Bamberg express

Aller-retour rapide à Bamberg, une ville classée par l’Unesco du nord de la Bavière.

Nous nous rendons en famille à un rendez-vous à Bamberg. Je ne peux pas encore vous dire pourquoi, le censeur familial me muselle. Rassurez-vous je lui ai demandé de ne pas trop prolonger le suspens.

Nous en profitons pour visiter le centre-ville, classé au patrimoine mondial de l’Unesco.

Le brouillard a semble-t-il empêché les Alliés de bombarder le coin à la fin de la deuxième guerre mondiale. Tant mieux.

Le ciel est gris et bas, une couche fine de neige recouvre toutes les surfaces. De longues stalactites de glace s’accrochent aux gouttières. La vieille ville est construite sur les bords du canal entre le Main et le Danube (lui-même, le beau et bleu). J’ai lu rapidement les pages qui lui sont consacrées dans nos guides, le Routard et le Lonely Planet. C’est vite fait, comme tout est fermé, les rubriques musées, où manger ? et où boire un verre ? sont inutiles. Dans la voiture j’ai partagé à voix haute les points essentiels. Personne n’a interrompu son activité pour écouter, mais j’ai rempli ma mission éducative. Au moins l’intention.

Bamberg est présentée comme l’une des plus belles villes de Bavière. Je relève la tête perplexe : de Bavière ? ça monte si haut la Bavière ? Oui, apparemment. Dans la région administrative de Franconie, à l’ouest de Bayreuth, au nord de Nuremberg. Elle est construite sur sept collines (comme Rome) et dominée par la cathédrale Saint-Pierre et Saint-Georges à quatre flèches. Les quartiers anciens longent les eaux du canal brodées de glace de leurs maisons à colombages de toutes les couleurs. Une (toute) petite Venise dit-on.

Même en temps normal ce serait la saison creuse. Mais là nous sommes dans une saison abyssale. Nous nous garons facilement devant un hôtel, au pied de la montée pour la cathédrale. Quel dommage de ne pouvoir passer la nuit dans un de ces établissements romantiques ! Vite nous cassons la croute, ou plutôt croquons notre salade de riz-maïs-thon dans la voiture, toutes fenêtres fermées. L’air est glacial. Le voilà le vrai climat continental allemand.  La boulangerie d’en face nous tente. L’un d’entre nous ira chercher des Käsestangen (genre de feuilletés au fromage), des beignets (oui, c’est carnaval après tout) et du pain complet aux graines. Avant toute balade, trouver des toilettes.

Les rues piétonnes sont vides et maussades. Les vitrines fermées et les passants rares et masqués confèrent à notre balade un goût de dimanche soir. Mon fils qui, après Baccarach à Noël, en est à sa deuxième visite express de vieille ville allemande classée s’exclame : « Décidément ici aussi on se croirait dans un décor de théâtre ! » Les façades des maisons chuchotent des contes de fées. Les moulures rococos donnent le sourire. Whaou t’as vu ça ?

Il fait un froid polaire. Mon fils a décidé de ne plus s’arrêter et marche en longues enjambées pour garder le contact avec ses orteils.  Sortir les doigts des gants et des poches pour prendre des photos relève de la gageure. Mais je suis très très motivée. C’est la première sortie depuis si longtemps.

Grâce à la description du guide, je reconnais l’ancienne mairie, sur un ilot, entre deux ponts de pierre. Un côté de façade aux fresques imposantes et colorées, un autre en colombages, la partie plus ancienne, révélée par la destruction du pont à la fin de la seconde guerre mondiale (les fresques peintes sont tombées). Entre les deux, le balcon de tous les discours, rococo comme je n’en avais jamais vu.

Un examen des peintures murales révèle des trompe l’œil. Au bord inférieur, la jambe sculptée d’un angelot peint ‘’sort du cadre’’, dans tout son volume potelé.

Sous le porche, une plaque rend hommage à un des fils de la ville le comte Stauffenberg, auteur de l’attentat raté contre Hitler de juillet 1944. ”Le comte Claus von Stauffenberg, officier, symbole de la résistance allemande pour son action du 20 juillet 1944”. Ce qu’elle ne mentionne pas est plus révélateur que ce qu’elle déclare.

Nous prenons quelques photos devant la statue de Sainte-Cunégonde, sur le pont au-dessus du canal, et devant la façade baroque bleu ciel de la demeure à l’angle. Chacune des fenêtres des trois étages est encadrée d’enjolivures blanches ciselées. Des bateaux Mouche à l’arrêt le long de quais déserts laissent deviner l’activité de la belle saison. Quel privilège d’avoir la ville pour nous seuls !

Une vitrine éteinte de librairie met en avant le recueil des contes de E.T.A. Hoffman, à l’origine de l’opéra fantastique d’Offenbach. Il a vécu quelques années à Bamberg.

Décidément, nous marchons de conte en comte, à pas comptés (oui, je sais, désolée).

Trop froid, vite, un petit tour vers la cathédrale tout en haut. La marche ne nous réchauffe pas. Pas le temps de s’attarder. J’ai cours de yoga à 18 heures en ligne, avec ma prof américaine et vraiment personne ne veut rester dehors. Un salon de thé aurait été merveilleux. Un petit Apfelstrudel, hein ?

Les toits enneigés s’entrechoquent au-dessus de colombages plusieurs fois centenaires et des façades baroques. Les branches noires des aulnes le long du canal frissonnent. La neige et la glace ajoutent leur touche de mystère. Nous avons sauté à pied joints dans une illustration de livre d’images d’antan. Comme Mary Poppins.

Retour dans la voiture. Pour sortir de la vieille ville, nous nous égarons un peu dans les rues piétonnes. Un vieux monsieur en manteau long et noir, coiffé d’un bonnet tout aussi sombre sur une tignasse grise ébouriffée serre contre lui un bouquet de livres. Il nous fait signe de sa main libre. De l’autre il s’approche de nous. Mon mari baisse la vitre.

-Vous allez-où ?

-En direction de Francfort.

-Au virage à droite puis à gauche, suivre….. remonter…

Il nous a tout dit, bien mieux que le GPS. Et vachement plus sympa. Merci monsieur. Décidément, comme à Baccarach, nous croisons dans les ruelles désertes de villes-musées des vieux monsieurs attentionnés.

Nous rejoignons l’autoroute pour quelques heures. Des tourbillons de flocons dansent dans les phares qui éclairent à peine un épais brouillard. Nous quitterons la tempête féérique peu avant Francfort. Les courbes des collines, les traits de râteau de vignobles, des chaumes blonds de maïs sur la neige composent des tableaux mobiles et apaisants. Je me demande si j’arriverai à m’en souvenir pour les dessiner.

Sur un CD, des épisodes de la série radiophonique Cabin pressure nous distraient.

Mon fils somnole en écoutant un podcast. De temps en temps, une des filles pose des questions sur les suites de notre rendez-vous.

Avant que le quotidien confiné ne nous rattrape, je rêve de retourner à Bamberg, d’entrer dans la cathédrale et les musées, les restaus et les cafés. Au printemps ce serait bien, pour faire un petit tour en bateau sur le canal, passer une écluse. Le guide mentionne aussi un marché aux fleurs. Ou en décembre puisque la ville est spécialisée dans les crèches et en expose partout.

Les trajets, la visite dans un air coupant, la tension émotionnelle depuis quelques jours nous a épuisés mon mari et moi. J’arrive à temps pour mon cours de yoga qui tombe à pic.

A suivre…

(Bientôt, promis)

Excursion à Baccarach

Des vacances de Noël en famille et une promenade dans la Vallée du Rhin romantique, émaillées de surprises joyeuses.

Baccarach, au bord du Rhin

Chers amis, je suis ravie de vous retrouver.

Il semblerait que j’aie pris des vacances d’écriture. Je n’en étais pas sûre lors de ma dernière publication alors je ne vous ai pas prévenus. J’ai laissé faire l’envie. Mon clavier a été délaissé pour des activités familialo-gourmandes. Les mots et les idées se sont entreposés dans un coin de mon cœur. Les vacances sont finies pour mon mari et moi. Le collège reprend mercredi, avec des cours à distance. Je suis heureuse de retrouver mon temps de composition personnel, curieuse d’aller fouiller dans mon cagibi secret et de le partager avec vous. Voyons voir ce que l’on va trouver.

Vous êtes bien installés ? bien reposés ?

Oui moi aussi. Merci. Nous avons eu la chance d’accueillir longuement mon grand garçon et sa copine. Une compensation joyeuse à l’assignation à résidence.

Le sac à déchets végétaux dans le jardin se remplit de couronnes sèches et de bouquets fanés. Les sachets de papillotes importés par nos étudiants sont entamés mais pas finis (chouette ! pourquoi ne mettent-ils plus de pétards dans les papillotes ? encore un sacrifice de sourires sur l’autel de la rentabilité ?). Le sapin de Noël nous accompagnera encore cette semaine. L’enlèvement collectif des arbres est prévu samedi. Nous retarderons le plus possible son exil au bout de la rue pour profiter de la joie qu’il nous offre. Ses lumières sont les premières allumées le matin et les dernières éteintes le soir. Merci sapin !

Deux semaines confinées sur notre noyau familial, sans voir personne ou presque, à part les vendeurs du marché. Des surprises sympas en forme de clin d’œil amicaux nous ont réjouis !

Le jour de l’anniversaire de ma grande fille (13 ans déjà), notre déjeuner dominical est interrompu par un coup de sonnette. La porte à peine ouverte, des voix entonnent : « Happy birthday to youououou … ! » C’est une amie à elle avec sa sœur, sa maman, et son chien, qui viennent lui apporter un petit cadeau. Il est posé devant la porte. Elles chantent à quelques mètres de là, dans la rue. La distanciation sociale (Abstand !) est respectée, la gentillesse préservée. Partez vite sinon on vous fait un gros câlin !

Un matin dans la boite aux lettres, nous avons trouvé une carte de vœux dessinée par les enfants d’une amie à moi. Zut je l’ai ratée quand elle est passée. Mais quel plaisir de faire partie des destinataires !

Le dimanche de l’anniversaire de mon autre fille (10 ans ! eh oui notre moi de décembre est intense), une copine-voisine lui a apporté une carte et un dessin faits maison avec un grand sourire. Elle a à peine passé la porte. Pas besoin, nos coeurs étaient gonflés pour la journée et au-delà !

Le jour de Noël, la sonnette a retenti en tout début d’après-midi. J’ai ouvert la porte sur notre famille en plein Christmas pudding avec couronnes de crackers sur la tête. Une autre amie à moi et son mari rentraient de promenade (ils avaient fêté noël entre eux le 24, comme beaucoup de notre entourage), un sachet de Lebkuchen (pains d’épices) maison à la main. Délicieux, oui merci. J’espère avoir sa recette. Avant de partir elle me demande : « Les couronnes, c’est une tradition française ou une création spontanée ?»

Au marché dans la queue qui serpente à intervalles réguliers, une autre amie me fait signe. « Tu me manques ! elle me dit. J’ai peur que le lockdown brise les liens, fais-moi signe pour une promenade le long du ruisseau du Gonsbach. » Elle le connait par cœur ce chemin. Moi aussi. Tous les voisins également. C’est un des terrains de jeu de Mainz pour jambes en mal de mouvement. Moi aussi j’ai peur que l’isolement forcé dénoue des liens que nous tissons avec patience et assiduité depuis deux ans et demi.

J’ai l’impression de jouer à un deux trois soleil. Vite, bouger, se déplacer, rencontrer des amis quand on a le droit, se fondre dans l’immobilité dès qu’on nous regarde.

Le soir de la Saint-Sylvestre, nous avons fait des jeux et nous sommes couchés bien avant le changement d’année. A minuit, les pétards et les feux d’artifice ont éclaté. Tiens, il me semblait que c’était interdit. De grosses voix graves chantent sur le parking. Brrrr…Hou la la, ma benjamine va avoir peur sans doute… On frappe à la porte de notre chambre. Deux demoiselles se faufilent entre nos draps. L’occasion d’un câlin collectif à écouter pétarader le voisinage. Je demande à ma grande fille :

-Tu ne dormais pas ?”

-Non je lisais. je voulais attendre minuit. A minuit j’ai fait une minute de silence pour les gens malades du Covid, une minute de silence pour les gens morts du Covid. Et puis je me suis récité mes résolutions à haute voix. Après ma soeur est arrivée.

Un moment entre deux années, précieux. Bonne année les choupettes chéries.

Au milieu des vacances, nous avons fait une excursion avec des amis (Tu crois qu’on a le droit ? disons que oui, on restera à distance). Une évasion en voiture, bien au-delà de la place du marché ou du Gonsbach, dans une région touristique. Ce dimanche il fait gris et très froid. La pluie tombe en italique, le vent souffle en rafales. Un ciel bas s’accroche aux branches noires de troncs mouillés. Nous marchons dans la boue, pique-niquons debout sous le toit d’une Hütte (ces abris construits sur les chemins de randonnée) avec des restes d’agapes froids. Nous sommes humides et grelottants. C’est le paradis.

Notre abri bien réel : la Hutte Théorique

Nous nous étions donné rendez-vous avec nos amis de Cologne (ma Susanne d’enfance et sa famille), en aval des gorges du Rhin romantique à Spay. Juste avant Koblenz et le confluent du Rhin et de la Moselle. Cette balade de deux heures nous a permis d’échanger des cadeaux et des nouvelles de vive voix, de monter sur le plateau avec des points de vue monochrome entre nuages effilochés sur les boucles du Rhin. Le rêve !

Loreley (oui il faisait gris)

La route entre Mainz et Spay suit le fleuve, dans le sens du courant. A intervalles réguliers des chiffres géants sont inscrits le long de la rive : le nombre de kilomètres depuis la source en Suisse (500 à Mainz). Au niveau de Bingen, le Rhin entre dans sa partie romantique, des gorges creusées entre rive gauche, les reliefs du massif de l’Eifel et rive droite, ceux du Taunus. Des villages de contes de fée s’égrènent de chaque côté. Les vignobles dégringolent tête première vers le bas (comment font-ils pour vendanger ?). Des châteaux forts en grès rouge, plus ou moins retapés, gardent les flancs des gorges. Le temps des prélèvements de taxes est révolu. Au niveau de Sankt-Goarshausen (un nom comme une formule magique), le lit contraint par des falaises se resserre, le fond de l’eau descend à moins 25 mètres, et le courant forcit. C’est le passage le plus étroit et le plus profond du parcours navigable, au pied du rocher de la Loreley. Pour les mariniers, le lieu de tous les dangers.

Au sommet de la falaise, cette belle nymphe de la mythologie teutonne coiffait ses longs cheveux blonds. Comme les sirènes d’Ulysse, elle détournait le regard des marins et causait des naufrages. Mon professeur d’allemand au collège nous a raconté cette légende, les ballades et chansons écrites sur ce thème. Le Rhin romantique affiché sur un mur de la classe semblait alors très exotique.

Aux beaux jours, la circulation sur le fleuve entre navettes, bateaux-hôtels de croisières et péniches de fret est dense. En ce dimanche de fin décembre gris et froid en plein lockdown c’est vide et mort.

Comme mon grand garçon n’a guère eu l’occasion de faire du tourisme en Allemagne, nous avons souhaité lui donner un aperçu du coin, en s’arrêtant dans un charmant village. Quelques mois après notre arrivée nous y avions retrouvé nos amis pour un pique-nique dans l’herbe au soleil. Comme lors de ce premier passage, nous nous sommes garés entre la voie ferrée et le Rhin, tout près des remparts, pour une visite exprès de Baccarach.

C’est un village médiéval préservé, aux maisons à colombages, où les vignes s’invitent dans les jardins. En saison, et en temps normal, les terrasses des cafés et des restaurants débordent sur les ruelles, comme les magasins de caves viticoles. Les touristes à cornet de glace (nous, l’autre fois) marchent le nez en l’air et le portable prêt à photographier. Là, personne, aucun bruit. Les vitrines sont éteintes, les restaurants et les hôtels fermés. Mon fils s’exclame : « On se croirait à Disneyland un jour de fermeture ! »

Les illustrations des livres de contes (peut-être grâce aux frères Grimm) doivent beaucoup aux paysages allemands (les forêts mystérieuses, les maisons à colombages). Les dessins animés aussi. Les enfants ne sont pas perdus dans la campagne germaine.

Un rapide tour donc, sans déranger personne dans des rues piétonnes ou presque. Il ne pleut pas encore, mais nous sommes pressés : notre lieu de rendez-vous est encore à plusieurs kilomètres. Le chemin des ânes qui s’échappe entre deux maisons nous conduit à une tour de guet dans les vignes. Stop, nous n’irons pas plus haut. Nous sommes attendus. Mes doigts gèlent sur l’appareil photo (j’essaie de résister à la paresse des clichés sur téléphone). Le point de vue sur les toits, le château sur la colline reconverti en auberge de jeunesse (où mon amie Susanne était allée avec sa classe à l’école primaire), et sur la Wernerkappelle est superbe. D’ailleurs il est en couverture de mon guide Lonely Planet sur toute l’Allemagne.

Baccarach, à droite la ruine restaurée de la Wernerkappelle

La Wernerkappelle (chapelle Werner) n’a ni toit ni vitraux. Elle dresse son squelette gothique à mi-pente au-dessus du village, au-dessous du château. Un mystère aérien en dentelle de pierre. Une proue de navire fantôme.

Vite dépêchez-vous on redescend ! On ne veut pas faire nos Français et arriver en retard. Cet arrêt était prévu dans notre temps de trajet. Mais, tout de même.

Mon mari et une de mes filles partent d’un côté pour acheter dans une ruelle du jus de pommes qu’ils ont repéré (à disposition devant une maison, avec une tirelire pour le payer). Avec mes autres enfants, je suis la rue piétonne principale : je souhaite revoir une vieille porte en bois qui m’avait beaucoup plue.

Là, en face, deux hommes parlent. Un vieux monsieur masqué de papier blanc, appuyé sur un déambulateur, un peu voûté sous un manteau et une casquette noirs. A son côté, un homme barbu, la petite cinquantaine dans un corps confortable, lui aussi dans un pardessus sombre. Dans ce village fantôme, c’est assez remarquable.

J’entends :

-De là, on voit bien la chapelle.

Cette interpellation me surprend. Je jette un rapide regard autour de nous. Personne d’autre dans la rue. Ce doit être pour moi et mon appareil photo en bandoulière. C’est le vieux monsieur. Je m’arrête et me tourne vers lui.

-Ah oui ?

Je m’approche, tout en restant à la distance prescrite, et je suis son regard vers le haut.

-Ah oui c’est vrai !

De ce petit coin de rue, contre une vitrine éteinte, la chapelle Werner dresse ses murs ouvragés au-dessus de la maison d’en face. Le ciel blanc coule à travers les fenêtres vides.

-Superbe ! Merci !

Je prends une photo. Celle-là :

Wernerkappelle

Le plus jeune des deux m’explique.

-Mon père était architecte, il a restauré la chapelle.

Il n’en fallait pas plus pour éveiller ma curiosité.

-Whaou ! Quand ça ?

-Dans les années 90. Les fenêtres font douze mètres. Vous vous rendez compte !

Je produis les bruits d’exclamation adéquats.

-Elle date de quand ?

-1200 environ. Elle a été construite en même temps que les cathédrales de Cologne et de Strasbourg. Les architectes de l’époque s’inspiraient les uns des autres.

Le vieux monsieur a l’air fatigué, mais une lumière dans les yeux.

-Je ne peux pas monter à cause de mon cœur, mais de là on la voit très bien.

-Vous habitez ici ?

-Non à Koblenz.

Je traduis rapidement pour mon grand garçon qui ne parle pas allemand. Le fils du monsieur m’explique dans un très bon français que lui-même habite “vers la Mer du Nord, dans un coin froid et pluvieux”. Ils sont venus exprès de Koblenz tous les deux pour ces quelques minutes à contempler la chapelle depuis le bas. Leur voiture est garée à quelques mètres.

Je suis éblouie par une telle passion. Quelle chance d’avoir exercé une profession dont le sillage trente ans plus tard, irradie encore ! Donne du sens à un coeur fatigué.

J’ai encore des tas de questions à poser (pourquoi, lors de la restauration, avoir renoncé au toit et aux vitraux ?). Mais nous devons y aller. C’était très sympa de parler avec vous, merci !

Nous serons en retard de quelques minutes au rendez-vous. Nous avons fait nos Français. Pardon copains. Mais, écoutez, c’est pour une bonne raison. J’ai parlé avec un vieux monsieur. L’architecte de la Wernerkappelle

Cet échange m’a enrichie d’une lumière que le ciel et les circonstances nous refusent.

Je vous souhaite pour 2021 un feu d’artifice de surprises lumineuses.

Ah, un peu de soleil ;o)

Heidelberg ~ (l’autre moitié)

Suite de l’article : Heidelbert (à moitié)

(Mon amie et moi avons faim : nous sommes à la recherche d’un restau de falafels pour midi.)

D’après l’adresse indiquée, le restaurant libanais se situe sur une petite rue, près de l’église des Jésuites. Nous trouvons l’église baroque, en grès rouge du Palatinat (comme le château, la cathédrale de Strasbourg, le lion de Belfort et tant d’autres monuments). Mais à l’adresse indiquée, une porte banale de résidence privée. Zut ! Tant pis, rabattons-nous sur ce café là au coin.

Il se trouve que c’est bien l’endroit que nous cherchions : l’accès en est sur le côté. Tables dehors dans une rue pavée. Encore peu de clients. Une jeune femme termine son assiette et la rapporte à l’intérieur. Nous la suivons. L’étalage de salades, taboulés, houmous fait envie. Nous choisissons une assiette complète pour deux et du thé froid maison.

Nous regardons passer les flâneurs, contemplons la rue depuis notre chaise, avec l’avantage involontaire de l’immobilité. On papote et déguste du caviar d’aubergine sur des bouts de pains libanais déchirés, les fameux falafels.

Ça va mieux ! on y va ?

Nous reprenons ensuite la rue de derrière : destination le château, en altitude sur la colline. Un château rouge donc.

-Tiens, c’est là, le funiculaire !

-Ah j’avais pas vu.

L’entrée sur la droite, ressemble à celle d’un petit musée ou d’un hôtel. Masque, ticket au guichet. Paiement par carte. Les mesures préventives liées au corona auront eu ceci de bon par ici : encourager le paiement dématérialisé (pas toutes les cartes partout encore, mais c’est déjà mieux). On attend dans l’escalier, à distance réglementaire, entre un couple avec un très gros chien et une famille à poussette. Le funiculaire arrive. La pente des rails soutenue et rectiligne est vertigineuse.

-On se met où pour mieux voir ?

-Peu importe on est tout le temps dans un tunnel.

-A Lyon aussi y’a un funiculaire, on l’appelle la Ficelle.

-Oui je sais on l’a pris cet été pour aller aux théâtres antiques.

-Je crois que là-bas aussi, passé le tout début, on ne voit rien du tout.

La montée jusqu’à la première gare est rapide. Pour le château c’est là. Ceux qui veulent atteindre le sommet de la colline, avec une autre montée digne d’un tremplin de saut à ski, restent à bord.

Plus de monde que ce matin, les touristes préfèrent visiter l’après-midi (comme nous en somme).

Nous faisons un tour des jardins, en longeant les murs extérieurs. Nos regards sont attirés vers la vieille ville et la rivière en bas. Les toits rouges d’Heidelberg se serrent au pied de leur château, contre les pentes boisées. Tiens, un châtaigner !

-Regarde c’est là-bas la Neckarwiese, la pelouse au bord de la rivière, où on va pour pique-niquer, trainer, refaire le monde.

-Ah oui, plus bas donc, en aval vers la ville nouvelle.

-C’est bizarre que la ville d’origine ne se soit développée que d’un côté de la rivière.

-Peut-être qu’il n’y avait pas de pont au début ?

Vue sur la vieille ville depuis le château

Notre ticket de funiculaire nous donne accès au château. Cérémonial pour entrer (comme partout en Allemagne) : remplir un papier avec ses coordonnées, son heure d’arrivée, le faire tamponner. Le rendre à la sortie où notre heure de départ sera enregistrée. Quand on pense que les Allemands sont très protecteurs de leurs données personnelles (et que c’est une des raisons pour lesquelles le paiement par carte était peu choisi), le corona a fait faire du chemin.

Le château est partiellement en ruine, et c’est tant mieux. Ça lui donne le charme de l’authentique, de l’à peu près. Des façades creuses, comme des décors de théâtre, avec des fenêtres ouvertes sur le ciel (dans les deux sens).

-J’ai lu que c’est Louis XIV qui a fait des destructions par ici.

-Oui. Décidément…

-J’ai l’impression que partout où je vais, les Français ont laissé des traces en creux. Lui ou Napoléon. D’ailleurs je suis en train de lire un livre sur Venise (Venise à double tour de Jean-Paul Kauffmann) : là-bas aussi Napoléon a fait démolir des bâtiments. Y a-t-il un endroit où il n’est pas allé ?

Dans les douves enherbées, mon amie me raconte qu’elle a vu des pièces de théâtre.

Dans ce château est née la Princesse Palatine, Liselotte von der Pfalz, mariée à Monsieur, le frère de Louis XIV. Nous passons devant une affiche à son effigie, le portrait d’une grosse dame moche, mal aimée à la cour. Elle a écrit 60.000 lettres (60.000 ?! ouais en même temps si on comptait tous les mails qu’on envoie depuis toujours à nos proches éloignés…). Des missives pleines d’esprit, de pertinence et d’humour, un regard intelligent sur les coulisses de la cour. Ma mère avait un recueil (une sélection) des lettres de la Princesse Palatine à Versailles. Celles que j’ai lues, à sa recommandation, étaient de vrais joyaux acérés.

Un petit tour dans la cour, le nez en l’air, nous passons en contrebas d’une terrasse de restaurant, avec un macaron Michelin sur la porte (dans un site aussi touristique ?!). Voici l’entrée du musée allemand de la pharmacie. Personne, allons-y.

De petites salles tarabiscotées se succèdent. Elles hébergent des meubles d’officines (souvent issus de cloîtres) avec leurs innombrables tiroirs, flacons et flasques, tous marqués du nom de la substance. Ensuite viennent des vitrines avec des échantillons de produits, parfois sous forme entière, avec le cas échéant les planches botaniques correspondantes. (A quoi pouvait servir la mue de serpent ? le lézard séché ?) Puis des alambics et flacons de distillation. Des jarres en verre avec un très grand tube me font penser au bec des costumes des médecins pendant la peste. Des outils pour peser, écraser, émietter, remplir les tubes de crème, des moules à suppositoires et à des tas d’autres choses (en forme de mouton ?). On se contente de regarder, d’admirer, de se questionner. Les explications écrites, ce sera pour une autre fois.

Nous revoilà dans la cour, sous un soleil blanc. Direction le Grosse Fass, le plus gros tonneau du monde. Nous contournons un groupe qui transpire pendant les explications du guide. Il leur ouvre une porte dérobée : « Vous avez payé pour la culture, pour le vin faudra attendre ! ». Nous on y va direct, au bas d’une pente pavée.

La pièce est sombre, ça sent à la fois le renfermé et le moisi, la ruelle un peu sale (à travers le masque). Pourtant c’est propre. A droite j’aperçois un gros tonneau.

-Ah oui quand même !

-Non c’est pas lui. Lui c’est le petit. Le Grosse Fass, il est là-bas.

-AH OUI !!!

Le tonneau est énorme, comme une maison de plusieurs étages. J’imagine construire une cabane dedans, avec des murs tous ronds. En bois sombre presque noir, ses pans sont entourés de contreforts. Un escalier permet de monter sur la terrasse construite à son sommet pour apprécier le dénivelé, puis redescendre de l’autre côté par un escalier en colimaçon (Euh, tu me donneras la main si j’ai le vertige en descendant ?).

Perkeo

Ce tonneau géant servait à recueillir les taxes en liquide (‘’en liquide’’, tiens tiens…), les prélèvements sur récolte des paysans alentours. Chacun y versait une part de sa production. Quel goût avait ce mélange ? Sur le mur la statue d’un nain italien mythologique, appelé le Perkeo. Il aurait été chargé de surveiller le tonneau. Mon amie m’explique qu’il voulait faire boire les visiteurs, et devant leur refus (ça nous en dit peut-être un peu plus sur le goût du breuvage), répondait Perché no (pourquoi pas ?) ? C’est chouette de visiter avec une ancienne habitante, j’ai l’impression de ne pas être une touriste.

La sortie s’effectue côté vallée, après le passage dans une grande cour dallée, où mon amie me signale une empreinte de chaussure dans la pierre. La trace d’un amant surpris qui aurait sauté par les fenêtres ?

La descente est pavée. Après quelques virages dans l’enceinte du château, un passage sous une dernière muraille (et le retour à la dame du petit formulaire tamponné), la voie est parfaitement rectiligne et bien pentue. Ça doit être sportif les jours de pluie. Comment faisaient-ils avec des chevaux, des charrettes ? Je n’y connais rien en attelages, mais il me semble que des virages auraient simplifié l’accès. Entre ces murs épais, ces arbres, ce château, ce chemin qui descend, cette rivière en contrebas, je repense à mes sorties d’enfant au sommet du Rocher des Doms à Avignon. Les couleurs, les odeurs, les arbres, tout y est différent, et pourtant l’ambiance générale, dans le sillage d’un passé lointain, a quelque chose de cousin.

Des marrons tombent à notre droite dans un fracas de percussions. Nous revoilà en bas. Il est temps de rebrousser chemin. Direction, le glacier recommandé, pardon la gare.

La Hauptstrasse, la rue principale piétonne, est bien plus animée que ce matin. Les terrasses des cafés aussi. Tiens un monsieur mange deux cornets de glace hi, hi. Oh et là regarde un cinéma !

C’est Gloria Gloriette, un cinéma d’art et d’essai, avec un accès par une traboule sombre, aux murs couverts d’affiches. Nous entrons, happées par ces promesses de films récents dont nous n’avons pas entendu parler. Ça fait tellement longtemps qu’on n’a pas pu mettre les pieds au cinoche. A Mainz, les deux cinémas confidentiels sont encore partiellement fermés pour cause de corona. Ailleurs, rien de bien intéressant à l’affiche pour l’instant. J’ai hâte que les programmations reprennent. Mais il n’y a pas de cinéma équivalent à Mainz, pourtant une ville bien plus peuplée que Heidelberg. La grande université doit y être pour quelque chose. Décidément, il fait bon être étudiant ici !

Un peu plus haut sur la grand rue, mon amie cherche dans une façade charmante et blanche, la trace d’un autre cinéma. Il a été remplacé par un supermarché.

Nous visons maintenant le numéro 100, pour les meilleures glaces de la ville (toujours d’après mon guide). La voilà la boutique. Miam ! Entrée interdite, les vendeuses sont dans la vitrine. On s’offre chacune deux boules généreuses et délicieuses. (1,50 euros la boule d’excellente glace dans une zone hyper touristique, pas mal hein ? La glace est une denrée de première nécessité pour les Allemands, un droit absolu. Je soupçonne le prix d’être encadré, comme celui de la baguette en France).

Il fait très chaud, elles fondent vite. Pourtant nous ne croquerons le cornet qu’en retrouvant la Bismarkplatz. Nos jambes et nos pieds commencent à se faire sentir. Nous cherchons les flaques d’ombre. Encore un petit effort. Nous rejoignons la gare par des rues différentes, à travers un quartier récent. Des glycines aux troncs honorables grimpent le long des immeubles. Je pense aux nouveaux quartiers de Gerland à Lyon (la proximité vivante d’un centre-ville en plus).

Ça y est, là, au fond, le champ de vélos et derrière, la gare.

Le train de retour est direct. Tant mieux. Nous sommes fatiguées. Mais nous avons encore plein de choses à nous dire pour cette heure de trajet et de grands sourires. J’ai rapporté de chouettes souvenirs, et de l’élan pour la semaine. Un marron brillant tout neuf.

Alors, je peux vous le dire aujourd’hui, en penchant légèrement la tête et en plissant un peu les yeux, sur un ton pénétré : Heidelberg, c’est beau !

PS : C’est quoi à votre avis les parfums des glaces ?

Heidelberg (à moitié)

Journée d’excursion-plaisir avec une amie ~ Le matin

Ce matin il fait encore nuit lorsque j’écarte le rideau. Le tout dernier croissant de lune penche, et accueille comme un berceau la silhouette de la sphère. Une planète brille fort tout près. Au loin, au ras de l’horizon citadin de feuilles et de béton, le ciel s’éclaircit. Je suis tout excitée par la journée qui s’ouvre. Avec une amie, nous partons passer la journée à Heidelberg.

Ça fait longtemps qu’on en parle toutes les deux. On a envie de se faire une virée entre copines. Elle y a fait ses études et moi, j’ai très envie de découvrir cette ville. Petite, j’ai entendu des adultes sérieux, la tête légèrement penchée dire que ‘’Oh, c’est beau Heidelberg’’, sur le ton entendu des initiés. J’ai envie d’entrer dans le club de ceux qui ont vu.

Enfant, c’est d’ailleurs une des seules choses que je connais de l’Allemagne. Grâce à un livre intitulé : Paris-Pékin par le Transsibérien que j’adorais, j’ai appris que traverser le rideau de fer c’est toute une histoire. Je sais aussi que ma commune est jumelée avec Schwarzenbek, une ville-de-la-Forêt-Noire. Mon imagination me voit déjà, ado, dans un car à destination de cette mystérieuse contrée sombre, au-delà de la frontière Est de la France, tout au bord de la carte. L’échange scolaire n’a pas eu lieu, et je viens de le vérifier (et de l’apprendre) Schwarzenbek se situe, non dans le Sud-Ouest montagneux de l’Allemagne mais dans le Nord, vers Hambourg.  Je suis un peu déçue par cette découverte qui modifie de façon posthume mes voyages imaginaires d’enfant. Une plaine du nord n’a pas la magie d’une sombre forêt.

Donc depuis deux ans que nous vivons en Allemagne, à moins de 100 kilomètres, il est temps d’aller vérifier si Heidelberg c’est beau.

C’est le moment de partir. Comme mes filles qui partent dormir chez une copine, je ne tiens pas trop en place. Hop vite une douche en chantant. Un p’tit déj solide de deux œufs durs – va falloir tenir jusqu’à notre déjeuner, et arpenter les rues avant. Un sac à dos avec de l’eau, un chapeau (la météo promet des températures estivales), un masque en tissu bleu à étoiles (cousu par ma fille pour son père) et du gel désinfectant. En croquant mes tartines de pain noir, je lis rapidement les pages de mon guide Lonely planet consacrées à Heidelberg, et fait quelques photos des restaus sympas et des visites.

Vite c’est l’heure. Bisous tout le monde, bonne journée.

– Mais tu vas où maman ?

– A Heidelberg.

– Tu rentres quand ?

– Ce soir, vers 18 heures.

– Comment je vais faire pour réviser ?

Réviser ? Quoi ? Y’a peut-être interro de maths bientôt. Encore ?

-Fais ce que tu peux, on continuera quand j’arrive.

(Ah les arrondis de grands chiffres !)

Sur le moment je ne prends pas le temps d’apprécier cette question de ma plus jeune. D’habitude il faut plutôt la supplier de se laisser aider pour les devoirs (j’écris ‘aider’ pour faire soft, mais le vrai mot serait plutôt ‘contrôler’).

Dans la rue le soleil tape déjà fort. Tram, avec le masque. J’ai renoncé au short. A mon âge, dans le train ? Bof. Pourvu que je ne crève pas de chaud.

A la gare je retrouve mon amie franco-allemande (voir l’article : Mon amie simultanée). Un train, puis un deuxième avec changement à Mannheim (où décidément tous mes voyages me font changer). Enfin Heidelberg HBF, la gare principale. C’est une gare assez grande, avec une passerelle couverte qui me fait penser à celle de Mulhouse (où je suis passée pour mon dernier voyage à Lyon via Bâle). Elle est située sur la large plaine du Rhin, au cœur des quartiers récents.

La ville ancienne et le château, sont plus haut sur la rive gauche d’une rivière verte, la Neckar, un affluent du Rhin. Elle a creusé son lit étroit entre deux pans de collines boisées. C’est là que nous nous dirigeons maintenant. Après avoir traversé la mer de vélos garés sur le parvis (y’en a beaucoup mais ils sont bien rangés, ce n’est pas comme à Amsterdam où je ne comprends pas comment les propriétaires les retrouvent et surtout y accèdent).

Des panneaux indiquent aux cyclistes et piétons la direction de la vieille ville, l’Altstadt : trois kilomètres. Nous renonçons au tramway, il fait bon dehors et sommes ravies de quitter notre masque. L’ambiance locale nous bercera au rythme de nos pas. Après quelques traversées de routes et de ronds-points (à la franco-allemande, en fonction du trafic et de notre témérité spontanée), nous longeons le trottoir qui nous amènera à la Bismarkplatz, la grande place Bismark, point de repère des transports publics et des grands magasins.

Nous nous enfilons dans des rues adjacentes.

Regarde c’est là que j’ai habité pour ma première année d’études, chez une dame.

La façade de la maison est ravissante, aux pierres beiges sculptées dans un style que je dirais ‘’allemand’’, à défaut de mieux m’y connaître. Un arbre a grandi devant depuis, un ailante de Chine, pressé et gracieux.

Les ruelles sont calmes. Quelques enfants jouent dans un square, par moment un vélo passe. Mon amie m’apprend que dans ce Land, le Bade-Wurtemberg, l’école vient juste de reprendre après les congés d’été. Nous avons de la chance : une combinaison de jour de semaine, vacances universitaires, contraintes liées au corona. Habituellement la ville grouille de touristes et d’étudiants. Ce mardi matin à Heidelberg pourrait être dans n’importe quelle ville.

Nous accédons par l’arrière au bâtiment de la faculté de mon amie. De grands platanes et marronniers ombragent des bancs, une cour pavée et quelques mètres carrés de pelouse. Ça sent l’herbe et la terre. Deux jeunes femmes travaillent sur une table, penchées sur leur portable. J’ai envie de reprendre des études ici. Vite une petite photo ! Attends une autre !

Oups qu’est-ce que c’est ? Un bruit brusque dégringole tout près le long d’un tronc en écailles de dinosaures et s’échoue dans un crépitement de feuilles sèches. Les marrons d’Inde commencent à tomber. J’en ramasse un, lisse et brillant.

A partir de la Bismarkplatz, nous empruntons la Hauptstrasse, la rue principale, et d’après mon guide (le Routard cette fois), la plus longue rue piétonne d’Europe. De part et d’autre de la voie pavée se trouvent les vitrines de grandes enseignes internationales. Des cafés et des glaciers.  On devine qu’à d’autres moments il doit être difficile d’avancer.

Mon amie m’indique au fur et à mesure que nous les croisons les bâtiments d’enseignement disséminés, les bibliothèques, restos U et salles d’étude. L’université date du XIVème siècle et aujourd’hui un habitant sur cinq est un étudiant. De grands noms de la littérature, de la philosophie, de la science sont passés par là. Sur les maisons, des plaques mentionnent les illustres résidents.

la bibliothèque universitaire

La rue principale est vraiment longue et jolie avec des bâtiments anciens. Chaque rue qui s’échappe d’un côté ou de l’autre, débouche sur le vert d’une forêt. Ça me fait beaucoup de bien ces petites montagnes. Le relief me manque à Mainz, même si par endroit à vélo on sent bien le dénivelé. Nous préférons nous perdre dans les ruelles. A quelques mètres du flux principal, apparaissent les commerces destinés aux habitants. Une boutique d’arts créatifs, des librairies et des boulangeries. Souvent nous trouvons porte close. La saison touristique marque le pas. Si on veut trouver ce livre de Mark Twain sur son voyage en Europe commencé à Heidelberg (A tramp in Europe), il faudra revenir cet après-midi.

Les petites rues ont un charme fou. Des maisons de deux, trois étages, mitoyennes, aux façades blondes, aux volets et portes de couleur : vert amande, rouge brique, bleus doux. Quelques fenêtres fleuries (T’as vu, l’autre là il a mis une tirelire pour ‘’financer son jardin de ville’’, quelques pots de tomates et d’ipomées grimpantes et pimpantes. Non mais ! Pour la peine, je ne la prendrai pas en photo sa fenêtre champêtre). Des vélos garés le long des murs partout. D’autres qui nous frôlent, car nous marchons volontiers sur la route pour mieux regarder.

Un détour par les rives de la Neckar, pour admirer le vieux pont et apercevoir, là-haut dans les arbres, grâce à un sportif qui y court, le Philosophenweg, le chemin des philosophes. Whaou trop beau ! Rive droite de la rivière, peu de maisons, et toutes récentes. La vieille ville a poussé du même côté au pied de son château. Ça doit être chouette aujourd’hui d’habiter là, en face, au pied d’une colline, dos à la forêt, avec vue sur l’Altstadt et pourtant au calme. La profusion de terrasses de cafés, vides en cette fin de matinée, laisse à penser que par moment, la promenade doit être moins agréable.

T’as pas faim toi ?

Nous passons devant un restau U installé dans d’anciennes écuries. Il est ouvert au public. Nous renonçons à ses tables installées sous les arbres, dans une cour pavée au bord d’une pelouse bien verte. Nous préférons trouver l’adresse repérée sur mes photos du guide. Les falafels nous font envie.

A suivre…

(Vous avez faim maintenant vous aussi ?)

En passant

Une exposition de sculpture impressionniste au musée Städel de Francfort, un autoportrait au radiateur. L’art comme miroir de nos vies.

Goethe, par Tischbein 1787.
(Avec deux pieds gauches ! hi hi)

Elle me regarde. Assise de trois quarts, dans une bergère de bois blanc tendue de soie claire et fleurie. Sa robe longue tout aussi blanche et soyeuse a les manches bouffantes transparentes. Un volant flotte sur le décolleté où se niche un pendentif, une ceinture de soie ou de taffetas mauve lui ceint la taille et rappelle les rubans noués à ses manches.

Sa peau claire, presque nacrée se fond dans un camaïeu pastel, mis en valeur par la soie de Chine bleu canard tendue sur le mur et ses cheveux sombres attachés en arrière. Une peau blanche comme la neige, des cheveux noirs comme l’ébène…

Tout semble doux et lisse, fuyant et frais au toucher. Glissant. Un cocon de soies et de soieries.

Elle a l’air fatiguée, lasse, une main posée sur les genoux croisés dans une port à la fois alangui et noble. Un bras qui embrasse l’accoudoir de la bergère, dans une velléité d’évasion du cocon. Un soupçon d’abandon étudié.

Elle pose son regard sur moi, avec un demi sourire. Dans un mimétisme réflexe, je ne peux m’empêcher de pincer légèrement les lèvres. Je regarde sa main et sens dans la mienne la forme sculptée de l’ossature en bois de la bergère. Tout est calme autour de nous. Peut-être va-t-elle me confier ses pensées.

Elle est plus jeune que moi, peut-être 20 ans de moins. Mais aussi 130 ans de plus. Et pourtant nous sommes pareilles. Des femmes, vivantes.

Lady Agnew of Lochnaw, par John Singer Sargent – 1893

Changez-lui ses habits (comme je faisais jadis avec des petites poupées découpées dans du papier), et asseyez-la dans un canapé de velours bleu canard, posez-lui un smartphone dans la main droite. Hop vous avez franchi d’un coup le gros siècle qui ne nous sépare pas.

Elle, Lady Agnew of Lochnaw, une Ecossaise, est en visite à Francfort en ce moment, sous la forme d’un portrait peint à l’huile par John Singer Sargent. La taille de l’œuvre (grandeur nature ou presque), la fraicheur du trait et des couleurs attirent le regard dès qu’on pénètre dans la salle. Ma fille s’est postée d’emblée, aimantée, devant.

Je l’emporte dans mon coeur, et dans une salle voisine, je m’arrête devant une nature morte aux pensées. Des pots de fleurs fraîches depuis près de deux siècles. Les sœurs jumelles de celles que j’ai plantées dans mon jardin ce printemps. Deux cents ans plus tard, je ne les ai jamais vues et pourtant je les connais déjà.

Plus loin, je m’attarde devant une sculpture de la maternité : une jeune femme tient sa petite fille dans les bras. Je lui tourne autour, pour l’observer sous tous ses reliefs, tous ses reflets. Je connais bien sa position, je l’ai encore dans les bras (comme on dit ‘’je l’ai dans les doigts’’ d’un morceau de piano), dans la même position que j’ai utilisée longtemps, souvent, le plus possible, avec mes enfants petits. Si peu de choix finalement dans nos gestes. Des corps qui s’emboitent comme des morceaux de puzzle, les bras de la mère, le corps souple abandonné de l’enfant. Hier, aujourd’hui, demain.

Pour l’une de nos toutes premières évasions post-confinement, nous avons choisi une excursion au musée Städel de Francfort. Ce musée des beaux-arts se situe sur le bord du Main (un affluent du Rhin qui s’y jette au niveau de Mainz) sur la Museumufer – le quai des musées. Le bâtiment sérieux, classique, symétrique, intimide un peu, lorsque on gravit ses marches. Ou peut-être est-ce le gardien masqué qui nous contrôle à l’entrée. Derrière nous, en face, de l’autre côté de l’eau et d’une passerelle, les tours de la City allemande se dessinent sur un ciel nuageux.

L’exposition temporaire qui nous a attirés s’appelle : En passant (en français). Elle porte sur l’impressionnisme dans la sculpture, et présente des œuvres de Degas, Rodin, Rosso, Troubetzkoy et Bugatti (les trois derniers je n’en avais jamais entendu parler, mais ils valent le détour comme leurs confrères). Elle étudie le rendu en pierre et en bronze de la lumière et de l’atmosphère de l’impressionnisme. La matière en relief, libérée, émouvante et lumineuse. Sculptures, dessins, peinture, mises en regard. Superbe ! L’expo est prolongée jusqu’au 25 octobre. Courez-y vite ! https://www.staedelmuseum.de/en/exhibitions/en-passant (avec le masque, le plus tôt possible dans la journée).

J’ai eu le coup de foudre pour Eve, un dessin de Jacques-Ernest Bulloz, d’après une sculpture de Rodin. Dès le mercredi suivant, c’est elle que j’ai modelée en argile, elle qui a été sous mes doigts si conciliante et inspirée.

L’art nous tend le miroir d’autres vies, d’autres émotions et sensibilités – qui nous parlent par-delà les années, les siècles. C’est troublant ce chemin similaire de découverte du monde et de soi, au fil de nos âges, quelle que soit l’époque. Penchez-vous, écoutez… tous les secrets sont là. Rien de bien nouveau en somme.

J’arrive à l’âge où je ressens l’envie et le besoin de lire des biographies. Celui où on a compris qu’il est utile de rebondir sur les découvertes d’autres vies, pour mieux comprendre la sienne. Comme un raccourci vers plus de conscience, une occasion de prendre de la graine (de la graine : je le savais bien que les plantes sont pleines de sagesse). Entendre ces vies qui me parlent au-delà des années, des siècles. Les similitudes, tellement, avec ma vie à moi. On se croit unique, plus malin, différent. Et on l’est. Comme les autres, comme tout le monde. Tous ceux qui nous ont précédés, nos contemporains, ceux qui nous suivront.

Une biographie pour amplifier encore le bonheur de la lecture, redécouvrir des choses que l’on sait, sent, suspecte déjà dans un autre contexte, pour apprendre grâce au décalage combien nous avons en commun nous autres humains. Un autre temps. Une autre vie. Tellement proches des miens.

J’ai lu récemment une biographie de Colette, peut-être mon écrivain préféré. Je m’identifie à elle, pour nos 100 ans d’écart tout pile ou presque et notre amour des violettes dans les chemins creux, notre passion des végétaux et des êtres. Ses mots me font vibrer.

Si j’arrive à mettre la main dessus cet été, dans la maison de mon père, la bibliothèque de ma mère, je lirai peut-être le journal de Delacroix. Je prendrai mon temps, comme si le temps était à moi, pour relire des livres qui me parlent. A chaque passage dans leurs pages, ils me confient des secrets nouveaux.

Tenez, par exemple, j’ai ressorti un livre de Christian Bobin : Autoportrait au radiateur. Il m’a été offert voici 20 ans par une amie ardéchoise, parisienne pour cause d’études. Je l’avais lu dans le TGV du retour, d’une traite, buvant les mots de ce poète que je découvrais. Je le chéris doublement depuis et le lis régulièrement. J’ai dévoré avec gourmandise tous les livres de Bobin qui ont croisé ma route.

A la première lecture j’avais souligné certains passages au feutre noir. J’ai souri ce matin, curieuse de voir combien aujourd’hui j’ai envie d’en distinguer de tout autres. La période de ma vie a changé. Au mois de janvier 2000 ma vie était en transition. Ma mère était partie depuis quelques mois et j’allais bientôt tomber enceinte de mon premier enfant. Ce livre qui parle beaucoup de la mort d’un être cher, m’avait aidé sur ce plan-là. Aujourd’hui je dois avoir à peu près l’âge de l’auteur au moment de son écriture. Ce sont ses intuitions, ses pensées sur la vie qui me parlent le plus. Attraper un peu de maturité et de sagesse avec le filet à papillons de la lecture.

Le miroir tendu par l’art est un miroir magique. Il reflète ce que nous sommes prêts à voir et à entendre. S’il a d’autres secrets à nous révéler, il reviendra c’est sûr. Au moment adéquat.

Alors aujourd’hui, miroir, miroir sur le mur (de ma bibliothèque), quel secret vas-tu me confier ?

En chemin avec Hildegarde de Bingen

Un peu de tourisme et d’histoire (s) en chaussures de rando, à l’entrée des gorges du Rhin classées au patrimoine mondial de l’Unesco.

Guten Tag !

Une sœur en habit nous accueille dans la librairie – boutique. Elle nous sourit probablement derrière son masque. Nous attrapons une corbeille, puisqu’une affiche nous y invite. Comme dans la plupart des commerces aujourd’hui, leur quantité limitée sert au décompte du nombre maximum de visiteurs masqués. Nous feuilletons quelques livres, beaucoup sur la religion et la spiritualité, mais aussi des récits de pèlerinages et des guides sur l’utilisation des plantes et fleurs sauvages. Nous déchiffrons les étiquettes des bouteilles de vin et des sachets d’herbes pour tisanes. Tout est produit sur les pentes alentours. Je choisis un livre : Frauen, die lesen, sind gefährlich und klug (Les femmes qui lisent sont dangereuses et intelligentes) de Stefan Bollmann (hé, hé) ….et me dirige vers la caisse.

Donnez-moi la corbeille.

Je m’exécute.

Ça fera 10 euros. N’oubliez pas la corbeille et votre livre. Et reposez la corbeille à l’entrée. Danke, tchüss !

Ah la corbeille ! (Der Korb.)

Hier nous sommes allés – hélas – dans une zone commerciale où c’était le ballet du caddie. Un enfant a-t-il besoin de son propre caddie ? Non pas chez Décathlon ni chez DM. Mais chez Tchibo oui. Sous peine de se faire engueuler (oui, encore). Tous tripoter les mêmes objets, y’a rien de plus sûr pour se contaminer les uns les autres.

Mais aujourd’hui nulle ambiguïté du décompte, nos filles ont renoncé à la boutique. Elles se sont évadées après la visite rapide du bâtiment imposée par leurs parents et se prélassent sur un banc avec vue.

Nous sommes à l’abbaye Sainte-Hildegarde sur la rive droite du Rhin à une quarantaine de kilomètres de Mainz (peut-on toujours utiliser le mot pour autre chose que le corona ? je ne sais plus). Le bâtiment au milieu des vignobles, sur les contreforts du fleuve, a été retapé au début du XXème siècle. Mais l’abbaye a été fondée par Hildegarde de Bingen, au XIIème siècle.

Avant d’être canonisée par l’Eglise catholique, Sainte Hildegarde était une religieuse bénédictine médiévale. Erudite touche à tout, elle a composé de la musique, écrit des ouvrages de médecine populaire basée sur ses études de plantes et de minéraux. En Allemagne, elle est considérée comme la première naturaliste.

Un chemin de pèlerinage (140 km) parcourt les collines entre son lieu de naissance présumé et son abbaye. Dans le coin, le tracé se superpose avec celui de Saint-Jacques de Compostelle (30 chemins sont répertoriés en Allemagne). Si l’on en croit le panneau, le Finisterre s’atteindra après 2475 km.

L’abbaye est située au cœur d’une région viticole réputée (la Rheingau) et sur le Rhin romantique, à la porte d’entrée de la Vallée du Haut-Rhin Moyen (quel nom compliqué ! c’est mieux en allemand : Obere Mittelrheintal ), site classé au patrimoine mondial de l’Unesco.

C’est un coin qui nous plait beaucoup, plein de légendes et d’histoire (s).

Déjà dimanche dernier nous étions venus par ici. Nous avions souhaité pousser les frontières de notre exploration au-delà de notre quartier. Même si dans notre Land le confinement n’avait pas été aussi sévère qu’en France, depuis deux mois nous nous étions contraints à une retraite prudente. Nos seules balades étaient autour de chez nous, avec départ à pied directement. Nous ne nous étions autorisé que deux excursions le long du Rhin, tout près de Mainz, histoire de longer de l’eau vivante.

Les photos de randos envoyées par des copines m’avaient fait envie : j’avais cherché une balade dans le Binger Wald – la forêt de Bingen. La promenade repérée dans notre guide était trop longue. Nous comptions sur les indications in situ pour trouver un but accessible dans le temps imparti par la patience de nos filles et la résistance de nos jambes. Au pied de l’auberge de jeunesse nous avions trouvé ce qu’il nous fallait : sentier et panneaux vers un château en ruine.

L’intérêt touristique principal de Bingen est son emplacement géographique sur la rive gauche, à l’extérieur d’une courbe, à l’entrée du Rhin romantique. Là au niveau du confluent avec la rivière Nahe, commencent les gorges aux coteaux couverts de vignobles et habitées par des châteaux en pierre rouge. Les bateaux de croisière s’y pressent (enfin, s’y pressaient) entre les péniches de fret (c’est fou le trafic commercial sur ce fleuve).

Un rocher célèbre défend la rive opposée bien plus en aval : celui de la Loreley. J’entends encore la voix de M. V. mon professeur d’allemand de 6ème nous raconter la légende. La belle demoiselle coiffait sa chevelure (sans doute longue et blonde et ondulée) en haut de son promontoire (noir et vertical, lui je l’ai vu). Les marins non avertis périssaient dans un naufrage aux pieds de la sirène germaine. Effectivement, au niveau de cette falaise, le Rhin se fait plus étroit et tourne. Les courants doivent y être effroyables.

A part Hildegarde et ses plantes médicinales, Bingen est célèbre pour la Mäuseturm, la tour des souris, une tour de guet construite au XIVème siècle sur une île au milieu du fleuve, juste après des rapides. Elle servait au prélèvement des taxes pour circuler sur l’eau (déjà beaucoup de bateaux sur cette autoroute liquide). Aujourd’hui elle est blanche et retapée.  

Selon la légende, l’évêque de Mayence, impitoyable, avait refusé de partager ses greniers bien remplis avec les pauvres pendant une période de famine. Des souris ont surgi de toutes parts et ont poursuivi l’évêque qui s’échappait en bateau sur le Rhin. Elles l’ont dévoré alors qu’il se croyait en sécurité dans la tour.

Ce dimanche-là, nous avons aperçu la tour sur son île. Mais pas trouvé le château en ruine : nous avions bifurqué trop tôt au niveau d’une auberge sympathique et envahie d’estomacs affamés (les sentiers de randonnée sont fort courus ces temps-ci.) Détournés par la foule, nous avons persévéré dans notre égarement pour pique-niquer dans le calme.

Nous reviendrons c’est sûr. Il faudra qu’on le trouve ce château. Et puis, c’est vraiment une région attachante avec son cocktail fleuve-forêt-rivière-vignobles et bâtiments historiques hantés. D’ailleurs les contes des frères Grimm ne nous emmènent-ils pas souvent sur un sentier dans la forêt ?

Mais je crois que la prochaine fois, il nous faudra repérer un glacier ouvert le dimanche, pour motiver les troupes. Au café de l’abbaye d’Hildegarde, il n’y avait que des sandwiches et des soupes.

Bleu Chagall

Ce matin, l’hiver a pris ses quartiers de printemps. Alors je profite d’être descendue en ville pour m’offrir une promenade sur la colline. Ça monte le long de la Gaustrasse. Le centre-ville de Mainz niché au bord du Rhin est plutôt plat. Mais il est entouré de quartiers légèrement vallonnés et là je me rends à son (modeste) point culminant, la colline sur laquelle a été construite voilà 1000 ans, l’église Sankt-Stephan (Saint-Etienne).

Le tram sinue au milieu de la rue. Nous sommes un matin de semaine. Le quartier s’éveille doucement. Peu de voitures. Encore moins de piétons. Il y a encore quelques années, ce coin n’était parait-il guère avenant et peu couru. Aujourd’hui la rue est bordée de commerces attrayants. A droite, la vitrine d’une petite librairie donne envie de pousser la porte. Je m‘arrête quelques instants pour regarder les titres. Une boutique pour enfants d’articles (utiles et colorés) faits main, des restaus de différents coins du monde (Japon, Ethiopie…), des coiffeurs (voir article : Au cheveu près), des cafés branchés, un magasin de déco trendy qui propose quelques plantes sur le trottoir. J’hésite à entrer. Non, un autre jour. Mon souffle s’accélère légèrement. Je m’enfonce à gauche dans une petite rue. Elle débouche au pied d’un mur en pierres sombres, en contrebas d’une place triangulaire plantée de vieux tilleuls.

La rue monte et longe le mur qui s’abaisse dans un jeu de ciseaux. Quelques larges marches (un pas d’âne ?) emmènent sur la placette. L’entrée de l’église est juste là. Elle s’ouvre dans un mur latéral, entre les troncs tout en branches noires. De la route elle semble presque timide, par rapport à la taille du bâtiment. En s’approchant, elle se fait métallique, cuivrée et prend de l’assurance. Elle devient imposante et force à lever la tête. A sa droite, les horaires des visites autorisées canalisent les curieux. Ils se pressent souvent dans le coin : cette église, pourtant quelque peu excentrée est un point clef du parcours touristique de Mainz. Elle abrite en effet des vitraux de Marc Chagall.

A la demande du curé de la cathédrale de Mainz, l’artiste, âgé alors de plus de 90 ans a réalisé lui-même huit vitraux à la fin des années 1970. Un symbole de l’amitié franco-allemande, de l’attachement judéo-chrétien et de l’entente entre les peuples.

Je pousse le battant droit de la porte. Il résiste, je dois me pencher un peu pour utiliser mon poids. La poignée en métal, en forme de poisson, luit d’avoir accueilli tant de mains. Je franchis le seuil. La porte se referme lourdement.

D’un coup je me retrouve au fond de l’océan. Les longs vitraux bleus inondent d’une lumière sous-marine la pénombre de l’église. Le soleil outremer joue sur les piliers sombres et les murs blancs, dans un kaléidoscope de reflets mouvants. L’oeil est attiré par les couleurs intenses des vitraux dans le chœur. Elles chantent l’espoir, la joie de vivre, la gaieté. Des personnages en mouvement flottent dans un ciel lapis lazuli, et content des histoires de la Bible : le paradis, la Création… Le regard espiègle de Marc Chagall séduit, sa poésie pétille.

Les vitraux latéraux abstraits, sobres, évoquent des forêts d’algues sous-marines. Créés par un maître verrier ami de Chagall, Charles Marq, ils complètent et mettent en valeur les œuvres du chœur. Leur camaïeu de bleus vaporeux guide mes pas vers les vitraux centraux. Le nez en l’air, la bouche et les yeux grands ouverts, je marche au fond de la mer et regarde onduler les laminaires laiteuses. Le grand bleu sans se mouiller.

Je m’assieds un instant et hume le calme solennel. Il irradie, visible, palpable. Une lame de plancher craque sous un pas. Le son résonne fort, longtemps et emplit tout le volume de l’église. Il amplifie l’impression d’habiter un instant un monde autre.

Je m’approche d’une table où sont proposées des cartes postales, des dépliants. Tout y bleu, bleu Chagall. Voilà plusieurs fois que j’entre ici, sans avoir jamais pris le temps de me documenter. J’achète un petit guide (en français) pour répondre à mes questions. Le monsieur qui me le glisse dans une pochette en papier me demande si j’ai vu le cloitre. Euh non, pas aujourd’hui. Et je ne me souviens pas de son accès.  Là en face : poussez les portes, et la lumière sera.

Je m’exécute. Je passe une porte de verre, puis celle en bois, très lourde elle aussi. Et je suis éblouie. Le soleil de janvier est tout entier concentré dans ce jardin de poche, au milieu d’un cloitre. Un puits antique, de l’herbe, quelques rosiers nus. Je lis dans mon guide qu’il s’agit du ‘’plus beau cloitre de la Rhénanie-Palatinat, joyau par excellence du gothique tardif à Mayence’’ (j’ai bien fait de l’acheter en français). Je longe lentement le carré de l’allée couverte, toute en voûtes et croisées d’ogives ocres et blanches. Les plafonds sont émaillés d’armoiries et de symboles dorés et colorés. Là encore la lumière tient le rôle principal au milieu de ce décor de pierres. Les ombres des piliers, des porches sculptés jouent à cache-cache, répondent aux ouvertures où la lumière méridionale entre à flots.

J’ai l’impression d’avoir découvert un refuge, petit concentré replié de paix et de beauté. Comme le jardin du musée des Beaux-Arts à Lyon où j’allais parfois manger un sandwich sur un banc en regardant les oiseaux picorer.

Je quitte le cloitre à regret. A peine la double porte passée, le contraste me saisit à nouveau entre la lumière solaire extérieure et la pénombre liquide mystérieuse, les rayons outremer de l’intérieur du vaisseau de pierre.

Je m’assoie un petit moment sur un banc pour boire la beauté de la lumière de Monsieur Chagall. Je repense à ce film documentaire sur sa vie vu dans le musée de Nice. La Côte qui n’avait d’azur que le nom dégoulinait de toutes parts. C’était la mousson de printemps. Nous avions échoué en ville pour une parenthèse-plaisir d’art. Assis dans un amphithéâtre, nous avions découvert Marc Chagall en noir et blanc comme nous ne l’avions encore jamais vu : vivant. Avec son regard espiègle, son rire, son intelligence malicieuse.

C’est le moment de retrouver mon quotidien. A droite de la porte en sortant, un coquillage : les pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle peuvent ici recevoir un tampon dans leur carnet. Je fais encore quelques pas sur la petite place Sankt Stephan, et jette un coup d’œil plongeant sur les premiers toits de la vieille vielle (Altstadt).

Monsieur Chagall a capturé la lumière du ciel. Prévoir de se ménager un sas avant de redescendre sur terre.