça me plaira plus cette fois ?

Après une grosse demi-heure de route, nous arrivons dans la zone commerciale de Trier. Sur la droite on aperçoit les falaises rouge brique de la Moselle. Un panneau mentionne le jumelage avec Metz, à 100 km. On se gare dans un parking en étage. Direction la place du marché charmante avec ses maisons à colombages. Le centre piéton est bondé, les points de dépistage rapide du corona se signalent par de longues queues. Direction la cathédrale. Mon mari et moi visitons à tour de rôle, il faut garder Gaïa (Grrrr). Lorsque les cloches sonnent au-dessus de sa tête, elle se met à hurler comme un loup.

Trier, cathédrale

J’entre seule. Les styles sont variés, plutôt chargés. Les deux chœurs, un à chaque bout, désorientent un peu. Au fond, un escalier monte vers une chapelle réputée héberger la tunique du Christ. La foule s’agglutine devant un porche. Je me hâte. Une porte latérale s’ouvre sur un cloître gothique presque désert pour ma dose de paix du jour. Il donne sur la Liebfrauenkirche, (l’église Notre-Dame) elle aussi classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Elle est inaccessible car une messe est en cours. Dommage.

Les filles en ont déjà marre. Elles ont repéré sur notre carte la pub d’un restau mexicain. Nous nous installons pour croquer dans des fajitas brûlantes et dégoulinantes en terrasse. On sursaute chaque fois que Gaïa aboie, au passage d’un deux-roues. Lorsque le monsieur à quelques tables de nous allume son cigare et nous empeste, je me dis que pour une fois nous aussi on dérange le monde. Hé, hé. N’empêche, j’en suis fort gênée. Je préfère l’anonymat.

Trier, pont romain

Pas de musée, non la patience collective s’effiloche. On va tenter de voir les vestiges romains éparpillés, dont plusieurs sont aussi classés au patrimoine mondial. On serpente dans la foule jusqu’à des rues plus calmes, non piétonnes, et sans intérêt. Nous passons par hasard devant la maison natale de Karl Marx (belle maison bourgeoise…). Nous rasons les murs côté trottoir à l’ombre. Une allée couverte de marronniers en fleurs nous rafraichit. La chaleur et la lassitude me rappellent ma visite précédente. Arrivés au quai, la route à traverser a beaucoup de trop de voies. Les voitures filent sur le pont. T’es sûr que c’est ça le pont romain ? Quelques pas de côté pour en découvrir le profil. Sous le tablier de goudron, les piliers en pierres noires et briques rouges ont l’air antique. Respectable certes, mais peu respecté avec toute cette circulation. Décevant.

Maison natale de Karl Marx

Allons voir les thermes.

En quittant le quai, nous passons à côté d’une zone de fouilles archéologiques sans nous arrêter, avant de nous rendre compte qu’il s’agit des Barbarathermen (thermes de Sainte-Barbe). Retour sur nos pas pour emprunter la passerelle au-dessus des ruines. Beaucoup de murs de pierres sont couverts d’un toit au ras de leur hauteur (pour les protéger de l’érosion ? pour abriter les archéologues ?). Du coup, depuis la passerelle on ne voit pas grand-chose. Pas de vue d’ensemble : on est trop bas. Pas de compréhension de l’architecture : trop haut. Des panneaux expliquent qu’il y a deux piscines, dont une sous une des maisons voisines. On veut bien les croire. La photo aérienne de la sortie est plus claire. J’en connais qui préfèreraient se baigner dans une piscine avec de l’eau dedans (moi).

Allez courage les filles, par là on va voir d’autres thermes et l’amphithéâtre. Oui, oui, oui, on ira prendre une glace après. Pause pour boire sous les tilleuls verts de la promenade. Hydratation canine. Ça râle et ça traine. Avec mon mari on garde le cap. Nous essayons de montrer l’exemple et de motiver notre descendance à l’Histoire mais au fond on en a ras le bol aussi. Nous suivons une avenue sans charme hormis les arbres.

Nouveaux thermes, ceux de l’empereur. De l’extérieur, un vestige de grand mur. Pour entrer il faudrait contourner l’espace extérieur. On va faire l’impasse. Pareil sur l’amphithéâtre : il est encore trop loin le long de routes à forte circulation pour notre état de fatigue et la chaleur.

Sur le retour vers le centre-ville, nous reparlons de notre visite aux thermes romains de Bath en Angleterre. Rien à voir. D’abord ils sont très bien conservés (ceux de Trier ont été récupérés après un détournement d’usage et des destructions), mais ensuite leur pierre blonde est gaie. Ici les blocs semblent grossiers, la pierre triste. Rien à voir non plus avec ceux des vestiges romains du sud de la France aux pierres claires.

Cap sur le glacier. Ma grande fille a cessé de parler depuis un moment et tient la chienne en faisant son boulot d’ado (la tronche). Longue queue à la boutique près de la cathédrale pour une boule de glace à la fraise fraiche délicieuse (et une autre au citron, parce que bon…). Allez vite, un p’tit tour à la Porta Nigra et on s’en va.

Retour à la place du marché, toujours aussi charmante mais écrasée de soleil et de foule. Nous suivons une rue commerçante piétonne avant de voir la muraille noire en blocs grossiers. Son appellation date du XIème siècle : la noirceur n’est pas due à la pollution moderne. On lève la tête pour contempler. On passe sous les arcades dans une ambiance d’oubliettes en guettant les odeurs fétides. Non ça va. Là dans son ombre j’aperçois l’Estelle de 17 ans, lasse d’ennui et de chaleur. Mes impressions du jour sont les mêmes. Eh, copine d’il y a longtemps, tu me fais une petite place ?

Sans doute faudrait-il prendre le temps d’entrer dans les musées. Mais au niveau du tourisme familial rapide (avec un chien), c’est décevant. Ce que j’ai goûté ne me donne, à nouveau, pas envie de revenir.

Rentrés au gite, l’orage gronde. Ça me va bien j’adore les orages et à Mainz il n’y en a presque jamais, ils sont détournés par le coude du Rhin et le massif du Taunus. Sous la pluie torrentielle, nous allons commander des pizzas. Les boites en carton chaudes réchauffent les doigts mouillés.

Bernkastel

Le lendemain, quatrième jour, la motivation des troupes pour des excursions étant au plus bas, mon mari et moi partons seuls. Sans enfants, sans chien !!!  Direction un double village plus bas sur la rivière : Bernkastel-Kues. Heureusement que grâce au corona, les parkings à cars sont vides.

Kues, ancienne gare

Le centre du village tout en ruelles étroites, maisons à colombages antiques penchées les unes vers les autres pourrait être charmant. Mais les peintures trop neuves et clinquantes, les magasins de souvenirs trop nombreux agacent. Les façades blanches brillent, les colombages rouges reluisent. Nous apprécions de pouvoir marcher sans laisse au propre comme au figuré. On connaît la musique. Traversée du village, montée aux ruines du château, photos, descente. Il fait gris et frais. Les acacias dans la montée sentent bon et les marguerites sourient de partout.

Bernkastel

Au bout d’une ruelle on se trouve une place pour déjeuner dans un restau touristique mais correct. Steak de porc, crudités (soyons raisonnables, j’ai repéré dans la boulangerie un gâteau au fromage pour le gouter). Peu après, dans une rue plus haut, un macaron Michelin signale un établissement au nom français (La rôtisserie royale). Le menu sur l’ardoise est au même prix raisonnable que ce que nous venons de payer. Ce sera pour la prochaine fois.

A notre retour, l’appartement est vide et les clefs accrochées à l’entrée. Les filles sont parties se balader au bord de la rivière avec Gaïa en oubliant de les prendre. Elles ont dû râler… Tiens, une bosse sur un lit. Je soulève la couette : quelques sacs installés en longueur comme une personne endormie… Ah, ah. Personne sous les lits. Surprise : elles sortent toutes les deux de l’armoire, la chienne muette dans les bras.

Comme elles n’ont pas bougé de la journée elles réclament une sortie. Identification à la dernière minute d’un restau avec des places de libres. Il pleut ce sera donc dedans sous condition de réaliser un test Corona fourni par l’établissement. Soit. On procède aux gestes demandés (voir article : Je rêve d’avoir mal à l’épaule gauche). Wiener Schnitzel et truite meunière. (Ça se dit pareil en allemand : les meunières attrapaient-elles les truites dans le ruisseau de leur moulin ?). Dernière soirée, bon d’accord, on regarde un puis deux épisodes de Miranda calés sous la couette tous les quatre, Gaïa dans le bras de la grande. Le chef chez nous a dix ans.

Au moment du départ (gite bien rangé, oui, oui), nous échangeons à nouveau avec la propriétaire. Elle me parle de ses quatre niveaux de TVA et de la nécessité d’être digitalisé. Je lui pose quelques questions. Ça veut dire quoi Strausswirtschaft ? Ce sont les ‘‘troquets-bouquet’’, des vignerons qui ont le droit trois mois par an de vendre des bricoles à manger : fromage, charcuterie, pain. Ils étaient signalés avant par un bouquet (Strauss) devant la porte. En Bade-Wurtemberg ça se dit Besenwirtschaft, où c’était repéré par un balai.

Sur le chemin du retour nous avons encore deux étapes.

Bremm, au fond les vignobles à 65° de pente

Direction Bremm, dans une autre boucle de la Moselle, bourg endormi au pied de vignobles à 65° les plus pentus d’Europe. Le ciel est blanc. Les rochers et les toits sombres. Ma fille dit : « on dirait un village dans un livre d’histoires, là où vivent les enfants malheureux ». Au bout du chemin après l’église, la vue est superbe. Je m’en contente. Au-delà part un escalier pour une via ferrata à travers les vignes de Bremmer Calmont. Un panneau précise que c’est interdit aux personnes sujettes au vertige. Déjà au milieu de l’escalier la tête me tourne… 

Wiener Schnitzel et truite meunière en terrasse, au son d’une petite fontaine.

Cochem

Dernière étape Cochem, gros bourg touristique. Plus gros bourg que Bernkastel-Kues, avec collège et lycée et même une librairie au milieu des boutiques de vin et de souvenirs. Château de conte de fées en pierres noires sur un sommet de colline reconstruit au XIXème, maisons colorées en bord de rivière, rues étroites et maisons antiques à colombages. Devinez ? Glace, oui glace (fraise-rhubarbe). Montée au château. Photos, difficiles à prendre sur fond de ciel blanc.

Cochem, Marktplatz

Nostalgie de fin de vacances et de dimanche soir cumulées. Soudain on se souvient des devoirs à faire pour le lendemain, faudrait pas trainer. « T’inquiète maman c’est juste des révisions». Retour sous un ciel toujours blanc. Il fait presque froid.

La route est aussi belle qu’à l’aller. Dans les jardins, les rhododendrons sont en fleur, magnifiques. La terre doit être acide (terre de bruyère se dit Rhododendronerde, terre de rhododendron). Dans les bas-côtés le bleu des ancolies et lupins sauvages attire l’œil. Après quelques lacets très serrés pour quitter la vallée, nous retrouvons des champs, puis l’autoroute et des forêts d’éoliennes immobiles.

On écoute un CD de Cabin pressure qu’on connait par cœur mais qui nous fait toujours autant rire. Gaïa s’est habituée à la voiture. C’est de bon augure pour nos dizaines d’heures de route de cet été, quand nous pourrons enfin franchir des frontières.

Vous aussi maintenant vous avez envie d’une petite glace non ?

Je rêve d’avoir mal à l’épaule gauche

Délai d’accès à la vaccination & fanatisme autour des tests rapides. C’est plus violent qu’on ne le pense.

Cathédrale de Trier

Voici un article commencé comme un billet d’humeur bref. Au fil des mots j’ai découvert que j’avais plus de choses sur le cœur que je ne le pensais.

Comme on dit en Provence, je suis colère contre la pandémie. Vous l’aurez compris. Je dirige mon ire contre ses parties émergées : la vaccination-mirage et la test-mania de mes concitoyens.

Je viens de lire un article de femmexpat.com sur la vaccination en France des Français résidents à l’étranger. Je me pose la question depuis qu’en France c’est open bar de l’injection (sous réserve de trouver un créneau). Seule la quarantaine au retour à Mainz a empêché mon évasion sanitaire.

Sur le site de Rheinland-Pfalz, je guette tous les jours l’ouverture des priorités. Des amies encourageantes m’avaient dit : « Sois patiente, ce sera pour juin ». Début juin, que nenni. Ça n’a pas changé depuis le 23/04. Les règles sont les mêmes : hors professions sensibles, priorité à tout le monde sauf aux non-salariés. Le message reçu n’est pas très valorisant. Si vous n’avez pas d’employeur vous n’êtes rien. Ne peut-on exister que par rapport à autrui ?

On n’est pas à un jour près non. Mais les choses se précisent : l’Espagne ouvre ses frontières aux touristes vaccinés. La ségrégation à l’immunisation ne fait que commencer. Peut-être qu’en août un tampon bien placé conditionnera l’exemption de quarantaine au retour de France ?

Bremm

En arrivant pour nos vacances dans la vallée de la Moselle nous avons eu la surprise de voir levée l’obligation de présenter un test négatif pour s’attabler en terrasse. Ça nous a permis de redécouvrir le bonheur de se faire servir dans un joli cadre. Le masque n’est plus obligatoire dans les rues. Juste entre le trottoir et sa table de restau. Beaucoup de naturistes du museau se promènent dans les quartiers très touristiques. Nous avons fait le choix de garder le masque, mais on refuse de se faire tester à tout bout de champ sans raison. Etre à l’intersection de trois pays permet de comparer les politiques et leur pertinence. Ou alors c’est juste mon côté indiscipliné : plus on me demande de faire un truc moins j’en ai envie.

L’enthousiasme ici pour le dépistage rapide est incroyable : les centres de tests drainent un monde fou. Ils ont germé à tous les coins de rue. Des mobiles dans des camions sont garés à côté des cabanes des producteurs de fraises. C’est trendy. « Tu le fais où ton test toi aujourd’hui ? » Nous avons rencontré hier une dame complètement vaccinée qui se fait tester tous les deux jours pour protéger les personnes âgées de son entourage. Honorable mais un peu excessif non ?

Trier : cathédrale et église Notre Dame
(et préfabriqué pour tests rapides)

Là, je me défoule une bonne fois pour toute, mais au quotidien c’est un sujet que je cherche à éviter. Surtout avec ceux qui bloquent sur la question comme des disques rayés.

Dans le petit village où nous avons logé en Moselle (Trittenheim, 1000 habitants), le jeudi férié de Fronleichnam (Fête-Dieu) il était impossible d’acheter du pain ou d’entrer à l’office du tourisme (curieux ces régions touristiques qui ferment pour les vacances). La queue devant la mairie pour le dépistage comptait des dizaines de personnes.

Bernkastel depuis le château

Nous avons fait une excursion à Bernkastel-Kues, un petit village couru du type Disneyland sur Moselle. Maisons à colombages pimpantes, ruelles du moyen-âge, grande roue et magasins de vin et de souvenirs (acheter des souvenirs ? quel drôle de concept quand on y pense. Un peu comme si on pouvait se donner des souvenirs les uns aux autres. Tiens si je te passe mon enfance, tu veux bien me filer ton adolescence ?). Sur le quai sous les platanes se trouvaient deux centres de tests, avec à chacun, bien espacés, une vingtaine de personnes. Pour manger dans les restaus ? Aucune idée. J’ai eu très envie d’aller interroger les gens qui attendaient. Pourquoi êtes-vous là ? Et pourquoi ne mettez-vous pas de masque dans la foule ?

Entre prévention et délire la ligne a-t-elle été piétinée ?

Schiste

Un soir, nous avons mangé en terrasse sur les bords de Moselle, le jour de la réouverture post-confinement d’un restaurant charmant. Nourriture délicieuse. Lumière douce, chants d’oiseaux et vue sur les vignobles avec au sommet une petite chapelle blanche visitée dans l’après-midi. Au pied du formulaire à remplir avec nos coordonnées, trois cases à cocher : test négatif / vacciné / immunisé.

Rentrer dans les cases encore ?

Moi qui me suis battue toute ma vie pour entrer dans des cases qui ne voulaient pas de moi… Cela me rend furieuse ce nouveau rejet social passif. Surtout quand on sait pourquoi je ne suis plus salariée aujourd’hui. Pour cause de burn out suite à maltraitance professionnelle.

Pour diner au restaurant pour la troisième fois en trois jours (yeah !), nous avons appelé à la dernière minute : la terrasse était complète. Il restait une table à l’intérieur et le restau a proposé de réaliser un test sur place. Ah ? La restauration est-elle intégrée au dispositif sanitaire ? Nos filles ont insisté. Je l’ai fait à contre cœur.

Je ne suis pas suffisamment motivée pour me rajouter encore des contraintes. J’en ai déjà pas mal à table. Manger avec ma fille ainée est depuis quelques mois infernal. Elle fait attention à son alimentation et nous abreuve de données. J’aimerais juste pouvoir profiter du moment et parler de sujets libres. Bref, diner et déjeuner en paix (pardon, j’ai pas pu m’empêcher).  Elle a tapé à la porte de la cuisine du gîte où je m’étais installée pour écrire. « Maman est-ce qu’on pourra emmener le chien ce soir ? » Ben voyons. Pour sursauter dès qu’elle gémit, être en hypervigilance pour qu’elle ne fasse pas tomber le serveur, et prévenir l’aboiement avec une friandise quand une moto passe ? Encore une contrainte ?

La salade de tomates seule dans la cuisine me semble de plus en plus appétissante. Je ferai la cuisine, le service et la vaisselle. Mais personne ne m’obligera à faire ce dont je n’ai pas envie. Ni me rappellera que je ne suis pas comme les autres.

Bon appétit

Finalement nous sommes allés en famille au restau. La serveuse nous a vendu quatre tests (5 euros pièce, comme dans les supermarchés – dans un centre, ça aurait été gratuit, mais on s’est décidé à la dernière minute après leur fermeture). Elle nous a installé à table puis finalement nous a demandé d’aller les faire ailleurs (bien volontiers hors de question de s’exhiber dans une posture aussi peu avantageuse, surtout que de procéder à un test in situ alors que tous les autres ont anticipé nous place dans une position sociale vulnérable). Dans le sous-sol, au fond du couloir des toilettes une petite table ronde nous a permis de déballer le matériel. Mon mari et moi n’avions jamais fait de test. Nos filles si, tous les deux jours pendant les quelques jours d’école puis en colonie. Je n’ai pas eu besoin de sortir mes lunettes pour déchiffrer le mode d’emploi : elles nous ont expliqué. Chacun y va de son curetage de nez. Au moins on le fait soi-même sans se perforer le cerveau.

Pendant les x tours à réaliser dans chaque narine, les filles comparent les différents dispositifs (en crachant, avec un coton tige plus ou moins épais…). La petite serveuse blonde habillée et masquée de noir est venue contrôler notre résultat. Elle a collecté nos déchets dans un sac plastique et nous a autorisés à monter à table. Quelques minutes plus tard, elle nous a remis quatre certificats imprimés, valables 24h.

Il m’a fallu un moment pour me détendre. Comment apprécier la sortie au restau quand on passe les premières vingt minutes à ne pas savoir où se poser et à se faire contrôler ? Je ne savais plus où j’en étais. Garder le masque pour manger ? J’ai dû trop me détendre, suis allée visage découvert au bar à salades. Me suis fait gronder.

Aux infos régionales dimanche sur le site de SWR j’ai appris avec soulagement qu’en Rheinland-Pfalz la vaccination était ouverte à tous les adultes à compter de lundi 7 juin. E N F I N ! Levée aux aurores, j’ai tâché de battre les Allemands à leur propre jeu : être la première à réserver (on peut toujours rêver, d’autant que les listes d’attente pour les groupes précédents ne sont pas éclusées).

Le site officiel noie le lecteur de détails. Ce que je prends pour un lien vers une page d’inscription télécharge en PDF le schéma du processus. Je ne trouve pas de lien. Je dois passer par Google pour accéder à la page souhaitée.

Ai-je déjà mentionné la passion germaine pour la paperasse bavarde ? Les informations administratives allemandes sont un labyrinthe (oui pire qu’en France, c’est dire). Une preuve : les sites officiels proposent (de façon fort intelligente d’ailleurs, étant donnée la proportion d’immigrés dans le pays) une version en langue simplifiée. Tout le monde n’aurait-il pas à gagner à se contenter de celle-là ?

J’inscris donc mes coordonnées avec un vrai bonheur (où se niche-t-il ces jours-ci) et réponds au long questionnaire médical (Avez-vous de la fièvre ? Euh, aujourd’hui non, mais si je suis convoquée dans un mois comment savoir ?). Inscription. Youp la boum ! Je recevrai d’abord un mail puis une confirmation par la poste. Par la poste ?

Rien n’est gagné. Quelqu’un de notre entourage a attendu 6 semaines entre son inscription et le mail de proposition d’un rendez-vous. Et il était dans le groupe prioritaire. Mon mari s’est inscrit depuis plusieurs semaines et n’a reçu aucune convocation. Dans 6 semaines commencent les vacances d’été : nous partons en France. Le casse-tête est loin d’être terminé.

Me voilà sur une liste d’attente quelque part dans la nébuleuse informatique. J’ai un numéro de matricule. Avec un bon mois de décalage sur la France, et deux sur l’Angleterre et mon impatience, je suis rentrée dans le canal commun.

L’attente sera moins violente.

Au commencement était Mainz

Une visite privée du Musée Gutenberg à la réouverture post-confinement, ça vous dit ?

Une page de la Bible à 42 lignes de Gutenberg

Enfin, je me résous à aborder le personnage. Voilà près de trois ans que nous habitons à Mainz, un an et demi que j’écris ici et je n’ai pas encore osé parler de Gutenberg. C’est comme déménager à Paris et éluder le sujet de la tour Eiffel. Très connu, incontournable, vaguement intimidant quand on s’en approche. Surtout que là c’est un symbole humain.

Sur la place du théâtre

Gutenberg c’est l’enfant chéri de la ville. Mainz l’a vu naître en 1400 et mourir en 1468. Près de la cathédrale de grès rouge, une statue le représente en face du théâtre. Sur la Liebfrauenplatz, se trouve, dans un bâtiment de béton et de verre, le musée qui lui est dédié.

Lors de notre deuxième visite de la ville en mai 2018, je m’y étais rendue avec mes filles. Mon mari travaillait ce vendredi de l’Ascension. Nous étions montés pour présenter la ville de Mainz à nos enfants. On avait longé le collège et l’école primaire (bâtiments fermés mais cours ouvertes : pas de plan Vigipirate en Allemagne) et visité les deux maisons en location dans le quartier visé.

Pendant que leur papa était dans son futur bureau, toutes les trois avions arpenté la vieille ville. Après une visite de l’église Sankt-Stephan (Saint-Etienne) et ses vitraux de Chagall, nous avions grignoté sur le grand marché au pied de la cathédrale. Nous ne le savions pas encore, mais le brunch sur le marché estival est une tradition mayençaise. Pas de vin ni de Fleichwurst pour nous. Un petit sandwich, Brötchen, au poisson frit et une barquette de fraises locales. J’ai été surprise par la profusion d’asperges et leur prix minimum, elles aussi une spécialité du coin. Nous avions fait une petite marche vers le Rhin pour digérer le poisson qui avait du mal à passer.

Cathédrale de Mainz

Ensuite nous avions poussé la porte du musée Gutenberg. Le Routard sur l’Allemagne le signale dans ses coups de cœur juste derrière la cathédrale de Cologne. Un guide aux cheveux longs et blancs noués en queue de cheval nous a entendu parler et nous a proposé en français d’assister à la démonstration d’une presse à imprimer qu’il s’apprêtait à faire. Les guides sont polyglottes mais à cette heure la présentation était en allemand. Mes filles n’en parlaient pas un mot. Nous sommes descendues à l’étage inférieur où étaient disposés des tabourets pliables noirs devant quelques gradins tout aussi noirs. Face à eux, une grosse presse en bois sombre, avec tout le matériel d’imprimerie comme au temps de Gutenberg.

La presse

Le guide s’adresse aux visiteurs avec un regard fatigué mais avenant derrière ses lunettes métalliques. Il explique que l’installation est une reproduction, que Gutenberg s’était inspiré des presses à vin pour la concevoir. Pas étonnant : Mainz et Strasbourg où il a aussi vécu, sont des capitales de régions viticoles. Mainz est d’ailleurs jumelée avec Dijon. Il a fait couler dans le moule en cuivre inventé par Gutenberg un alliage de plomb, étain et antimoine chauffé à 300°C. quelques secondes plus tard il l’a ouvert pour en extraire un bâtonnet de métal avec au sommet la lettre G en miroir. Il nous montre le papier fabriqué à partir de chiffons. Le meilleur pour les Bibles était importé d’Italie.

Le monsieur a ensuite composé avec des blocs de caractères assemblés une page de la bible à 42 lignes. C’est la page du début de l’évangile selon Saint-Jean en latin : In principio erat verbum (au commencement était le verbe). Avec un tampon encreur en cuir rempli de crin de cheval et à poignée en bois, il a encré séparément le texte en noir, les enluminures en rouge et en bleu. Il parait que cet objet est encore l’emblème de l’imprimerie. Il a précisé que Gutenberg, pour limiter les coûts, n’imprimait qu’en noir. Les autres couleurs étaient ajoutées à la main selon la commande du client qui choisissait aussi le type de reliure pour sa liasse de pages imprimées.

Le guide a ensuite placé le papier sur le couvercle qu’il a basculé sur les blocs de texte encrés, puis fait coulisser le tout sous la presse. Pour serrer la vis il a demandé de l’aide dans l’assistance. Il a choisi ma plus jeune fille alors âgée de sept ans. Sans comprendre un mot, elle a suivi ses instructions à la lettre, c’est le cas de le dire. Le mode d’emploi de la presse tombe sous le sens. Dévisser, retirer le chariot, et guetter le bruit de baiser du couvercle que l’on ouvre : l’impression a bien marché. Le papier est humide. Il l’a roulé sur lui-même en précisant que l’encre ne serait pas sèche avant 24 heures. Et l’a tendue à ma fille toute fière.

Nous avions ensuite visité le reste du musée avec des touristes du monde entier.

La salle du Trésor est un coffre-fort à la porte épaisse et aux vitrines blindées. Elle présente dans la pénombre quatre bibles au centre et d’autres incunables dans les vitrines latérales. C’est émouvant cette plongée dans le passé lointain. Un jour ce papier a été blanc, le texte n’était pas encore composé. Les deux bibles de Gutenberg ouvertes à la même page présentent des enluminures très différentes, dessinées à la demande de leur propriétaire. De la taille de très épais albums photos, elles ressemblent aux textes manuscrits des moines copistes : deux colonnes de quarante-deux lignes chacune, caractères gothiques de type textura, enluminures colorées. C’est la Bible B42, composée à partir de la Vulgate de Saint-Jérôme en latin. Gutenberg a choisi un best-seller de l’époque pour rentrer dans les frais considérables d’un atelier d’imprimerie.

Je suis retournée au musée avec mon père un an après la première visite, un matin de semaine de mars mouillé. Le même guide avait fait la démonstration en français. Il m’avait appelée pour l’aider à serrer la vis. J’étais repartie avec ma page de la bible.

Ce jeudi 27 mai avec mon fils et une jeune inconnue nous sommes les premiers visiteurs au musée depuis longtemps. La Notbremsegestez (loi fédérale pour encadrer la pandémie) vient de tomber en vertu de bons chiffres d’incidence corona. Ce matin-là magasins, musées et restaus rouvrent. Les restaurants exigent la présentation d’un test de covid négatif pour s’attabler. Par chance au musée il suffit de donner ses coordonnées.

Nous voilà donc tous les trois devant un autre guide. Un monsieur aux lunettes métalliques et aux cheveux blancs mais courts. Il n’a pas demandé d’assistance ; il n’en a pas le droit en ce moment. Mais il imprime deux fois la page de la bible, une pour la jeune femme et une pour mon fils et moi. Il accepte de projeter la version française de la présentation de Gutenberg (mon fils ne parle pas allemand et l’autre visiteuse l’a déjà vu).

Dans une salle de cinéma en amphithéâtre, le film de 15 minutes présente la vie de Johannes Gensefleich de Gutenberg, avec une animation dans les rues de Mainz nocturne et un comédien déguisé comme la statue de pierre érigée devant le Staatstheater. La voix off relate que le futur pape Pie II a appelé Gutenberg « Vir Mirabilis » (homme merveilleux). Quand il a vu une page imprimée il a écrit : « on peut les lire sans lunettes ! »

Eglise Saint-Christophe

Il ne reste pas grand-chose de l’entrepreneur dans la ville. Une plaque sur une maison indique que là autrefois se trouvait la maison natale de Gutenberg. Juste derrière, l’église Saint-Christophe, détruite par les bombardements alliés pendant la deuxième guerre mondiale et non retapée pour en faire un mémorial, abrite dans une chapelle restaurée les fonts baptismaux de Gutenberg. J’ai eu la chance de les voir un jour. La Volkshochschule où j’allais à mon atelier de terre est située sur la même place. Je m’étais aventurée dans l’église sans toit. C’est beau une nef avec accès direct au ciel. Une vague gardienne de ce lieu ouvert m’avait proposé de m’y emmener. Elle m’avait ouvert des portes fermées à clef.

Dans le cœur des ruelles à proximité de la cathédrale sur une tour en pierres blanches et rouges facile à ignorer une plaque mentionne que là se tenait l’atelier de Gutenberg. Elle est enchâssée dans des immeubles de béton minables. Quel scandale. Les architectes ont vraiment une profession ingrate pour le public : leurs erreurs lui sont imposées pour des décennies.

La nouvelle appli du musée :
Gutenberg to go

C’est à peu près tout. Oui mais c’est vivant. Le journal gratuit de Mainz fait sa une d’aujourd’hui sur une nouvelle application Gutenberg to go pour partir sur ses traces dans la ville. Le musée a mis a profit le confinement pour développer cet outil du XXIème siècle. Sur un écran mais avec des caractères et des pages comme à la toute fin du Moyen âge.

Les premiers textes imprimés étaient des indulgences, histoire de faire entrer un peu d’argent et permettre à Gutenberg de s’attaquer à la Bible romaine en latin. Comme dans les manuscrits, il n’y a pas de paragraphe ni de chapitre. Les changements de rubriques sont indiqués par les enluminures. Le plus gros défi à la main reste encore difficile au début de l’imprimerie : la justification à droite. Il a fallu deux ans pour fabriquer les caractères pour une bible mais une fois équipés Gutenberg et ses artisans purent imprimer 180 bibles entre 1452 et 1455 pendant le temps qu’il aurait fallu pour en copier une seule.

Il en reste 49 dans le monde. Plusieurs aux Etats-Unis, une à Tokyo, quelques unes à Paris. Celles de Mainz, étaient jusqu’à la fin des années 1970 la propriété d’une famille noble anglaise. A cours de liquidités, ils les ont vendues chez Christie’s à New-York. Informée par un mayençais expatrié, la ville de Mainz les a alors acquises pour 3.6 M DM. Un jour de fin mai 1978, presque 43 ans jour pour jour avant notre visite, la Reine Elisabeth les a symboliquement remises au conservateur du Musée Gutenberg. Il l’a accueillie au musée avec la phrase anglo-germaine « And now we go down in die Druckwerkstatt » (et maintenant on descend à l’atelier d’imprimerie). Le Prince Pilipp s’est vu confier le serrage de la vis de la presse. Celle que ma fille et moi avions aussi serrée, comme des milliers de mains.

Au XVème siècle, l’imprimerie existe en Chine depuis longtemps, mais avec une encre à l’eau comme celle des moines et des blocs de bois gravés. Gutenberg invente les caractères mobiles (qui permettent de corriger une erreur) et l’utilisation de la presse à bras. Son talent est de rassembler des techniques qui existent séparément dans différents corps de métiers pour produire un livre.

L’entrepreneur Gutenberg a su convaincre pour lever les fonds de son investissement. Il regroupe dans un atelier un menuisier, un graveur, un orfèvre, un compositeur de page qui parlait latin mais n’avait pas peur de se salir les mains (ce qui n’était sans doute pas l’idée que les érudits du XVème siècle se faisait de leur avenir), quelqu’un qui savait utiliser l’encre collante et raide comme un vernis et empruntée aux peintres, quelqu’un pour installer le papier et les blocs de métal dans la presse, un relecteur final.

L’invention pouvait-elle avoir lieu ailleurs qu’à Mainz ? Au cœur d’une région viticole (presse), à proximité de régions métallurgiques (Sarre, Moselle), de gisements de pierres précieuses (Idar-Oberstein, orfèvrerie), de Francfort et ses deux foires annuelles (approvisionnement en papier italien), la production est assurée localement. La ville au confluent du Rhin et du Main, au cœur d’un réseau de villes-états commerçantes (Francfort, Strasbourg, Cologne, et au-delà les Pays-Bas) a une position stratégique pour les échanges. (Cet emplacement lui a valu d’être systématiquement bombardée pendant la deuxième guerre mondiale. Peu de bâtiments datent d’avant les années 50.)

La technique s’est très vite diffusée dans l’Europe entière.

Mainz à l’époque de Gutenberg est une ville-état commerçante très importante, avec ses propres lois et sa propre monnaie. Son archevêque est le deuxième homme le plus puissant du Saint-Empire Romain Germanique : le principal des sept princes-électeurs de l’empereur. Avec l’invention de l’imprimerie et du livre tel qu’on le connait aujourd’hui la ville exporte le premier média de masse. Mainz à la deuxième moitié du XVème siècle c’est le Palo Alto de la fin du XXème.

Quelques dizaines d’années plus tard les pays européens sont équipés. Le roi de France a payé cher pour envoyer un artisan se former à Mainz. En 1500, près de vingt millions de livres ont été imprimés en Europe, livres de prières, bulles papales, grammaires latines.

Le savoir imprimé se diffuse au-delà des cercles privilégiés et du Saint-Empire Romain. Dans la structure politique éclatée de ce qui deviendra l’Allemagne aucun pouvoir ne peut empêcher la propagation des idées et des techniques au-delà de sa juridiction. Le chemin de la Réforme soixante ans plus tard est pavé.

Mon fils et moi avons fait le tour de l’exposition. Deux personnes sont autorisées dans la salle du Trésor : nous sommes seuls, la jeune femme attend son tour. Une gardienne nous guette pour vérifier qu’on ne fait pas de bêtise du genre piquer un incunable ou prendre une photo (j’avais été reprise la première fois). Présentation de presses de différentes époques, des techniques de dessin, d’encres naturelles (cochenille, lapiz lazuli, gale du chêne, …) des échantillons de papier (à partir de différents cuirs). L’histoire du livre. Des livres miniatures comme ceux de la maison de poupée de la reine d’Angleterre qui m’avait tant impressionnée à Windsor quand j’avais 9 ans. Au fur à mesure où on monte dans les étages les traductions en anglais sont oubliées. Tant pis, les images suffisent à mon fils me dit-il. Nous apprenons que tous les portraits de Gutenberg sont posthumes. Personne ne sait à quoi il ressemblait. Sur presque aucun, il sourit. L’homme figuré sur les tableaux et les sculptures est l’allégorie du savoir qu’il représente. Dans un livre j’apprendrai que beaucoup des informations que l’on possède sur lui aujourd’hui sont les traces de ses déboires avec la loi.

Au dernier étage est une exposition sur la transmission de l’information avec les postiers, le chemin de fer, les télégraphes, téléphones et les premiers journaux. Elle présente aussi le rôle des médias dans la politique. Une photo en noir et blanc de Sophie Scholl, très reconnaissable avec sa raie de côté, m’attire dans une alcôve. La gardienne désœuvrée m’indique que je peux m’approcher. Dans la vitrine était exposé un tract de la Rose Blanche, son organisation clandestine de résistance montée avec son frère et un ami. La proximité de ce texte me touche, je viens de regarder sur Arte un très bon documentaire sur sa vie.

Nous suivons les scotches jaunes pour le parcours prévu et redescendons. Toujours personne dans le musée. Le vestiaire en accès libre est vide. Les guides sont tous à notre disposition pour nous dire aurevoir et nous souhaiter une bonne journée. Tchüss, schönen Tag noch !

Nous allons acheter du fil à broder au magasin voisin. Je m’attendais à la cohue après toutes ces semaines de privation. Mais non. L’affluence est raisonnable. Tout le monde porte son masque. Ça commence à tirer sur les oreilles. Les terrasses feraient envie s’il faisait beau. Mais même avec un grand soleil, je n’ai pas avoir envie de me faire curer le nez pour m’installer dans un café. Ça attendra. Cette sortie m’a donné mal à la tête, je n’ai plus l’habitude de la ville. Rentrons au chaud prendre un bon livre.

Vous le reconnaissez ?

Sources : Musée Gutenberg, Mainz – Germany, Memories of a nation de Neil MacGregor

Conquérir le monde

Révisions de géométrie, préparatifs de colo, et jardinage bruyant. (Et non, toujours pas de vaccin à l’horizon.)

Je suis trop heureuse maman, je vais faire ma valise !

La nouvelle vient de tomber : la colonie de cheval de mes filles pour les vacances de Pentecôte aura lieu. L’école est en demi-groupes, avec distanciation sociale maximum. La cohabitation de plusieurs minettes non lavées dans un dortoir est autorisée. Tant mieux. Côté parents, nous n’avons pas le droit de rejoindre le gite sur la mer du Nord réservé pour Pâques et déjà décalé. C’est un autre Land où le touriste extra-Land est interdit. La colo est en Rheinland-Pfalz comme Mainz. Ouf !

-Tu te rends compte on va partir. Ça fait si longtemps qu’on n’est pas partis ! Depuis octobre !

-Oui je me rends bien compte.

Assises toutes les deux à mon bureau, je lui explique les exercices de géométrie. Le devoir surveillé du semestre est programmé à la rentrée. Un seul au lieu de deux et des interros rapides. Faudrait pas le rater. C’est la championne de l’expédition rapide des devoirs pour pouvoir passer à autre chose. (Oui on peut aussi dire bâcler). Avec l’école à la maison, sans examen, on peut pas dire qu’elle ait beaucoup appris de leçons. Je ne l’ai pas harcelée avec. Je tâche de me protéger. Faut tenir sur la distance.

-Regarde. Un losange ça a quatre côtés égaux. En France on aurait mis un petit trait sur chacun des côté pour le visualiser. Si ça peut t’aider à te souvenir.

Ici ça n’existe pas, les petits traits.

-Et le carré, a les angles droits, y compris les diagonales. En France on aurait marqué les angles avec un trait carré.

(De rien, vous avez toujours rêvé de rappels de géométrie, je m’en doutais).

Ici non. A l’école primaire, c’était un arrondi avec un point dessous. Au collège y’a plus le point. Par contre tous les angles sont marqués par un trait arrondi avec une flèche au bout. Une flèche ? oui une flèche. Dans le sens inverse des aiguilles d’une montre svp. Je n’en vois pas l’intérêt. S’il y a des matheux parmi vous je veux bien une explication. Qui a dit que les maths étaient une discipline universelle ?

Elle gigote sur son tabouret. Se lève et danse dans tous les sens en fredonnant. Se rassoit.

-On va quand chez DM ? Pour la colo il me faut des Schnelltests (tests individuels pour le corona), du désinfectant, du shampooing en petite bouteille, tu sais dans le rayon avion.

-Oui je sais. En même temps en octobre vous vous êtes lavées une seule fois en une semaine. Oh oh je te parle. Le carré ? Répète.

-On va quand chez DM ?

-Qu’est-ce que je t’ai demandé ?

– De répéter. On va quand chez DM ?

Ça me semble super dur le programme de géométrie pour la 5. Klasse (CM2). Petit coup d’œil sur internet. Ah, ça a l’air d’être au programme en France aussi. J’ai dû tout oublier. Je lui explique en allemand parce que les mots français ne lui disent rien et ne lui serviront pas pour les interros.  Moi au passage j’apprends le vocabulaire. Ça me permet de réviser aussi le français. Voilà trente ans que je n’ai rien vu d’isocèle.

Sa trousse de toilette est prête. Elle déborde. Je parie qu’elle n’en sortira que la brosse à dents. Lever aux aurores pour pelleter le crottin, sortir les chevaux au pré, monter toute la journée, ranger le matériel et les animaux, s’amuser avec les chiens, sauter dans le foin de la grange, saluer les moutons et les lapins. Non, pas le temps de se laver.

Sceau de Salomon

C’est rigolo l’hygiène. Ici, j’en avais déjà parlé dans l’article sur les odeurs, les Allemands croisés dans la rue ne sentent pas le sale. A de très rares exceptions près, ils ont le cheveu propre. Lors de la visite médicale obligatoire pour les jeunes ados, (J1) j’ai abordé le sujet avec le pédiatre. Depuis que ma grande fille fréquente l’adolescence, elle a oublié les concepts inculqués depuis sa naissance : douche tous les jours. Sur un site anglais, j’ai lu :’’L’ado peut négliger son hygiène. Ça vous énervera à double titre : il squatte des heures la salle de bains et n’en sort pas plus propre’’.

Le pédiatre m’a répondu :

-C’est une question personnelle. Certains se lavent une fois par semaine. D’autres deux….

-Ah ?

Sans la regarder, je m’essaie à la télépathie avec ma fille : “Surtout n’écoute pas, on va rester sur notre règle familiale.”

Le rendez-vous J1 présente l’avantage de consulter le jeune par écrit. Deux questionnaires sont donnés en amont de la rencontre. Un au parent, un à l’ado. Dans la salle d’attente, la mienne était réfractaire à se dévoiler, même avec des croix dans des cases. Puis elle a cédé. Je me suis forcée aussi à aller au bout de mes inquiétudes par écrit. Ça nous a permis d’aborder les vrais sujets avec le pédiatre.

J’ai toujours l’impression que les médecins allemands sont pressés. Puisqu’ils ne font pas les tâches de routine comme peser, mesurer, prendre la tension, on les voit peu. Là, personne n’a vérifié sa vue ni son ouïe. Mais nous avons pu poser nos questions. A la sortie, toutes les deux nous nous sommes assises sur un banc dans le parc pour prolonger la conversation. Elle avait besoin de se remettre. Moi aussi de la voir émue. Je me suis revue en elle. En grandissant, les consultations médicales deviennent difficiles. S’approcher de soi n’est pas aisé.

Côté vaccin ça piétine dans la boue collante. En France mon fils de vingt ans est vacciné, un filleul de 21 ans aussi. Mes copines commencent à l’être. Ici le site officiel de notre Land est toujours très fier de nous rappeler (au 21 mai), les nouveautés du 23 avril. Tout le monde est prioritaire sauf les gens non-salariés de moins de 60 ans. Suivez mon regard. J’ai envie de faire l’aller-retour à Strasbourg pour de la contrebande d’épaule nue. Ça se rapproche un peu cependant. Mon mari a renvoyé un formulaire. L’objectif est d’avoir piqué tout le monde pour l’automne.

Si loin la liberté ? La campagne régionale pour motiver les gens à se faire vacciner va bon train. Na klar lasse ich mich impfen ! (bien sûr que je me fais vacciner) disent sur des affiches un médecin par-ci, une infirmière par-là, un sportif de Mainz. Certes, mais si on trépigne pour se faire vacciner que fait-on ? Une amie m’a aiguillée sur un site web Sofort-impfen.de pour trouver les créneaux disponibles dans sa ville. Bien sûr je me suis inscrite en liste d’attente. C’est une startup. Une initiative de jeunes dégourdis. Le système officiel ne le prévoit pas. Ou alors je ne l’ai pas trouvé. Le centre de vaccination dans un gymnase du quartier me nargue tous les jours. Si vous voyez quelqu’une faire un caprice devant, c’est moi.

Pour partir pour les vacances même sans s’évader, on a réservé pour quelques jours un appartement en Moselle allemande. C’est ce qu’on a trouvé de plus dépaysant dans notre Land. Autant dire qu’on ne va pas être seuls. Ce sera le week-end de Fronleichnam (Fête-Dieu ou Corpus Cristi), un jeudi férié comme l’Ascension. Ici on n’a pas le 8 mai ni le 11 novembre, mais on gagne le 3 octobre et ce fameux jour de mai. Promis je vous raconterai. La pente des vignobles permettra de réviser les angles. J’ai lu que le plus pentu d’Europe sinon du monde est là-bas (65°).

Je suis assise à mon bureau fenêtre fermée. Il fait toujours très frais. Et ça me convient bien. Je supporte de moins en moins la chaleur. J’ai besoin de froid pour rester présente à mon corps et ne pas partir en courant dans l’anticipation anxieuse à la suite de ma cervelle hyperactive. Cela dit j’aimerais pouvoir entendre le vent et la petite famille de cinq mésanges qui vient manger nos boules de graines. Les gros ados se perchent sur le rosier et chantent. Les parents fluets font la navette entre graines et bec grand ouvert de leur progéniture, à 20 cm. Curieux et passionnant.

Je ne peux pas ouvrir la fenêtre car des jardiniers de la ville s’activent en bas avec des outils bruyants.  L’un rase les gravillons avec une débroussailleuse pour couper de rares herbes de 10 centimètres de haut. Mon fils, chez nous pour quelques jours après ses partiels (youpi), me dit : mais il va faire un trou ! L’autre déplace les poussières avec un souffleur à feuilles. Y a-t-il objet plus absurde ? Faire du bruit, polluer et abimer le dos alors qu’un bon vieux râteau permettrait de faire du sport au grand air. Tout bénéf pour la santé publique. Aie un troisième vient de sortir le taille-haie pour étêter les arbustes déjà au carré. Quel dommage pour les roses jaunes. Je vais devoir vous laisser un moment pour aller me mettre la tête sous vingt oreillers.

Après les vacances on nous promet deux semaines d‘école en demi-groupes, puis un retour aux classes entières jusqu’à mi-juillet. Les courriers foisonnants envoyés par la direction du collège (les leurs et ceux du ministère de l’éducation du Land) entrent par tous les canaux pour nous expliquer les conditions. Sur Instagram une photo du club des élèves du collège nous informe en quatre points brefs (date1, date 2, tests, masques). Gardons espoir.

Ma plus jeune a le sourire. Pause de maths et sa valise est presque prête. Avec une copine du quartier elles ont trouvé un talus pour faire de la luge sur carton dans la boue et construire une cabane d’épines. Elle a préparé des gants de jardinage pour elles deux, enfilé un pantalon de rando déjà troué et une parka déjà sale. C’est la championne toutes catégories de l’organisation. Elle vient attraper une banane dans la cuisine. En l’épluchant elle me donne rendez-vous à 16h30 pour faire des maths, puis ajoute :

-Bon, c’est l’heure d’aller conquérir le monde.

A bon entendeur.

Retour d’école. Gaïa est sous la table.
Les priorités sont claires.

Concert virtuel

Quelle joie samedi matin ! Nous avons goûté ma grande fille et moi à un échantillon de normalité musicale. Un instant, nous avons cru à la liberté.

Sa prof de flûte a organisé un concert virtuel pour ses élèves en les filmant les uns après les autres dans une église déserte des environs de Mainz. Elle enverra à tous la vidéo complète. Elle nous a donné rendez-vous en fin de matinée.

Ma fille a préparé une humoresque de Dvorak et je l’accompagne au piano. Voilà plusieurs semaines que nous répétons notre duo, quand elle daigne en avoir envie à des horaires raisonnables. Elle rechigne à travailler sa flûte, refuse pourtant d’arrêter les cours.

La consigne était de s’habiller en tenue de concert. Nous avons fouillé dans notre garde-robe. S’habiller joliment ? Euh… voilà bien longtemps… Le pantalon noir serre un peu mais le chemisier de mes temps français est toujours chic. Ma fille porte un chemisier romantique blanc acheté ici par correspondance chez un ovni de la distribution, Tchibo.

Ils sont spécialisés dans les cafés. Mais commercialisent aussi une gamme hétéroclite d’habits, sous-vêtements, gadgets de saison, meubles, assurance dentaire et voyage organisé en Bavière. Au choix. Leurs boutiques proposent la consommation de café sur place. Les supermarchés ont des corners Tchibo (où l’on peut moudre son paquet de café soi-même) et la sélection du moment. Le rapport qualité prix est imbattable. Donc nous nous y sommes mis. Nos chaussettes et culottes arrivent dans un carton. A la dernière commande, il y avait aussi ce chemisier ravissant. Ouf !

Nous avons mis des chaussures (des vraies, avec même un petit talon pour moi), et nous sommes maquillées. L’aventure. Nous sommes parties toutes les deux avec nos partitions, la flute et les masques et j’ai paramétré le GPS. Les indications de routes allemandes avec un accent français sont drôles. Heureusement que nous étions deux pour comprendre parfois. Par exemple la sortie pour Nieder-Olm était lue : Nieder – O-L-M. (Heureusement que la dame ne nous a pas épelé Bretzenheim). Même la prononciation de ‘’Mainz’’ est à peine intelligible.

Nous sommes arrivées en avance et nous sommes garées sous les tilleuls. Les feuilles commencent à poindre. Un couple promène son chien. C’est un coin où nous sommes déjà venus pour déposer des jouets et des livres à l’Emmaüs local. Leur librairie d’occasion fort sympa, propose un rayon bouquins français et un autre pour ceux en anglais. Hélas, ils n’acceptent plus rien depuis ce que vous savez, faute de pouvoir l’évacuer. Nos jouets inutilisés s’empilent dans notre abri de jardin. Les livres lus vont dans les étagères extérieures du quartier en libre service. Ils ont beau ne pas être en allemand, ils partent vite.

En bas le Rhin

L’église où nous avons rendez-vous à Bretzenheim est protestante. C’est une construction moderne carrelée de blanc, dont le clocher séparé du bâtiment principal, s’élève comme un phare égaré dans une rue résidentielle (je n’ai pas eu envie de prendre de photo). A l’heure dite, la prof de ma fille (voisine de tapis de mon cours de yoga d’avant) vient nous chercher. Elle s’extasie sur notre élégance. Ouf, on avait eu un rappel de la consigne à la répétition de jeudi. Notre décontraction vestimentaire est peut-être plus grande qu’on ne le pense.

La pièce est à peine arrondie, moderne, le plafond plat et bas. Elle tient plus de la salle des fêtes que de l’église. Une baie vitrée s’ouvre sur un bout de pelouse émaillée de pâquerettes, ce qui permet l’aération de rigueur et une belle lumière naturelle. Derrière l’autel, une table haute et ronde, un bas-relief de visages en terre cuite brute et un vitrail jaune tout en hauteur. Dans un coin un petit orgue bleu roi. Pas de chaises. Tout autour de l’autel trois caméras sur trépied. Ma fille s’exclame : “Waouh ! j’ai toujours voulu savoir comment on filme pour la télé !”

Ce sont les caméras du pasteur. Il filme, monte ses vidéos et met le tout sur son site internet. C’est une paroisse très active nous dit la prof. Active et musicienne on dirait. Le piano à queue et les instruments entreposés dans un coin, guitare et trompette semblent être là à demeure. Notre hôte du moment filme avec son téléphone posé sur un pupitre, et enregistre le son en parallèle avec un magnétophone (on dit toujours comme ça ?) sur une chaise.

A moi le piano, à ma fille le pupitre à côté. Elle toute blanche, moi toute noire, comme les touches du piano. Elle accorde sa flûte (oui ça s’accorde une flûte je ne savais pas non plus) en tirant plus ou moins sur la partie de l’embouchure. Et c’est parti.

C’est intimidant de jouer sur un instrument inconnu. La résistance et le son des touches se découvrent au fur et à mesure. On adapte le geste en chemin, comme on suit la soliste. Je fais attention à la deuxième partie de ne pas faire un Forte trop fort : à la maison ça l’avait fait éclater de rire. Là elle me tourne un peu le dos, mais je crains qu’avec la légère tension de l’enregistrement, elle y repense. Rigolades interdites. La flûte n’autorise même pas un sourire.

Parfait dès la première prise ! Mieux que nos performances domestiques. On s’est bien appliquées, et on était très très motivées. On en refait une deuxième pour le plaisir. Arrêt au milieu, au moment du Forte. Je vous avais prévenus. Le sourire hilare sera coupé au montage. Ma demoiselle est ravie ! Moi aussi. Je lui dis : “souviens-t-en quand il faudra réviser tes morceaux ! La récompense est au bout.” Ce concert virtuel nous convient bien : le plaisir de jouer dans une belle salle, sans le stress des spectateurs et avec le droit à la deuxième chance. On s’est offert un bout de liberté. J’ai même eu le droit de jouer sans masque. Merci beaucoup à la professeur.

Retour à la maison, radieuses et fières. Ma choupette et moi on se fait des compliments : comme tu es belle, non c’est toi. Comme tu as bien joué. Toi aussi. C’est tellement différent de notre quotidien que nous n’en revenons pas. Le dernier concert datait de décembre 2019, on avait un peu cafouillé. La salle (c’est-à-dire le salon de la prof) était comble et nous stressées. C’était notre premier concert en Allemagne, on était un peu intimidées. Je ne sais pas si les autres élèves l’étaient aussi, mais eux ça ne s’était pas vu.

Côté musique, ma plus jeune révise pour l’école les nuances. Pianissimo, piano, mezzopiano, mezzoforte, forte, fortissimo. Et le solfège de la notation. Elle aura peut-être une interro. Je l’aide à retenir les termes italiens et leur explication en allemand, mais je lui explique en français. Elle s’en sort je crois. Mais qui l’eut cru ? La musique, comme les maths, n’est pas une discipline universelle. Par exemple, les notes s’écrivent avec des lettres. Oui mais non, pas tout à fait comme pour les Anglais.

Dans ma lointaine jeunesse, lors de ma première descente de l’Ardèche, j’avais été entreposée dans un canoé entre mon oncle barbu et une amie américaine violoniste. Deux mélomanes non polyglottes. Ils avaient trouvé un vocabulaire commun pour qu’elle comprenne l’intensité avec laquelle manier sa pagaie dans les rapides. FORTE il criait ! Nous n’avions pas dessalé.

Au retour de notre matinée musicale, nous avons déjeuné d’asperges achetées la veille. Le maraîcher était équipé d’une machine à éplucher lesdites asperges. Grande comme un piano droit, vitrée, les tiges y passent une par une, dans une succession d’outils parallèles, avec un tac-tac-tac régulier et sont expulsées dans un bac d’eau. Ça me fait marrer ! Je ne peux m’empêcher de penser que oui, nous sommes bien au royaume de la machine-outil. Alors j’ai fait ma touriste. La première fois que j’en avais vu, je n’avais pas osé.

-Madame chuis française, puis-je faire une photo ?

-Oui et même une vidéo si vous voulez.

Youpi ! Je vais pouvoir partager l’insolite. Si j’arrive à filmer… Pourquoi ma fille a-t-elle programmé le minuteur sur mon téléphone ? Sans lunettes, je tâtonne pour l’enlever. Yeah c’est dans la boite !  Et les asperges déjà prêtes à cuire, dans le sac.

Ce matin l’école a repris. Le collège a envoyé 2000 messages pour nous le rappeler. Trois jours pour les miennes, qui sont dans le groupe A, avant le pont de l’Ascension. Puis ce sera le tour du groupe B. Rabotage du nez lundi et mercredi matin, obligatoire. Et ensuite, après les deux semaines des vacances de la Pentecôte ? Ensuite on verra. Ce sera déjà ça. Ça fait drôle dans le couloir ce cartable prêt à partir. (L’autre sera prêt en partant).

Les vaccins avancent à pas de fourmi. Une copine m’a dit qu’elle était concernée. Moi quand je regarde sur le site web officiel je ne vois que les plus de 60 ans et les personnes à conditions particulières. Je n’ai pas déroulé la liste jusqu’en bas. C’est ouvert aux salariés de moins de 60 ans. Et ceux qui ne sont pas salariés ? Prière d’attendre. Sauf parait-il si on accepte le vaccin AZ (mais je n’ai pas lu cette info). Imaginez si pour les autres vaccins on choisissait le labo fabricant comme sur un catalogue de VPC ? Non, pas celui-là, l’autre. Il me va mieux au teint.

La procédure d’inscription est à l’avenant de toutes les informations covidesques : incompatible avec mon mode de pensée. Vais-je arriver à m’inscrire le moment venu ou vais-je devoir là aussi faire ma touriste ?

Mon mari vient d’être informé par son employeur qu’il pouvait s’inscrire. Il a des scrupules à prendre une dose dont quelqu’un de vulnérable aurait plus besoin. Il a aussi reçu en Angleterre dans sa famille un courrier pour lui proposer un rendez-vous de vaccination. Les Anglais dépotent. Moi j’ai eu un message de Doctolib. Le tourisme-vaccin c’est possible ?

Ce serait formidable. Il est temps.

Entendez-vous ce bruit ? Ce sont les coups de marteau sur les piquets que je plante autour de ma cervelle pour me protéger des informations. Ai-je besoin de savoir que le vaccin AZ est interdit aux vieux ? puis finalement aux jeunes et recommandés aux vieux ? Ah et puis non, permis pour tout le monde ? Que l’école rouvre, mais que puisque les règles ont changé elle referme ? Je prends les choses quand elles nous concernent et au moment idoine. Le reste je ne veux pas savoir. A quoi ça sert de faire la collection des volte-face et des contre-ordres ?

Hélas, les conversations téléphoniques me déversent dans l’oreille toutes les nouvelles que j’essaie d’éviter par ailleurs. Elles me les glissent sous la barrière. Le taux d’incidence des deux dernières semaines et en temps réel, les avantages comparés des vaccins, des tests, des politiques régionales… Pourtant je ne le demande pas à mes interlocuteurs. Mais nous n’avons rien d’autre à nous dire. Et à part ça ? A part ça rien. Ce serait perdre le peu de contacts même virtuels qui nous sont permis. Alors j’écoute en me nouant le ventre.

Avant de multiplier les contacts sociaux, attendons que la vie presque normale ait pris de l’élan et qu’on ait des choses à se raconter. Pour l’instant, dans le calme d’une maison sans école sur écran, j’écoute les martinets revenus.

Mainzer Sand

Frein d’urgence (périmée)

Ecoles refermées, mal-être enfantin, piano et graines de soucis

Dans le lilas, toujours chercher la fleur à cinq pétales

Mercredi dernier une loi a été votée pour permettre la gestion de la pandémie au niveau national. Une baguette magique pour renoncer au fédéralisme en cas de force majeure du genre pandémie âgée de 13 mois. Notbremsegesetz (loi frein d’urgence). Un peu rassie l’urgence tout de même. Cela vise à homogénéiser les approches dans les Länder. Désormais l’Allemand du Nord est bridé à la même laisse que celui du Sud. Le seuil de taux d’incidence (nombre de nouveaux cas d’infection pour 100.000 habitants) pour l’ouverture des écoles et autres commerces non essentiels a été abaissé à 165 (on n’est pas près de revoir les bancs du collège) et un couvre-feu a été instauré. A 22 heures. Avec une dérogation jusqu’à minuit si on est seul et/ou qu’on fait du sport. (Oui je sais. A quoi bon ? Je vous vois d’ici amis de France sauter sur votre chaise.) Deux tests par semaine obligatoires pour assister aux cours en présentiel. Là aussi ça va pas beaucoup nous gêner. Depuis mi-décembre mes filles sont allées deux jours et demi à l’école.

Mes informations sont sûres, c’est une copine italienne qui me l’a dit. Elle est passée à la maison avec sa fille qui apportait la liste des devoirs à la mienne, malade. Elles sont restées dehors à distance réglementaire. Nous avons échangé quelques mots pour le plaisir. Ça me fait drôle de parler allemand avec une Italienne. En même temps, nous ne connaissons pas la langue maternelle de l’autre. En leur disant au revoir, j’ai senti les larmes me monter aux yeux. Ça fait si longtemps que des visages amis n’ont pas sonné à la porte. En temps normal déjà c’est rare : les Allemands ne sont pas des champions de la spontanéité… Seule la voisine passe à l’improviste.

Marre de ce triste cirque. Depuis la rentrée virtuelle de janvier une de mes filles souffre régulièrement de périodes de maux de tête qui la clouent au lit. Notre petite fille gaie et sportive s’éteint d’un coup comme le barbecue dans le courant d’air. Couvre-feu à domicile. Le dimanche soir. Elle se rallume le vendredi midi. On a fait le siège chez le pédiatre. Aucun signe clinique. On a verbalisé mes angoisses. Dès la deuxième fois j’ai envoyé mon mari, avec la liste des questions en allemand. Je veux que nous soyons pris au sérieux, qu’ils discutent entre hommes posés. Quand mes enfants sont malades mon inquiétude crie par tous mes pores. Elle parle très bien l’allemand. Je veux que ma fille soit prise au sérieux et pas glissée en levant les yeux aux ciel dans la catégorie ‘’enfant bien portante, mère hystérique et française.’’

Donc pour la médecine, tout va bien. Sauf que ma fille souvent a mal. La Valse du Grand Bazar prélève sa dîme. Un jour à l’école. Ah non, changement de règle, tout le monde rentre. Scénario, 2 puis 3, retour au 2 (ne suivez pas, ça ne sert à rien, je ne sais pas ce que j’écris). La direction du collège transmet les courriers du ministère de l’éducation de Rheinland-Pfalz, et y va de ses looooooongues explications. Je clique deux fois par jour dans l’application du collège. Oui j’ai lu le message-fleuve pour nous dire d’ouvrir le courrier–rivière pour nous dire qu’y a pas école. Ça on savait. Les modalités on s’en fout, on comprend rien et ça change avec les courants d’air.

Je n’ai pas de girouette.

C’est tellement compliqué qu’une prof principale a eu l’excellente idée de nous envoyer ce week-end un mail complémentaire à ceux de l’établissement. « Les deux informations à retenir sont : pas d’école, et si oui, deux tests par semaine obligatoires ». Voilà. Deux lignes. Merci à elle.

A court terme, pas d’espoir de changement de rythme pour ma fille. D’abord lui expliquer le concept de l’inconscient : son corps exprime le ras le bol qu’elle ne verbalise pas. « Ça pourrait être ça mais tu ne le saurais pas. T’en penses quoi ? »

Ensuite la libérer de ses obligations familiales … certes mais comment ? En instaurant un tour de rôle dans la tente deux places dans le jardin de poche ? Fait encore trop froid la nuit. De toutes façons, j’y tiens pas. J’ai transplanté des pâquerettes sauvages dans la pelouse. Gänseblümchen. Les petite fleurs des oies. C’est pas charmant ? Je les chouchoute à coups de petites caresses et arrosage quotidien. Et de réorientation des grattages canins intempestifs.

Comment, sans pouvoir la renvoyer à l’école, restaurer la santé d’une demoiselle qui souffre sans le savoir d’être coincée entre ses parents et sa sœur bouillonnante (elle aussi en souffrance d’isolement), et de ne pas savoir quand elle pourra voir son frère coincé dans le no man’s land des voyages internationaux mais intra européens en temps de partiels masqués ? De ne pas pouvoir exercer son métier de petite fille : aller à l’école à vélo, jouer dans l’herbe avec ses copines, courir à fond avec la chienne (toujours attachée à deux laisses), manger en cachette des bonbons dans le placard (mais pourquoi est-ce que je garde les stocks inutilisés aux anniversaires d’hiver ?), laisser trainer ses habits sales sur la moquette ( ça, ça marche toujours), refuser de lire avec maman, négocier de regarder quelque chose le vendredi soir, poser trois dizaines de questions en moins d’une minute et n’écouter aucune réponse. Concocter des gâteaux imaginaires délicieux.

Mes filles sont comme leur mère : hypersensibles. Les griffes de la vie les égratignent plus vite et plus profond. Leur mal-être aigü alerte sur un malaise général. Les Anglais ont une expression douce-amère : canaris in the mine. Les canaris-alarmes des mines : quand ils meurent dans leur cage, il est temps pour les mineurs de sortir, l’oxygène est tari. Avis aux plans-plans de vaccination… y’a urgence pour les gosses. Vraie.

Ne dirait-on pas les méchantes pensées chantantes d’Alice au pays des merveilles ?

Vous serez ravis de l’apprendre, ça vous fera une belle jambe pour les shorts du printemps : ça y est je connais le nom des fleurs en allemand. Enfin, celles à qui j’ai été présentée et que je fréquente. J’ai pas fait exprès. A force de fouiller dans les pépinières et d’en réclamer au fleuriste, ma mémoire a cédé.

C’est intéressant je trouve de comparer les noms des plantes dans différentes langues. Ça montre des approches différentes en botanique.
Souci, Ringblume, parce que la graine rappelle l’anneau (ring). Wolfsmilch, l’euphorbe (lait de loup, cassez une tige vous verrez), aux couleurs et aux formes envoutantes, que je n’ose pas planter dans mon jardin en raison de sa toxicité. Le giroflée en anglais se dit Wallflower – fleur des murs. En allemand j’ai déjà oublié, je vais chercher. Mes semis de graines ardéchoises poussent bien dehors. Par contre, ceux de zinnias et de soucis commencent à s’étioler à l’intérieur. J’ai hâte de les planter au jardin, après les saints de glace, la lune rousse et avoir déblayé un coin de terre.

Dans deux semaines, ma grande fille jouera en concert dans une église. Elle travaille à la flûte une Humoresque de Dvorak, je l’accompagne au piano. Nous avons présenté jeudi notre travail sur Skype à sa prof. Les élèves joueront les uns pour les autres, sans autres spectateurs. Ce sera filmé. Le petit défi du moment : sortir bien habillée, en ayant dans les doigts le morceau, jouer sans répétition sur un instrument inconnu. Dans une église la sonorité est très différente d’une pièce aux volumes classiques, même grande. Un piano à queue (Flügel : aile, c’est joli non ?) aussi a un son spécial. Ouvert, les spectateurs entendent mieux la musique que le pianiste. En toutes circonstances, j’ai la trouille de jouer en public. Les regards me tétanisent. Depuis quelques années je me force, et je me débrouille pas mal, tendue et bouillante comme un arc en fusion. Je me planquerai derrière la flûte. Ne le dites pas à ma fille.

A la rubrique actualités familiales, je me suis enfin inscrite au registre des Français hors de France. Tout se fait en ligne. Bien sûr il y a eu un petit aller-retour administratif pour cause de justificatif qui ne cochait pas toutes les cases. J’ai attendu longtemps, d’abord par manque de motivation puis pour absence de photo d’identité. Pas de photomaton à Mainz. Chez le photographe le cliché coûte les yeux de la tête qu’il a immortalisée. Récemment, j’ai découvert que l’on pouvait se faire tirer le portrait chez DM, la droguerie / parapharmacie / épicerie bio sèche (graal des petites jeunes filles en vadrouille et de leurs mamans confinées) entre le rayon pâtes et les mouchoirs en papier. On ôte le masque un quart de seconde. Voilà c’est fait. J’ai une carte virtuelle qui me dit que son titulaire est placé sous la protection du consulat de France. Dans un sens bizarre c’est rassurant. Je pourrai voter aux présidentielles au consulat de Francfort. Mon fils m’a dit “Ah c’est vous qu’on attendra le soir des élections à 20 heures !” Oui. Enfin. Surtout les Français de plus loin. En matière de décalage horaire, même dans ces temps perturbés, de part et d’autre du Rhin nous jouons à l’unisson.

Changements minuscules.

L’Angleterre déconfine, la France va retrouver sa liberté de mouvement. Ici, le tunnel est toujours bouché. Nous n’avons pas de limitation aux 10 kilomètres. Comme nous n’avons nulle part où coucher ailleurs que chez nous, et que les paysages certes jolis restent monotones même à bonne distance de Mainz, nous renonçons à dépasser la demi-heure de voiture. Le frein on se le met tout seul. J’ai annulé un projet de rendez-vous amical à trois par respect de ce que j’ai compris des nouvelles règles d’urgence. Je me germanise dangereusement. Pourvu que je n’en vienne pas à reprendre des inconnus sur leur comportement.

Ma grande fille hier a été confrontée à une remarque abrupte d’un propriétaire de chien selon elle aberrante (Gaïa n’aurait pas le droit d’aller renifler les fesses de son chien couché). Elle est rentrée chamboulée. C’est la première fois qu’elle vit en direct la propension de certains à éduquer leur prochain à leur corps défendant (et ce même quand ils sont eux-mêmes dans leur tort). Elle me le raconte, en terminant avec un « mais enfin, de quoi il se mêle ? » (avec un vocabulaire plus fleuri, où il est à nouveau question de postérieur, inspiré directement de celui de sa mère puisque c’est le seul français qu’elle entend au quotidien).

-Quand c’est comme ça ma fille, inutile de chercher à discuter. Tu fais un sourire et tu t’en vas vite.

-Ouais mais j’avais mon masque.

-Peu importe. En y réfléchissant mieux, les gens agressifs ne méritent pas ton sourire. Pars en disant quelques mots en français. Tu l’entendras râler sur les Franzosen. Et tu sauveras ton humeur.

Ça c’est notre technique de frein d’urgence pour glisser entre les mailles du filet de la Hobby Polizei (la police des loisirs, comme dit une amie) et se placer sous la protection virtuelle d’une prétendue maladresse franchouillarde.

Je vais devoir vous laisser. Une poignée de sable m’attend. Au risque d’en prendre plein les yeux, je vais la lancer en l’air pour connaître le sens du vent.

Je vous le souhaite favorable.

Le Rhin par ici, c’est l’évasion. Les campings s’installent pour l’été. Ce sont des résidences secondaires temporaires (la zone est inondée l’hiver). La photo est un peu sombre, je n’ai pas osé trainer. Notez les transats bien placés.

Là où coulent les idées

Du rêve, de l’écriture, des tests rapides pour le corona à l’école, de la pression de la mère parfaite. Pot (pas trop) pourri (j’espère).

J’ai rêvé de vous.

Je me tenais dans une eau en pente, un bout de rivière sans rives, penché. Au-dessus de moi une branche de pommier. Je la regarde en me demandant : que vais-je pouvoir écrire cette semaine ? Je n’ai rien posté pour mes amis de plume ces derniers jours. Quel sujet aborder quand on tourne en carré entre ses murs ? Je ne vais quand même pas rabâcher que ben ma fois, on frôle l’ennui hein. Même ça on s’en lasse. A le lire. A l’écrire.

Puis un petit oiseau bleu arrive par le haut, une fleur blanche au bec. Un petit oiseau de dessin animé, joyeux. Il la pose sur la branche et s’envole. Quelques secondes plus tard le revoilà, avec une petite pomme rouge. Il la place sur une brindille. Oh, je dis, il a rapporté la pomme qui avait disparue ! Mon moi-en-rêve se frappe le front : « C’est ça qu’il faut que j’écrive ! »

Au réveil j’ai attrapé la scène avant qu’elle ne s’envole et l’ai posée sur le premier papier trouvé (un mini bloc turquoise Clairefontaine à spirale et petits carreaux, je n’avais pas pu résister à son nom, Pupitre) : « Blog – rêve- je ne sais pas quoi écrire – petit oiseau qui rapporte 1 pomme, 1 rose. Ecrire, pr penser, pr penser quoi écrire. »

Je passe plusieurs heures par jour à écrire. Quand je m’assois le texte coule tout seul. C’est loin du bureau que les idées jaillissent. N’importe quand. Tout le temps. Elles germent dans le ferment des écrits de la veille. Les meilleures idées, les plus lisses et claires m’inondent au réveil, dans cette petite fenêtre où la conscience prend contact avec elle-même. Là coulent les idées. Les yeux toujours fermés. Avant d’entendre le moindre son, de sentir la moindre odeur. Avant toute distraction du monde réel. Il faut les attraper d’un coup de filet à papillon pour les épingler avec des mots rapides sur un bout de papier.

Plus tard je les écris. Les mots tissent en phrases l’ombre du papillon avant de le laisser repartir. Je découvre ce que je pense. Quand je sais ce que je pense, je peux écrire. A nouveau, avec d’autres mots ou bien les mêmes. Vous me suivez ? Le brouillon me sert de sujet.

Ce matin j’ai repris ce rêve de mémoire. Il avait bien voulu rester en moi. Et quand j’ai repris mes notes, copiées intégralement ci-dessus, j’ai remarqué la différence : une rose, une fleur blanche. Ma mémoire avait associé la fleur et l’arbre et en avait fait une fleur de pommier. Peut-être parce que ces fleurs-là je les guette dans la nature. Les vergers de pommiers commencent à éclore. Dans leur version nue et grise de l’hiver, ils évoquent les vignobles de Champagne. Tout le monde au garde à vous. Rentabilité maximale. Les arbres sont plantés très près, taillés courts et vers le bas. Ce ne sont plus des espaliers mais des échelles étroites et trapues.

Ecrire sur un oiseau et une fleur, ça me permet de ne pas parler de l’actualité.

Du fanatisme avec lequel les Allemands se jettent sur les tests rapides sur le corona. Le ministère de la Santé fait de la pub. Bien sûr, il est toujours précisé que les erreurs de résultats sont de proportion très élevée. N’empêche. Maintenant on les trouve dans les supermarchés. 5 ou 6 euros pour ne pas se rassurer. Si le même enthousiasme était mis sur les vaccins (13% au 11 avril en Rheinland-Pfalz, la tranche des 60 ans commence à peine)…

J’ai demandé à des amis français pharmaciens si c’était la ruée sur ces tests en France aussi. La réponse a été lapidaire : non, nous on sait que ça ne marche pas. Ici, certains ne parlent que de ça. Tout le temps. De leur dernier test, de celui à venir. Le prélèvement comme activité quasi-quotidienne entre douche et brossage de dents. Avec à la clef, le petit pic d’adrénaline. Netflix n’a qu’à bien se tenir.

Les filles ont repris l’école mercredi dernier, jour de rentrée des vacances de Pâques, en demi-groupe. Il est prévu une semaine sur place avec le prof, l’autre à la maison avec des devoirs (sans video). Les élèves feront deux tests auto-administrés de corona par semaine en classe. On a reçu des mails, des alertes d’appli, des courriers du collège, des formulaires du Land.  « Ah super, a dit ma plus jeune, on va quitter les masques en classe ?! C’est malin. » Oui et si ton test est positif, on te posera dans une autre salle jusqu’à ce que tes parents piteux viennent te chercher.

C’est facultatif. Freiwillig. J’ai commencé par m’énerver. Non mais ils nous emm… avec ces tests qui ne servent qu’à brasser l’incertitude. Ces gosses, ils feraient mieux de profiter d’être en classe pour s’amuser avec leurs copains, pardon, apprendre. Pauvres profs ce qu’on leur demande encore…  Donc, non mes filles ne feront pas ces tests. Mon mari, plus posé, n’était pas chaud non plus. Puis finalement, pour des raisons différentes on a cédé. Moi à la pression supposée du groupe. Faisons comme tout le monde : c’est fatigant de tenir une position différente. Lui, scientifique, après lectures de données officielles qui précisent que plus la maladie est répandue, plus les tests sont justes (forcément : les coïncidences viennent au secours des statistiques). Bon si ça peut éviter quelques malades.

On a rempli le formulaire (avec ton numéro de téléphone hein, un numéro français, ça va dépasser des cases). Les filles l’ont rendu à leur prof principal. Les tests n’étaient pas encore livrés. Peut-être le deuxième groupe pourra-t-il le faire cette semaine ? Peu de chance pour les nôtres de revoir le collège de sitôt. Avant-hier mon amie de Cologne m’a écrit : lundi l’école à la maison recommence en Nordrhein-Westfalen. Une autre de Baden-Württemberg aussi. Trois petits jours et puis s’en va… Help !

Plus tard dans la journée alors que je farfouillais dans mon téléphone, le titre d’un article du Monde m’a interpelée : l’Académie de médecine alerte sur les tests dans le nez. Les prélèvements ne sont pas sans risques et doivent être administrés par des professionnels. Une prof de ma fille avait fait une blague : si le bout de votre bâtonnet est vert c’est que vous êtes allés trop loin, dans le cerveau. Quand je pense qu’on répète à nos enfants depuis leur naissance de ne rien se mettre dans le nez (ma plus jeune n’a toujours pas compris).

Intéressant d’être à la croisée de trois pays…. On pourrait croire que la médecine, discipline scientifique, de pays voisins, riches, et aux échanges libres (enfin, jusqu’à il y a peu) soit uniforme. Bien sûr la gestion de la pandémie relève aussi (trop ?) de la politique. Il n’empêche… L’interprétation de données d’études médicales semble relever autant de la culture locale que de la science. Vérité en deçà du Rhin, erreur au-delà…

Celle des règles diffère dans tous les domaines. Les photos envoyées par certains membres de ma famille française (suivez mon regard) sur leurs vacances, pardon, confinement, le confirment. “Mais si, je suis bien à 10km, enfin presque, disons, pas trop loin de chez moi. Là. Et là. Et ici. Non mais ça va je suis chez des gens vaccinés.”

Mouais.

Un autre article arrivé via une newsletter dans ma boite aux lettres m’a interpelée : le burn out de la mère expatriée. Ah enfin ! Depuis le temps que je suis abonnée à ce site sur la vie à l’étranger, c’est la première fois que je vois abordées ces difficultés spécifiques (et il a fallu attendre une pandémie qui met à plat tout le monde partout). C’était d’ailleurs la raison d’être de mon blog : partager les étonnements, les micmacs culturels et les difficultés. Casser les clichés. L’expatriation n’est pas que cocktails sur une plage paradisiaque (pas de risque en Allemagne je sais – bon en même temps la vie d’expat en Thaïlande je ne connais pas). La mère que je suis a beaucoup craqué au début entre paperasses administratives interminables en allemand et découverte du système scolaire, accompagnement pédagogique d’enfants qui ne parlent pas un mot de la langue d’enseignement. Je recraque à nouveau régulièrement sous la pression covidesque (et l’apparition simultanée de l’adolescence entre nos murs). Mais à la lecture de cet article je me suis félicitée. Ah y’a un truc auquel j’échappe : la pression de la mère parfaite.

Ce syndrome me touchait à Lyon mais pas ici. Il semblerait que les mamans expatriées le vivent et le fasse vivre à leurs consœurs de façon XXL. Ce sont souvent des mamans très diplômées, qui lorsqu’elles suivent leur mari à l’étranger (oui c’est encore souvent dans ce sens que ça se passe), privées de leur engagement professionnel, s’investissent encore plus sur leurs enfants. Elles se croisent à la faveur d’une école internationale ou d’un lycée français : la comparaison joue à fond, avec des repères nationaux. Prière de multiplier les activités des chérubins avec le sourire et tutti quanti…

Ici de ce côté-là c’est cool pour moi. Je n’ai croisé des mamans expatriées qu’une fois en trois ans, via le travail de mon mari, parce qu’elles avaient eu la gentillesse de m’associer à leur visite guidée de Francfort. Notre famille est plutôt immigrée : plongée tête la première dans la germanitude. Dans notre école de quartier, les parents que je croise (enfin, croisais) sont allemands. Or les Allemands redoutent de mettre trop de pression à leurs enfants.

Combien de fois ai-je entendu : « Oh là là, ça leur fait de grosses journées, jusqu’à 16 heures ! » (sachant que chaque jour, une heure d’étude encadrée par un professeur permet d’avancer les devoirs et qu’une ou deux après-midis par semaine sont consacrées aux AG, clubs d’activités, en France extra-scolaires et payantes, de grande qualité).

Les parents ne sont allés à l’école, eux, que jusqu’à 13 ou 14 heures. Une réforme a introduit les GTS (Ganztagsschulen : école à la journée complète, oui elles ont leur sigle) en raccourcissant la durée de scolarité d’un an (Abitur, bac, à 18 ans plutôt que 19). Notre Land, Rheinland-Pfalz a été le premier à créer des GTS dans son programme pédagogique en 2001. Aujourd’hui encore de nombreux collèges ont gardé la scolarité les matins seulement. On les appelle les G9 (Gymnasium -collège + lycée- en 9 ans, les autres sont les G8 : Gymnasium en 8 ans, comme en France).

Alors 16 heures…. Quand on sait que les repas du soir se prennent entre 17 et 18 heures… 16 heures, c’est le crépuscule. (Je me suis très bien adaptée à cela : je tire ma famille vers des diners de plus en plus tôt pour me libérer de mes obligations familiales et aller me planquer dans ma chambre. J’ai de plus en plus envie de grouper le diner avec le déjeuner).

Côté pression éducative entre parents ça reste soft (pour quelqu’un d’étranger en tous cas). Les petits Allemands ont des activités de musique et de sport, mais d’une part ils sont autonomes très tôt pour leurs déplacements (vélo, tram) et d’autre part ils ont du temps pour le faire.

Quand j’entends « Ah là là 16 heures ! » Je réponds, ben pour nous c’est cool. A Lyon elles allaient à l’école internationale et se tapaient une heure de trajet en métro le matin, puis le soir dans les bouchons avec le bus scolaire. Elles arrivaient à 18 heures au mieux à la maison, survoltées et épuisées (mais au fait des dernières musiques à la mode écoutées par le chauffeur du bus). Je leur faisais le décompte des gestes minutés dans l’ascenseur. Devoirs, douche, repas, éventuellement cours de flute ou de piano, travail de l’instrument. Le mercredi on courait à droite et à gauche dans le bruit et la cohue pour la danse ou la piscine. Je ne vous fais pas un dessin, vous connaissez. Leur mère tâchait de ne pas péter les plombs. Parfois même elle y arrivait.

Pour mes interlocuteurs ici, ça doit friser la maltraitance. Ils sont fous ces Gaulois.

Ici, j’ai tout lâché de ce côté-là. Le défi pour mes filles d’apprendre une langue, une nouvelle scolarité, et de se faire des amis était plus que suffisant. Ma jauge énergétique clignotait déjà dangereusement dans le rouge cramoisi. On n’allait pas en rajouter.

(Euh, en fait si, je me suis rajouté un défi impossible qui nous a gâché un temps la vie à ma benjamine et moi : tenter à coup de leçons décousues de conjugaison et de grammaire d’éviter qu’elle oublie son français. Quand on arrive à l’étranger en fin de CE1, l’orthographe est loin d’être acquis. Elle a consolidé sa lecture (ouf) mais pour l’écrit, j’ai lâché, de guerre lasse. On compte sur les cours de français du collège. Il fallait déjà qu’elle apprenne au plus vite à lire et à écrire dans une autre langue. Sans oublier non plus son anglais. Et que je retrouve une vie presque équilibrée.)

Vous voyez, ça fume un peu. Et c’était sans compter avec une pandémie.

Mainzer Sand

Histoire de prendre l’air, hier nous nous sommes promenées elle et moi avec la chienne Gaïa sur le Mainzer Sand (cette steppe de sable). On a vu un petit lapin, et évité de bouffer une joggeuse et un grand type habillé de sombre. Ma fille a des réflexes pour retenir l’élan de Gaïa. Je reste spectatrice, inquiète qu’il se passe un truc et que je doive intervenir. Elle me racontait sa joie de retrouver ses copines en classe. « On a fait du bruit en étude, le prof nous a grondées. Mais on avait trop envie de rire. » Elle met des mots d’allemand et d’anglais de partout. Moi aussi par flemme de traduire par une périphrase ce qu’une autre langue transmet avec un seul mot. Parfois, je lui donne la version française. Pas toujours, c’est fastidieux. Tant pis.

Les 26 lettres de l’alphabet ont des usages et des prononciations bien différentes de part et d’autre des frontières. Pourquoi en serait-il autrement des tests du corona ?

En Avril, reste dans ta coquille

Vacances de Pâques à la maison, comme à Noël, comme l’an dernier.

Ce n’est pas une surprise.

Chaque jour qui passait nous le confirmait. On allait encore être assignés à résidence aux vacances de Pâques. Privés de France et de dépaysement. La vaccination n’avance pas : les plus de 70 ans commencent à peine. Les communiqués du Minsitère de la Santé allemand misent tout sur les tests rapides, en précisant que seuls les résultats positifs sont sûrs, quand on a déjà des symptômes. Pour les négatifs, prière de prendre les précautions habituelles.

Pourtant, on a voulu y croire.

Nous avons réservé une colonie de cheval pour les filles. Elles se sont tellement régalées aux vacances d’automne, elles voulaient y retourner. Nous étions ravis de nous échapper en amoureux (bon presque, avec la chienne) dans une location sur la mer du Nord.

Les deux projets ont été impossibles. Bien sûr.

A Noël nous avions déjà réservé (puis annulé) un gîte en Forêt noire. Au cas où.

On a l’impression de faire un effort et de jouer le jeu du sacrifice à la pandémie : les vacances en Allemagne c’est pas notre premier choix. Mais sans frontière entre notre résidence et notre destination de congés peut-être pourrons-nous partir ? Oublions pour l’exercice que l’Allemagne est un pays fédéral et que les règles peuvent changer d’un Land à l’autre.

Un calcul naïf. Un mélange de déni, d’espoir, et d’ennui.

Si, si. Faisons comme si. Comme si tout était possible dans deux, trois mois. Réservons des vacances.  On y gagne une semaine d’évasion condensée en quelques minutes de clics.

Là regarde, ce sera bien ! Imagine les promenades dans les dunes de plages blanches ! Tu sens le sable qui glisse sous tes pieds nus et le vent dans tes cheveux ? Découvrir enfin la Wattenmeer, ces étendues immenses découvertes à marée basse comme dans la baie du Mont Saint-Michel ! Le gîte est dans une maison ancienne, sur un petit port où s’amarrent les bateaux de pêche à la crevette. Le phare rayé rouge et jaune se rejoint à pied dans les landes. On pourra peut-être prendre un ferry pour visiter le chapelet d’iles au large des côtes néerlandaises et allemandes. Ah, sentir la respiration de la mer. Voir l’horizon de près !

« On, pronom imbécile, mis pour celui qui l’emploie. » comme disait ma tante, institutrice en Provence. 

On a joué.

J’ai, tu as, il/elle a perdu.

On recommence.

Et les vacances de Pentecôte ? (Les vacances d’été commenceront mi-juillet : on a perdu les congés de février mais gagné cette coupure fin mai).

Nos corps vaccinés pourront s’échapper vers une grande braderie de destinations. Evadez-vous, y’en aura pas pour tout le monde ! Pour éviter les bouchons et la foule il faudra… rester en Allemagne, mais loin de la côte et des reliefs. A la maison quoi.

Non.

Pourtant, patientons avant de retomber dans le cycle fou de l’analyse de probabilités corrigées des données de vaccination et des destinations possibles sous conditions, suivi de la lecture du guide touristique un fluo à la main, puis du clic de réservation avec le petit mail de précaution (et si….).

Compte à rebours désenchanté. Déni jusqu’à la dernière minute. Colère.

Encore.

Là on a envie de dire des méchancetés à qui veut les entendre (et même à ceux qui ne le souhaitent pas), de faire payer à son entourage la monotonie des jours. De lui faire bouffer ce chien qui aboie de plus en plus. De vider un seau d’eau sur la tête des voisins qui passent leurs nuits de week-ends à boire de la vodka sur leur terrasse – c’est-à-dire sous nos fenêtres.

Quand on a vécu dans le grand nord de la Russie, le froid n’a pas de prise : ils font ça en toutes saisons. Un peu gênés et apeurés d’aller leur dire qu’ils nous emm… (c’est le monde à l’envers), nous avons sonné à leur porte. Monsieur a répondu avec le sourire : “Dites-nous sur le moment quand ça vous embête ! On ne veut pas que vous accumuliez de la rancoeur !” Bien sûr. Trop tard. Il n’y a rien de plus réceptif qu’un cerveau alcoolisé. Ils abdiquent toute responsabilité et nous transfèrent le rôle de cadrer leur comportement irrespectueux. Comme des gosses. Où sont les ”vrais” Allemands du quartier ? Ceux qui rappellent à leur prochain l’impératif de respecter les règles sociales et téléphonent à la police à 22h15 ? Dont le regard muet vous met au garde à vous ? Ceux qui installent des portes aux cagibis des poubelles pour que les immigrés franco-anglais du coin de la rue (nous) ne viennent plus y poser un petit sac de compost bien fermé. Ah ceux-là, quand on en a besoin….

Résignation.

Allez, il fait beau, on va pique-niquer. Les balades stimulent. On fait semblant de prendre l’air et on ramasse quelques miettes de dépaysement. Les alouettes égaient des champs monotones. Ça sent le miel et le chou. Des éoliennes dépassent au creux d’une forêt (c’est écolo mais qu’est-ce que c’est moche : ça ruine le côté sauvage de la campagne. Ici elles prolifèrent, peut-être pour se racheter une conscience d’abuser de l’électricité au charbon de la Ruhr ?)

Quelques poches d’épicéas verts résistent au milieu des squelettes de leurs confrères. Les sécheresses des derniers étés ont prélevé leur dû. Il faut enjamber des troncs à terre. Sous les conifères les flancs des collines ressemblent à des mikados géants. Les forestiers coupent, entassent, replantent des espèces résistantes à la nouvelle chaleur. Ça ne me surprend pas : j’ai toujours associé l’épicéa à l’altitude. Ici ils poussent (poussaient) en plaine. Quand j’en vois mon corps réprime un frisson inutile.

Puisque c’est la saison, plantons ! J’abreuve d’engrais les fleurs installées dans notre pauvre terre de remblais. Je sème et je repique. Inspirée par une amie dont les semis prospèrent je m’applique. D’habitude c’est free style. Incapable de résister, chaque année j’achète plein de sachets de graines. Je les éparpille dans tous les trous de terre libre. Puis je les oublie et j’espère… Un germe vert me comble jusqu’à ce qu’il s’étiole faute de soins précis. Seules les capucines et quelques cosmos pardonnent l’improvisation.

Cette année j’ai semé à l’intérieur des zinnias et des pois de senteur (ensemble par erreur), des soucis, de la bourrache aux étoiles bleues au gout de concombre, et des mufliers. Ils poussent à des vitesses très différentes. Les soucis s’étirent, les mufliers plantés quelques semaines plus tôt restent minuscules. J’ai éclairci patiemment. Ma pépinière de petits pots se tend vers la lumière. Comme dans les caves de champagne, je tourne mes protégés un peu chaque jour. Hier, encouragée par la chaleur, j’ai semé dehors, directement dans de gros pots, les capucines et les cosmos et une prairie fleurie. J’ai bien arrosé.

Bien sûr Gaïa aime fourrer son nez dans les pots. Que trouve-t-elle à y manger ? Elle rentre le museau plein de terre. Mes plantations semblent ravagées par de minuscules sangliers. Va falloir progresser en éducation canine si je veux donner une chance à mes fleurs.

L’info est tombée. La France aussi retourne à ses quatre murs. Ah on ne s’en lasse pas hein ?

Mon mari a repeint ceux du rez-de chaussée dont la propreté laissait à désirer. Moi j’ai passé l’aspirateur sur les murs (les araignées se sentent bien chez nous). La verticale ne m’arrête plus. Je suis toute folle : on a reçu les pièces détachées pour nos appareils électroménagers défectueux (aspirateur et lave-vaisselle) qui nous agaçaient à chaque utilisation. Le bonheur simple comme un coup de sonnette. Comme un morceau de plastique dans un emballage en carton.

Aujourd’hui vendredi saint, est férié. Les rayons oeufs des magasins du coin sont dévalisés. Au matin de Pâques les enfants allemands cherchent de vrais œufs colorés dans l’herbe. En prime bien sûr ils ont des chocolats et des petits cadeaux. Nous on est restés fidèles aux chocolats. C’est toxique pour les chiens. Où allons-nous les cacher ?

Dans l’actualité qui piétine, quelques changements rendent un bout de sourire. Les asperges locales ont fait leur apparition au marché. Encore chères, on attendra. L’ail des ours aussi (Bärlauch). Les cabanes de bois éphémères déguisées en fraises ont poussé sur les parkings. Même fermées, elles sont autant de promesses de renouveau gustatif. L’étalage de notre maraîcher compte beaucoup trop d’espèces de choux et de pommes de terre.

Nous avons fait notre première Grüne Sosse (sauce verte) du printemps. Cette spécialité de Francfort est cuisinée avec une quinzaine d’herbes fraîches (estragon, pimprenelle, bourrache, persil, ciboulette, oseille, cerfeuil…) hachées avec des œufs durs écrasés, une vinaigrette et un peu de crème liquide et de yaourt. Elle accompagne les pommes de terre ou la viande. C’est bon et ça fait faire un peu la grimace. Ça sent l’herbe fraîche coupée et le vinaigre. A la première cuillère, je me surprends à dire « Ça sent l’Allemagne ! ». Une touche de chou rouge mariné, de choucroute… Les Allemands aimeraient-ils bien l’acide ? Pourtant les cornichons (en français sur le bocal) que nous avons enfin finis hier étaient plus sucrés que piquants.

Le soleil s’est caché aujourd’hui, je vais devoir rentrer mon étendage. La météo annonce un plongeon vers des températures négatives et la neige. Fini l’été express.

Et maintenant on fait quoi ? On regarde pousser les graines ?

Allez, on réserve les vacances de Pentecôte. Il sera toujours temps de les annuler en fonction des informations-vaccinations-décisions. Alors les enfants on va où ?

Pour l’instant on ne sait pas encore. On encaisse la déception.

J’en reste là.

Je reste là.

Burg Eltz

Excursion près de la vallée de la Moselle, pour découvrir un château fort qui appartient à la même famille depuis 800 ans.

Pour m’évader de mes quatre murs, je me planque le soir au fond du lit avec une tablette (si possible celle qui marche). J’ai branché une rallonge à demeure pour la recharger. Mes colocs se chargent eux de la vider.

Je zappe entre Arte et la BBC (grâce à notre VPN nous pouvons faire croire au système que nous sommes en terre britannique sans risquer de choper de variantes exotiques).

Sur la BBC je ris devant les séries que j’adore même si je les connais par cœur. Je voyage dans le temps avec les films hollywoodiens des années 30, 40, 50… J’ai un faible pour Cary Grant.

Sur Arte je m’évade par l’Histoire. La violence humaine y est plus digeste édulcorée par plusieurs siècles. La vie des générations précédentes éclaire la nôtre. Ah, oui, c’est pas nouveau alors ce qui nous arrive. Dans le cocon d’une couette, la campagne égyptienne de Napoléon prend une allure de croisière sur le Nil. Depuis que je croise ses traces en Rhénanie, je tâche de combler mes lacunes sur cet empereur. Il est toujours passé au travers de mes programmes d’histoire. D’autres documentaires m’ont passionné : les recherches archéologiques en lien avec les textes de la Bible, le Versailles secret de Marie-Antoinette et celui, en deux parties, sur les châteaux forts.

Tourné entre France et Allemagne, il présente l’avantage de filmer des coins que nous connaissons au moins de vue (châteaux des gorges du Rhin). D’autres donnent envie de les découvrir de plus près, comme l’une des rares forteresses jamais détruite par la guerre : Burg Eltz.

Erigé au début du XIIème siècle sur un piton rocheux bordé sur trois côtés par un gros ruisseau, affluent de la Moselle, ce château niché dans une vallée boisée ne se laisse approcher qu’à pied.

Cédé dès ses débuts aux trois fils de famille, il a fait l’objet d’ajouts et d’aménagements pour héberger chacune des lignées. Le mélange de styles successifs, les tourelles et encorbellements, lui prêtent une allure de château de conte de fée. Le documentaire montre l’intérieur du bâtiment et l’interview du comte de Eltz, un des descendants du seigneur initial. Un monsieur très chic, en costume trois pièces, présente son château médiéval. L’anachronie est délicieuse. Peut-être à côté de sa berline noire parque-t-il un destrier ?

Même sur écran, la promenade dans le château est passionnante. Tout a une explication : la taille des fenêtres liée au coût du verre, l’emplacement des toilettes (en encorbellement pour des raisons de gravité), les peintures au mur comme distraction pour les longs mois d’hiver quand la vie à l’extérieur est limitée. Ces temps-ci bien sûr, le château ne se visite pas. Tant pis. Et si on allait le voir ? C’est à peine à une heure de route chez nous. Nous pourrions découvrir la vallée de la Moselle.

Et comment se sentir plus en liberté qu’à l’extérieur d’un château fort ?

Alors dimanche j’ai embarqué tout le monde (oui même la chienne) pour une excursion touristique.

La Vallée de la Moselle se dévoile par le haut. En virages serrés (soupir nostalgique, ah les Alpes) la route rejoint le niveau de la rivière. Un château fort en ruine à droite, un peu partout des bouts de vignobles accrochés à des pentes sévères. Le tout dans un camaïeu de brun. Le printemps n’est pas encore arrivé. Dans les plis d’ombre, les feuillages sont givrés.

La voilà donc cette vallée touristique, à la réputation internationale (pour le vin, et même pour le vélo on a des copains qui sont venus d’Angleterre pour y pédaler). Ce sont les gorges du Rhin en version intime et plus policée. Une rivière des villes, croisée avec un canal : elle sinue sagement entre deux routes et une voie ferrée. Peu d’arbres sur ses rives, pas de rapides. Des flancs de colline presque symétriques. C’est joli oui, mais à l’allemande : bien rangé, austère, avec beaucoup trop d’angles droits. Rien à voir avec les rivières ébouriffées de mon Ardèche ou même la large Dordogne.

Les longues pelouses vides et plates des rives aux panneaux marqués ‘’camping’’ nous narguent (on nous la fait plus, on sait que ce sont des parkings à camping-cars). Comme les enseignes de cafés et de restaurants fermés. Une boulangerie ouverte précise que le pèlerin de Saint-Jacques peut y faire tamponner sa credencial. Les nombreux hôtels et chambres d’hôtes fermés nous rappellent qu’en saison ça doit grouiller.

Nous traversons un petit village de vignerons, où les vignes hautes et verticales sur des pentes aigues faussent les perspectives. Au pas de course (il fait très froid) nous suivons les ruelles et un escalier-chemin de croix jusqu’à une église antique enchâssée dans la colline, sous le château fort en ruines. La peinture blanche des murs rappelle la chaux méditerranéenne. Les tombes noires très anciennes sont superbes. C’est à peu près le seul coin intéressant dans ce village pourtant signalé par le guide.

Pourquoi quelques habitants choisissent-ils de peindre leur maison de couleurs vives : jaune, bleu ciel, mauve, rouge ? Et pourquoi est-ce autorisé ? Certaines façades obligent à détourner les yeux pour éviter la nausée.

Quelques kilomètres plus bas, enfin, vers le Sud mais plus haut sur le cours de la Moselle (vous suivez ? je ne m’y fais pas à ces cours d’eau qui coulent vers le Nord), nous trouvons le panneau du chemin pour le Burg Eltz.

Comme pour toutes nos balades, il est presque midi quand nous partons et certains estomacs crient famine (tous). Le château est à 5 kilomètres. Après quelques virages le long d’une route qui serpente le long du ruisseau d’Eltz, un sentier s’enfonce dans les arbres. Pas avant d’avoir permis à nos filles de repérer le panneau du restau qui propose des frites à emporter. Au retour peut-être ?

Aucun bourgeon sur les arbres. Seuls quelques perce-neige nous saluent de leurs clochettes. L’hiver est toujours là. Pique-nique assis sur un tronc d’arbre au bord du ruisseau. Les filles ont préparé un festin. Personne ne trempe ses pieds l’eau en glissant sur les galets. Le chemin s’élève un peu et pour suivre par en haut le cours du ruisseau.

Quel bonheur de ne pas être chez soi ! Et de croiser des gens comme si de rien n’était. A notre grande surprise (après tout le château est fermé) il y a foule et personne ne porte de masque. Ma grande fille retient sa respiration à chaque croisement.

Après le dernier virage, le rideau est levé. La silhouette à la fois imposante et féérique du Burg Eltz nous domine à contre-jour du haut de son piton. Allez courage on y est presque. Zigzags entre les groupes, les couples qui se prennent en photo, attente pour traverser la passerelle. Après quelques lacets et des escaliers le sentier débouche sur la voie pavée d’accès au château, un pont fixe en pierre.

Il est vraiment superbe ce château moyenâgeux. Etroit de profil, large de face, les tourelles et flammes aux armes de la famille nous propulsent dans les livres pour enfants. N’étaient ces groupes de tricheurs accoudés au muret (une foule en tenue de ville, arrivée par un parking situé à 1500 mètres de l’autre côté de notre sentier d’arrivée) on s’attendrait à voir sortir un chevalier en armure. Je reconnais l’encorbellement de la chapelle, dont le documentaire a montré l’intérieur. En regardant mieux, on distingue un dragon.

La cour intérieure accueille un snack fermé.

La route qui s’élève en face du château, monte vers une tour en ruines. J’apprendrai plus tard, que c’est le vestige d’un château-donjon de siège : les seigneurs d’Eltz ont tenu le coup 2 ans. (2 ans de confinement, vous imaginez ? bon là y’avait de la place : j’ai compté 8 étages.)

Dans un creux de rocher en plein soleil il fait bon, je peux prendre des photos. Ma fille n’a de cesse de répéter qu’elle aimerait “trop y vivre dans ce château ! Non mais t’imagine, il doit y avoir une pière pour tout !” Un p’tit coup d’eau et on repart retrouver la tranquillité relative de notre sentier. Non pas de frites. On a des sachets de réglisses anglais dans la voiture, à peine périmés.

J’ai essayé d’expliquer à mes filles des bribes du documentaire : le château appartient toujours à la même famille depuis 800 ans. Je ne crois pas qu’elles aient écouté. Grâce à Gaïa la chienne elles ont marché très vite. C’est déjà ça. Nous sommes ravis d’avoir découvert ce coin du monde. D’avoir glissé un pied hors de nos oubliettes.

Quel documentaire nous inspirera la prochaine excursion ? Je vous entends me souffler, espiègles : l’Egypte de Napoléon. Ha, ha. A défaut, je rêve de voir les flaques de jonquilles sauvages dans le sud du massif de l’Eifel, (à l’ouest de Burg Eltz) mais c’est encore trop tôt.

En attendant, pour m’évader je retourne me planquer sous ma couette. Je ne veux pas connaître la décision politique qui sera prise aujourd’hui au sujet des vacances. Les chiffres du corona ne sont pas bons. Pourtant franchement, dans un gite on ne croiserait personne et au moins on serait AILLEURS. Et si on échangeait de maison avec des copains ? On découvrirait un nouveau chemin pour le supermarché et on s’occuperait des heures à essayer de faire fonctionner leur machine à laver.

Ou alors chiche ? On tente la lessive en rivière : je le propose au comte d’Eltz !

PS : avez-vous trouvé le dragon ?