Süß und sauer ~ Notre Brexit perso, Halloween, et réapprendre à accueillir.

Hier je vous avais écrit un article sucré sur la pâte de coing et autres considérations alimentaro-culturelles. Ce matin un truc s’est invité chez nous. Comme ça sans frapper, à 7h40. Le Brexit vous en avez entendu parler vous ?
Mon mari, un mug de café à la main : « Pour Noël, faudrait qu’on vérifie si on peut toujours aller en Angleterre avec seulement une carte d’identité. »
Les passeports des filles sont périmés depuis longtemps. Leur renouvellement implique de se déplacer au consulat de Francfort, en horaires de bureau, et donc de faire sauter un jour d’école aux enfants. (La grande, à plus de douze ans, doit aussi le récupérer en personne.) En période de restrictions de voyages, on ne s’est pas précipités, non.
M’enfin on ne peut pas dire qu’on a été pris en traitres.
7h41. Vite, ouvrir le site de l’ambassade française à Londres. Vérifier. « Depuis le 1er octobre 2021 il n’est plus possible de se rendre au Royaume Uni avec une carte d’identité. » EH M*** ! ‘’T’as vu regarde c’est marqué qu’il est interdit d’y partir comme au pair, c’est pour ça que la fille de nos amis n’a pas pu y aller’’. Les conditions semblent plus drastiques qu’avant l’entrée du Royaume Uni dans l’Union Européenne.

Ouvrir le site du consulat. Rien avant le 2 décembre (rien après non plus). Prendre des rendez-vous. Tant qu’on y est, faisons refaire les cartes d’identité périmées. Noter et photographier des numéros interminables. Quatre fois. Dans une Europe à la libre circulation des personnes on oublie que les frontières se franchissent avec des papiers en règle.
Comment avons-nous pu négliger cela ? Le Brexit s’étale depuis des années sur les magazines anglais auxquels mon mari est abonné : Private Eye (sérieux et satirique), The Economist (juste sérieux). Je viens de terminer le roman de Jonathan Coe Middle England sur la société du Brexit (voir nouvelle rubrique Mes lectures). C’est malin. On n’a pas pu voir la famille anglaise depuis deux ans. Mon grand garçon étudie cette année à Leeds. On doit le retrouver à Londres.
Ça sent le Stollen et Noël en Allemagne. J’en connais qui vont hurler ! (moi)
A quelle heure il ouvre le consulat ?
Et Mister Cameron et ses sbires inspirés qu’est-ce qu’ils font en ce moment ? Ils coulent une retraite tranquille après avoir mis tout le monde dans la mouise ? (Vraiment dans la mouise, pas juste pour se demander si oui ou non ils pourront partir en vacances à Noël). Les criminels n’ont pas tous du sang sur les mains.
Restons optimistes. Croyons en la célérité administrative française (euh ?) et en sa capacité à compenser notre négligence.
La France, récemment mise à l’honneur dans le collège de mes enfants avec la présentation officielle de l’Abibac (double baccalauréat : Abitur allemand et bac français). Discours de la direction et d’un représentant de l’Institut Français. Distribution de masques tricolores. Attends fais voir ? Penche la tête sur le côté pour voir. L’Abibac a été vanté devant une classe aux couleurs des Pays-Bas.
Qui a signé le bon à tirer des masques ?
La paperasse, pourtant ici c’est une véritable passion culturelle. La preuve par l’exemple ci-dessous.

-Ah tiens, t’étais où ?
Mon mari accroche sa veste au porte-manteau qui déborde. Comme il bosse toujours à la maison, je n’ai plus l’habitude de le voir aller et venir sans moi.
-Au garage. Je suis allé chercher la voiture.
-Ah oui c’est vrai.
La voiture a 14 ans. Eh oui. (Japonaise, puisque vous insistez). Il fallait mettre les pneus hiver, et procéder au contrôle technique. On plaisante pas avec la législation.
-Qu’est-ce qu’ils ont dit ?
-C’est tout bon. Mais il y avait une non-conformité au niveau de l’airbag conducteur.
-Ah ?
-Oui y’avait un truc dessus et c’est interdit.
Yeux écarquillés.
-L’autocollant de la Croix-Rouge.
A un feu rouge, un jour, une personne faisait la quête pour l’association. En échange de quelques pièces, elle nous avait remis ce badge, preuve de notre solidarité. Faute de meilleure idée, on l’avait collé juste devant nous : sur le volant. Ça fait des années qu’il y est. Il a déjà passé des contrôles techniques. Il est grand comme un (petit) timbre poste.
-Hi, hi. C’est pas vrai ?
-Si. Ils ont déplacé l’autocollant et établi une fiche avec la non-conformité et sa correction.
Ouf on respire.
Ils sont sympas comme tout au garage, mais la consigne c’est la consigne, que voulez-vous. Allumeurs de réverbère sans Petit Prince.
Mon esprit indiscipliné se rebelle toujours contre le suivi aveugle des règles. (Disons que je suis volontiers les règles si j’en vois l’intérêt et la logique). Sinon je ne comprends pas.
Tout le monde ne cale pas son comportement sur l’acceptation. Il y a deux ans, j’avais accompagné la classe de CM1 de ma fille au siège de la ZDF (chaine de TV). Les élèves marchaient deux par deux sur le trottoir. J’avais du mal à ne pas enjamber les deux mètres de pelouse pour atteindre l’arrêt de tram. Les gamines qui guidaient la troupe n’ont même pas envisagé le raccourci.
Bon.
Au moins c’est fait. La voiture est en règle. Les papiers… bientôt. A l’école, mes enfants apprennent à la suivre (la règle pas la voiture, on les accepte encore dedans malgré les soubresauts de l’adolescence). A la maison, ils révisent les gros mots (en français – en anglais et en allemand ils en connaissent moins).
Sourire crispé.
La vie revit.
Octobre a tiré sa révérence… c’est mon mois préféré avec les couleurs des arbres, le bleu du ciel, l’air frais et les rayons de soleil chauds encore. Le jardin est encore joli, à la prochaine pluie (aujourd’hui) toutes les feuilles seront à terre. Pourquoi le pommier d’à côté est-il encore tout vert ?

Halloween est passé par ici. Comme il y a deux ans, les gosses du quartier ont défilé dans une ambiance bon enfant. Chaque petit groupe de sorcières et de fantômes, accompagné ou non d’un parent en fonction de l’âge, récitait un petit poème, pour obtenir des bonbons. De garde à la porte, j’en ai entendu au moins cinq différents. Qui le leur a appris ? Leurs maîtresses ?
Mes filles, maquillées et déguisées, se trouvaient trop grandes pour le porte à porte, mais ont fini par craquer. Une dame a exigé :
-Un poème sinon pas de bonbons !
-Euh en anglais on dit juste Trick or treat !
Mon mari le leur rappellera : « Elle n’a rien compris à Halloween la dame. Le chantage c’est dans l’autre sens. »
Dans l’après-midi (à la dernière minute donc) j’étais allée au supermarché avec ma plus jeune pour acheter des bonbons. Impensable d’attaquer les stocks de Carambars et Dragibus rapportés de France. A la vue du choix limité en sucreries emballées individuellement, je me suis écrié « Ah là là ces Allemands, pourquoi ils sont toujours décalés ? » Chaque fête est anticipée de trois mois. Quand la date approche, les magasins sont déjà passés à la suivante.
Nos munitions sucrées sont rangées dans un sac en tissu, où les gosses plongeront la main. (Tiens l’an prochain, j’y glisserai un ou deux sachets de thé utilisés. Hé, hé.) Les décorations sont accrochées, les citrouilles posées devant l’entrée. Mes filles ont fabriqué une bouche de monstre géante en carton à coller devant la porte. Sonne qui ose.
Reste à ranger la maison. Nous attendons des invités pour le déjeuner d’Halloween. Des invités !? Par où commencer ? Ah oui, faire le tri dans le tiroir des papiers à dessin. Un tiroir, vraiment ? J’ai oublié comment accueillir du monde.
Au menu : soupe de butternut à la noix de coco, selon une très bonne recette de Jamie Oliver. Un de nos classiques d’automne. Elle a à peine accroché au fond. Ça sent pas trop le cramé ? Si. Ma fille raconte notre quête de bonbons de dernière minute. « Y’avait plus rien, alors maman elle a dit, Oh là là ces Allemands ! » Elle répète au moins trois fois. Parce que c’est son habitude. Comme ça ils ont bien entendu. Ouais mais tu comprends, c’est parce que je suis toujours en retard sur le rythme local pour mes emplettes saisonnières.
Notre chienne Gaïa a appris à sauter sur les gens. Elle fait des trous, des gros trous, toujours des gros trous. Des trous dans le tapis, des trous dans les habits. Des trous dans le jardin. Elle n’a pas fait de trous dans les invités.

Dis les amis vous reviendrez hein ? Il était pas mal le munster (dégusté fenêtre ouverte) ? et le sticky toffee pudding ?
Ah ces gosses ! (Ah, ces mamans organisées à la française !)
Sur ce, je vais téléphoner au consulat. Ils organisent une enquête de satisfaction en ce moment. Peut-être le moment de solliciter une faveur. Un p’tit Carambar Madame la Consule générale ?
Croisons les doigts ET serrons les pouces.
PS : On a bien fait de prendre les rendez-vous au consultat tout de suite. Deux heures plus tard il n’y a plus aucun créneau. Du tout.