Apprivoiser

L’année scolaire se termine avec son précipité de rituels.

-Qu’est-ce que signifie « apprivoiser » ?
-C’est une chose trop oubliée, dit le renard. Ça signifie « créer des liens ».
Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry.

Ce matin au petit jour je suis descendue dans le séjour. Ma cadette déjeunait déjà d’un muesli. La dernière dormait encore (les horaires de l’école-à-la-maison se décalent chaque jour). J’ai pris une tasse de café et suis sortie marcher pied nus dans l’herbe fraîche. Pour m’éveiller avec le jardin et les arbres, sentir le vent se lever avec le soleil.

Mon mari faisait du sport en écoutant un podcast. L’interview d’une dame américaine dont je n’ai aucune idée de l’identité. Je l’ai juste entendue en passant dire qu’elle relisait chaque année le Petit Prince et que chaque fois elle y découvrait de nouveaux trésors, et des réponses aux étapes qu’elle traversait à ce moment-là de sa vie.

Le Petit Prince, je viens de le racheter, en édition de poche et en français, dans la librairie du quartier. C’est une librairie jeunesse avec une sélection de livres pour adultes très intéressante http://nimmerland-mainz.com/. J’adore y aller, chercher des idées de lecture, des cadeaux. Le commerce du livre allemand est très bien organisé. N’importe quelle librairie peut vous commander le titre recherché pour le lendemain matin. Comme les médicaments dans les pharmacies. Mais ça en arrivant à Mainz voilà deux ans, je ne le savais pas encore.

Pour préparer notre première rentrée scolaire allemande, il s’agissait en quelques jours d’acheter les fournitures, réaliser différentes inscriptions, et commander les manuels. Ici en Rheinland-Pfalz, les livres scolaires doivent être achetés. Certains le sont neufs, mais d’autres peuvent être commandés à la ville de Mainz pour le tiers du prix. Ils seront utilisés trois ans de suite par des enfants différents : le manuel scolaire en copro. Une fois acquittée la commande en ligne auprès de la ville, je me demandais donc où acheter les livres complémentaires.

Me basant sur mon expérience française, j’ai commandé les titres demandés sur le site de la plus grosse librairie de Mainz – celle où j’étais déjà passée une fois, la seule dont je me souvenais vaguement du nom. Nous sommes allés les chercher quelques jours plus tard, en râlant de devoir descendre en ville dans la canicule. La vendeuse n’avait pas dû avoir envie de venir non plus :

-Je ne trouve pas votre commande.

-Essayez peut-être cet autre nom…

Nein, toujours rien.

J’ai commandé sur internet…

Ach so sur internet ! Fallait le dire.

Regard réprobateur par-dessus les lunettes.

Euh je pensais l’avoir (mal ?) dit.

Nous avons reçu nos livres au prix de gros efforts et en s’étonnant du manque de connexion des boutiques allemandes. En fait nous n’avions pas encore appris le mode d’emploi de l’achat de livres. Cette année je sais.

Hier j’ai commandé auprès de la ville une partie des manuels scolaires. En août, j’apporterai les listes complémentaires à ma librairie de quartier. Les charmantes libraires me les commanderont avec le sourire. Et j’irai le chercher le lendemain. Voilà. (Pour ce genre d’achats il ne me semble pas que l’on doive trop anticiper. La semaine dernière, chez le coiffeur, une dame a appelé pour prendre rendez vous pour fin août…. Fin août ? Deux mois d’avance ? Sérieusement ? comme dirait ma fille).

Donc le Petit Prince….

Je l’ai racheté pour pouvoir le lire à mes filles puisque notre édition familiale est – je l’espère – chez leur grand frère à Lyon. A certains moments de la vie le lire, le relire, est une priorité. Il me semble aujourd’hui que c’est le cas. Je les envie d’avoir à le découvrir.

Le livre de poche est posé sur le canapé. Un marque page en dépasse. Il n’avance pas trop.

Quand son humeur y consent, je lis quelques chapitres à ma benjamine. Elle apprécie en situation mais a du mal à s’y mettre. Elle préfère nettement lire des petits romans rigolos. C’est un peu le brocoli de la lecture : excellent pour la santé, mais apprécié plutôt par les enfants devenus grands. Je le lui ai expliqué, avec le renard : pour aimer quelque chose, quelqu’un, il faut le/la connaître, lui consacrer du temps. Renoncer à une découverte juste parce que c’est nouveau, c’est passer à côté de grands plaisirs, et perdre une occasion de grandir. Donc allez encore un chapitre ?

En lisant avec elle, je me rends compte à quel point son vocabulaire français, basé sur nos seuls échanges quotidiens, est limité. C’est ça aussi de grandir avec trois langues. La richesse de l’ouverture de la pensée et de l’expression se fait (au moins au début – croisons les doigts) aux dépens de la variété du vocabulaire.

Ma grande fille a adoré la dédicace de Saint-Exupéry que je lui ai lue à haute voix (vous savez : toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants mais bien peu s’en souviennent). Elle a aussi pour mission de lire le livre cet été. Collectivement, au soleil, nous allons apprivoiser le petit Prince.

Comme nous nous sommes laissé apprivoiser par notre environnement. Cela nous semble plus évident ces derniers temps.

Peu à peu, accepter d’apprendre le nom des fleurs en allemand. Se réjouir de passer un week end dans la forêt même si on y mange et parle teuton. S’abonner à des comptes Instagram (très peu et sélectionnés) en allemand. Bon nous n’avons pas encore envie de passer nos vacances ici tout de même ! (clin d’œil appuyé). Nous avons toujours tous les quatre besoin d’une pause, car même après deux ans le quotidien demande des efforts.

Heureusement les frontières viennent de rouvrir ! Nous quitterons pour les vacances le confort et la propreté allemands pour le charme et le bazar français. Ça nous fera du bien (c’est ce que l’on imagine aujourd’hui…on verra sur place). Nous retrouverons mon étudiant de fils, que nous n’avons pas vu depuis Fastnacht (carnaval), et qui vient de commencer ses concours (décalés de plus de deux mois, et privés d’oraux).

Avant les congés, deux étapes importantes auront lieu : la remise des bulletins, et le départ définitif de l’école primaire.

Les écoles nous envoient de nombreux mails. Chaque message nous explique un truc qui est repris en détails dans une pièce jointe. Je sais donc précisément quand seront remis les bulletins à chaque classe de chaque niveau… Un seul mail me suffirait (avec pièce jointe pour le coup : ledit bulletin). Mais ici c’est toute une affaire : une cérémonie officielle. Dans la classe, dirigée par la maitresse, et en présence de l’ensemble des enfants (pourtant séparés en deux groupes depuis le déconfinement). Chaque écolier est appelé au tableau pour recevoir son bulletin, et applaudi par tous.

Une page se tourne (cf. Billet d’humeur : La dernière fois, 23 février 2020) : la fin de l’école primaire pour le dernier de mes enfants. Ma plus jeune entre en 5ème classe (CM2) donc au Gymnasium (collège). Après quatre ans passés ensemble, les écoliers vont quitter leur maîtresse, se répartir dans les différents collèges de la ville. Fiesta corona-compatible, cadeaux. Offrande symbolique du cartable de l’école primaire à une école du Malawi. Un peu de tristesse et de nostalgie mêlées au soulagement d’en avoir fini avec les trajets scolaires.

Pourvu que le collège lui convienne. Elle a déjà changé régulièrement d’école et s’en est bien sorti. Elle semble savoir s’acclimater, créer des liens et se faire une place. Mais s’adapter n’est pas s’épanouir. On oublie parfois à quel point l’environnement compte pour cela, la nourriture (au sens large) pour se développer. Et que survivre n’est pas vivre.

Nous avons beaucoup jardiné récemment. Une anémone du Japon et un jeune arbuste (dont j’ai oublié le nom) végétaient côté soleil. Leur gros pot importé de Lyon a été mis côté ombre. Et nous leur avons donné de l’engrais (oui parfois on oublie de nourrir nos plantes). Elles prospèrent comme jamais.  L’arbuste s’est enfin décidé à pousser et lance de nouvelles branches feuillues vers le ciel. L’anémone du Japon emporte dans son élan naïf les branches de ses voisins, l’azalée et le papyrus.

J’observe aussi mes capucines poivrées que j’ai semé dans tous les petits trous. J’adore la rondeur sympathique de leurs feuilles. Certaines enflent, généreuses, toutes en feuilles et en fleurs orangées. Une autre dans le coin d’un petit pot sec dresse une unique fleur rabougrie au-dessus de feuilles miniatures. Un pense-bête, comme un post-it sur le frigo : pense à te nourrir, et à privilégier les environnements favorables !

J’écris dehors, à l’ombre de l’après-midi, à l’heure de l’été.

La Saint-Jean est passée. Mais, circonstances 2020 obligent, la grande fête annuelle n’a pas eu lieu à Mainz (elle est proposée de façon virtuelle https://www.mainzer-johannisnacht.de/). Celle qui célèbre le solstice d’été et le fils de la ville, Johannes Gutenberg, père de l’imprimerie.

Gutenberg masqué
Mainz garde ses distances sociales

En ce moment l’environnement conjoncturel râpe. Ras le bol de la paperasse administrative en allemand, du lave-linge qui fuit toujours mais par un autre trou (serait-il temps de passer à la qualité made in Germany ?), des déclarations d’impôts dans deux pays, de deux façons différentes (à l’aide).

J’ai besoin d’une pause et de rire. Je vais aller voir des amies et respirer les tilleuls verts de la promenade. On est trop sérieux quand on a 47 ans.

Energie en fuite

Après trois mois de collectivité forcée et de contraintes, difficile de recharger ses batteries. Comment réparer les fuites ?

Un lave-linge qui fuit, goutte à goutte. L’occasion de rencontrer un artisan allemand. De découvrir le vocabulaire de la plomberie et lui expliquer tous les programmes d’une machine qui parle français.

De l’eau en fuite, qui pleure, s’étale sur le sol carrelé. Des serpillères grises et crème. Des françaises et des allemandes, détrempées, essorées.

Un peu comme mon système nerveux en ce moment. Grignoté par le goutte à goutte des irritants d’un quotidien concassé, des informations violentes sur l’état du monde qui franchissent tous les barrages mis en place. La baignoire de mes émotions déborde. L’eau s’échappe et s’infiltre sous toutes les portes. Mon équilibre prend l’eau.

La tension et le stress m’intiment le réflexe animal de fuir une situation désagréable – sans pouvoir le faire. J’ai le cœur qui joue du djembé. Ma patience s’est carapatée en vacances. Elle en avait ras le bol du jour sans fin, des 1,5 mètres de distance (impossibles) à conserver avec mes amis humains, des masques qui étouffent et cachent les sourires.

Mon sommeil joue à cache-cache. Cette nuit il a gagné. Il m’a dit qu’il reviendrait quand je prendrai soin de moi. Si si reviens, je te promets je vais faire attention.

Où va l’énergie saine qui fout le camp ?

Armée d’un filet à papillons je la poursuis, Sisyphe moderne, dans une course perpétuelle vers un équilibre fragile dans un monde à vau-l’eau. Entre panique et abattement, ennui et inquiétude hyperactive.

Comment prendre soin de soi quand tellement de choses échappent à notre contrôle et nous privent de ce qui nous ferait du bien ?

Comme la possibilité d’aller chez le coiffeur (en France !), de retrouver sa famille ou des amies d’autrefois (en France!), de s’échapper pour un week-end dépaysant à la montagne ou à la mer (trop loin), de se nicher n’importe où au vert (tout est complet partout où on cherche). De passer quelques jours SANS les enfants (personne pour les garder).

Quelques jours sans personne.

Pour vivre à son propre rythme, répondre à ses besoins oubliés et piétinés par des mois de quarantaine. Laisser la pression s’échapper, goutte à goutte comme le filet d’eau de la machine.

Comment faire quand nos besoins impératifs sont difficilement compatibles avec une vie recluse et en communauté forcée ?

Du calme, du silence, de la solitude dans une maison pleine à son corps défendant relève de la mascarade. Les ondes et les sons passent à travers la porte, les tensions s’infiltrent, comme l’eau de la baignoire saturée …. Pourtant ces pauses-là me sont indispensables pour digérer la sur-stimulation de la vie courante. Sans même parler de circonstances exceptionnelles.

Donc rester sur le fil de l’équilibre et le remettre à jour dès que les circonstances le bouleversent. Avec patience. Euh, et quand elle est partie ?

Vous avez peut-être remarqué que depuis l’article sur la situation américaine, je n’ai rien publié. Cet article m’a couté cher en énergie, en colère, en révolte. L’expression d’émotions est à la fois salvatrice et douloureuse. Loin d’être un geste anodin ça creuse dans le capital énergétique. Mais y faire face, parce qu’il le faut. Parce que la goutte d’eau de l’expression dans un océan des mots est un droit et un devoir inaliénables. Parce que le besoin de dire est plus fort que l’appréhension de la dépense nerveuse.  

Le problème c’est qu’en ce moment chaque jour creuse un peu plus dans ce même stock que je n’arrive pas à reconstituer. Et les fissures s’écartent. Le filet d’eau grossit.

Pratiquement aucun moment de solitude à la maison pour me reposer, pour couper avec les stimulations continues. Pas vraiment de refuge : « Ah pardon tu dormais ? je cherche l’iPad ». Une fois, deux fois…. 100 fois… 3 mois, tant d’années….

Des enfants très créatives dont les idées débordantes envahissent l’espace commun. Non non laisse tous ces seaux dans le jardin c’est pour récupérer l’eau de pluie. Pour arroser mes plantes à air. Celles qui sèchent dans la salle de bains ou dans le salon. Tant pis si on trébuche tous les jours sur ces saladiers plein d’eau. Ou si le rouge cru du seau sur le vert du gazon m’agresse comme un cri dans la nuit.

Une ado et une pré-ado à la maison. Avec chacune leurs idées bien arrêtées. Leurs imaginations et leurs besoins impérieux. Des gamines confinées, en conserve au vinaigre depuis trois mois.

La benjamine a retrouvé l’école (en pointillés espacés) et les copines depuis près d’un mois. L’ado, elle, ne retournera au collège que demain. Après trois mois de ce qui ressemble à une punition. Elle a bossé dur et a acquis une grande autonomie de travail. En 5ème c’est chouette. Mais le sevrage de copines pèse lourd. Côté ambiance, je suis sûre que vous voyez ce que je veux dire….

Je vous fais grâce aussi des contraintes domestiques d’un quotidien qui bégaie. De l’apnée de ne pouvoir faire de projets. Là aussi vous connaissez.

Donc des ressources sollicitées au-delà de leur disponibilité. Et pas ou peu d’occasion de refaire le plein. Je suis dans le rouge. Cramoisi.

Trop peu de sport malgré les cours en ligne de yoga, et même si la piscine a rouvert. J’y suis allée et j’y retournerai. Une fois trop froide (les nageurs allemands avaient des combinaisons en néoprène) une fois trop saturée de gamins qui sautaient sur les nageurs et mangeaient une barquette de frites dans l’eau (?). Heureusement les maitres-nageurs circulaient : un vaporisateur dans une main, un chiffon dans l’autre. Très concentrés sur leur nouvelle mission, ils désinfectaient les rampes des échelles. Plus le temps de veiller à la sécurité des bassins. Alerte à Malibu pour les maisons de retraite.

Pas de relations de toujours, où se poser sans parler, puisque l’on se comprend du bout des yeux. Les promenades avec les copines sont littéralement des bouffées d’air et de nature, d’amitié. Et parfois je peux même parler en français ou en anglais. Mais l’expression d’idées, d’émotions, de pensées dans sa troisième langue est un défi épuisant et frustrant.

Beaucoup de nature, c’est vrai. A dix minutes à pied, je me trouve et me retrouve dans des espaces naturels protégés et différents. De quoi satisfaire mon envie de verts, de troncs, de parfums, de fleurs sauvages. De chants de ruisseaux et d’oiseaux inconnus. Et je sème, je plante, toujours je plante… malgré le peu de place et la terre ingrate de notre jardin, un remblai sec et caillouteux, réticent. J’ai invité un cosmos chocolat. Approchez, vous sentez ?

L’art est revenu.

Sous la forme d’une terre conciliante et humide. De l’argile. Mercredi à l’atelier j’ai vécu un bonheur créatif comme jamais. Un bonheur tout court.

Depuis la reprise des cours post-quarantaine, les séances se sont suivies sans se ressembler. La première fois j’ai été très frustrée en essayant de copier une sculpture cubiste des années 40. Mauvaises proportions. Ma prof m’a dit : « Ca ne va pas recommence. Et fais-la à la plaque ». J’écrase tout. Je bats ma terre (ça défoule mais ce n’est pas une vengeance punitive, c’est pour chasser les bulles d’air). J’étale une plaque avec un rouleau. Je râle in petto. J’aime modeler avec les doigts. La régularité se refuse à mon geste. Je construis tant bien que mal un tube. La terre trop molle s’affaisse à l’emballage. J’écrase à nouveau tout. Je rebats la terre, frustrée. Non, non à la rentrée, je ne me m’inscrirai pas.

Deuxième cours : je recommence ma sculpture en taillant dans la masse. Mais je la prends différemment. Par moitiés. Et là ça fonctionne. J’efface du creux des paumes le mauvais souvenir de la semaine précédente. La dame allongée (L’automne de Henri Laurens, 1948) en terre chocolat me plait. Je repars avec le sourire.

Mercredi dernier, j’avais une création à émailler. Certains pétales de ma femme-fleur s’étaient détachés à la cuisson. Pour cacher les cicatrices j’ai passé au pinceau de l’émail, une substance liquide comme de la peinture. Le vrai travail se fait à 1000°C quand les particules fondent comme du verre : le résultat est toujours une surprise. Mais la précision du geste, la régularité, la préparation de la matière sont essentielles et leur rigueur austère me rendent cette étape très difficile. Donc j’ai émaillé longtemps. Et il ne me restait qu’une heure pour enfin toucher l’argile. Récompense dans la récompense.

J’ai retrouvé un morceau d’argile blanche. Et je me suis inspirée d’un dessin exposé au musée de Francfort (Eve de Jacques-Ernest Bulloz, 1903). J’ai modelé avec les mains. Sans outils. La terre a répondu. Elastique, fraîche, malléable. Conciliante. Enfin une matière qui répond quand je la sollicite. Qui ne m’agresse pas. Paisible. En quelques minutes j’ai senti entre mes doigts un corps de femme, déjà presque plus qu’une ébauche. Son attitude me plaisait. Un vrai moment fluide d’élan créatif. Une étincelle de divin.

La création est mystérieuse.

Pourquoi cette fois-là ?

En tous cas merci, j’en avais grandement besoin. De cette bulle d’énergie offerte par un après-midi seule, sans ma famille que j’adore (mais comme m’a dit une copine du cours : la tarte à la crème oui, mais pas tous les jours). De ce contact frais et plastique. De cette complicité avec la matière. De cette bouffée de joie dans un processus créatif inspiré. Et du carré de chocolat partagé.

J’en ai été rechargée pour la soirée.

Reste à recommencer. Encore et encore pour repasser à l’orange puis au vert. Pour apprivoiser un système nerveux mis à mal par les circonstances. Et affronter un autre défi de taille.

Le départ en vacances.

Colère noire

Contre l’arrogance, la bêtise et la violence érigées en mode de gouvernement.

Une bible.

Une bible brandie comme une mitraillette, comme un pavé arraché à la route de la démocratie, à la voie de la spiritualité. Un livre lourd qui perd par ce geste menaçant toute symbolique religieuse et acquiert toute la violence d’un projectile.

Non.

Saint Albert (Camus) aidez-moi !

Je ne peux pas voir cela.

Je n’arrive pas à regarder les simagrées d’un personnage que même Stephen King n’a pas osé créer.

Une église vide avec deux personnages grimaçants. Une mise en scène de la bêtise et de la méchanceté. Qui vont souvent ensemble, hélas, comme disait ma mère. Et surtout, en négatif, du vide. Du vide.

Parce que les gens, le peuple, leur peuple, le peuple dont il est responsable est dehors à s’insurger, à réclamer ce que la constitution américaine leur promet et leur doit. Ce que nous nous devons tous les uns aux autres : l’égalité.

Le pouvoir et l’argent, le pouvoir de l’argent pour éblouir et sidérer, au service de l’égoïsme et de l’arrogance.

Je ne trouve pas de mot pour exprimer le mépris que j’ai de personnages de ce type.  Qui se croient importants et malins, quand leur petit jeu mesquin et pitoyable saute aux yeux effrayés de ceux qui veulent bien se donner la peine de les fermer pour éviter la sidération et suivre leur intuition.

Comment ressentir autre chose que du mépris à l’égard de ces êtres dont la bêtise insondable leur permet d’oublier que, comme les pates instantanées, ils ne sont que de la poussière et de l’eau ? Nous sommes tous égaux à cet égard. Tout l’argent du monde n’y changera rien. Ni les caprices.

Comme dirait le Petit Prince « Ce n’est pas un homme c’est un champignon ! » Et encore, tous ne sont pas toxiques.

Un gros monsieur cramoisi (orange disons) qui ne sait faire que des additions (enfin pas sûr).

Je viens de regarder les informations. D’habitude j’évite toute la journée pour me protéger, et rattrapée par ma curiosité j’y jette un regard rapide le soir. Mais là sur mon compte Instagram, un post de Trevor Noah (@thedailyshow) m’a intriguée.

Avec sa pertinence habituelle, il a dénoncé avec humour : FoxNews était la seule chaine du câble aux US à ne pas retransmettre le discours délivré par Barack Obama. ‘’FoxNews didn’t run the Obama speech because they were worried their viewers might call the cops out of habit’’ (FoxNews n’a pas retransmis le discours d’Obama car ils craignaient que leurs téléspectateurs n’appellent la police, par habitude).

Alors vous imaginez bien, j’ai regardé le discours d’Obama.

J’en avais les larmes aux yeux.

Tant d’intelligence, de compassion, d’optimisme et d’espoir, d’encouragement et de force calme, apaisante, fédératrice. Ah ça fait longtemps qu’on n’a pas vu ça de l’autre côté de l’Atlantique ! Comme ça fait du bien !

Un homme en fait. Un vrai.

J’ai remarqué que j’ai du mal à appeler ‘’homme’’ les adultes mâles. Je dis type, mec, gars… Je ne dis ‘’homme’’ que lorsque la personnalité m’autorise à y mettre une majuscule.

Donc, Barack Obama, un Homme. Enfin.

L’Amérique capable du meilleur comme du pire. Les drames qui se jouent actuellement prendraient une bien autre tournure si le gouvernement fédéral fédérait.

Je ne peux plus la voir la tête de l’autre.

Ce n’est pas une façon de parler. Littéralement, je ne peux plus la regarder.

Quand il apparaît dans mon champ de vision, par réflexe de protection, j’évite de croiser son regard. Son visage me met mal à l’aise. Il m’a toujours mise mal à l’aise. Son regard, ses traits me donnent la chair de poule. Je sens la violence, la cruauté, le mépris, la bêtise, le mensonge.

Et là ce matin, sa photo devant l’église au garde à vous avec la bible brandie comme une bombe armée…. Après avoir demandé aux sbires de tirer sur des manifestants pacifistes. Je réprime une nausée.

Je pense à Tex Avery et j’ai envie de la voir exploser cette bombe, dans les mains du gros méchant coyote.

Une muraille de soldats en armure travestis en mercenaires sur les marches du mémorial de Lincoln. Etait-ce cela le rêve dont a parlé Martin Luther King Jr au même endroit ?

Une bible.

Une bible comme un sceptre, dans un simulacre de sacre.

Une église.

La légitimité divine n’était-ce pas ce qui permettait aux rois de transmettre le pouvoir avec leurs gênes ? Et l’appel à l’armée sur un coup de tête, la violence des paroles, ne sont-ils pas ceux d’un dictateur ?

La folie des grandeurs. Des grandeurs ? Vraiment ?

La folie dégradante pour ceux qui la subissent.

J’ai l’impression de voir un enfant de 3 ans dans toute sa monstruosité égoïste et ses caprices impérieux – des bouderies, des scènes, le pied qui tape par terre, qui détruit un jouet déchu, la main excédée qui jette le robot démantibulé qui ne marche plus. Ou un ministre. Les colères d’un gamin né dans le luxe et qui l’est resté. Protégé par le respect aveugle que la société donne à l’argent – au-delà des valeurs humaines.
Sauf que là, les crises de rage, les exigences, ne sont pas à l’échelle d’une chambre ou d’une tour. Ni même d’un pays. Elles ont des impacts sur la terre entière. Rien que ça. Les Américains qui ont élu un gamin odieux déguisé en empereur qui crache au visage de tous ceux qui l’approchent l’ont imposé à la terre entière.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si on voit presque autant sa bobine que le coronavirus aux informations. Deux pandémies mondiales pour le prix d’une. J’en connais une qui s’amuse là-haut. Vous l’avez voulu….

Sauf que tout le monde ne l’a pas élu.

Quand j’étais petite je ne comprenais pas pourquoi personne n’avait éliminé Hitler pour sauver des millions de vies.  Une vie contre des millions franchement le calcul est vite fait. Aujourd’hui j’ai grandi, on me dit que les choses ne sont pas aussi simples. Mais je n’en crois rien. Je ne veux rien en croire. Je suis toujours révoltée de voir que des gens visiblement instables et dangereux soient investis de pouvoirs aussi grands. Je ne comprends toujours pas que quelqu’un soit au-dessus des autres pour quelque raison autre que sa valeur humaine personnelle. Alors que penser quand elle disparait dans les abysses ?

Je me souviens dans ma vie d’avant d’un directeur tyrannique. Qui maltraitait gravement ses subordonnés. Leur mettait même à l’occasion des coups de pieds. Les envoyait tous en arrêt maladie. C’était le règne de la terreur. Tout simplement. Et tout le monde, toutes les pièces, les rouages du système courbaient l’échine. Sidérés.

Pourquoi ?

Parce que la terreur et l’emprise sont des phénomènes délétères, paralysants. La division un outil puissant de domination. C’était d’ailleurs le cri de ralliement des Nazis.

Hein Coluche, pourquoi existe-t-il des ‘’milieux autorisés’’ sur le plan de l’humanité ? Pourquoi l’argent et/ou le pouvoir donneraient-ils tous les droits ?

Ca doit bien exister la faute pour inaptitude professionnelle quand on est président d’une démocratie ? Il doit bien y avoir des outils démocratiques pour la sauver quand elle dérape, des gens humains et respectueux qui osent s’unir pour y avoir recours, par delà les étiquettes politiques.

Le roi est nu.

Tous les gens qui se donnent la peine de réfléchir et de sentir le savent. Les comédiens intelligents ont plus de matière qu’il n’en faut. Mais dans les milieux politiques peu osent le dire. Je suis soulagée de voir que son ancien Minsitre de la défense se soit autorisé à sortir de sa réserve.

Lueur d’espoir de ce côté-là.

Non ce n’est pas simple. Mais quand même. Ce doit être possible. De parler, d’agir. D’élire un gouvernement qui aide au changement vers plus d’égalité, de fraternité, de solidarité. Un président respectueux des êtres humains. S’il vous plait, Messieurs et Mesdames les Américains qui allez voter bientôt, ne nous imposez pas un deuxième mandat comme ça. Please, vote him out !

L’autre jour je regardais une conférence de presse de l’autre. Pas pour le plaisir, hein, ni pour m’informer. L’écouter parler, le voir agir sont des insultes à notre intelligence, à notre humanité – enfin pas à celle de ces électeurs, eux n’ont rien à craindre de ces côtés-là. C’était dans le cadre d’une émission humoristico-très sérieuse de John Oliver (HBO Max) sur le décryptage de l’actualité.

Un journaliste a posé une question (je ne me souviens plus laquelle) raisonnable et polie. La réponse est tombée comme un couperet : « You’re a fake ! » (Vous êtes un imposteur !)

Quand on sculpte un visage en terre, plusieurs fois je l’ai remarqué et entendu (et pour le coup c’est la même chose en France et en Allemagne) : en général il nous ressemble. Nous modelons les traits que l’on voit le plus souvent, même si on n’a pas l’habitude de s’attarder devant la glace de la salle de bains (ou si on n’y a pas ses lunettes). Alors par défaut, même sans modèle, bien malgré soi, avec l’argile on se lance dans un autoportrait.

De la même façon j’ai remarqué que certaines personnes accusent les autres de ce qu’eux-mêmes sont précisément en train de faire (peut-être faisons nous tous cela, mais cela est plus évident avec un certain type de personnalité). Cela est fort utile pour décoder les mauvaises intentions.

« You’re a fake ! »

Une interpellation, qui par un effet de miroir en dit beaucoup plus long sur celui qui la prononce que sur celui qui la reçoit. Un mode d’emploi individuel offert au public. Voilà ce que je vous accuse d’être, utilisez-le pour vous rassurer : c’est de moi que je parle avec ces mots odieux et agressifs. Je traite de mensonges ”Fake news ! ” les vérités qui m’encombrent. Doute et discorde.

Je ressens beaucoup de colère à l’égard d’un système qui croit plus en la police qu’en l’éducation, la culture ou en un système de santé universel (comme c’est le cas criant dans le budget de la ville de New York). Et qui donne les clefs de la Maison Blanche à un prétentieux immature. La répression et l’arrogance, la bêtise et la méchanceté comme mode de gouvernement. Pourquoi ? Pour quoi ? Encore ? Ne comprendrons-nous donc jamais ?

We can do better.

Je voudrais dire tout mon soutien à ces gens qui manifestent aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde pour aider les femmes et les hommes de toutes les couleurs. L’égalité il n’y a pas d’autre solution : nous finirons tous au même endroit.

Alors tendons nous la main.

Et agissons.

“All that is necessary for evil to succeed is that good men do nothing.” Edmund Burke

(Pour que le mal triomphe il suffit que les bonnes gens ne fassent rien)

PS : Un des gros problèmes avec la violence en Amérique est liée au fait que les gens soient armés (je sais, pensée puissante s’il en est). Certains pensent que le port d’armes est un droit constitutionnel inaliénable. C’est oublier de façon bien opportune le texte complet de la Constitution et le contexte de sa rédaction, n’en déplaise aux fanatiques. Permettez-moi de citer Bill Bryson dans Made in America, que je suis en train de relire.

“At the risk of exciting correspondence from the National Rifle Association, the much vaunted right of people to keep and bear arms was never intended as a carte blanche, semi-divine injunction to invest in a private arsenal for purposes of sport and personal defence, as the full sentence makes clear : “A well-regulated militia being necessary to the security of a free State, the right of the people to keep and bear Arms shall not be infringed”. The framers had in mind only the necessity of raising a defence force at short notice. If they did favour the idea of keeping guns for shooting animals and households intruders, they never said so.’’*

Oui à l’époque, il n’y avait pas encore de police professionnelle. La défense collective reposait sur le peuple directement.

*Traduction : Au risque de susciter des courriers de la part de la NRA (association américaine militant pour le droit au port d’armes), le droit au port d’armes, tant glorifié, n’a jamais été pensé comme un droit d’injonction semi-divine d’investir dans un arsenal pour faire du sport ou sa protection personnelle. ” Une milice (réserve) bien règlementée est nécessaire pour la sécurité d’un Etat indépendant, le droit du peuple d’avoir des armes ne sera pas enfreint.” Les fondateurs avaient à l’esprit la seule nécessité de pouvoir organiser une force défensive dans de brefs délais. S’ils étaient favorables à la possession d’armes pour tirer sur des animaux ou des cambrioleurs, ils ne l’ont jamais dit.

Reprises

Les écoles reprennent en pointillés, la piscine rouvre avec conditions. Période floue où les repères sont à reconstruire sur la seule base de notre intuition.

Le théâtre de Mainz – avec une sculpture éphémère (printemps 2018)

8h15 il y a une semaine, je reçois un mail de la maîtresse.

Tiens, c’est curieux. La classe est censée avoir commencé depuis 25 minutes, or elle n’écrit pas aux parents sur le temps de cours. Faute d’objet d’indiqué, je soupçonne être la seule destinataire de ce message. Ma fille aurait-elle oublié quelque chose d’essentiel ? Serait-elle malade ? Non ils auraient téléphoné. Aurais-je fait un truc de travers ?

« Chère madame, à compter d’aujourd’hui la classe commence à 9 heures, en raison de la reprise d’un autre niveau. Vous avez dû mal lire les informations envoyées la semaine dernière. Votre fille a été prise en charge par la garderie d’urgence. »

Mainz alors !

C’est peu de dire que j’ai mal lu les infos. Je reçois des mails tous les deux jours de la part des deux écoles de mes filles. De loooooongs mails avec des pièces jointes tout aussi loooongues. Et tous les sujets sont traités avec la même exhaustivité bavarde (les changements d’horaires comme un erratum sur l’impact santé du gel hydroalcoolique fournit par le Land). Le tout en police 10, en allemand administratif (youpi !) sur des pages et des pages… Alors oui, je survole les infos pour éviter de me cogner la tête contre les murs. Je rêve d’informations synthétiques et d’une hiérarchisation des thèmes (un truc simple du type : pour info / important).

L’école a repris en pointillé depuis bientôt un mois pour ma plus jeune. Elle s’y rend deux matinées par semaine. Pour limiter au maximum les croisements d’enfants, leurs horaires sont décalés. Les trois premières semaines elle commençait à 7h50. Désormais, avec le retour des 3. Klasse (CE2) c’est 9 heures. J’ai raté ce changement important. J’en connais une qui va être furieuse. Elle aurait pu dormir une heure de plus.

Je m’excuse platement auprès de la maîtresse, en mettant ma bévue sur le compte d’une lecture rapide, d’un texte trop allemand pour ma bonne compréhension. Elle ne m’en veut pas, ouf ! Je tâcherai de faire mieux, c’est promis.

Ce matin j’ai reçu un mail du collège. La classe de ma grande va reprendre en demi-groupes, les matins, en alternant les semaines entre les groupes. Du coup ma fille n’ira que deux semaines avant les vacances scolaires. (Tiens pas de nouvelles du sondage qui avait été fait pour un éventuel raccourcissement des vacances d’été). Et là non plus je n’ai pas envie de lire le message jusqu’au bout. Quels escaliers les enfants vont devoir utiliser pour monter, pour descendre ? Quels bâtiments sont autorisés et pour quoi faire ? Je n’ai pas envie de savoir mais pourvu que je ne rate rien d’essentiel !

Heureusement ma fille a reçu les mêmes informations. Je compte sur elle et sur les scotches collés partout dans les couloirs pour qu’elle se dépatouille. Je tâcherai de lui mettre à disposition un masque propre le matin (car les masques c’est comme les chaussettes, ça a tendance à disparaitre dans un trou noir). Je crains de devoir recommander de l’élastique. Autre reprise : la couture.

Pendant encore deux semaines, ma fille continuera les cours à la maison. Au total ça fera trois mois. Trois mois sans voir les profs ni les copains. Juste séparément et brièvement quelques amies (et leur chien !) pour une balade depuis que c’est à nouveau autorisé. A son âge, sans copine pendant si longtemps….  Pas drôle, non.

Avec l’école à domicile, on a perdu l’habitude des devoirs et des interros. Hier soir à 20h25, ma plus jeune qui a passé un week end de trois jours très détendu à construire une cabane dans le salon et à y faire sa petite vie à coup de popcorn, de limonades maison, de BD et d’un film de Bollywood (!), me rappelle qu’elle a une interro de maths le lendemain.

-QUOI ?????

-Mais je te l’avais dit ! Je t’avais dit que j’avais un Arbeit en Deutsch et en Mathe.

Oui c’est vrai, mais moi j’ai oublié, et franchement avec le suivi quotidien du travail à la maison, je suis soulagée quand ça s’arrête un peu. Donc je n’ai pas creusé le sujet. Et puis cette minette-là elle trompe son monde : elle est tellement organisée et fiable qu’on compte sur elle… sans doute un peu trop. Le Deutsch c’est fait – les révisions et l’interro – avec des exercices sur les déclinaisons (accusatif et datif…help ! comment expliquer ces concepts si abstraits ?). Mais les maths j’avais oublié (hop, dans le trou noir avec les chaussettes et les masques).

-Je me sens très très prête ! c’est bon !

Soit.

Je me fends du petit couplet pour rappeler à son bon souvenir les vertus des révisions, même quand on se sent très très prête. Surtout quand on a la fâcheuse tendance d’aller très très vite en interro et de ne pas se relire. Ce serait dommage de se planter sur les divisions ! Avec le temps qu’on a passé elle et moi à comprendre comment les faire en allemand. (Oui là aussi ce n’est pas tout à fait pareil qu’en France ; ça m’a moyennement gêné car ma technique de l’école primaire est oubliée depuis belle lurette).

-Alors si tu es très très prête il faut que tu aies au moins un 2 hein ?

– Oui, oui

(Les notes vont du 1 au 6, 1 étant la meilleure, avec les nuances +/- pour chacune.)

Elle est partie à l’école, on verra bien ce qu’elle nous en dira au déjeuner.

Ce matin on a rempli en 4ème vitesse le document qu’elle devait préparer pour aujourd’hui et qu’elle et sa mère avaient – aussi – oublié (oups). Des repères sur sa naissance (son poids, sa taille, des souvenirs). Heureusement, nous avions bien imprimé la photo du bébé qu’elle était.

En ce moment, en Sachunterricht (de mon temps, on disait, en Eveil), ils travaillent sur l’éducation sexuelle. Au début ça m’a surpris que ce soit traité dès le CM1. Mais avec le recul, je trouve drôlement pertinent de parler de la puberté à un moment où les enfants ne sont pas encore directement concernés. Ils ne sont pas encore ‘’bêtes’’ et gênés par le sujet. Ils comprendront mieux ce qui se passe dans leur corps si on le leur explique avant les feux d’artifice hormonaux. Depuis ma benjamine m’explique en secret les réactions de sa grande sœur et ses émotions imprévisibles.

TRAU DICH ! OSE !

En matière de cours drôlement malins dispensés à l’école primaire nous avons découvert les cours d’auto-défense. Ils sont proposés chaque année par notre école primaire, hors du temps scolaire mais dans le gymnase de l’établissement. On avait raté celui de l’an dernier, concentrés (et débordés) que nous étions sur les tâches obligatoires. Juste avant le hold-up du corona, ma fille y a passé la majeure partie d’un samedi, en tenue de sport avec son casse-croute et sa gourde (les enfants allemands ne vont nulle part sans leur gourde et leur Brotdose – littéralement, la boite à pain par extension, la boite à sandwich, une petite boite en plastique avec couvercle).

Je l’ai récupérée ravie, avec les flyers sur le mode de comportement en cas de harcèlement et une planche de bois de 2 cm d’épaisseur coupée en deux. Par la seule main d’une petite fille de 9 ans.

Elle a bien compris le principe de l’auto-défense et de la protection individuelle. D’ailleurs mes deux filles filtrent aujourd’hui les sorties par rapport à leur risque potentiel. Elles ont hurlé quand je suis allée à mon cours de terre en bus et tram.

Ce matin je consultais les conditions d’accès à la piscine qui vient de rouvrir ; l’une m’a prévenu qu’elle n’irait pas et l’autre m’a intimé l’ordre de ne pas rapporter le virus à la maison.

C’est assez décourageant la piscine : il faut remplir un formulaire que l’on aura pris soin d’imprimer (donc, là patience, l’imprimante n’a plus d’encre) et indiquer le créneau que l’on souhaite (matin ou après-midi). Comment sait-on quel créneau nous est attribué et pour quand ? Mystère. En revanche la limite en nombre de nageurs est claire : 1500 personnes par demi-journée. 1500. Certes les créneaux ont 6 /7 heures…. Mais 1500 ?! Peut-on encore parler de limitation à ce niveau-là ?

Que penser ? Et surtout que faire ?

Ce n’est pas parce que les activités sont désormais autorisées qu’il est malin de s’y précipiter. En même temps c’est pratique, le dépistage du corona se fait dans le gymnase à côté de la piscine (là où l’an dernier on avait assisté au magnifique spectacle accrobatique de danse du collège. Autres temps…)

Nous nageons dans le flou scientifique et politique.

Les repères d’avant ont disparu et ceux de la retraite forcée aussi. Je trouve cette période presque plus dure que le confinement. Tout y était interdit : pénible à vivre mais clair.

Aujourd’hui les nouveaux repères sont au four sur une recette maison, avec intuition intime et contradictions toutes fraîches.

Nager ou ne pas nager ? Verdict après mijotage.

L’Ampelmann de Mainz (qui a l’air de me donner le feu vert pour y aller)

Nager dans le sable

Quand on est privé de piscine, la marche peut-elle remplacer la natation pour se ressourcer ?

DE L’EAU ! DONNEZ-MOI DE L’EAU !

J’en suis sevrée depuis presque trois mois. Et je n’en peux plus.

Ma piscine est fermée. Toutes les piscines sont fermées. Or c’est là que je fais du sport, que je me détends. Que je me ressource… Tiens ce n’est pas un hasard ce mot-là. De l’eau pour remonter à sa source, pour se rassembler, se rasséréner.

L’élément fondamental, me fait défaut. Je me ressource aussi dans la terre humide du jardin, dans l’argile de l’atelier retrouvé depuis une semaine (en tout petit comité).  Mais dans les deux cas il me faut aussi de l’eau. Un tuyau, un arrosoir, un vaporisateur.

C’est pas terrible une piscine couverte, on est bien d’accord. C’est humide, ça sent le chlore (au mieux), parfois les pieds pas lavés et le moisi. Tout y est détrempé, délavé et ramolli. Comme les pâtes de la semaine dernière dans un Tupperware oublié.  Mais quand on a besoin d’eau en hiver, et que la douche ne suffit plus, on s’en accommode. Parce qu’on se sent sourire malgré soi après avoir nagé. Même après un slalom entre mamies et papys au ralenti.

L’autre jour je n’en pouvais plus. De cette survie qui se traine comme un disque noir à la mauvaise vitesse (moins de 30 ans ? vous ne pouvez pas comprendre). De cette cohabitation permanente forcée, avec ma famille que j’adore certes, mais où je n’ai jamais de pause vraie, de moment seule à seule, avec moi-même et surtout avec personne.  J’en ai vraiment besoin pour recharger mes batteries. Être à nouveau disponible pour les autres, pour des activités et des échanges. Sinon je deviens grognon – planquez-vous – je referme ma coquille et je sors mes piquants, et surtout, je souffre.

Tout me hérisse : la porte qui claque (encore), la voix de stentor du voisin qui téléphone depuis son jardin, les gosses en trottinette dehors, les chantonnements pourtant chuchotés de ma grande, la lumière du matin dans le salon, du midi partout, du soir dans la salle à manger, les 50 allers-retours à la salle de bains de mes filles à l’heure où je voudrais qu’elles soient dans leurs pénates, pour me laisser de l’espace dans les miennes.

Je voulais vous parler d’eau et me voilà à écrire sur l’espace.

Peut-être que c’est ça mon besoin aquatique en fait : un besoin d’espace visible, sensible, palpable.

Et là j’en suis complètement privée.

D’autant qu’il n’a pas plu depuis au moins trois générations (de moustiques). La météo nous promet un orage dans dix jours. Mais je sais ce que ça veut dire un orage à Mainz. On ne me la fait plus. Ça veut dire trois gouttes de pluie, un p’tit coup de vent, et au loin sur le (bas) relief du Taunus, un éclair ou deux. L’arnaque !

Cet autre jour donc, j’avais besoin de me défouler. Courir pour des raisons de lombalgies mal à propos, ça ne m’est pas indiqué. Taper sur quelqu’un ça ne se fait pas. En d’autres temps j’aurais sauté sur mon vélo avec mon sac de natation sous le bras et je me serais précipitée à la piscine. Du coup ce matin-là, furieuse, j’ai enfourché mes baskets et mon chapeau, et suis partie marcher sur le Grosse Sand (les grands sables).

Je me suis défoulée en grandes enjambées sur la terre tassée et le sable meuble. J’ai fermé les yeux pour avoir l’impression de marcher sur la plage, pour sentir le vent sur mes bras, mes jambes et mon visage. J’ai levé les bras très haut pour faire semblant de nager le crawl. J’ai inspiré les pins. J’ai marché pieds nus – comme j’avais vu d’autres le faire ici – pour sentir le sable couler entre mes orteils.

Au fur à mesure de mes pas, j’ai laissé tomber derrière moi, comme les cailloux du Petit Poucet, des écailles de colère. J’ai pu lever les yeux vers le ciel immense. Sur cette étendue plane, il prend sa vraie dimension. De gros nuages blancs joufflus chahutaient dans le bleu. On ne peut guère faire moins humide que cette steppe aride. Pourtant de l’eau il y en avait plein, partout là-haut. Il suffit de regarder vers le ciel quand les piscines sont fermées.

Ouais.

Presque.

N’empêche.

En rentrant mon monde avait compris (sac de pique-nique à l’appui) mon besoin viscéral et urgent de sortir de la ville et de se promener le long d’une rivière. Pour s’approcher d’un courant moins intimidant que celui du Rhin. D’une eau mobile que l’on peut sentir, traverser, écouter, renifler. Tant pis si l’on ne peut pas s’y baigner vraiment (c’est quoi cette mousse trop dense à la sortie du rapide ?). C’est déjà chouette de quitter ses chaussures et ses chaussettes, et de se tremper les pieds, de s’asseoir sur des galets (bon, pas trop longtemps à mon âge…). Presque comme en Ardèche… Si seulement…

Un virage à l’ombre, au bord du soleil, a accueilli notre pique-nique. L’éclair bleu d’un martin-pêcheur nous a ébloui, remontant le courant au ras de l’eau. Nous avons croisé des libellules de toutes les couleurs, un pic vert et un pic moins vert (épeiche ?), des grenouilles toutes petites mais très sonores. Hé on dirait que je ne suis pas la seule à rechercher l’eau !

La Lahn

Dès que je le peux je m’approche d’une eau vivante et libre : un torrent, une rivière, la mer, l’océan, ou sinon un lac. Un lac ça peut faire l’affaire, même sans vague ni écume, sans courant ou sans échappée. Surtout si on peut le frôler, pagayer, s’y baigner.

Visiter un pays d’eau par les chemins liquides c’est magique. Je me souviens de mes stages de kayaks dans les torrents glacés des Hautes-Alpes, et de mon regard curieux et émerveillé sur les montagnes que je longeais. L’été dernier nous avons fait une excursion en canoé sur une rivière du coin, la Lahn. Fort sympa aussi, surtout le passage d’une écluse. Mais quand on a grandi en Ardèche, qu’on a descendu les gorges des dizaines de fois, au milieu de touristes de toutes les couleurs (surtout rouge écrevisse), et même (surtout) dans le calme du hors-saison, ces rivières plates et sans falaises laissent sur notre soif.

Par défaut, en ville, un hammam c’est bien aussi. C’est même formidable un hammam en hiver . Pour retrouver son corps dans la chaleur moite, pour papoter avec son amie en sentant glisser le savon noir sur sa peau. Qui l’eut cru, qu’en Allemagne, pays d’immigration turque, je n’ai pas encore trouvé de hammam ?

Ce matin j’ai fait ma petite promenade le long du ruisseau avec mon amie simultanée. Une balade fraîche, même en pleine canicule. (J’y consacrerai un article à ce vallon caché, pour vous le présenter avec le respect qu’il mérite.)

Pour cet été je rêve de mer méditerranée dorée, d’océan gris et de rivières ardéchoises d’un vert noir là où elles sont profondes – sauf l’Ibie, une rivière farceuse, intermittente, en partie souterraine (par endroit des galets et des rochers blancs et secs, et à d’autres une eau turquoise). Je pense à la piscine de mon oncle (qui nous avait accueilli juste avant notre émigration outre-Rhin), couleur rivière, au ras de la garrigue cévenole écrasée de soleil et au gout de sel.

Dis, tu crois qu’on pourra y aller ?

PS : Je viens de lire que la piscine du quartier va rouvrir bientôt. C’est autorisé depuis hier, mais comme ils l’ont appris l’avant-veille, il leur faut le temps d’adapter les mesures d’hygiène. Autrement dit, celui de coller des affiches et des scotchs de partout.

PPS : La question reste entière. Après tous ces mois sédentaires, vais-je encore rentrer dans mon maillot de bain ?

PPPS : Hier soir les voisins se sont attelés à gonfler et installer un jacuzzi dans leur micro-jardin…. Ça promet des splashes et des bulles… nous allons baver d’envie. Et riposter avec notre tourniquet-qui-ne-tourne-pas et beaucoup arroser le gazon, pour se rafraichir à domicile, sans masques ni scotches.

En chemin avec Hildegarde de Bingen

Un peu de tourisme et d’histoire (s) en chaussures de rando, à l’entrée des gorges du Rhin classées au patrimoine mondial de l’Unesco.

Guten Tag !

Une sœur en habit nous accueille dans la librairie – boutique. Elle nous sourit probablement derrière son masque. Nous attrapons une corbeille, puisqu’une affiche nous y invite. Comme dans la plupart des commerces aujourd’hui, leur quantité limitée sert au décompte du nombre maximum de visiteurs masqués. Nous feuilletons quelques livres, beaucoup sur la religion et la spiritualité, mais aussi des récits de pèlerinages et des guides sur l’utilisation des plantes et fleurs sauvages. Nous déchiffrons les étiquettes des bouteilles de vin et des sachets d’herbes pour tisanes. Tout est produit sur les pentes alentours. Je choisis un livre : Frauen, die lesen, sind gefährlich und klug (Les femmes qui lisent sont dangereuses et intelligentes) de Stefan Bollmann (hé, hé) ….et me dirige vers la caisse.

Donnez-moi la corbeille.

Je m’exécute.

Ça fera 10 euros. N’oubliez pas la corbeille et votre livre. Et reposez la corbeille à l’entrée. Danke, tchüss !

Ah la corbeille ! (Der Korb.)

Hier nous sommes allés – hélas – dans une zone commerciale où c’était le ballet du caddie. Un enfant a-t-il besoin de son propre caddie ? Non pas chez Décathlon ni chez DM. Mais chez Tchibo oui. Sous peine de se faire engueuler (oui, encore). Tous tripoter les mêmes objets, y’a rien de plus sûr pour se contaminer les uns les autres.

Mais aujourd’hui nulle ambiguïté du décompte, nos filles ont renoncé à la boutique. Elles se sont évadées après la visite rapide du bâtiment imposée par leurs parents et se prélassent sur un banc avec vue.

Nous sommes à l’abbaye Sainte-Hildegarde sur la rive droite du Rhin à une quarantaine de kilomètres de Mainz (peut-on toujours utiliser le mot pour autre chose que le corona ? je ne sais plus). Le bâtiment au milieu des vignobles, sur les contreforts du fleuve, a été retapé au début du XXème siècle. Mais l’abbaye a été fondée par Hildegarde de Bingen, au XIIème siècle.

Avant d’être canonisée par l’Eglise catholique, Sainte Hildegarde était une religieuse bénédictine médiévale. Erudite touche à tout, elle a composé de la musique, écrit des ouvrages de médecine populaire basée sur ses études de plantes et de minéraux. En Allemagne, elle est considérée comme la première naturaliste.

Un chemin de pèlerinage (140 km) parcourt les collines entre son lieu de naissance présumé et son abbaye. Dans le coin, le tracé se superpose avec celui de Saint-Jacques de Compostelle (30 chemins sont répertoriés en Allemagne). Si l’on en croit le panneau, le Finisterre s’atteindra après 2475 km.

L’abbaye est située au cœur d’une région viticole réputée (la Rheingau) et sur le Rhin romantique, à la porte d’entrée de la Vallée du Haut-Rhin Moyen (quel nom compliqué ! c’est mieux en allemand : Obere Mittelrheintal ), site classé au patrimoine mondial de l’Unesco.

C’est un coin qui nous plait beaucoup, plein de légendes et d’histoire (s).

Déjà dimanche dernier nous étions venus par ici. Nous avions souhaité pousser les frontières de notre exploration au-delà de notre quartier. Même si dans notre Land le confinement n’avait pas été aussi sévère qu’en France, depuis deux mois nous nous étions contraints à une retraite prudente. Nos seules balades étaient autour de chez nous, avec départ à pied directement. Nous ne nous étions autorisé que deux excursions le long du Rhin, tout près de Mainz, histoire de longer de l’eau vivante.

Les photos de randos envoyées par des copines m’avaient fait envie : j’avais cherché une balade dans le Binger Wald – la forêt de Bingen. La promenade repérée dans notre guide était trop longue. Nous comptions sur les indications in situ pour trouver un but accessible dans le temps imparti par la patience de nos filles et la résistance de nos jambes. Au pied de l’auberge de jeunesse nous avions trouvé ce qu’il nous fallait : sentier et panneaux vers un château en ruine.

L’intérêt touristique principal de Bingen est son emplacement géographique sur la rive gauche, à l’extérieur d’une courbe, à l’entrée du Rhin romantique. Là au niveau du confluent avec la rivière Nahe, commencent les gorges aux coteaux couverts de vignobles et habitées par des châteaux en pierre rouge. Les bateaux de croisière s’y pressent (enfin, s’y pressaient) entre les péniches de fret (c’est fou le trafic commercial sur ce fleuve).

Un rocher célèbre défend la rive opposée bien plus en aval : celui de la Loreley. J’entends encore la voix de M. V. mon professeur d’allemand de 6ème nous raconter la légende. La belle demoiselle coiffait sa chevelure (sans doute longue et blonde et ondulée) en haut de son promontoire (noir et vertical, lui je l’ai vu). Les marins non avertis périssaient dans un naufrage aux pieds de la sirène germaine. Effectivement, au niveau de cette falaise, le Rhin se fait plus étroit et tourne. Les courants doivent y être effroyables.

A part Hildegarde et ses plantes médicinales, Bingen est célèbre pour la Mäuseturm, la tour des souris, une tour de guet construite au XIVème siècle sur une île au milieu du fleuve, juste après des rapides. Elle servait au prélèvement des taxes pour circuler sur l’eau (déjà beaucoup de bateaux sur cette autoroute liquide). Aujourd’hui elle est blanche et retapée.  

Selon la légende, l’évêque de Mayence, impitoyable, avait refusé de partager ses greniers bien remplis avec les pauvres pendant une période de famine. Des souris ont surgi de toutes parts et ont poursuivi l’évêque qui s’échappait en bateau sur le Rhin. Elles l’ont dévoré alors qu’il se croyait en sécurité dans la tour.

Ce dimanche-là, nous avons aperçu la tour sur son île. Mais pas trouvé le château en ruine : nous avions bifurqué trop tôt au niveau d’une auberge sympathique et envahie d’estomacs affamés (les sentiers de randonnée sont fort courus ces temps-ci.) Détournés par la foule, nous avons persévéré dans notre égarement pour pique-niquer dans le calme.

Nous reviendrons c’est sûr. Il faudra qu’on le trouve ce château. Et puis, c’est vraiment une région attachante avec son cocktail fleuve-forêt-rivière-vignobles et bâtiments historiques hantés. D’ailleurs les contes des frères Grimm ne nous emmènent-ils pas souvent sur un sentier dans la forêt ?

Mais je crois que la prochaine fois, il nous faudra repérer un glacier ouvert le dimanche, pour motiver les troupes. Au café de l’abbaye d’Hildegarde, il n’y avait que des sandwiches et des soupes.

Une violette dans le béton

J’aime les surprises minuscules, pas vous ?

Vous savez, les clins d’œil inattendus de la vie ? Complices et charmants. Comme la pensée qui a fleuri ce printemps, égarée sur notre terrasse au deuxième étage entre les dalles.* Le coquelicot aperçu entre route et trottoir, rouge et dansant dans une mer de bitume. Ou, sur le béton du chemin des poubelles, ces violettes têtues.

Chacun de ces événements minuscules est un cadeau emmailloté dans plusieurs couches de lumière.

Tout petit, c’est une chance de l’avoir repéré. Il est littéralement inespéré puisque même si je guette ces mystères malicieux toute la journée, je ne cherche rien, faute de savoir quoi chercher. Il est aussi inutile : le trésor repose tout entier dans son existence pure, souvent éphémère. Cet émerveillement m’offre pendant quelques minutes la chance de sortir du sillon de mon quotidien et de moi-même.

Il est à peine 9h30 et déjà ce matin est riche de trois petits miracles aléatoires. De ceux qui laissent entrevoir le doigt d’un ange gardien malicieux.

Ma benjamine avait école ce matin. Mon mari l’a accompagnée à vélo sur une partie du trajet et en a profité pour faire des courses au supermarché voisin (ça dévore les ados, de vrais criquets comme disait ma cousine). En arrivant à la maison il s’est rendu compte qu’il avait perdu son trousseau de clefs.

Aïe !

Vous ne le savez pas, mais lorsque mon cher et tendre perd quelque chose plus rien n’existe jusqu’à ce qu’il l’ait retrouvé. La journée s’annonçait donc longue lorsqu’après avoir rebroussé chemin en quête des clefs il est revenu bredouille. Vite, j’ai composé une petite annonce à scotcher sur un réverbère. Et j’ai même fini par trouver un rouleau de Scotch (pardon, Tesafilm, du nom de la marque allemande).

Nous sommes donc repartis tous les deux à pied pour le supermarché en scrutant le goudron, les trottoirs et les herbes folles. Nous étions assez confiants : les Allemands sont honnêtes, aiment rendre les objets à leur propriétaire et ranger les trucs qui trainent. Mais son premier passage en vain nous intriguait.

Et c’est là que j’ai reçu le premier clin d’œil d’espoir de la journée.

Devant la caserne, un goudron noir et épais avait éclaté sous l’insistance obstinée des rejets de peupliers. Des pousses de dix centimètres en touffe serrée ça dégage une force incroyable ! Pourtant le grand peuplier de la haie avait été tronçonné l’an dernier – sans raison apparente, vu de la rue. J’en avais été attristée, car je le croisais tous les jours cet arbre.  Dans mes moments sombres lors des premiers mois ici en Allemagne, je m’accrochais à son élan vertical et mobile, au rythme de ses feuilles vertes puis jaunes d’or, de ses bourgeons bruns et collants. Elles me donnaient le sens du temps qui passe et l’espoir de sentir s’apaiser mon combat d’adaptation. En outre j’aime beaucoup le parfum des peupliers, qui me rappelle la cour de mon école primaire et les bords de rivière. Et le clapotis de leurs feuilles dans le vent. Donc ce matin quand j’ai vu que toute l’énergie de la sève printanière d’un arbre sacrifié avait fait éclater le goudron, comment dire… ? Hé hé ! Bien fait ! … Et puis si une tige naissante trouve sa voie dans un environnement borné, tous les espoirs sont permis.

Nous n’avions toujours pas trouvé les clefs. Même près des arceaux à vélo. Mon mari est donc retourné demander à la caisse du supermarché, et à toutes fins utiles, à la boulangerie d’à côté, même s’il n’y avait pas mis les pieds ce matin. Bingo ! Elles y étaient ! Gros gros soupir de soulagement ! La journée allait pouvoir se reprendre son cours.

Sur le chemin du retour, juste avant les peupliers-ninja nous avons tendu l’oreille. Des chants d’oisillons – d’habitude signes d’un nid – semblaient se déplacer… Nous les avons observés quelques minutes, le temps d’apercevoir une famille mésange. Les bébés étaient en fait des ados avec leurs parents en plein petit déjeuner dans l’épicéa . Je n’avais jamais vu de scène d’apprentissage chez les oiseaux.

Enfin, de retour – soulagés – à la maison, je consulte mon téléphone. J’y trouve un message de ma ‘’copine-deux mètres’’. « Salut Estelle, ce matin je suis allée faire des courses et j’ai trouvé des clefs. J’ai aperçu ton mari à vélo. Est-ce lui qui les as perdues ? » Eh oui c’était mon amie qui avait pris soin de les ramasser et de les donner à la boulangerie. Coïncidence incroyable non ?

Merci ange gardien !

Ça me rappelle deux anecdotes énigmatiques.

La première a eu lieu voilà six ou sept ans. Un ami m’avait recommandé un livre, un classique du yoga intitulé Le yoga sans postures. Il m’avait précisé que lui avait l’ancienne édition de poche, mais qu’il avait été réédité.

Un matin, j’allais écrire au saut du lit, mais c’était plutôt assise dans le lit, avec une tablette, je me suis commandée ledit livre en ligne. J’avais trouvé l’ancienne édition d’occasion. Il n’était pas encore 7 heures. En sortant de chez moi vers 8h30, j’ai ouvert machinalement la boite aux lettres. Là, se trouvait un paquet plat dans une enveloppe kraft sans timbre et avec mon nom écrit au stylo. J’ai déchiré le papier : c’était le livre que je venais de commander !

Il faut savoir que les boites aux lettres de l’immeuble n’étaient pas accessibles pour le dépôt du coté de l’entrée. Même si le vendeur s’était glissé dans le hall à la faveur d’une sortie, il n’aurait pas trouvé de fente dans laquelle y glisser son paquet. Comment était-il entré dans le local adjacent dont seul le facteur avait la clef ? Quelle était la probabilité que le vendeur de ce livre d’occasion ait habité ma ville voire même mon quartier ? Que de mystère… Un mystère bienveillant mais un peu effrayant aussi.

Autre temps, celui des études à Lyon. Je m’étais échappée le week-end de Pâques retrouver ma famille en Provence, autour du traditionnel pique-nique dans la garrigue de Frigolet. En fin d’après-midi le lundi, j’ai repris le train à Avignon pour Lyon. Inutile de dire qu’il était bondé, comme au retour de tout long week-end, qui plus est de beau temps. Je me suis calée dans l’entrée d’une voiture entre d’autres étudiants entassés et des bagages. J’ai sorti mon bouquin – le Parfum de Süskind – et j’ai attendu Lyon dans la chaleur et les hoquets du train.

Trois mois plus tard, j’ai retrouvé mon amie d’enfance allemande dans les Cyclades pour des vacances de bleu, de soleil et de pastèque. Nous campions sur les plages, sur des poussières d’îles encore peu courues. Sur la place d’un village, un matin, devant le kiosque où nous achetions des graines de tournesol salées, nous avons rencontré deux jeunes Français en sac à dos. L’un d’eux m’a dit : « Je te reconnais, je t’ai vue dans le train entre Avignon et Lyon le lundi de Pâques. Tu lisais le Parfum. »

Retour au présent.

Là, à l’instant, une graine de peuplier légère et duveteuse comme un flocon s’est invitée par la fenêtre entr’ouverte et flotte au-dessus de mon clavier. Je repense à la jeune fille que j’ai observée la semaine dernière, au bord du ruisseau sous les grands arbres. Le vent détachait des graines par milliers et elles tourbillonnaient dans le ciel. La demoiselle attendait son chien qui batifolait, et moi mon amie, en admirant les iris d’eau.

Elle levait la tête et dansait presque en tentant d’attraper ces graines-plumes, comme on le fait avec des flocons de neige.

(Et de quatre !)

* Dans les années 90, à l’époque où les tailleurs se faisaient encore, j’avais déjà croisé une pensée dans les dalles de béton, perdue entre des tours d’acier et de verre. C’était à la Défense lors de mon premier voyage professionnel de jeune embauchée. Je l’avais regardée avec compassion et lui avais quémandé tout le soutien possible. Je me sentais comme elle. En terrain stérile.

Pieds-nus dans les cailloux

Les randonnées en montagne me manquent. Alors venez, je vous y emmène à ma façon.

Fermez les yeux. Imaginez.

Vous partez en randonnée en montagne, dans un paysage de printemps tardif. Forêts odorantes et fraîches, prairies étoilées, soleil téméraire et petit vent frisquet. Tout en haut vous apercevez le col entre les falaises. Le but de votre promenade où vous serez récompensé par un panorama sur tout le plateau au-dessus duquel vous vous élevez, et sur la vallée, 1000 m plus bas.

Vous avec quitté votre intérieur douillet au lever du soleil. Vous avez-rendez-vous avec vos compagnons du jour au bout de la piste de terre là où démarre un sentier oblique dans le sous-bois.

Vous y voilà. Le groupe s’organise, fait ses lacets et sangle son sac à dos. Tout le monde est bien équipé avec l’intégrale du matériel Décathlon – arc en ciel des collections de toutes les années passées.

On a dû mal vous orienter sur le but de la journée. Vous êtes en maillot de bain. Sans lunettes ni chapeau, ni crème solaire. Avec un sac à dos chargé d’eau et de nourriture pour 4 au moins. Et avec sur les oreilles des écouteurs qui diffusent d’un côté du hard rock, de l’autre des histoires. Vous frissonnez. Un regard sur vos pieds : ils sont nus.

C’est parti pour la grimpette. Une rando de trois heures en boucle, avec au milieu un col là-haut dans les alpages. Une balade plutôt facile pour se mettre en jambes en début de la saison. Tout le monde avance d’un bon pas et admire le paysage. Ça papote. Ça souffle un peu quand ça monte, ça boit une gorgée d’eau, grignote des noix ou un pruneau, et ça repart.

Vous tâchez de suivre. C’est un bon sentier de sous-bois, enfin bon, quand on porte des chaussures de randonnée montantes. Les cailloux et les aiguilles d’épicéa écorchent vos pieds. Vous vous tordez les chevilles. Vous tâchez d’éviter les pierres coupantes, les bêtes piquantes, les orties urticantes et les ronces.

Au sortir de la forêt vous avez les pieds en sang et la cheville gauche enflée. Vous continuez de marcher. Deux femmes du groupe, des habituées, des nanas du coin, la quarantaine sportive, vous racontent leur dernière sortie en montagne, dans les névés.

Préoccupé/e par votre corps dénudé et meurtri vous avez du mal à prendre part à leur conversation. Vous répondez machinalement. Pour être poli/e. Avec des monosyllabes. Qui les encourage à continuer, à raconter leur aventure qui n’en est pas une. Pas vraiment une quand on a des chaussures.

Sur les alpages le soleil tape dru. Votre peau rougit et brûle. La poussière s’immisce dans tous vos plis, vous irrite. Ça commence à vous gratter de partout. Vous avez beau les plisser, vos yeux sont éblouis, ils piquent et coulent. Dans vos oreilles le bruit continu vous envahit, ses vibrations se transmettent jusqu’au bout de vos doigts, de vos orteils écorchés. Vous tentez de changer de bande, les cris d’effroi d’un conte d’épouvante vous transpercent.

Le groupe profite d’un replat au bord des rochers pour se retourner, s’asseoir. Apprécier le chemin parcouru et la vue sur le plateau, le village repu dans un lambeau de brouillard.

Vous avez mal partout et voudriez aussi vous poser. Vous repérez une grosse pierre accueillante et vous y approchez votre postérieur. Hélas, la protection du maillot de bain n’en est pas une. Au toucher, cette pierre est glacée et ses sillons acérés. Vous vous relevez d’un coup, pour vous trouver nez-à-nez avec un gros monsieur qui vous raconte ses sorties d’alpinisme. Mouais.

Vous vous rendez compte que vous n’avez pas entendu le début de son épopée. Mais ça ne vous intéresse pas. C’est tellement incohérent avec l’image qu’il dégage que vous n’arrivez pas à accrocher. Et vous avez mal à la cheville et aux oreilles. Et aux yeux. Pas aux doigts, tiens, aux doigts pas encore.

C’est reparti pour les derniers dénivelés. Une flaque de neige crisse sous les semelles crantées, les pointes métalliques des bâtons de marche. Brûle la plante de vos pieds lacérés. Mmm en même temps cette fraîcheur fait du bien. La clique avance. Vous marchez avec eux. Parfois même vous les devancez sur ce sentier étroit. Vos pieds nus se dépêchent pour vous offrir quelques mètres d’avance, quelques secondes de paix palpitante dans cette combe protégée. Vous guettez de tous vos sens fatigués pour saisir la chance de surprendre un museau de marmotte. Une anémone ébouriffée au sortir de son bouton. Et vous les apercevez.

Le groupe vous double, la discussion est animée, le col s’approche et la faim se fait sentir.

Alors vous saluez discrètement la marmotte et l’anémone, vous les remerciez. Vous vous éloignez du sentier parce que l’herbe douce apaise la plante de vos pieds. Vos pas y sont plus rapides, élastiques, souples.

Vous continuez dans la combe sur les traces de votre curiosité (c’est quoi ces tâches colorées là-bas ?) là où la mousse d’alpage est si douce sous des restes de rosée.

Le groupe enchaine les derniers lacets juste en dessous du col. Ceux que la fatigue et l’impatience rendent ingrats. Le sentier lézarde entre blocs et terre tassée, traverse des pierriers. Les têtes se courbent, les pas raccourcissent. Le souffle aussi.

Votre trajectoire herbeuse vous a permis d’éviter les éboulis et de rejoindre le col dans une ample courbe. Ça y est ! Vous découvrez l’autre côté. La plaine, ses champs, ses autoroutes, toutes ses cicatrices humaines, et au loin des sommets plus hauts, enneigés.

Encore quelques pas horizontaux pour rejoindre le groupe dans le creux douillet du col, celui où vous mangerez. Vous allez pouvoir partager toutes les victuailles et l’eau transportées dans le sac à dos dont les sangles vous ont entaillé les épaules et les reins.

Vous pouvez vous assoir. L’herbe est froide mais confortable. Ça gratte un peu les cuisses. Le sac fait un dossier correct.

Mais vous avez aussi le droit de vous allonger, de quitter les écouteurs. De fermer les yeux. De profiter du vent et du soleil sur votre peau avant d’emprunter un pull pour vous emmitoufler.

Pour la descente, je vous laisse le choix.

Soit, vous redescendez comme vous êtes montés. Ce sera dur mais vous découvrirez peut-être une biche au détour d’un virage, un serpent enroulé ou une chenille hâtive, ou la promesse de myrtilles. Et malgré tout le ‘bruit’ de votre corps meurtri et agressé vous pourrez même peut-être parler cœur à cœur avec la personne que vous avez repérée là-bas, en short et en tongs. Elle a souri tout à l’heure.

Soit, vous mettez des vrais habits et des chaussures (Décathlon été 2014 – cassées, garanties anti-ampoules). Vous irez vite et vous n’aurez pas mal. Vous pourrez papoter avec le groupe. Vous ne verrez sans doute pas grand-chose. Et ne rencontrerez peut-être personne. Vous oublierez votre cœur en haut avec la chenille hirsute. Faites lui confiance, elle en prendra soin.

(Ce petit rêve était une façon de vous faire entrevoir, si c’est possible, la vie dans la peau de quelqu’un d’hypersensible).

Déconfinée déconfite

Pas simple de trouver un équilibre ces jours-ci, entre déconfinement partiel, école en pointillés, ‘retour’ à une vie masquée pas si ‘normale’ que ça.

Le Rhin à Budenheim, au loin le massif du Taunus

Ce lundi matin, à la maison, l’école commence tard. Y’a du laisser-aller. Il est 9h25 et ma fille vient juste de prendre place à son bureau. Elle a cherché puis retrouvé son programme de travail, celui donné par la maîtresse la semaine dernière pour les jours à la maison.

C’est une continuité encore frêle. L’école a recommencé en pointillés la semaine dernière. Pour notre famille et amis français, c’est aujourd’hui le jour de la reprise. Celui du déconfinement tant attendu depuis deux mois. Il parait que les rames de métro matinales sont déjà bondées.

Faudrait pas trop tout lâcher d’un coup parce que sinon, on s’en reprend pour deux mois ! Enfin vous, en France. Ici je n’ai pas l’impression qu’il y ait un laisser -collectif, tout simplement parce que le confinement n’était pas aussi rigoureux qu’en France. Dans notre Land, en Rheinland-Pfalz, on a toujours gardé le droit de sortir, même si la plupart des lieux de sorties et les commerces étaient fermés. Même si on ne pouvait pas retrouver des amis.

Cela dit, samedi à la jardinerie où nous sommes retournés pour la première fois depuis deux mois (et qui pourtant n’avait pas fermé) c’était l’heure de pointe dans le métro. Les scotchs par terre tentaient d’organiser un sens de circulation et des panneaux rappelaient de ne faire les courses qu’un par un…. Personne ne semblait trop en tenir compte.

En slalomant avec notre caddie et nos pots géants, nous nous sommes équipés en plants de concombres et basilic, pour accompagner les pieds de tomate offerts par mon amie.  Tous les visages étaient cachés derrière un masque, mais les deux mètres d’Abstand (distance) étaient impossibles à respecter.

C’est dur ces contraintes pas encore intégrées, pas encore des réflexes. La sortie fait plaisir mais garde le carcan pesant du contrôle nécessaire. Et les échanges humains cachés derrière un bout de tissu perdent de leur chaleur et de leur authenticité. Oui je te parle, mais je me méfie de toi, de ta proximité menaçante.

Derrière un masque on ne voit pas le sourire. Ni les larmes en fait, comme j’en ai fait l’expérience l’autre jour. Trop émue d’avoir pu échanger quelques mots avec le pharmacien, des mots qui disaient prenez soin de vous (ben oui on perd l’habitude), j’ai eu les larmes aux yeux en sortant. Je les ai laissé couler dans la rue, tout à fait librement. Le masque semble permettre l’expression affranchie des émotions…. Je me suis rendu compte que le bas du visage trahit presque plus nos troubles que les larmes dans les yeux. Et des joues habillées ne communiquent plus rien.

Le masque ça empêche aussi de respirer les roses… en plein mois de mai, c’est dommage. Je me retrouve à me découvrir le nez, comme une voleuse, dans un geste presque impudique, juste pour sentir une fleur !

Donc aujourd’hui ça déconfine de part et d’autre, mais toujours pas d’infos sur la frontière, là, au milieu.

Et de toute façon, les limitations aux déplacements en France nous interdisent de retrouver mon étudiant de fils. La traversée du Grand Est et la Bourgogne-Franche Comté, tout rouges de virus, reste peu indiquée. Surtout à quelques semaines des concours. Donc nous ne savons toujours pas quand nous nous retrouverons en famille.

Ce matin j’ai envie d’écrire, mais je me sens empêchée. L’absence d’aventures et de rencontres se ressent dans la créativité. La répétition empesée étouffe mon élan. A l’instar de beaucoup, j’ai envie de (re)nouveau et d’ailleurs. Je trépigne et je piaffe comme un cheval entravé, coincé à l’écurie.

Je rêve de pouvoir aller randonner dans les Alpes. Marcher le long des prairies en fleur.  Guetter le muguet sauvage dans sous-bois. Inspirer l’air frais en altitude. Sentir le vent glacé sur une crête, en refermant sa veste. Entendre les clarines… La montagne me manque drôlement depuis que nous sommes en Allemagne, même hors contexte de confinement. Quand on vivait à Lyon, on partait souvent pour le week-end dans le Vercors (coucou à C. et M.) ou en Chartreuse, pour un dépaysement instantané, des balades dans les lapiaz, les forêts fraîches.

Ici nous n’avons pas de dénivelés à proximité. Les épicéas sont légion autour de Mainz, comme les hêtres et les digitales pourpres sur les talus. Mais point de changement de température et d’humidité à leur proximité. D’habitude quand ils sont là, on respire mieux, les poumons s’ouvrent sur les parfums frais de l’humus noir et des mousses mouillées. Mais même quand on s’aventure dans le massif du Taunus, à quelques timides centaines de mètres au-dessus du lit du Rhin, la chaleur reste comparable à celle de la plaine. On y gagne juste l’ombre des arbres. Ça fait une curieuse sensation de décalage botanico-climatique.

Donc non, pas de randonnée en altitude. La Forêt Noire est à trop d’heures pénibles sur des autoroutes chargées pour valoir le déplacement sur une courte période. Et puis là, avec les hôtels fermés, et l’absence de campings….

Alors on donne le change ou on le prend là où il reste accessible.

Dimanche petite balade le long du Rhin, pour voir de l’eau qui fuit, de l’eau qui s’échappe. Rêver de s’inviter sur une péniche pour fuir au-delà du coude là-bas. Découvrir un nid d’abeilles sauvages dans un tronc d’arbre mort, qui ressemble à une flûte géante avec tous ces trous percés alignés. Suivre du regard le vol long et silencieux d’une cigogne, au ras de la surface lisse. Ecouter avec gourmandise et les yeux fermés les vagues qui s’écrasent sur les blocs de pierre de la rive, quelques minutes après le passage d’un bateau rapide.

Rêver de la mer, de la Méditerranée salée et iodée, dans laquelle on aurait trempé les pieds. Peut-être même les genoux. Et qu’on aurait goûtée, d’un coup de langue sur les lèvres.

Regarder les bancs de poissons minuscules tâtonner dans les cailloux. Se souvenir de leurs chatouilles dans les rivières d’Ardèche, si on reste un peu trop longtemps sans bouger debout dans l’eau.

Essayer intensément, le nez en l’air, l’oreille tendue, de reconnaître les oiseaux. Ces rives regorgent de chants inédits. Associés à tout ce vert entre nous et le ciel, à ces aulnes sur la pointe des racines, ils nous projettent dans la mangrove tropicale.

On rentrera plus riche de ces rencontres natures, la démangeaison du mouvement vaguement apaisée pour quelques heures.

On se rassoira à son bureau lundi matin, en ayant l’impression de débuter quelque chose.

Bonne reprise !

Merci les artistes !

En cette période chahutée, qui nous aide à vivre ? Les fleurs des talus, les voisins, et les artistes.

Ça faisait plusieurs semaines que je les guettais, le nez en l’air, en balade sur le Grosse Sand (les grands sables), ou sur le chemin de la cabane aux asperges et fraises. Et je n’étais pas la seule :

  • Combien de temps encore maman encore tu crois ?
  • Oh deux, trois semaines je pense.

Nous en avions même repéré dans notre quartier, des pas trop hautes, que l’on peut attraper sur la pointe des pieds de petite fille, loin des routes et de leur pollution. Elles sont écloses depuis quelques jours : les premières fleurs d’acacia.

Mes filles sont allées en cueillir dans un sachet en papier blanc. Voilà deux jours que nous les avons croquées en beignets poudrés, vite, en nous brûlant un peu les lèvres. Le sachet garde une empreinte parfumée, je n’arrive pas à le ranger.

C’est sûr nous en referons bientôt. Leur présence fugace dans les haies sauvages dure si peu… et leur attente si longtemps.

Nous en avons profité pour initier les voisins, et à distance, les copains allemands. Tu connais les beignets de fleurs d’acacias ? Leurs réactions sont variées… « Oh quelle bonne idée, non je ne connais pas. Tu as une recette ? » ou « Mouais, je n’aime pas manger des plantes sauvages que je ne connais pas, et puis tu sais je suis au régime. Mais OK merci pour les enfants ». Ou « Ah tiens, en voilà une chose inattendue ! »

Ces menus présents, ces nouveautés de rien du tout saupoudrées dans la vie des amis et des voisins me donnent beaucoup de joie. Bien sûr je n’ai pas attendu l’assignation à résidence pour échanger et partager. Mais en cette période où on est sûr de trouver les gens chez eux, avec un degré de disponibilité et de fatigue proportionnels, les petits gestes prennent un sens différent. Les gens ont le temps, celui d’accueillir le présent, et peut-être une envie plus sincère de le recevoir. Comme nous avons plus d’élan pour le donner.

Nos voisins et nous, habitants d’une ruelle piétonne, nous trainons sur le pas de notre porte, pour surveiller les enfants, bricoler dans nos quelques mètres carrés de plantations, prendre le frais. La porte d’entrée reste ouverte, pour inviter le soleil et le peu de vie qui se promène par là. Un peu comme il y a 100 ans dans les villages.

C’est d’ailleurs grâce à ce nouveau mode de vie collectivement apaisé que j’ai pu avoir la visite surprise de copines à vélo (à deux reprises). Si je n’avais pas eu la porte ouverte, elles n’auraient pas sonné. En ce moment ça ne se fait pas de se présenter chez les copains à l’improviste. Je ne sais même pas si ça se fait en général en Allemagne.

Avec l’injonction de sortir masqués, mes filles et moi nous sommes activées autour de la machine à coudre. Les coupons de tissu achetés cet automne pour fabriquer des petits trousses un week end pluvieux ont été réquisitionnés pour le nouveau jeu de loi. Imprimés fleuris désuets, petit vichy rose, lignes graphiques grises ou aigue-marine habillent désormais nos visages.

Encore une occasion d’échanger avec les copains. « Ah tu n’as pas de machine ? tu veux que je te fasse des masques ? »

Samedi au marché, je cherchais une mamie artiste, amie de mon cours de sculpture. Je l’ai retrouvée aux légumes pour lui remettre les deux masques que je lui avais cousu à la suite de sa demande la semaine précédente. Ce qui est drôle, c’est que nous nous croisons parfois au marché – mais pas systématiquement. Nous n’avions pas pris rendez-vous (et je ne crois pas qu’elle ait de portable). Mais la prise de commande et la livraison – toutes deux fortuites – se sont bien passées. A deux mètres, hein, enfin, deux bras tendus.

La voilà désormais équipée de fleurettes pour le bas de son visage.

Autres échanges végétaux, vivants ceux-là, les boutures et semis. Avec une voisine, un cousin tarabiscoté de l’aloe vera contre le velours d’une misère violette, avec mon amie simultanée (voir article : Mon amie simultanée) des plants de tomates contre les feuilles rondes, mains tendues de mes jeunes capucines.

Tout au long de l’été, si elles veulent bien pousser et mûrir, nous mangerons les ‘’tomates de mon amie’’. Les fleurs et les plantes acceptent de voyager, de l’un à l’autre pour signifier notre soutien et notre amitié. Un lien vivant, mouvant, une présence. Ça m’aide ces végétaux, même engoncés dans un oignon qui refuse de pousser, ou figés dans l’impression d’un tissu. Je n’ai jamais autant acheté de salades fleuries que cette année. Les soucis et les pensées prennent un croquant fort sympathique dans l’assiette !

Mais au-delà de la nature, ce qui m’aide à vivre ce sont les artistes.

On parle beaucoup des travailleurs-clefs, ceux qui font tourner le monde quand il ne bouge plus. Bien entendu leur rôle est vital et je leur adresse à tous mes remerciements respectueux. Mais quand nos besoins fondamentaux sont repus, les autres, juste derrière, sur leurs talons dépendent du travail des créateurs. L’appétit de vivre, l’émerveillement, la curiosité, le rire… Qui sème les graines de vie dans les âmes, les étoiles dans les yeux, les bouffées de joie dans les cœurs ?

Ce sont les artistes qui m’aident à digérer toutes ces mauvaises nouvelles, à prendre de la distance, à garder le sourire. Les danseurs de l’Opéra de Paris qui montent un ballet ensemble et pourtant chacun chez soi. Les musiciens-poètes dont les textes chantés nous donnent des frissons. Les copains qui montent une video espiègle et poétique en famille. Ceux qui donnent des cours de peinture en ligne gratuitement.

Les comédiens-animateurs américains (Trevor Noah, Stephen Colbert, John Oliver un Anglais aux Etats-Unis) soulignent en les sublimant par l’humour les incohérences du monde en général et de Trump en particulier. (D’ailleurs lui aussi il a son petit mérite involontaire : l’anxiété de tous serait-elle soluble dans la connerie d’un seul ?) La comédienne-clown anglaise qui fait des petites vidéos pour partager ses émotions liées au confinement – et ses initiatives solidaires. Mais surtout toutes ses créations légères et douces qui nous font juste rire et passer un bon moment.

Quand la tempête se déchaine, les musiciens, écrivains, comédiens, danseurs, peintres, sculpteurs, clowns sont tout en haut dans le firmament de ceux qui nous entrainent dans le tourbillon de la vie. Quel sens aurait notre vie sans leur impulsion magique ? On serait tous des dames et des messieurs tout rouges qui ne savent faire que des additions. Et pleurer.

Ces jours-ci j’ai du mal à lire. J’ai entamé plusieurs lectures qui m’intéressent mais que je boude. Je referme le livre au bout de quelques minutes. Trop de pensées virevoltent et m’envolent. Alors j’ouvre au hasard un de mes livres de Bill Bryson. Son bon sens et son humour m’ancrent dans une réalité émotionnelle plus douce. Ou un texte poétique de Christian Bobin. Ou j’écoute sur la BBC des romans d’Agatha Christie théâtralisés. Des sweats confortables dans lesquels blottir mon âme malmenée.

Je voudrais vous quitter sur une citation de Marcel Pagnol dans Le Schpountz que j’adore. Je l’ai revu hier, avec un immense plaisir. Ah il savait écrire ce grand monsieur, et faire passer des émotions !

Dans cette scène, Françoise explique à Irénée la noblesse du métier d’acteur comique.

« Ceux qui font rire sur la scène ou sur l’écran ne s’abaissent pas, bien au contraire.

Faire rire ceux qui rentrent des champs avec leurs mains si dures, qu’ils ne peuvent pas les fermer. Ceux qui sortent du bureau avec leurs petites poitrines étroites qui ne savent plus le goût de l’air. Ceux qui reviennent l’usine, la tête basse, le dos cassé, avec de l’huile noire dans les coupures de leurs doigts. Faire rire ceux qui mourront, qui ont perdu la mère ou qui la perdront. (…)

Celui qui leur fait oublier un instant les petites misères, la fatigue, l’inquiétude et la mort. Celui qui fait rire des êtres qui auraient tant de raisons de pleurer. Celui-là leur donne la force de vivre, et on l’aime comme un bienfaiteur. (…)

On devrait dire Saint-Molière. On pourrait dire Saint-Charlot. »

Merci à vous les artistes ! Je vous salue bien bas.

(Révérence)