Mazel Tov ! Mainz entre à l’Unesco

Avec son cimetière juif millénaire. Et puis aussi une histoire de foins coupés et de sable.

Judensand, Mainz

Vous le savez, je ne consulte plus les informations en ligne, ce vrac gratuit d’anecdotes sensationnelles. Je picore dans un hebdomadaire sérieux (the Economist de mon mari) les articles qui attirent mon regard (pas beaucoup). J’aime bien cependant recevoir la presse locale gratuite. Sur la boite aux lettres j’ai collé une étiquette : Bitte keine Werbung (pas de pub svp), mais je n’ai pas ajouté und kostenlose Zeitschriften (ni de journal gratuit). Je parcours le journal en 30 secondes et parfois j’apprends des choses sur l’actualité locale, comme l’existence d’un élevage d’abeilles municipal avec vente de miel et de bougies, ou l’inscription fin juillet de Mainz au patrimoine Mondial de l’Unesco.

Dès le Moyen Age, Mainz et deux autres villes impériales de la vallée du Rhin Spyer et Worms possédaient d’importantes communautés juives, parmi les plus anciennes du monde germanophone. Elles ont fortement influencé la culture ashkénaze en Europe centrale. On les appelle les villes SchUM, comme l’acronyme composé des premières lettres des noms hébreux d’origine latine : Sch pour S(ch)pira (Speyer), U pour Warmaisa (Worms) et M pour Magenza (Mainz). Un comité (en hébreu : Wa’ad SchUM) représentait leurs intérêts communs auprès du gouvernement. Le symbole en est l’ail (qui se dit schum en hébreu de la Bible).

La grande époque des SchUM se termine après quatre siècles, vers 1350 avec des massacres. Les grandes communautés sont remplacées par de plus petites à l’influence limitée.

Des vestiges millénaires témoignent de cette présence : à Spyer, les restes de la synagogue avec le bain rituel mikveh (XIIème siècle), à Worms et Mainz les cimetières juifs du XIème siècle, parmi les plus anciens du monde.

Je connais bien celui de Mainz, le Judensand (sable juif, par référence aux kleine et grosse Sand, champs de dunes en remontant vers les rives du Rhin) sur la Mombacher Strasse, en contrebas d’une colline. Il se cache derrière la gare, dans une zone d’activité, presque en face d’un magasin de beaux-arts. Il a été abandonné en 1880 avec l’ouverture d’un nouveau cimetière juif, adjacent à celui de la ville.

Au bord de la route, les tombes en grès rouge, chavirées dans une pelouse qui ondule sous les arbres ont un charme fou. A chaque passage, je me laisse entrainer dans leur mystère. Il me fait penser au vieux cimetière juif de Prague et aux anciennes tombes autour des églises de village en Angleterre. J’adore ces lieux spirituels hors du temps, unités de mesure de la vie humaine. En ce début d’automne, par temps gris et humide avec les premières feuilles jaunes tombées et le parfum d’humus, l’atmosphère est envoutante.

Enfermé dans un mur rehaussé d’un grillage, collé à la route à son bruit et ses émanations de pots d’échappement, il semblait à la fois protégé et délaissé.

Il semble qu’une page ait été tournée. Sans transition, le lieu sacré a glissé de l’anonymat à la célébrité. Le 27 juillet 2021, suite à un dépôt de candidature de 2012 de la ville de Worms, les « sites SchUM de Speyer, Worms et Mainz » ont été inscrits au Patrimoine Mondial de l’UNESCO.

J’ai dévoré l’article, illustré par la photo de personnalités politiques qui se félicitent (incroyable cette expression) et effectué des recherches sur Internet. A vélo sous la bruine, j’ai pédalé pour un reportage photo solitaire. Pas facile à faire derrière une barrière même en grimpant les escaliers qui longent le terrain.

Le portail est fermé à clef. Sur le grillage, a été accrochée une banderole violette. Un peu anachronique et décalée toute seule sous la pluie. Elle porte en lettres blanches : Mazel Tov ! Wir sind UNESCO Welterbe ! (nous sommes au patrimoine mondial de l’Unesco).

Sur le poteau de béton, un panneau bilingue donne quelques explications. Mon téléphone prend l’initiative de convertir le QR code de photo pour ouvrir le site web correspondant.

Un appel à projet a été lancé pour ériger un pavillon des visiteurs à l’entrée du cimetière. (Enfin !)

La communauté juive de Mainz est une des plus anciennes d’Europe. La synagogue construite en 1912 (déjà appelée ”nouvelle”) a été détruite lors de la Nuit de Cristal le 9 novembre 1938. Elle a été remplacée en 2010. Dans son environnement d’immeubles des années 50, le bâtiment surprend (il surprendrait n’import où en fait). L’architecture évite les angles droits. La façade est en céramique émaillée vert foncé. Mon mari et moi y avons assisté en 2019 à un concert de Noa (Letters to Bach : chansons composées sur la musique de Bach). Les escaliers en italique et les fenêtres biscornues donnent le mal de mer. Je tâcherai de vous retrouver une photo. L’architecte Manuel Herz de Köln s’est inspiré du design des cinq lettres du mot hébreu signifiant ‘’saint’’. L’entrée est gardée par les colonnes de pierre de la synagogue précédente.

Grosse Sand, Mainzagréable pieds nus

J’ai mentionné plus haut, les dunes de Mainz. Ces champs de sable dans le coude du Rhin sont une particularité géologique protégée. Ils accueillent des espèces botaniques rares, datant du dernier âge glaciaire. Jusqu’à la semaine dernière je ne connaissais que le Grosse Sand (le Grand Sable), un des lieux de balade favori des Mayençais (Kein Durchgang : interdit de traverser la steppe centrale). En fait il y en a un autre plus bas : le kleine Sand, entre le grand et le Judensand (et sans doute plein sous les maisons du quartier). Une association de protection de la nature a fait, via les écoles, appel à des volontaires pour nettoyer ce bout de terrain. Sur le formulaire, nous avons coché : participera samedi, au grand dam de mes filles. On pensait qu’il s’agissait de ramasser les déchets.

En fait non. C’était une opération de sauvetage botanique. Les herbes avaient été coupées de façon sélective, en épargnant celles dont les graines mûrissent encore. Lors de mon échappée à vélo pour photographier le cimetière, j’avais prolongé la promenade entre les arbres et avait vu les jardiniers et leurs broussailleuses. Je savais que ce coin était spécial : une petite pancarte artisanale demandait d’éviter de le traverser pour épargner des plantes rares.

Les rangées de foin parallèles devaient être ramassées. Samedi, les bénévoles avaient apporté râteaux en quantité et benne. Il y avait tant de bras volontaires (200) que les missions ont été échelonnées. En petits groupes nous avons rempli puis trainé une bâche, jusqu’à la benne, ou des jeunes organisaient le dépôt de foin en une montagne stable. Il faisait beau et chaud (et soif). L’association en a profité pour nous éduquer. Un monsieur à barbe blanche sous un chapeau à large bords nous a présenté quelques spécimens (au nom latin terminé par arenaria -pousse dans le sable – j’ai oublié le reste). En particulier une graminée rigolote : la graine a une tige en tire-bouchon sur le dessus, que le vent redresse quand elle est à terre lui permettant de se planter. Au moment où le botaniste nous en a parlé, ma fille jouait déjà avec ces graines frisées.

Mainz est sur une zone frontière pour les migrations végétales : au sud de celles qui descendent des steppes glaciaires, à l’est de celles qui viennent de l’Atlantique. Au-delà c’est trop froid ou trop mouillé.

Des dames de l’association déterraient à la bêche les plantes invasives : des asperges (vestiges de l’occupation du terrain par des jardins) et des Schneebällchen que je ne connaissais pas. Ma fille oui. Les enfants récupèrent les graines blanches et les jettent sur le sol où elles éclatent.

Pour leur poser des questions je me suis approchée, en restant loin des bêches : rien que de les regarder mon dos crie. Les arbres fruitiers morts (lors des étés de canicules) ? Ils sont conservés comme hôtels à insectes. Je n’ai pas pensé à leur parler de la pyrale du buis arrivée cet été à Mainz, hélas. Je pensais que peut-être la latitude ne leur plaisait pas. Mais si. Les buis sont surtout dans les jardins ; les dégâts seront moins flagrants que dans la garrigue ardéchoise. N’empêche : cherchons prédateur d’urgence.

Bienvenue automne

Autre actualité locale et nationale, bien sûr : les élections du parlement. Même ici vous n’y échapperez pas, sorry comme disent les Allemands (et les Anglais aussi, oui).
Bientôt Madame Merkel tirera sa révérence. Les rues fleurissent de pancartes électorales selon un code précis. Pendant six à sept semaines, les partis peuvent, dans les limites de proportionnalité et à des emplacement décidés par les municipalités, afficher les têtes de leurs candidats. (Imaginons la carte étalée sur la table du service dédié : sur ce réverbère oui, celui-là non.) Les mats sont harnachés de cartons bifaces, avec des photos de CV, buste de trois-quarts, visage de face. C’est moche, oui, mais comme disait Churchill, « la démocratie est le pire des régimes, à l’exception de tous les autres ». Mais au moins ils seront déposés dans la semaine suivant le scrutin. Aucun affichage sauvage ne s’effilochera pendant des mois sur les murs.

Les rues pourront retrouver leur anonymat silencieux.

Seul le cimetière en bas de la colline gardera sa banderole.

Houblon (pas envie de mettre des photos d’affiches électorales)

Être ou ne pas être sympa

Ma théorie de la relativité

J’ai envie de lui offrir un pot de confiture entamé, le seul cadeau maison que j’aie avec moi. Je lui ai parlé dix minutes, je le connais depuis toujours.

Lui, c’est le jardinier-homme à tout faire qui veille sur la maison que nous occupons pour les vacances sur les hauteurs de Nice. Il a une soixantaine d’années, encore brun, pas très grand, avec un T-shirt bleu marine, et un jean usé.

Il est passé comme tous les mardis matin, pour tondre, tailler, vérifier l’assèchement des murs après la réparation d’une fuite d’eau. Nous avons blagué comme on dit en Provence (dans le sens de discuter). Il a un accent chantant, on a parlé du citronnier qui a souffert de la sécheresse, d’une balade qu’il nous recommande sur les baous (montagne), près de chez lui et du restaurant où il faut appeler de sa part et demander une table dans le jardin. Il est descendu à son travail.

J’ai entendu la tondeuse s’arrêter puis il a frappé à la porte.

-Les filles, elles aiment les mûres ?

-Oui bien sûr !

-Vous avez un récipient ? je vais leur en cueillir.

J’ouvre un placard de la cuisine et en sort en grand bol rose en plastique translucide.

– Y’en a plein des mûres, sur la haie.

– Oui elles sont belles. On en a cueilli quelques-unes, les autres sont trop hautes.

– Oh, mais c’est que je fais exprès de les laisser hautes.

Il attrape le bol que je lui tends, fait une petite moue.

– Il est un peu petit… c’est qu’il y en a cette année !

– Vous voulez un verre d’eau ? Vous avez l’air d’avoir chaud.

Il remonte une heure plus tard, transpirant, un sourire jusqu’aux oreilles avec dans le bol une montagne de grosses mûres.

– Oh merci ! un autre verre d’eau ?

– Voui, quelque chose de frais si vous avez. Vous avez pas d’eau au frigo ?

– Eh non.

– Pourquoi ?

– On n’est pas très dégourdis.

Je ris, lui aussi. En fait, on n’aime pas l’eau glacée.

– Du jus d’orange ?

Lui il est au frigo.

Pendant qu’il boit en s’épongeant le front, nous parlons confiture de mûres. Lui il les cueille, et les porte à sa cousine qui les cuit.

– On va en ramasser en Ardèche si elles sont mûres. Et on achètera de la crème de marrons.

– Oh j’aime ça, bien froide, avec de la glace à la vanille. Vous êtes de l’Ardèche ?

Les gens qui me sont sympathiques je ne peux pas m’empêcher de le leur dire.

Ni de leur donner de la confiture de marron. En Allemagne, importé directement en cartons de six bocaux, c’est mon cadeau le plus précieux. Nous l’avons offert aux voisins en arrivant, puis aux nouveaux amis.

Voilà pourquoi après notre bref échange, j’ai envie de lui envoyer la photo du crumble pommes-mûres fait avec sa récolte, et de lui donner un pot de confiture de groseilles faite début juillet. Tant pis s’il est entamé. Il est né de mes mains et de mon cœur.

Je n’ai fait ni l’un ni l’autre. J’ai appris à brider une spontanéité qui part du coeur mais peut être perçue comme bizarre.

Un peu plus tard dans le jardin, allongée dans l’herbe avec un livre sous l’olivier, je pense aux futurs échanges du jardinier avec le propriétaire de la maison.

– Oh j’ai vu la dame. On a blagué. Elle est bien sympa hein !

– Ah ?

Le propriétaire, je le connais bien. Il ne me connait pas. Je le fréquente pour raisons familiales depuis longtemps, mais je n’arrive pas à échanger deux mots avec lui. Nos mondes se tournent le dos. Il parle politique, pendant que j’essaie de dissimuler mon malaise avec les rapports superficiels. Je n’ose pas poser les questions personnelles sur le sujet qui m’intéressent : l’humain.

Dans ce cas précis, je n’arrive pas à percer la carapace. Certaines personnes sont comme ça hermétiques. A se demander si dessous coulent des émotions. Devant eux par pudeur, ou mimétisme, je bloque les miennes complètement. Mes gestes et paroles deviennent ceux d’un robot maladroit. Je tétanise, muette.

Aux caractères opposés s’ajoutent aussi des cultures différentes. L’homme est anglais. Un monde où les émotions sont taboues. Pourtant il fait des efforts. Il a même lu un livre, que mon mari a aussi, un classique du monde anglo saxon, How to win friends and influence people (de Dale Carnegie). Il l’a expliqué à mon fils un jour devant moi. Pour entrer en contact avec quelqu’un il faut lui poser des questions sur sa vie et ses centres d’intérêt.

Alors cet été il a fait ses devoirs et m’a demandé :

– Estelle, comment ça se passe….

J’ai vu son cerveau chercher ce qui pouvait bien m’occuper toute la journée, à part ma famille. D’un coup j’ai senti son corps se détendre, il a trouvé un truc :

– … ton piano ?

– Mon piano bien, merci. Je joue avec ma fille et une amie à quatre mains. Enfin dès que la pandémie nous permettra de nous y remettre.

Depuis plusieurs mois je travaille un nocturne de chopin que j’adore. Mais ça je n’arrive à pas le dire. C’est trop intime.

Ses sourcils se rapprochent, il penche la tête de côté :

– Votre piano, il est où chez vous ?

Euh en plein milieu du séjour. C’est pas comme si on avait un palace avec un salon de musique.

Mais surtout je suis scotchée par la question initiale.

J’adore jouer du piano, oui. Mais mon actualité ce n’est pas ça. Depuis deux ans je me consacre à l’écriture. Je n’en fais pas mystère. Comme ça fait partie de mon parcours pour me rapprocher de mon coeur, je tâche de partager. J’envoie à mon entourage (comme vous le savez ;o) le lien de mon blog dans mes mails de bonne année. Je mentionne même mon travail sur un livre. C’est vrai, avec cet ami je reste factuelle et brève mais je l’ai dit plusieurs fois : j’écris. Je m’attendais donc à une question en rapport avec l’écriture.

Pour se faire des amis et influencer les gens ne faudrait-il pas surtout écouter ?

(Je ne sais pas si c’est indiqué dans le bouquin. Je le lirai peut-être le jour où j’aurai épuisé tous les livres qui me font envie (jamais donc).)

Etre sympa veut peut-être désigner des comportements différents selon les cultures ? Où est la frontière entre avenant et envahissant ? Intéressé et trop curieux ? Respectueux et indifférent ?

Alors sans doute, cet homme a-t-il pu penser de moi, cette dame dans sa maison : Ah bon, elle est sympa ? Vraiment ?

Nous ne sommes que la moitié d’une relation. Nos personnalités s’adaptent à la nature de l’échange. Elles s’enrichissent ou s’éteignent mutuellement.

Suis-je sympa ?

Ça dépend de vous.

Mainzalors.com a 2 ans !

Bon anniversaire à toi qui m’accompagnes,

400 pages, 170.000 mots. Dis donc, on en a des choses à partager…

Et surtout, MERCI !

Merci à vous, mes lecteurs fidèles.

Grandes vacances : notre tour de France – 2

Des Landes à la Côte d’Azur en passant par Montpellier. Puis séjour en Ardèche du Sud, et Autun.

Retrouvailles en pagailles. Séparations à foison.

Nous voilà rentrés à Mainz depuis hier soir. Nous avons fait durer le plus longtemps possible notre séjour français. Le boulot a repris ce matin. J’irai faire les courses après vous avoir écrit. Il me tarde de partager la suite de nos vacances.

Ne bougez pas, je viens vous retrouver où je vous ai quittés : au bord de l’océan.

J’entends votre question. Oui mon fils a pu nous rejoindre après sa dizaine de jours d’isolement ardéchois pour covid sans symptômes. Il a pris le train jusqu’à la charmante ville de Bayonne (aux colombages colorés, comme en Allemagne, et pourtant tellement autres).

Bayonne

Cette escapade nous a autorisé un détour par la librairie de la Rue en pente. Vous savez, dans la rue en pente ? J’adore leurs commentaires sur les bouquins. Cet été ils avaient même consacré une vitrine aux achats à éviter, avec critiques argumentées. Pendant notre sélection de nos prochains compagnons de poche, nous avons aidé un Français installé à Berlin (oui) à expliquer à la libraire le livre qu’il recherchait (il n’avait qu’une photo en allemand). Le manuel d’Epictète de Marc-Aurèle (mon livre de toilettes du bas).

Attraper le grand devant la gare sans se garer. Pardon d’être à la bourre, j’ai essayé deux robes chez Monoprix.

Plage, un peu chaque jour, à sauter dans les rouleaux. Sur la côte landaise, la baignade tient du manège et du trampoline. Le ciel s’offre à 360°. Au loin l’Espagne. Les enfants surfent, chacun à des horaires différents qui changent tous les jours avec la marée. J’ai renoncé à suivre. Ils se régalent. Le banc de sable de la plage sud a disparu, les jours de calme ils doivent partir en camionnette vers le nord pour trouver des vagues.

Ma grande s’est fait une amie suédoise qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Un moniteur du surf surpris de les entendre parler en anglais leur a demandé d’où elles venaient. Ma fille a répondu : « de Lyon. » Ah ? Oui j’avais pas envie de dire que j’habite en Allemagne.

Ah revoir la mer et l’horizon ! Confisqués pendant toute une année ils ont l’attrait de l’attente et de l’interdiction. Au loin là-bas le Canada. (Salut Flo !)

Retrouvailles avec la famille de mon mari, échappés d’Angleterre ou de Normandie. Enfin ! Oui les enfants ont grandi. Et nous, non, nous on n’a pas changé. Vous non plus. (Si peu).

Beaucoup, beaucoup de monde pour un mois de juillet. Les Français ont renoncé aux voyages à l’étranger. Des motos de mer vrombissent. C’est nouveau ça ici. On devrait mettre un impôt sur le bruit produit.

Les cons d’astreinte se relaient pour emmerder les autres 24/7. Nous dans la catégorie bruit agaçant, on a pris le créneau de 7h à 10h et puis aussi de 10h à 21h. Gaïa, dans le jardin longé par une route, est redevenue sauvage. Elle aboie à tout ce qui roule. Elle saute par la fenêtre et fuit par le moindre interstice, pour chasser les chats et fureter près des poubelles. Le soir on la borde dans sa nouvelle niche anti-effraction. Les jeunes avinés dans la rue prennent le relais.

Ranger la maison. Balayer le sable. Vider le frigo.

Après une heure de Tétris avec la voiture, admettre sa défaite. Non, on ne pourra pas emporter tout notre stock de bouffe et de produits ménagers au savon de Marseille et le vinaigre blanc (oui c’est mon dada, en Allemagne on trouve de l’essence à diluer, je ne m’y fais pas).

Entasser tout le monde. La chienne grimpe dans son petit coin du coffre, couverture en mezzanine sur le confit de canard et le piment d’Espelette.

Pimientos del Padron et rougets

Cap sur Montpellier.

Le long des Pyrénées, sous leur chapeau de brume, il fait vert et frais. La polaire est à portée de main pour le pique-nique de midi. Melon et fromage de brebis. Dès Toulouse le paysage sèche et chauffe.  Traces rousses d’incendies sur les rives de l’autoroute. Bouchons. On avait cru être malins en ne voyageant pas le week-end.

Escale de rêve chez oncle et tante, au ras de la garrigue et des étoiles. La piscine a le goût du sel, le barbecue celui de la famille retrouvée. Ouf ça fait du bien. Rechargement exprès des batteries émotionnelles. Merci !

Pourquoi les piscines ont-elles la couleur artificielle de la glace au bubble-gum ? Celle que l’on vient de quitter ressemble à l’eau sauvage des rivières. Le fond est gris-blond, comme les galets.

Après des retrouvailles brèves, la séparation chavire. Quand nous reverrons nous ? Non, tiens conduis toi. Dans le virage, entre les lauriers roses, du dos de la main, j’essuie une larme.

Traversée de la Camargue.

Regardez les enfants ! Des chevaux blancs ! une rizière… Mon fils dort. Les filles regardent un film sur la tablette avec des écouteurs. Non mais là vous allez regarder, c’est la montagne sainte-Victoire ! Cézanne, patin-couffin… Un sourcil se lève, un œil se jette. Ah oui. Vite retrouver l’écran hypnotique. Je me gave de pinèdes et de panneaux familiers. Saint-Zacharie, regarde ! c’est le village de mon grand-père.

Hmmm.

De temps en temps j’ouvre la fenêtre pour m’enivrer de cigales. Que c’est beau la France, hein. Et tellement varié. Depuis ce matin le paysage a changé dix fois.

Côte d’Azur lacérée de béton et de bagnoles. Les palmiers salvateurs et les anciens hôtels me projettent dans les films des années 50. La main au collet. Elle et lui. Tu crois que Cary Grant est vraiment venu tourner ici ?

Cap Ferrat

Villefranche sur mer, notre nouvelle escale, chez des amis absents.

Vue à couper le souffle sur la rade et le cap Ferrat (oui, la montagne est belle monsieur Jean).

Télétravail avec vue sur mer.

Rencontrer un neveu tout neuf et sa maman, pour la première fois sans écran interposé. Retrouver des amis anglais en vadrouille dans leur camion reconverti. Ils ont traversé à Saint-Malo et quitté la côte atlantique pour passer quelques jours avec nous. (L’occasion de se rendre compte que les mots étrangers me viennent souvent en allemand. Mince alors !) Vous connaissez la tropézienne ? Pique-nique du soir sur des rochers qui coupent les orteils, mais avec les parfums des pins et des lentisques chauffés (pissaladière et tarte aux blettes). Pastèque qui dégouline sur le menton. Je casse une tige de perce pierre pour la respirer. Mon fils promène une application pour identifier les plantes. Comment, mais avec ta mère tu n’as rien appris ?! Non, on n’a jamais eu de jardin.

Le mouvement du soleil et des nuages décide de la couleur de la mer. Si je devais la peindre je choisirais quel ton ? Gris-bleu ? Blanc laiteux ? Rose ? La fin d’après-midi dévoile un bleu marine mordoré. Dans un paysage vivant, les détails s’offrent et se rétractent avec la respiration du monde. Je les accueille tôt dans une chaleur encore tolérable. Le café brûle les lèvres. La fauvette à tête noire, invisible dans le rideau des feuilles d’eucalyptus, déroule des trilles puissantes. (Son nom nous a été révélé par une autre application). Les yeux me piquent un peu. Je n’ai pas pu retenir mes larmes quand j’ai aperçu des draps dans le lave-linge. Mon fils est parti aux aurores prendre son train. Une cigale prend son service. De l’autre côté de la haie, une voix chantante appelle. Dans ce cocon méridional je fonds.

Retrouvailles, séparations.

Vider la maison. Remplir la voiture. Caser les chaussures de rando que l’on n’a pas touchées.

Autoroute. Bouchons. Pique-nique (tapenade, melon). Attraper une copine de Lyon sur le parking de la gare de Montélimar. Ça n’a pas bien changé depuis que j’y prenais mon car pour rentrer quand j’étais étudiante. Au passage du Rhône, je baisse la vitre pour humer l’air de mon Ardèche. Comme à chaque fois.

Quelque part…

Vider la voiture. Remplir la maison.

Tiens le rosier chinois est mort. Le Zéphirine Drouin aussi. Par contre les crocosmias sont magnifiques. Les pommiers croulent sous les pommes. Celui aux pommes vertes est un cadeau posthume de ma mère. Elle l’avait planté connaissant mon goût pour l’acidité des Granny Smith. Croquantes, à peine véreuses. Ma benjamine en rempli un sac qu’elle complète avec des nashis. L’âne et Gaïa ne sympathisent pas.

Baignades dans des rivières secrètes. J’assume moyen la plaque minéralogique allemande dans les coins paumés. Ma plus jeune a placé un Astrapi sur sa vitre pour signaler au monde qu’elle est française. (Ne pas confondre). On se gare au bord de la route, descend dans les arbres et les rochers en se tenant aux branches. Dans le maquis les squelettes des buis (mangés par les chenilles de la dévastatrice pyrale) sont plus discrets, avalés par leurs voisins. Par endroit sur les torrents des trous d’eau très profonds. Les filles sautent de haut. Moi je regarde d’en bas. Les pieds calés dans les rapides, l’eau puissante me masse les épaules. Désescalade dans les toboggans mouillés, où les rochers sont doux et lisses comme des galets géants. Viser les algues chevelues, antidérapantes. La première baignade de la journée est difficile, ensuite le corps s’habitue à la température. Libellules ivres. De petits poissons grignotent les peaux mortes des pieds immobiles.

Kayak, bien sûr, entre Balazuc et Ruoms. Une descente de l’Ardèche alternative pour éviter les foules sous le Pont d’Arc. La dame blonde chez qui on loue les bateaux s’enquiert : vous en avez déjà fait ? Je souris et lui glisse : je suis du coin ! (Ne pas confondre). Ah bon… Nom, âge, année du bac ? On a dû se croiser dans les couloirs du lycée !

Ce tronçon de rivière je ne l’avais jamais fait en bateau. Beaucoup de monde, pas trop d’eau, comme chaque année au mois d’août. On pousse quand ça racle. Tant pis, on n’a pas d’autre occasion de venir. Circuler sur l’eau entrouvre la porte d’un autre monde. Le vent nous pousse. Ça sent la rivière, le peuplier et parfois la vase. Les bâteaux sont stables mais si lourds. Ma plus jeune s’essaie au kayak et, après quelques zigzags, ne se débrouille pas trop mal.

Une toute petite grenouille se cache dans l’ombre de notre kayak échoué pour un casse-croute (caillettes, fromage de chèvre de chez Pascale au marché). Une maman canard et sa tribu s’envolent. Des aigrettes blanches conversent sur une île. La vie sauvage a l’air de s’accommoder du défilé d’embarcations multicolores.

Glissade-toboggan les bras en l’air pour passer le barrage de Ruoms. Un photographe est tapi dans l’ombre. Fatigue éblouie d’une journée de coups de pagaie entre arbres et falaises. Dans le minibus de retour, ça gratte moins que dans mon enfance. Les bateaux ne sont plus en laine de verre.

Allo les amis, on peut passer ? C’est curieux, les amis ardéchois, je ne les appelle que quand je suis dans leur périmètre. Comme à l’époque où téléphone international coutait les yeux de la tête. Le reste du temps on communique par mail. Merci à ceux qui m’ont parlé de ma mère. C’est si rare.

Retrouvailles. Séparations.

Chateau d’Aubenas

Les mains se tendent vers les premières mûres dans les fossés. Je fais de la confiture avec une cagette de myrtilles de pays (achetées chez le primeur). Les cenelles de l’aubépine commencent à rougir.

Vider la maison, remplir la voiture. Tu crois qu’il faudrait acheter une voiture plus grande ? Les enfants grandissent, et puis le chien…. Ses affaires prennent une place monstre.

Route vers Lyon. Je connais chaque virage par cœur. Tiens là j’ai vomi les tomates à la provençale en rentrant de chez mon grand-père. Les fenouils sauvages des fossés ne nous accompagnent pas longtemps.

Bouchons.

Lyon. Oh Lyon ! tu te souviens ! regarde c’est là votre école d’avant !

Lyon en touriste.

Poser la copine à la Croix Rousse. Manger dans le café d’une amie sur les pentes. Je savoure chaque instant. Tous ces endroits, tous les amis croisés ont l’évidence du quotidien. Pourtant ça fait deux ou trois ans que nous ne nous sommes pas vus. Librairie. Escapade en banlieue pour voir des amis. Diner avec mon grand – par hasard ici aussi. Nuit à l’hôtel à Lyon pour la première fois de ma vie. A la réceptionniste je demande : vous connaissez un bon restau de sushis ? (ça tourne vite. Avant le covid, j’avais donné rendez-vous à mon fils devant un restau disparu.) Rue des marronniers je demande à ma fille de prendre en photo la porte d’entrée de mon longement étudiant.

Poser ma grande, radieuse, chez des amis. Avec eux elle part camper une semaine, avec ses copines anglaises de Lyon. Elle nous a dit : No offence, mais j’en ai marre d’être avec vous.

Cap plein nord, comme tout le monde en ce samedi. (Pas avant d’avoir fait un p’tit tour à Monop. Quand ça s’éternisait au rayon adulte, ma plus jeune m’a dit : allez ça suffit, sinon je te confisque Monoprix !)

Autun

Escale à Autun, parce qu’on y a trouvé une chambre d’hôte de charme. Le charme c’est ce qui me manque le plus en Allemagne avec la variété et la spontanéité. Et ça ne s’envoie pas par la poste. Surprise de voir que la ville est jumelée avec Ingelheim, sur le Rhin à quelques kilomètres de Mainz. Découverte éblouie des ruelles anciennes de cette ville superbe. Je craque. Je demande à notre hôte si je peux y revenir une semaine.
L’âme de sa grande maison vibre d’art, de calme et de la spiritualité. Notre fenêtre, au premier étage d’un escalier à vis de pierre, donne sur un jardin de curé charmant et une église désaffectée. Coins et recoins. Passé dépassant. Aurais-je le courage et prendre les cinquante correspondances en train et car pour y retourner avec mon portable et mes cahiers pour avancer sur mon livre ?

Vite un tour au musée Rolin. Extra. Casse-croute dans un café. Accueil abrupt. Gaïa n’arrête pas d’aboyer. Oups.

Cette fois, on n’y coupe pas.

Sous la pluie nous programmons Mainz dans le GPS du téléphone. Au passage de la frontière, pas de contrôle. Mais ma plus jeune se met à pleurer. Ma gorge se serre. Heureuse de retrouver les copines allemandes, mais triste de quitter les françaises et mes paysages.  

Un ange gardien veille-t-il sur les cœurs en transit ? Un arc-en-ciel apparaît au bout de l’autoroute. Entre la frontière et Mainz, l’asphalte se prolonge dans l’élan d’un ruban coloré. Presque deux heures à se laisser guider par la lumière des gouttes de pluie.

Je veux croire que c’est de bon augure.

C’était vraiment bon ce tour de France. Vous nous manquiez. Nous n’avons pas pu voir tout le monde, ce sera pour une fois très prochaine. Un rapide coup d’œil aux infos locales nous rassure : pas de confinement prévu à court terme. Juste les élections.

Pour toute activité à l’intérieur la règle des 3G s’applique : genesen, geimpft, oder getest (immunisé, vacciné, ou testé). Je le vis plus sereinement. Maintenant je suis vaccinée.

(On n’a pas calculé nos kilomètres ;o))

(Aucun sponsor ne s’est immiscé.)

Grandes vacances : notre tour de France ~ 1

Etapes en bord de Saône, en Corrèze puis dans les Landes.

(L’absence de wifi m’a donné une excuse pour ne pas publier l’article écrit en début de vacances. Le voilà.)

Assise sur un fauteuil bas de camping, sous un tamaris, les pieds dans la mousse sèche, j’ai posé mon ordinateur portable sur mes genoux nus. Dans le jardin voisin un pigeon des bois roucoule. Des écailles de pommes de pin tombent, grignotée par un écureuil. C’est malheureux le reflet de mon visage dans l’écran, parce que pour écrire, je porte des lunettes. Que je n’ai jamais dans la salle de bains. Regard fatigué, traits marqués, coiffure en bataille, aux reflets blonds roux artificiels. Fait pas bon vieillir, je vous le dis (ni enfiler des lieux communs).

A ma dernière séance chez le coiffeur (à Strasbourg donc), j’ai écouté la dame près de moi, demander un maquillage, « qui fasse naturel ». Le coiffeur orchestrait une vingtaine de flacons et palettes disposés sur la tablette. Puis il s’est approché de moi pour me demander quel balayage je souhaitais : « quelque chose qui dissimule les cheveux gris sans attirer l’attention. Qui fasse naturel.” Le naturel m’a couté deux heures et 100 euros.

Mon ado aussi a eu droit ce même samedi à une séance de soins capillaires. Moins une coupe qu’un boost de confiance en soi. L’année scolaire passée pour l’essentiel en confinement avait prélevé son dû en sourires.

Nous nous sommes échappés pour leur courir après. Nous voilà en France, dans le sud des Landes, sous un ciel capricieux déjà basque. Tant mieux il ne fait pas trop chaud, tant pis, la maison reste humide.

Nous ne sommes que quatre, sans compter la chienne. Mon fils devait nous retrouver sur un parking au nord de Lyon, avant de bifurquer vers l’Auvergne. Pour notre première étape au nord de Mâcon, l’hôtel a tout du motel avec ses chambres de plain pied en enfilade sur le parking. Pratique. Agréable aussi : les fenêtres de la chambre s’ouvrent sur quelques mètres de pelouse, puis, au-delà d’une barrière les pieds dans l’eau, la Saône, large et indolente, affranchie de son lit. Elle lèche presque le bâtiment. Le soleil bas l’éclaire de blond, les peupliers clapotent dans le vent du nord. Il fait frais mais beau. Un temps agréable pour la route, même au bord de la piscine où nous faisons quelques brasses.  

Oui la Saône déborde, comme la Moselle et ses affluents, mais en moins dramatique. Une dame qui marche dans le pré me dit s’arrêter là depuis 25 ans sur la route de la Provence. Elle s’intéresse à notre trajet. L’Allemagne ? Ah, c’est terrible ces inondations. Oui terrible. Plusieurs amis de France nous ont écrit des messages : vous avez les pieds dans l’eau ? Non heureusement. Mais à Mainz aussi le Rhin est monté. En aval de la ville une zone inondable absorbe les crues saisonnières du printemps ou de l’automne. Mais en plein été, les camping-cars ont dû déménager, le camping a fermé.

Le diner au restau était décevant. Assiette tarabiscotée à l’ancienne, service très lent. La vue sur les champs paisibles compense à peine. Ma fille s’exclame : “Oh je suis trop contente de retrouver mon frère demain !” Oui, touchons du bois. Si une chose nous a été rappelée depuis 18 mois c’est que l’avenir nous échappe. De retour à la chambre, un message de mon fils nous attend. “Il y a un souci. L’amie avec qui je suis n’a plus de goût.”

Tests du dimanche, à l’aéroport. L’infirmier les renvoie en leur disant : l’assurance maladie va vous appeler. Positifs. Ils sont vaccinés depuis un mois. Aucun symptômes, sauf cette perte de gout pour l’une. Changement de programme. Confinement en Ardèche dans la maison vide. Y’a pire, au moins ils ont un grand jardin, un piano et un âne. Et des torrents sauvages où se baigner sans croiser personne.

Noaihac, église

Et nous alors ? Nous, on accuse le coup de retrouvailles familiales ajournées. Cap sur la Corrèze, aux confins du Lot et de la Dordogne. Un petit hôtel de charme nous attend pour renouer avec la campagne française. A Noailhac, village de pierres blondes et rousses, des maisons superbes sont calées sur la pente autour d’une église construite sur les ruines d’un château. Un pan de mur en est encore visible. Tout autour, des forêts et un bocage vert des pluies du début d’été.

L’hotelier nous donne un plan photocopié de la région et nous indique les coins à visiter. Il ajoute : dans l’école là-haut, son index indique le mur du fond, le grand-père de Chirac était instituteur. Ah bon ? Oui c’est dans l’église du village que ses parents se sont mariés. D’ailleurs, vous verrez, y’a une photo de Jacques tout gamin entre ses parents.

La chaleur est écrasante. J’allais écrire : enfin. Nous trainons nos filles dans les ruelles désertes du village sans commerce, Gaïa au bout de la grosse laisse rouge. Ma plus jeune râle et demande : ils sont où les gens ? Je cherche sur la façade d’une maison les pierres remarquables : celle du porche utilisée pour aiguiser les couteaux, en dessous de celle dans laquelle un trou a été percé pour accrocher les chevaux, les blocs en demi cercle au pied du coin extérieur pour protéger le mur des roues de charrettes. Un panneau accroché au balcon précise : A vendre. Tu te rends compte ! à vendre. Viens on s’installe là ! c’est trop beau. Quelques pas pour jeter un œil derrière. Ah non, pas de jardin. Zut. Je chercherai sur internet et trouverai à quelques kilomètres du village la ferme à retaper de mes rêves… Et j’imagine à haute voix. Mon mari allongé à côté de moi ne répond pas, il lit. Il a l’habitude de mes projets immobiliers virtuels, dans des coins éloignés de tout lycée et des emplois.

Allongée je feuillette le guide touristique des plus beaux villages de France (avec en couverture la photo de Balazuc en Ardèche – je sais, merci). J’y lis qu’un des bourgs recommandés est Curemonte sur un promontoire coiffé de deux châteaux mitoyens et que la fille de Colette, Colette de Jouvenel, a possédés pendant une petite dizaine d’années. Elle y a vécu pendant la guerre où elle s’est illustrée dans la Résistance. L’écrivain est venu s’y replier pendant l’Occupation.  Moi qui adore sa prose et sa vie, je suis émue de me trouver sur ses traces. Il va falloir aller voir.

Marcher dans les rues de pierres claires le nez en l’air derrière l’appareil photo, acheter une tresse d’ail chez un producteur qui en a habillé la toiture intérieure de sa grange. Déjeuner d’un plat du jour dans un bistrot bien français, entre une famille de locaux, une autre de touristes, et des ouvriers d’un chantier. Mmm vous sentez les filles comme c’est bon la France ! bon en même temps le ragout de porc aux pates on aurait pu manger le même en Allemagne. Pas la flognarde aux abricots par contre (clafoutis caramélisé sur le dessus). En face, l’entrée des châteaux jumeaux, sous les appartements habités par Colette de Jouvenel, dans la rue qui porte son nom. Ça alors, des Corréziens, j’en connais deux, peut-être trois. Et je me cogne à eux, dans la même journée.

Je me renseignerai un peu plus sur Bel-Gazou, la fille de l’écrivain, journaliste, résistante. Je lirai un extrait d’interview où à la question “Comment vivre dans l’ombre d’une mère aussi célèbre ?” elle répond : “Il faut toute une vie pour s’en remettre.” J’en ressens comme un pincement au cœur.

Autre village remarquable : Collonges la rouge. En pierres colorées donc, magnifiques maisons, manoirs, église, halles… On nous avait dit que c’était le Disneyland local. Pas tant que ça. Tôt le matin, le charme opère. Le soir aussi, quand nous revenons diner dans un relais du chemin de Saint-Jacques, face à des hortensias insolents de rose, et à une treille fournie de raisins verts.

Le lendemain, nous crapahutons jusqu’au château au sommet de Turenne, tout petit bourg, en pierres gris pâle avec une vue à couper le souffle. Nous sommes sur une faille géologique qui sépare des veines très différentes (j’y connais pas grand-chose en géologie, mais les effets dans l’architecture sont superbes). Les teintes des villages voisins varient.

La Corrèze, c’est la première fois que je m’y arrête. A chaque passage sur l’autoroute qui coupe la France à la taille, j’ai eu envie de m’enfoncer dans ses forêts. Depuis que j’y ai dormi, j’ai envie d’y revenir. La partie sud est beaucoup plus méridionale que je ne pensais. Les voix chantent. Les fermes cultivent noix et châtaignes. Les ruisseaux apportent l’eau qui m’est indispensable et disparait sur les causses du Lot. Les vallons sont vierges des souvenirs qui me rendent l’Ardèche douce-amère.

Cap sur l’ouest toujours. Détour par Libourne, pour voir. C’est une option pour le retour en France. Le coin semble compliqué pour nos besoins. Les vignobles plats au garde-à-vous me font penser à la Champagne sous le soleil. Pas vraiment de quoi se perdre pour le plaisir. Sandwich ordinaire dans une boulangerie de village endormi. Embouteillages autour de Bordeaux comme toujours. Comment pourrait-il en être autrement ?

Virage plein Sud, l’autoroute rectiligne tranche la forêt de pins des Landes, parallèle à la côte atlantique que l’on espère sans voir. Oh, des bruyères en fleurs ! C’est moi qui conduis. Je suis épuisée, mais j’ai envie de faire l’arrivée. Je dois bien me concentrer pour ne pas trop guetter les fleurettes sur les bas-côtés.

Enfin, la sortie attendue. Hossegor, Capbreton. Dans quelques kilomètres terminus au ras des rouleaux de l’océan. Demain, le vaccin.

Le ciel blanc est brumeux, comme souvent, le matin. Mon mari et moi nous levons comme d’habitude, tôt. Le rythme des vacances ne nous a pas encore bercé. J’ai rendez-vous à 8h30 au stade de Capbreton pour ma deuxième dose. La queue pour entrer dans le gymnase ne me concerne pas : c’est pour la première injection. Tant mieux. Un monsieur âgé sympathique me fait signe d’entrer, le masque sous le nez. J’ai envie de lui dire : Eh, monsieur, le masque c’est comme le slip hein, on met tout dedans !

Je ne dis rien bien sûr, je vais au bureau où un autre monsieur âgé, débutant en formulaire administratifs, sans doute un bénévole, demande à une jeune femme comment inscrire les noms de jeune fille et d’épouse. Oui oui, mettez les deux s’il vous plait ! car si les papiers français portent les deux, les Allemands n’en ont qu’un. Et souvent les gens sont perturbés quand j’utilise l’un ou l’autre (je m’emmêle les pinceaux, je ne voulais utiliser que mon nom de jeune fille, mais il est différent de celui de mes enfants, et la sécu en a décidé autrement… bref en France pas de souci mais en Allemagne, ça coince).

Donc, vaccin 2 dans une salle de Jaï alaï (type de pelote basque) avec l’accent chantant du sud-ouest, après le 1 à Strasbourg. L’infirmière me remet mon certificat : “Voilà vous êtes libre !” Devant mon grand sourire, elle ajoute : “On dirait qu’on remet le permis de conduire”. Si elle savait comme j’en ai rêvé en Allemagne de ce sésame où ma convocation a trainé et où depuis des mois le moindre événement en intérieur (y compris le restau) ne sont accessibles qu’en cochant l’une des trois cases : immunisé / test négatif / vacciné.

Je n’ai rien senti. Ici personne pour me dire de partir au bout des 15 minutes de repos. L’après-midi, j’honore un rendez-vous pour ma fille. D’après son étude auprès de son échantillon de copains, mon fils m’avait dit : les effets secondaires arrivent environ 9 heures après l’injection. Le soir tout va toujours bien.

Au milieu de la nuit, réveil. Peut-être à cause des jeunes qui chantent dans la rue, ou des bruits de motos qui accélèrent. Mais mon corps se rappelle à moi. Courbatures. Fièvre. Bon, c’est normal. Nausées. Zut il faut que je me lève. Coton dans la tête et dans les jambes. Avant d’avoir pu parcourir les 10 pas (j’ai compté après) pour les toilettes, je m’assois par terre. Ca tourne. Impossible de me rendormir. Au matin, l’état est le même. Position couchée obligatoire. Crotte. C’est pas ce que mon fils m’avait dit : état grippal la nuit, mais tu dors. Le matin t’es fatiguée mais ça va mieux.

Je trouve l’énergie d’accompagner ma fille à un autre rendez-vous de suivi français (vive les vacances) puis je m’effondre sur un matelas sous les pins. Faim ? non. Aïe, la tête, aïe les courbatures.

Il y a quelques mois j’avais fait ma maligne : “j’ai lu dans The Economist que les effets secondaires des vaccins contre le corona étaient selon les études cliniques presque équivalents pour le placebo que pour le produit actif.” Ouais c’est ça.  Si effet secondaire c’est mal à l’épaule, ça va. Si c’est je ne tiens plus debout, c’est plus embêtant. Mon psychisme hyperactif et anxieux provoque souvent la somatisation. Mais là, c’était différent.
Le site allemand de vaccination permet de signaler les effets secondaires. Peut-être est-ce possible de le faire aussi en France, ou auprès des labos. Si la réaction de mon corps au vaccin est proportionnelle à ce qu’aurait été celle à la maladie, je n’ose pas imaginer mon état, surtout que là je n’ai pas eu de gêne respiratoire.

C’est donc fait. Enfin. J’ai scanné le code barre dans l’appli française. Puisque c’est le passeport européen ça doit aussi se télécharger dans l’appli allemande. Non ? Non. Une autre. Non ? Toujours pas. Sans compter que sur le certificat n’apparait qu’un seul de mes deux noms… Ça promet de joyeuses explications. Mais si c’est moi. Mais si je suis vaccinée. Immunisée ? Ah, ça dépend. L’immunité administrative à défaut de médicale varie selon les pays. En Allemagne, 14 jours, en France 7 jours. D’ici là mettons un masque. J’ai pas envie de vivre la version longue du machin. Et ça servira aussi à se planquer.

Il m’aurait bien servi l’autre soir lorsque nous sommes partis en promenade avec Gaïa. La place piétonne au niveau de la plage centrale de Hossegor est noire de monde. Les terrasses des restaus sont pleines. Ça grouille partout en France, on dirait que personne n’a entendu parler de la covid. Des familles et des groupes de jeunes descendent vers la plage et son coucher de soleil, portable à la main pour le selfie de rigueur. En plein milieu, Gaïa fait mine de s’arrêter, ma fille la tire pour la forcer à avancer dans la foule où nous tentons de maintenir les distances. Soudain elle s’écrie : “elle a fait une crotte !”

En la matière elle en a fait plusieurs, entrainée par la laisse, elle a posé cinq ou six petits boulets noirs.

Ma fille demande à son père :

-Passe moi un sac !

Il se frappe le front. Ah j’ai oublié !

QUOI ?

Il remonte en courant pour la maison. En attendant le sachet, nous voilà responsables d’une constellation de mini-mines malodorantes posées sur le parcours de touristes innocents captivés par le coucher de soleil. Pour leur éviter un retour précipité sur terre au propre (enfin…) comme au figuré, je rebrousse chemin et me plante au milieu de notre jeu de dames biologique, histoire, par ma seule présence, d’écarter les flux de gens de possibles glissades visqueuses. Pour renforcer la palissade humaine, je demande aux filles de faire de même. La grande panique en chuchotant. « Je ne peux pas, j’ai trop honte ». Toujours en chuchotant, je lui intime l’ordre de rester. Nous avons bien conscience d’être sur une scène de théâtre sans fond, au milieu de terrasses bondées. Elle s’échappe sur la plage.

La petite tient le chien qui comme toujours veut fuir ses méfaits. Je râle. Elle part avec Gaïa chercher sa sœur pour la prévenir de la colère de leur mère. Me voilà donc plantée, entre des crottes à peine visibles, en plein milieu du passage sans savoir quoi faire de moi ni de mes mains, sans masque donc pour me cacher.

J’imagine ceux qui m’ont repérée depuis leur table de restau, et qui doivent observer mon manège en rigolant. J’entends parler allemand. A l’aide pourvu qu’ils n’aient rien vu. On s’est déjà fait engueuler à Mainz, dans la demi seconde qu’il a fallu pour confier le chien à quelqu’un d’autre avant de pouvoir effacer la trace de notre passage. « Si nous n’avions pas été là vous ne l’auriez pas ramassée. »

Si la preuve, madame et monsieur, vous n’étiez pas là, l’autre soir sur la place centrale d’Hossegor, et pourtant quand le sac est arrivé par livraison exprès, nous les avons ramassées, toutes les cinq. Sans demander notre reste. On a filé se fondre dans l’anonymat de la plage.

Tant de problématiques à ras de terre dont je me serais bien passée.

Les rendez-vous sont faits, les vaccins aussi. Dans quelques jours, mon fils pourra nous rejoindre. Les vacances pourraient bien commencer.

A suivre.

14 juillet in Mainz

18°, école, pas de feu d’artifices. Et pourtant une histoire de libertés.

Je reste libre (distanciation au restau)

Aujourd’hui, les classes de mes filles ont organisé leur sortie de fin d’année. L’une est partie faire de l’accrobranche (Kletterwald), tant mieux ! La menace de pluie a fait renoncer la classe de l’autre (qui en saute de joie) au mini-golf, pour se rabattre sur des jeux en salle et des pizzas. Dans ces classes à français renforcé, l’encadrement semble avoir oublié la fête nationale française. Mes filles se chargeront de le rappeler. Vendredi, remise des bulletins en main très propre et en grande pompe. Prière de vider les casiers. Les cours s’arrêtent ensuite pour les six semaines réglementaires.

Ah ces fins d’année scolaire ! Pourtant covid oblige, pas de spectacle, de concert, ou de barbecue géant. C’est dommage, c’est tant mieux. J’adore rencontrer des nouvelles têtes sympas, mais le bavardage social m’épuise. Ma cervelle survoltée refuse de dormir et saute sur le lit comme un gosse sur un trampoline. Il me faut deux jours pour m’en remettre.

La classe de ma plus jeune a eu le droit d’organiser un pique-nique. Dans le parc, autour de nous, quatre autre pique-niques de quatre autres classes, autour d’une Wasserspielplatz. Dans cette fontaine géante peu profonde avec jeux d’eaux les enfants s’aspergent. Une super idée plutôt que de gronder les propriétaires de pieds trempés dans les bassins décoratifs.

Nous nous sommes installés sous un châtaignier dont les chatons défleuris sont autant de clins d’oeil de mon Ardèche. Une maman cherchait où étaler les victuailles apportées par les familles. J’ai proposé mon plaid. Le déplier sous des regards étrangers m’a motivé à braver les instructions de l’étiquette et à le laver. Pour mieux présenter mes carrés aux dattes, j’avais acheté le matin même de belles boites en plastique turquoise. Les familles allemandes mettent la barre très haut concernant la présentation de leurs gâteaux. Mes emballages sont plutôt poétiques disons. Je tâche d’apprendre.

Oui les fins d’années scolaires sont tumultueuses. S’ajoute à la clôture de l’année et aux préparatifs de voyage, l’organisation d’un parcours de santé en terre francophone. Le rappel des vaccins bien sûr. Mais pas que. Comment faire quand on vit dans un no man’s land trilingue pour faire un bilan d’orthophonie ? Dans quelle langue ? Faudra-t-il en faire plusieurs ?

J’ai appelé un cabinet du sud-ouest. L’accent chantant de la jeune femme m’a fait fondre. Nous avons eu de la chance de pouvoir prendre un rendez-vous en période estivale, à court terme, et dans un coin où d’autres expatriés font les mêmes démarches.

Il est temps de partir.

Les aboiements de Gaïa tapent sur les nerfs des voisins donc on la garde à l’intérieur. Où elle tape sur les nôtres. Elle se donne du mal : elle pose des crottes un peu partout, à toute heure du jour et de la nuit, ce qui n’était pas le cas à son arrivée. Mes filles et mari savent que je n’aime pas les chiens et que j’ai accepté l’adoption pour raison thérapeutiques. Je n’ai encore dû ramasser aucune offrande. Merci à eux.

Nous voilà donc avec une chienne qui ne joue pas, perd ses compétences de propreté et aboie de plus en plus. J’ai posé la question aux miens : franchement quel est l’avantage de Gaïa ? Je n’ai pas eu de réponse. On m’a dit que c’était important d’aider un chien des rues. Jusqu’à quel point ?

Mon besoin de calme et d’un chez-moi apaisant est piétiné. Mes soirées se calfeutrent sous un casque anti-bruit. Je n’ose plus lire dans le salon – c’est trop le bazar, le sol impossible à garder propre. Déjà avant le chien je me planquais. C’est pire. Je les ai prévenus : faute de solution de cohabitation plus équilibrée, un jour explosif l’alternative risque d’être simple : l’animal ou la maman.

Nous allons faire le tour de Gaule, avec étapes chipirons à la plancha, tarte aux blettes, crème de marrons en tube. Plongeons remuants sous les rouleaux de l’Atlantique (c’est où le ciel déjà ?), baignades depuis les rochers de Méditerranée qui martyrisent les pieds et massages dans les torrents de l’Ardèche. On va bouffer du kilomètre, avec Gaia dans la voiture (yeux au ciel gris). Y’a tellement de monde qu’on a pas vu depuis trop longtemps ! Dans la piscine vide, j’enchaîne les longueurs et m’échauffe les bras pour les embrassades. Sous les gouttes, l’eau prisonnière redevient sauvage.

Au fait, dans quel format seront autorisées les retrouvailles ?

Une amie m’a prévenue de nouvelles annonces sanitaires (j’évite toujours les infos). Quoi ? Le gouvernement doit forcer le personnel soignant à se faire vacciner ? Mais ce n’est pas déjà fait ? Si c’était le contraire y’aurait une levée de bouclier pour dénoncer la mise en danger des personnes.

Il est nécessaire de prendre des mesures pour encourager les Français à se faire vacciner ? Le bon sens a besoin d’un coup de pouce… Le risque ? Quel risque ? Celui d’un accident de voiture est bien plus élevé. Celui d’une maladie grave tellement plus fort.

Les mesures incitatives (vaccin ou test pour accéder à une salle de plus de 50 personnes), sans doute insupportables pour certains esprits français, sont en place depuis des mois en Allemagne, sans jauge minimum. Vous le savez, ça m’a fait râler tant et plus, faute de pouvoir me faire immuniser. Pourquoi les médias relaient-ils si peu les choix étrangers pour rappeler aux Français leur chance d’accéder au vaccin sans combat ? De vivre dans une société qui privilégie la liberté – si tout le monde joue le jeu et que les égoïstes ne comptent pas sur l’immunité des autres.

Dans Private Eye, le journal satirique anglais auquel mon mari est abonné, un dessin humoristique présentait un Français refusant de faire « entrer des virus et des bactéries dans son corps », avant de se resservir de roquefort.

Comme partout, les conditions de nos vacances seront encadrées par les mesures politiques. Pour nous débarquant d’outre-Rhin, l’environnement français sera une libération. Si nous avons bien notre vaccination comme prévu (touchons du bois, serrons les pouces comme on dit ici) ma fille et moi pourront aller au restau en août mais pas mon mari qui n’aura sa deuxième dose qu’au retour en Allemagne.

Pardon. Pardon. En m’asseyant à mon bureau, je n’avais pas prévu de m’étendre sur le sujet. J’essaie d’éviter cette thématique qui me rappelle combien l’humanité a la mémoire courte et les ondes sont encombrées par les imbéciles. C’était quoi déjà le taux de mortalité avant l’invention des vaccins ?

Sur une façade de Mainz, près du Rhin

Grâce au télétravail délocalisé, nous pourrons prolonger notre séjour en France. Quitte à foutre le camp… Une chambre-bureau avec vue sur mer, ça changera du parking des voisins. Ils pourront souffler en l’absence de notre aboyeuse et nous sans leur perceuse. Notre grande restée avec des copines rentrera seule pour la première fois en TGV direct Lyon-Francfort. Question à deux euros : une mineure a-t-elle besoin d’une autorisation de sortie du territoire pour rentrer chez elle ? Je viens de vérifier, la réponse est non. Pourvu que l’éventuel douanier / contrôleur soit au courant.

La logistique est en place. Les valises familiales à peine commencées. (C’est pas faute d’en parler – cf article La valse des hésitations). Pour l’âme hypersensible de qui vous savez, ces road-trips sont épuisants. Afin d’amortir la bosse-petit pois des changements répétés, des étapes-matelas sont organisées dans des chambres d’hôtes de charme. Histoire de faire le plein de calme et de beauté. Les casse-croûtes seront solides et ponctuels (mon humeur plonge avec ma glycémie, gare à mes covoitureurs). J’ai réservé des moments de solitude sous les pins pour recharger mes batteries.

Enfin, ça c’est la théorie.

Mes filles m’encouragent à prendre des vacances d’écriture. J’ai besoin là aussi d’une pause régénérante. Mon roman bénéficiera d’un regard lavé. Les idées continueront de germer, mais il attendra un peu. Le blog peut-être moins. Si le stylo me démange, vous serez les premiers informés.

Ça se dit, joyeux 14 juillet ?

Drei Mädchen Brunnen, Ballplatz – Mainzer Altstadt / Fontaine aux trois jeunes filles, sculpture en Bronze de Josef Magnus.

La valse des hésitations

Einmal hin, einmal her, Rundherum, das ist nicht schwer ! *

Un pas par ci, un pas par là, un p’tit tour, c’est pas difficile (* chanson enfantine)

-…..

Vous entendez ? C’est moi qui parle à mes filles.

J’essaie à nouveau.

-….

Ça marche ?

Non ? Vous non plus vous n’entendez rien ? Décidément !

J’ai l’impression de parler dans le vide, d’émettre un simple bruit de fond, des ondes inutiles. J’ai décidé de faire la grève de la parole chez moi.

Reprenons.

Voilà un mois à la Stammtisch virtuelle des parents de la classe de ma grande (réunion qui se tient d’habitude dans un restaurant fort charmant), j’ai appris que le collège avait envoyé un message précisant les conditions de retour des livres scolaires. J’avais raté l’information planquée au fin fond d’un long courrier (la direction est peu synthétique et consulter sur smartphone un drap de lit reçu dans une appplication est frustrant). J’ai tendance à cocher la case ‘lu’ au plus vite. Si c’est important, la même info nous arrivera de façon plus claire par les profs ou les élèves. Pas cette fois.

Nous étions cinq mamans à la Stammtisch, et c’était fort sympathique de revoir des visages connus. Il a été rappelé que les livres scolaires, loués par la ville de Mainz au tiers du prix d’achat, devaient être exceptionnellement rendus au château des princes-électeurs (Kurfürstlisches Schloss) . D’habitude les gamins partent le matin pour l’école avec leur sac de bouquins. Cette année c’est dans le centre-ville et le créneau est contraint : 8-15h, un jour différent pour chaque école. Souvenons-nous que les enfants d’une même fratrie fréquentent souvent des établissements différents. Les parents d’une famille nombreuse sont priés de se déplacer autant de fois qu’il le faudra.

Info reçue, je l’ai transmise à ma progéniture. J’ai écrit le rendez-vous sur le calendrier familial accroché au mur au-dessus de la table à manger. Par chance, cela tombait un jour de congés pour mes filles dû aux oraux de l’Abitur (bac). La veille, l’une était invitée à un anniversaire, l’autre avait un projet urgent du genre fabriquer un bracelet en perles. Elles accompagnaient aussi notre chienne Gaïa chez le véto pour acheter les produits anti-bestioles-qui-piquent. Donc le temps était compté. Je les avais prévenues plusieurs fois : rapportez bien tous vos livres vendredi au plus tard !

Devinez ?

La veille.

  • Heu, mon livre de maths est chez une copine.
  • Moi j’ai laissé celui de français dans mon casier. Mais t’inquiète j’en ai pas besoin.
  • Si, il faut le rendre.
  • Ah bon ?
  • Je vous l’ai dit dix fois.
  • Ah non pas du tout !
  • Tu vas avoir le temps d’aller le chercher le livre de maths ? Et toi celui de français ?
  • Ouais…

Aller-retour au collège pour l’une, qui vidange aussi le casier de sa sœur. Rendez-vous à mi-chemin avec l’amie au livre pour l’autre. Il semblerait que les manuels soient rassemblés. Rappel de la consigne :

-Je veux les livres dans le sac, avec le formulaire de retour, prêts à partir. Ce soir.

Le jour-même : un seul sac dans le salon. Attendons et voyons. Alors que je me brosse les dents dans la salle de bains, la porte s’ouvre sur une toute petite voix…

  • Je ne trouve pas mon livre de géo.
  • Cherche. Envoie des messages à tes copines pour savoir où il est.

Il faut qu’on parte.

La sœur :

-Ah j’ai vu un livre de géo hier dans mon casier. Y’a mon nom dessus, mais le mien est à la maison.

Là j’ai comme les fils se touchent.

  • Et tu ne l’as pas pris ?
  • Ben non.

On part en voiture.

Christus Kirche

D’abord direction le collège, pour aller chercher ce fameux livre. Retour à la maison. La petite descend. J’ai changé d’avis : je prends aussi les livres qui ne sont pas à rendre (à la troisième location, les manuels restent chez les élèves), au cas où. On repart (à deux mon mari et moi) en espérant ne pas avoir à se garer, j’aime pas conduire en ville quand je ne sais pas où je vais. Le GPS qui dit les noms des rues allemandes avec un accent français, c’est tout un poème et guère compréhensible. Le mettre en anglais c’est pire. Tout en allemand, dans MA voiture ? J’ai pas le coeur.

Deuxième départ. Einmal hin, einmal her…

Appel de la grande sœur : ça y est les échanges WhatsApp de la classe ont localisé le bouquin chez une copine-voisine. Mission accomplie, elle sait où il est. Elle s’apprête à raccrocher.

-Eh oh, va le chercher ! Dépêche-toi. On revient.

Retour à la maison, pour prendre le livre de géo.

Troisième départ. Einmal hin, einmal her…

La route est en travaux. Il faut un quart d’heure pour arriver au château des Princes-Electeurs au bord du Rhin, dans le centre-ville. A mi-chemin, l’alerte carburant s’éclaire.

A proximité du château, une longue queue s’étire sous les arbres jusqu’à une entrée latérale. Au moins c’est facile à trouver. Arrêt rapide, je descends de la voiture avec mes deux sacs… Mon mari remonte travailler à domicile. Je me poste derrière tout ce beau monde. L’ombre des tilleuls est parfumée. Les 80 personnes sur le trottoir respectent les distances. Mais je ne peux m’empêcher de remarquer que :

1/ rassembler une foule en période coronesque c’est pas bien malin (rappelons-nous le cirque tests / vaccins pour aller au restau) ;

2/ je me suis fait avoir : la queue est composée en majorité de collégiens et lycéens, sans leur maman. Plus loin devant j’aperçois des copines de ma grande, derrière, un copain de ma plus jeune qui me salue de la main. A l’idée de venir, les miennes ont fait la grimace.

Kurfürstlisches Schloss

Attendons.

45 minutes passent. Je fais mon courrier virtuel, texto à droite et à gauche, en avançant de deux pas de temps en temps. Les sacs suivent à mes pieds.

Au seuil d’une grande porte de bois, ouverte, il faut s’arrêter. Une dame imposante en uniforme bleu marine signale quand le prochain a le droit de pénétrer. Une affiche d’une grande librairie de Mainz a été installée. Cette prestation doit être un marché sous-traité.

Je suis intriguée de découvrir l’intérieur du palais qui est un des bâtiments repères de Mainz. A l’exception d’un grand lustre éclairé, le hall d’entrée est banal comme celui d’une administration. Décevant. L’entrée principale est-elle plus imposante ?

La dame me fait signe. C’est à moi. Me voilà dans la queue intérieure longue d’une vingtaine de personnes. Ah quand même ! Le monsieur derrière moi râle avec le sourire (ah, un autre qui s’est fait avoir par ses gosses). Il parle allemand avec un accent étranger derrière un masque. Je hoche la tête d’un air entendu quand je comprends qu’il trouve absurde ce regroupement en centre-ville si loin du collège. On est d’accord. On rigole. Et il ajoute : ils vont nous refaire le coup au mois d’aout pour aller chercher les nouveaux livres. Zut. J’y avais pas pensé.

Nous attendons dans une galerie des glaces qui tient plus de Castorama rayon salles de bains que de Versailles. Enfin je touche au Graal : une pièce aux murs habillés de bois peint avec quelques moulures en hauteur, dans laquelle ont été installées cinq tables sur tréteaux. Sur chacune : un ordinateur portable, une imprimante. A côté, des caisses de livres pleines, un/e préposé/e.

Un jeune homme à mèche blanche dans des cheveux noirs me fait signe de la main. Je pose le premier paquet de livres sur son bureau. Scan, impression du bon de retour A4. Au tour de l’autre paquet de manuels. Scan du livre de géo. Hésitation. Rescan. Il me dit : “celui-là appartient à Paula Schmidt”. Quoi ? Ni à ma fille donc, ni à la copine chez qui elle l’a récupéré in extremis. Impression d’une facture à payer si personne ne le rapporte.

J’envoie un message à ma fille : continue de chercher.

A la gare en face de l’arrêt de tram, un stand de fruits locaux me fait envie. Abricots à confiture de Finthen (banlieue agricole de Mainz), 5 euros les trois kilos. Parfait. Et 500 g de cerises aussi. Merci.

Retour à la maison.

  • Ça y est on a trouvé mon livre ! C’est celui qui était dans le casier de ma sœur. Avec son nom à elle dessus.
  • Donc, en gros de toute l’année scolaire tu ne l’as pas vu.

Vite coacher son ado pour identifier une copine qui s’apprête à descendre au château, pour lui confier le manuel à restituer et éviter de se retaper la queue. Lui sortir son vélo. A son retour, la regarder s’assoir avec un air satisfait. « Ah je me suis bien débrouillée quand même ! »

Je n’ai pas tout perdu. Cet aller-retour m’a permis de papoter avec une maman-copine venue accompagner sa fille, de faire une confiture d’abricots (meilleure que d’habitude) et le premier clafoutis de la saison. J’y ai aussi gagné le parfum des tilleuls. Et le droit de faire la grève de la parole.

Notre échappée à Strasbourg, le week-end dernier, a failli tomber à l’eau. La veille du départ, mon mari était malade. Test, hésitation. Einmal hin, einmal her… Tout le monde avait un besoin urgent de changer de tapisserie. Sous la menace d’une mutinerie, on a décidé de tenter le coup. A quatre, avec Gaïa.

Depuis un an et demi nous vivons au vert sans presque sortir de notre quartier. J’avais réservé un hôtel dans le centre de Strasbourg. Bruit, foule, quel choc ! J’avais l’impression d’être sur la presqu’île de Lyon un huit décembre (où je n’allais jamais).

A part une escapade de quelques jours en automne au fin fond de la forêt vosgiennes, c’était notre premier retour en France depuis l’été dernier. Quelle sensation bizarre d’être surprise d’entendre du français et de se sentir touriste dans son pays (enfin, presque, ça reste l’Alsace quand même). C’est tellement plus reposant en vacances de ne pas comprendre tout ce qui se dit autour de soi.

Peu de gens avec des masques (nous). Aucune distanciation. Sur un poteau de la place Kléber, une affiche sauvage invite à refuser le vaccin. En Allemagne, je n’ai rencontré que des gens qui rêvaient d’y avoir accès. J’ai failli reprendre un touriste au petit déjeuner qui allait au buffet sans masque. Ma réaction m’a fait peur. Suis-je en train de devenir allemande ? En croquant dans un mini croissant, je me surprends à penser que décidément les Français sont ingouvernables.

Oui et heureusement. L’ordre est beaucoup plus effrayant que le fouillis.

Strasbourg

Vous serez ravis d’apprendre que la chienne n’a bouffé aucun jogger, ni aucune rame de tram. Pourtant elle a essayé. Ma fille ne trouvait pas les Flammekuchen sur la carte du restau ; il était écrit tarte flambée. Nous avons dévalisé deux librairies. Monoprix est resté inaccessible : contrairement à la mention sur internet, le magasin était fermé le dimanche matin. Bon sang mais c’est bien sûr ! On aurait dû y penser ! Le droit local alsacien est calé sur l’allemand : tout est fermé le dimanche ! Hélas. (Par chance on a quand même trouvé une supérette alimentaire pour les madeleines, les galettes bretonnes et les sardines).

A la boulangerie (quel bonheur de pouvoir y payer sans contact), j’ai craqué pour une superbe part de gâteau au fromage blanc. Ma fille m’a demandé : “pourquoi tu prends ça ? Y’en a en Allemagne.” Parce que c’est super bon. Une pâte brisée croquante et fondante, une garniture épaisse aérienne et peu sucrée, dans laquelle on enfonce tout le visage.

En attendant le rendez-vous pour le vaccin, nous avons, sur l’insistance de notre capitaine de 10 ans, loué un bateau électrique sur l’Ill. Petit tour bucolique, sous le pont couvert et entre des rives vertes où il doit être doux de vivre, et s’imaginer en Amazonie.

Et (suspense insoutenable) OUI OUI OUI ma fille et moi avons eu notre première dose de vaccin, au vaccinodrome de Strasbourg, installé dans l’Hôtel de Département au bord de la Petite France. Inspirées par la campagne de pubs de Rheinland-Pfalz, on avait mis des manches courtes. Finalement nous étions dans l’intimité d’un box avec une madame-pompier très sympa. C’était hyper bien organisé, efficace et rapide, avec des BLAGUES ! Le médecin des pompiers nous a demandé d’apporter un gâteau au chocolat pour la deuxième dose !!! Quand je pousse la porte d’un cabinet médical allemand, j’ai toujours peur de me faire engueuler. Pourtant certaines infirmières, parfois, sourient.

Retour à Mainz dans une ambiance douce-amère. Ravie du sparadrap sur mon épaule. Mais vague cafard. C’était court et bousculé ces retrouvailles avec la France. Pourtant en Alsace, comme un bout d’Allemagne où on parle aussi français, la transition est douce.

Je trouve d’ailleurs curieux que ce soit la région retenue comme exemple dans le livre de français de ma plus jeune édité par notre Land. Certes c’est la région limitrophe de Rheinland-Pfalz. Mais pour les collégiens, quel dépaysement apportent les photos de maisons à colombages et les noms de villages aux kilos de consonnes ? Sans tomber dans la caricature franchouillarde (Paris et la côte d’Azur), ne serait-ce pas plus intéressant de présenter le Nord, la Bretagne ou le Sud-ouest (ou l’Ardèche) ? Les Allemands aiment voyager et n’ont pas peur des kilomètres mais peu s’arrêtent en Alsace sur la route de leurs vacances. L’argument de la région proche ne tient pas vraiment.

Nous avons repris notre routine.

Quelques jours plus tard j’ai reçu un un mail avec les dates de mes deux rendez-vous vaccins à Mainz (fin juillet et fin aout). Comme quoi quand on ne l’attend plus…. C’était une convocation impossible à modifier (sauf à produire un certificat d’hospitalisation ou de quarantaine) ou à honorer. J’ai reçu la confirmation par courrier : quatre pages A4. QUATRE ! Je l’ai annulée en ligne avec un pincement au cœur. Et si jamais ça ne marchait pas mon rendez-vous en France ? Il faudrait refaire l’inscription à zéro. Ma généraliste n’a toujours pas éclusé les groupes prioritaires.

Restons optimiste. Et comptons les jours avant les vacances avec le sourire. Plus de manuels scolaires, plus de notes. Les cours vont être plus décontractés d’ici la remise des bulletins en grande pompe. Pour leurs sorties de classe le 14 juillet, j’ai suggéré à mes filles de s’habiller en bleu-blanc-rouge.

Chers amis de France, d’Allemagne et d’ailleurs,

je vous souhaite un bel été, 

avec assez de changement d’air pour recharger les batteries !

La Moselle au fil des vignes

Quelques jours de vacances sur les rives de la Moselle. Vignobles escarpés, villages de contes de fées. Un petit air de liberté au goût de glace à la fraise.

Avant la Moselle pour moi c’était un coin indécis du nord-est de la France : département ? région ? rivière ? Je n’y avais jamais mis les pieds et n’en avais pas envie. Même après trente ans à Lyon, mes vacances en France c’était partout sauf dans le nord-est et je situe le début du nord entre Valence et Vienne.

Maintenant que j’habite encore plus au nord, et que l’ancienne Moselle est au sud (vous suivez ?) je sais que c’est une rivière (ouf, et un département, oui). Elle prend sa source en France, traverse le Luxembourg et sillonne l’Allemagne jusqu’au Deutsches Eck à Koblenz où elle se jette dans le Rhin. Le décompte à rebours des 195 kilomètres depuis Trier (Trêves) est affiché sur la rive de ce cours d’eau international.

Nous l’avons aperçue la première fois lors de notre excursion au château d’Eltz (voir article : Burg Eltz). Même sous le soleil de mars, la vallée dégageait une impression sombre avec l’eau et le sol bruns, les arbres nus, les rochers de schiste et les toits d’ardoise.

La découverte de ses rives vantées par les guides touristiques faisait partie de nos plans de week-end depuis notre installation à Mainz. Notre première tentative était tombée à l’eau faute de place dans les hôtels convoités (ah cette manie de vouloir réserver deux semaines avant la date… ). Une maman de l’école m’avait raconté leur escapade familiale de quelques jours. Ça m’avait fait envie. Partis de Mainz en train avec leurs vélos à bord, ils avaient fait une rando itinérante entre les villages. Maintenant avec le chien, ça devient compliqué. Hélas.

Pour les vacances de Pentecôte, après la colo de cheval de nos filles nous avons décidé de partir au vert en famille. Pour assurer notre départ juste après la fin du confinement, et donc ne passer aucune frontière, nous avons mis le cap sur la Moselle. C’est le coin qui nous proposait le plus de dépaysement sans quitter le Rheinland-Pfalz. Nous sommes donc partis avec des tonnes de sacs (pourquoi ?), de quoi nous faire à manger pour 10 jours (au cas où les restaus restent inaccessibles) et la niche du chien (pliable) pour un gîte loué à Trittenheim, en amont de la partie touristique.

Beilstein

Après un pique-nique improvisé dans une forêt (où le muguet est sur la fin mais où un ravissant petit nid tombé nous a accueillis), nous nous garons à Beilstein. Ce petit village moyenâgeux préservé est niché au pied de parois de vignobles sous une ruine de château. Il fait beau et très chaud. (Le changement de météo a été soudain : quelques jours plus tôt c’était encore écharpe et blouson). Le parking le long de la route est presque plein. Nous grimpons à travers des vignes escarpées. On a pris par mégarde le chemin étroit des vignerons dans la terre et le schiste friable : la vue est plus dégagée que dans les ruelles, mais j’ai besoin de me concentrer sur mes pas pour ne pas céder au vertige.

La Moselle, le monorail

Un monorail digne du Space mountain serpente entre les ceps. Nous découvrirons le soir qu’il sert à tracter un chariot de type bobsleigh-de-fret pour descendre le raisin. Pas de terrasses comme en Ardèche. Les rangées de vignes parallèles plongent tout droit sur des pistes noires. Les vins de Moselle chers à Jacques Brel poussent sur des vignobles tout schuss.

Dans la cour intérieure de ce qui reste du château de Metternich (qui est une propriété privée) nous découvrons avec surprise que pour la première fois depuis des millions d’années, la terrasse du café est accessible sans test corona. Bonheur de se faire servir une eau gazeuse fraiche et un petit Apfelstrudel.

Les ruelles étroites de maisons à colombages serpentent autour de terrasses de café. La Marktplatz, place du marché, date du début du XIVème siècle. Partout les enseignes de vignerons proposent des dégustations. Nous préférons visiter l’église baroque de l’ancien couvent de carmélites, claire et fraîche. Les murs sont blancs, les hautes fenêtres sans vitraux et les décorations peintes de couleurs douces. Une bulle de lumière gaie. Devant nous, une pélerine de Saint-Jacques, sa coquille pendue au sac, se recueille à genoux. J’adore les églises vides. J’y fais le plein de paix. Là je dois garder un œil sur ma fille qui tente d’ouvrir la porte d’un confessionnal (pourquoi y’en a-t-il cinq ?). Mon mari garde le chien dehors. Nous visitons en alternance.

Redescente vers la voiture. La pélerine et une copine attendent le bac pour l’autre rive. Il coulisse le long d’un câble, comme celui que j’avais pris à Bâle avec Susanne mon amie allemande d’enfance (voir article : L’amitié franco-allemande prend sa source en Espagne). Nous rembarquons pour descendre à Tritterheim, en amont de la rivière (oui, encore une qui coule vers le nord).

Notre gite est au deuxième étage d’une maison au bord de la route (ça ne se voyait pas sur les photos), dans une exploitation viticole. Juste en face se dresse une arche construite en pierres et caisses de bouteilles de vin où le village salue ses visiteurs. Willkommen / Bis bald (bienvenue / à bientôt). Sur un des poteaux est affichée la photo d’une jeune femme élégante avec une couronne et un verre de blanc à la main : la dernière reine locale.  Elles sont choisies tous les deux ans semble-t-il à la fête du vin du village.

L’appartement bien équipé est extrêmement propre. Je mets la pression sur ma famille : il ne s’agit pas de rendre le logement en piteux état. On fait toujours attention, mais là, où nous louons pour la première fois en Allemagne chez l’habitant, il en va de notre honneur franco-anglais. Ma fille trépigne, avec un grand sourire elle demande à la propriétaire :

-On peut se baigner dans la Moselle ?

-Oh non. Y’a des algues qui grattent et des bateaux dangereux.

Elle fait la grimace. Comme nous tous. Zut ! Tant pis pour les maillots.

Péniche (si, si, au fond)

Par moment on aperçoit une péniche de marchandises qui navigue sur la rivière (moins imposantes que celles qui croisent sur le Rhin). Dans certains villages, de longs quais ont été bâtis pour les accueillir. Ce trait de béton droit sur la rive d’un cours d’eau tout en courbes, le contraste entre industrie et paysage bucolique sont insolites. L’extérieur des virages, érodé par le courant est escarpé, l’intérieur tout en douceur. Pas de canoé ni de kayak sauf dans un ou deux coins touristiques. Personne ne se baigne. Difficile de voir dans quel sens le courant coule, l’eau marron entre des rives vertes semble immobile, domptée par des barrages et écluses. La Moselle est un décor à ne pas toucher.

Je discute avec la propriétaire du gîte dans la cour, à bonne distance. Elle et son mari exploitent 3 ha de vignes autour de chez eux et un peu en face dans les pentes. Ils ont vendu les endroits les plus escarpés. Le travail en dévers est trop dur pour leurs articulations. C’est la raison pour laquelle leurs enfants ont renoncé à prendre la suite. Je ne sais pas comment ils font. Dans plusieurs vignobles j’aurais refusé de descendre autrement que sur les fesses. J’aurais même choisi de faire le tour. Elle me pose des questions sur notre famille polyglotte, me dit qu’elle ne pourrait pas travailler dans un bureau et me demande ce que je fais dans la vie. Je lui parle de mon écriture et lui donne l’adresse de mon blog. Elle le consultera grâce une application de traduction.

Trittenheim (à droite)

Rapide tour dans le village. Il s’étale à l’intérieur d’une ample boucle de la Moselle, à l’écart des destinations touristiques. Sur la plupart des maisons des enseignes invitent à acheter du vin (Weingut, Weinprobe, Winzer, Weinverkauf …) et presque toutes proposent des chambres à louer. 1000 habitants, 800 lits d’accueil, 50 exploitants (150 il y a quelques années). Le vignoble est très morcelé. Presque aucun magasin. Une poignée de restaurants dont un étoilé.

Notre premier jour est un jour férié (jeudi de Fronleichnam). La seule activité se concentre auprès de la mairie pour les tests du corona. La boulangerie est fermée. L’office de tourisme aussi. Nous achetons nos Brötchen frais à la station-service en face de chez nous, qui les cuit sur place.

Au départ en balade, nous longeons la Moselle et la prairie d’accueil des campings cars. Tout le long de la rivière s’égrènent des villages et autant de pelouses à camping-cars. Aucune tente. Les véhicules sont garés comme des œufs dans une boite, parallèles et assez serrés. Sous l’auvent, une table et des chaises. Sur le toit une parabole. Vue imprenable sur le camion du voisin. C’est parti pour les vacances au bord d’une rivière où on ne peut pas se baigner. Certains s’installent pour toute la belle saison. Nous n’avons encore trouvé aucun endroit où planter notre tente en Allemagne ailleurs que sur un parking. Moi qui pensais que le camping était un loisir de pleine nature. Faudra qu’on m’explique.

La tour de l’ancien passeur du bac

Deux tours carrées blanches de part et d’autre de l’eau m’intriguent. J’apprendrai qu’elles hébergeaient les passeurs du bac. Sur le pont, les filles portent Gaïa ; elle a la pétoche, voudrait s’éloigner des bords, et marcher au milieu de la route. Dans les vignes sur un rocher, un cadran solaire, et en grandes lettres Trittenheimer Apotheke (pharmacie de Trittenheim). Je me dis que ce doit être le sponsor du carré. Mon mari me dit que non. Il a lu que c’était une appellation du vin local.

Grimpette sur le chemin vers la Grillhütte.

A louer pour barbecues

C’est formidable ça. En Rheinland-Pfalz (et peut-être partout en Allemagne), chaque ville ou village dispose dans la forêt d’une cabane à barbecue et la loue à qui veut. En décembre 2019, la fête de Noël de la classe de ma benjamine avait été organisée dans celle de notre quartier, en pleine forêt, dans la nuit et sous la pluie. Extra ! Celle de Trittenheim est luxueuse. Longues tables et bancs sous des bouleaux, cabane fermée en cas de pluie, barbecue abrité un peu à l’écart. Toboggan, cage de football et toilettes. Le tout sur un grand pré calé contre la forêt, accessible en voiture pour apporter le matériel. Les troncs d’arbre portent des traces d’escalade.

Ça râle un peu dans notre sillage. Trop chaud, mal à la tête, quand est-ce qu’on rentre ? On mange une glace ? Ok une glace à la pizzeria au retour (on commandera derrière un monsieur qui prend 6 boules dans un pot, pour lui tout seul). A condition de pousser un peu pour aller voir la chapelle Saint-Laurent sur la crête dans les vignes. Toute blanche, elle est visible depuis la route. La grande croix, mémorial aux morts des deux guerres mondiales me met mal à l’aise. Il n’y a pas de hiérarchie dans les morts bien sûr. Mais je ne peux m’empêcher de penser : si certains avaient foutu la paix au monde… L’orage menace puis s’éloigne. Le dîner en terrasse s’approche.

Le restaurant où ma fille et mon mari ont réservé est charmant. Dans un village un peu en amont du nôtre, à une poignée de kilomètres de l’autre côté de la boucle de la Moselle. Il occupe le rez-de chaussée surélevé d’une grosse maison en bordure de rivière, avec vue sur les vignobles et la petite chapelle blanche. La serveuse nous explique qu’elle est lituanienne et que leur établissement rouvre le jour-même post confinement. Le chef est son mari et a gagné le championnat du monde de cuisine en Afrique du Sud.

Dans cette contrée viticole, nous devons être des clients décevants : je ne bois pas de vin et mon mari un verre. Par contre on mange. Gaspacho au poulpe, veau aux pommes de terre violettes et dessert glacé au pamplemousse. Le Flammkuchen de ma plus jeune est craquant et fondant comme il faut. Un délice. Premier repas en terrasse depuis fin août dans la lumière douce près de tilleuls aux fleurs non écloses. Partout du vert. Le bonheur.

Trier, Porta Nigra

Le troisième jour, nous avons décidé de visiter Trier (Trêves). Mon unique passage date d’il y a plus de trente ans. A dix-sept ans, j’étais alors en stage pour l’été chez Ikea à Cologne. Je logeais chez une amie américaine musicienne mariée à un Allemand. Un samedi nous avions pris le train pour découvrir la cité romaine, plus ancienne ville d’Allemagne. Je me souviens avoir eu très chaud et soif et de m’être ennuyée à arpenter de longues rues inintéressantes. La pause dans l’ombre de l’imposante Porta Nigra, vestige des remparts romains et symbole de la ville m’avait sauvée. Je ne le dis pas à mes filles. Peut-être que ça me plaira plus cette fois ?

Après une grosse demi-heure de route, nous arrivons dans la zone commerciale de Trier. Sur la droite on aperçoit les falaises rouge brique de la Moselle. Un panneau mentionne le jumelage avec Metz, à 100 km. On se gare dans un parking en étage. Direction la place du marché charmante avec ses maisons à colombages. Le centre piéton est bondé, les points de dépistage rapide du corona se signalent par de longues queues. Direction la cathédrale. Mon mari et moi visitons à tour de rôle, il faut garder Gaïa (Grrrr). Lorsque les cloches sonnent au-dessus de sa tête, elle se met à hurler comme un loup.

Trier, cathédrale

J’entre seule. Les styles sont variés, plutôt chargés. Les deux chœurs, un à chaque bout, désorientent un peu. Au fond, un escalier monte vers une chapelle réputée héberger la tunique du Christ. La foule s’agglutine devant un porche. Je me hâte. Une porte latérale s’ouvre sur un cloître gothique presque désert pour ma dose de paix du jour. Il donne sur la Liebfrauenkirche, (l’église Notre-Dame) elle aussi classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Elle est inaccessible car une messe est en cours. Dommage.

Les filles en ont déjà marre. Elles ont repéré sur notre carte la pub d’un restau mexicain. Nous nous installons pour croquer dans des fajitas brûlantes et dégoulinantes en terrasse. On sursaute chaque fois que Gaïa aboie, au passage d’un deux-roues. Lorsque le monsieur à quelques tables de nous allume son cigare et nous empeste, je me dis que pour une fois nous aussi on dérange le monde. Hé, hé. N’empêche, j’en suis fort gênée. Je préfère l’anonymat.

Trier, pont romain

Pas de musée, non la patience collective s’effiloche. On va tenter de voir les vestiges romains éparpillés, dont plusieurs sont aussi classés au patrimoine mondial. On serpente dans la foule jusqu’à des rues plus calmes, non piétonnes, et sans intérêt. Nous passons par hasard devant la maison natale de Karl Marx (belle maison bourgeoise…). Nous rasons les murs côté trottoir à l’ombre. Une allée couverte de marronniers en fleurs nous rafraichit. La chaleur et la lassitude me rappellent ma visite précédente. Arrivés au quai, la route à traverser a beaucoup de trop de voies. Les voitures filent sur le pont. T’es sûr que c’est ça le pont romain ? Quelques pas de côté pour en découvrir le profil. Sous le tablier de goudron, les piliers en pierres noires et briques rouges ont l’air antique. Respectable certes, mais peu respecté avec toute cette circulation. Décevant.

Maison natale de Karl Marx

Allons voir les thermes.

En quittant le quai, nous passons à côté d’une zone de fouilles archéologiques sans nous arrêter, avant de nous rendre compte qu’il s’agit des Barbarathermen (thermes de Sainte-Barbe). Retour sur nos pas pour emprunter la passerelle au-dessus des ruines. Beaucoup de murs de pierres sont couverts d’un toit au ras de leur hauteur (pour les protéger de l’érosion ? pour abriter les archéologues ?). Du coup, depuis la passerelle on ne voit pas grand-chose. Pas de vue d’ensemble : on est trop bas. Pas de compréhension de l’architecture : trop haut. Des panneaux expliquent qu’il y a deux piscines, dont une sous une des maisons voisines. On veut bien les croire. La photo aérienne de la sortie est plus claire. J’en connais qui préfèreraient se baigner dans une piscine avec de l’eau dedans (moi).

Allez courage les filles, par là on va voir d’autres thermes et l’amphithéâtre. Oui, oui, oui, on ira prendre une glace après. Pause pour boire sous les tilleuls verts de la promenade. Hydratation canine. Ça râle et ça traine. Avec mon mari on garde le cap. Nous essayons de montrer l’exemple et de motiver notre descendance à l’Histoire mais au fond on en a ras le bol aussi. Nous suivons une avenue sans charme hormis les arbres.

Nouveaux thermes, ceux de l’empereur. De l’extérieur, un vestige de grand mur. Pour entrer il faudrait contourner l’espace extérieur. On va faire l’impasse. Pareil sur l’amphithéâtre : il est encore trop loin le long de routes à forte circulation pour notre état de fatigue et la chaleur.

Sur le retour vers le centre-ville, nous reparlons de notre visite aux thermes romains de Bath en Angleterre. Rien à voir. D’abord ils sont très bien conservés (ceux de Trier ont été récupérés après un détournement d’usage et des destructions), mais ensuite leur pierre blonde est gaie. Ici les blocs semblent grossiers, la pierre triste. Rien à voir non plus avec ceux des vestiges romains du sud de la France aux pierres claires.

Cap sur le glacier. Ma grande fille a cessé de parler depuis un moment et tient la chienne en faisant son boulot d’ado (la tronche). Longue queue à la boutique près de la cathédrale pour une boule de glace à la fraise fraiche délicieuse (et une autre au citron, parce que bon…). Allez vite, un p’tit tour à la Porta Nigra et on s’en va.

Retour à la place du marché, toujours aussi charmante mais écrasée de soleil et de foule. Nous suivons une rue commerçante piétonne avant de voir la muraille noire en blocs grossiers. Son appellation date du XIème siècle : la noirceur n’est pas due à la pollution moderne. On lève la tête pour contempler. On passe sous les arcades dans une ambiance d’oubliettes en guettant les odeurs fétides. Non ça va. Là dans son ombre j’aperçois l’Estelle de 17 ans, lasse d’ennui et de chaleur. Mes impressions du jour sont les mêmes. Eh, copine d’il y a longtemps, tu me fais une petite place ?

Sans doute faudrait-il prendre le temps d’entrer dans les musées. Mais au niveau du tourisme familial rapide (avec un chien), c’est décevant. Ce que j’ai goûté ne me donne, à nouveau, pas envie de revenir.

Rentrés au gite, l’orage gronde. Ça me va bien j’adore les orages et à Mainz il n’y en a presque jamais, ils sont détournés par le coude du Rhin et le massif du Taunus. Sous la pluie torrentielle, nous allons commander des pizzas. Les boites en carton chaudes réchauffent les doigts mouillés.

Bernkastel

Le lendemain, quatrième jour, la motivation des troupes pour des excursions étant au plus bas, mon mari et moi partons seuls. Sans enfants, sans chien !!!  Direction un double village plus bas sur la rivière : Bernkastel-Kues. Heureusement que grâce au corona, les parkings à cars sont vides.

Kues, ancienne gare

Le centre du village tout en ruelles étroites, maisons à colombages antiques penchées les unes vers les autres pourrait être charmant. Mais les peintures trop neuves et clinquantes, les magasins de souvenirs trop nombreux agacent. Les façades blanches brillent, les colombages rouges reluisent. Nous apprécions de pouvoir marcher sans laisse au propre comme au figuré. On connaît la musique. Traversée du village, montée aux ruines du château, photos, descente. Il fait gris et frais. Les acacias dans la montée sentent bon et les marguerites sourient de partout.

Bernkastel

Au bout d’une ruelle on se trouve une place pour déjeuner dans un restau touristique mais correct. Steak de porc, crudités (soyons raisonnables, j’ai repéré dans la boulangerie un gâteau au fromage pour le gouter). Peu après, dans une rue plus haut, un macaron Michelin signale un établissement au nom français (La rôtisserie royale). Le menu sur l’ardoise est au même prix raisonnable que ce que nous venons de payer. Ce sera pour la prochaine fois.

A notre retour, l’appartement est vide et les clefs accrochées à l’entrée. Les filles sont parties se balader au bord de la rivière avec Gaïa en oubliant de les prendre. Elles ont dû râler… Tiens, une bosse sur un lit. Je soulève la couette : quelques sacs installés en longueur comme une personne endormie… Ah, ah. Personne sous les lits. Surprise : elles sortent toutes les deux de l’armoire, la chienne muette dans les bras.

Comme elles n’ont pas bougé de la journée elles réclament une sortie. Identification à la dernière minute d’un restau avec des places de libres. Il pleut ce sera donc dedans sous condition de réaliser un test Corona fourni par l’établissement. Soit. On procède aux gestes demandés (voir article : Je rêve d’avoir mal à l’épaule gauche). Wiener Schnitzel et truite meunière. (Ça se dit pareil en allemand : les meunières attrapaient-elles les truites dans le ruisseau de leur moulin ?). Dernière soirée, bon d’accord, on regarde un puis deux épisodes de Miranda calés sous la couette tous les quatre, Gaïa dans le bras de la grande. Le chef chez nous a dix ans.

Au moment du départ (gite bien rangé, oui, oui), nous échangeons à nouveau avec la propriétaire. Elle me parle de ses quatre niveaux de TVA et de la nécessité d’être digitalisé. Je lui pose quelques questions. Ça veut dire quoi Strausswirtschaft ? Ce sont les ‘‘troquets-bouquet’’, des vignerons qui ont le droit trois mois par an de vendre des bricoles à manger : fromage, charcuterie, pain. Ils étaient signalés avant par un bouquet (Strauss) devant la porte. En Bade-Wurtemberg ça se dit Besenwirtschaft, où c’était repéré par un balai.

Sur le chemin du retour nous avons encore deux étapes.

Bremm, au fond les vignobles à 65° de pente

Direction Bremm, dans une autre boucle de la Moselle, bourg endormi au pied de vignobles à 65° les plus pentus d’Europe. Le ciel est blanc. Les rochers et les toits sombres. Ma fille dit : « on dirait un village dans un livre d’histoires, là où vivent les enfants malheureux ». Au bout du chemin après l’église, la vue est superbe. Je m’en contente. Au-delà part un escalier pour une via ferrata à travers les vignes de Bremmer Calmont. Un panneau précise que c’est interdit aux personnes sujettes au vertige. Déjà au milieu de l’escalier la tête me tourne… 

Wiener Schnitzel et truite meunière en terrasse, au son d’une petite fontaine.

Cochem

Dernière étape Cochem, gros bourg touristique. Plus gros bourg que Bernkastel-Kues, avec collège et lycée et même une librairie au milieu des boutiques de vin et de souvenirs. Château de conte de fées en pierres noires sur un sommet de colline reconstruit au XIXème, maisons colorées en bord de rivière, rues étroites et maisons antiques à colombages. Devinez ? Glace, oui glace (fraise-rhubarbe). Montée au château. Photos, difficiles à prendre sur fond de ciel blanc.

Cochem, Marktplatz

Nostalgie de fin de vacances et de dimanche soir cumulées. Soudain on se souvient des devoirs à faire pour le lendemain, faudrait pas trainer. « T’inquiète maman c’est juste des révisions». Retour sous un ciel toujours blanc. Il fait presque froid.

La route est aussi belle qu’à l’aller. Dans les jardins, les rhododendrons sont en fleur, magnifiques. La terre doit être acide (terre de bruyère se dit Rhododendronerde, terre de rhododendron). Dans les bas-côtés le bleu des ancolies et lupins sauvages attire l’œil. Après quelques lacets très serrés pour quitter la vallée, nous retrouvons des champs, puis l’autoroute et des forêts d’éoliennes immobiles.

On écoute un CD de Cabin pressure qu’on connait par cœur mais qui nous fait toujours autant rire. Gaïa s’est habituée à la voiture. C’est de bon augure pour nos dizaines d’heures de route de cet été, quand nous pourrons enfin franchir des frontières.

Vous aussi maintenant vous avez envie d’une petite glace non ?

Je rêve d’avoir mal à l’épaule gauche

Délai d’accès à la vaccination & fanatisme autour des tests rapides. C’est plus violent qu’on ne le pense.

Cathédrale de Trier

Voici un article commencé comme un billet d’humeur bref. Au fil des mots j’ai découvert que j’avais plus de choses sur le cœur que je ne le pensais.

Comme on dit en Provence, je suis colère contre la pandémie. Vous l’aurez compris. Je dirige mon ire contre ses parties émergées : la vaccination-mirage et la test-mania de mes concitoyens.

Je viens de lire un article de femmexpat.com sur la vaccination en France des Français résidents à l’étranger. Je me pose la question depuis qu’en France c’est open bar de l’injection (sous réserve de trouver un créneau). Seule la quarantaine au retour à Mainz a empêché mon évasion sanitaire.

Sur le site de Rheinland-Pfalz, je guette tous les jours l’ouverture des priorités. Des amies encourageantes m’avaient dit : « Sois patiente, ce sera pour juin ». Début juin, que nenni. Ça n’a pas changé depuis le 23/04. Les règles sont les mêmes : hors professions sensibles, priorité à tout le monde sauf aux non-salariés. Le message reçu n’est pas très valorisant. Si vous n’avez pas d’employeur vous n’êtes rien. Ne peut-on exister que par rapport à autrui ?

On n’est pas à un jour près non. Mais les choses se précisent : l’Espagne ouvre ses frontières aux touristes vaccinés. La ségrégation à l’immunisation ne fait que commencer. Peut-être qu’en août un tampon bien placé conditionnera l’exemption de quarantaine au retour de France ?

Bremm

En arrivant pour nos vacances dans la vallée de la Moselle nous avons eu la surprise de voir levée l’obligation de présenter un test négatif pour s’attabler en terrasse. Ça nous a permis de redécouvrir le bonheur de se faire servir dans un joli cadre. Le masque n’est plus obligatoire dans les rues. Juste entre le trottoir et sa table de restau. Beaucoup de naturistes du museau se promènent dans les quartiers très touristiques. Nous avons fait le choix de garder le masque, mais on refuse de se faire tester à tout bout de champ sans raison. Etre à l’intersection de trois pays permet de comparer les politiques et leur pertinence. Ou alors c’est juste mon côté indiscipliné : plus on me demande de faire un truc moins j’en ai envie.

L’enthousiasme ici pour le dépistage rapide est incroyable : les centres de tests drainent un monde fou. Ils ont germé à tous les coins de rue. Des mobiles dans des camions sont garés à côté des cabanes des producteurs de fraises. C’est trendy. « Tu le fais où ton test toi aujourd’hui ? » Nous avons rencontré hier une dame complètement vaccinée qui se fait tester tous les deux jours pour protéger les personnes âgées de son entourage. Honorable mais un peu excessif non ?

Trier : cathédrale et église Notre Dame
(et préfabriqué pour tests rapides)

Là, je me défoule une bonne fois pour toute, mais au quotidien c’est un sujet que je cherche à éviter. Surtout avec ceux qui bloquent sur la question comme des disques rayés.

Dans le petit village où nous avons logé en Moselle (Trittenheim, 1000 habitants), le jeudi férié de Fronleichnam (Fête-Dieu) il était impossible d’acheter du pain ou d’entrer à l’office du tourisme (curieux ces régions touristiques qui ferment pour les vacances). La queue devant la mairie pour le dépistage comptait des dizaines de personnes.

Bernkastel depuis le château

Nous avons fait une excursion à Bernkastel-Kues, un petit village couru du type Disneyland sur Moselle. Maisons à colombages pimpantes, ruelles du moyen-âge, grande roue et magasins de vin et de souvenirs (acheter des souvenirs ? quel drôle de concept quand on y pense. Un peu comme si on pouvait se donner des souvenirs les uns aux autres. Tiens si je te passe mon enfance, tu veux bien me filer ton adolescence ?). Sur le quai sous les platanes se trouvaient deux centres de tests, avec à chacun, bien espacés, une vingtaine de personnes. Pour manger dans les restaus ? Aucune idée. J’ai eu très envie d’aller interroger les gens qui attendaient. Pourquoi êtes-vous là ? Et pourquoi ne mettez-vous pas de masque dans la foule ?

Entre prévention et délire la ligne a-t-elle été piétinée ?

Schiste

Un soir, nous avons mangé en terrasse sur les bords de Moselle, le jour de la réouverture post-confinement d’un restaurant charmant. Nourriture délicieuse. Lumière douce, chants d’oiseaux et vue sur les vignobles avec au sommet une petite chapelle blanche visitée dans l’après-midi. Au pied du formulaire à remplir avec nos coordonnées, trois cases à cocher : test négatif / vacciné / immunisé.

Rentrer dans les cases encore ?

Moi qui me suis battue toute ma vie pour entrer dans des cases qui ne voulaient pas de moi… Cela me rend furieuse ce nouveau rejet social passif. Surtout quand on sait pourquoi je ne suis plus salariée aujourd’hui. Pour cause de burn out suite à maltraitance professionnelle.

Pour diner au restaurant pour la troisième fois en trois jours (yeah !), nous avons appelé à la dernière minute : la terrasse était complète. Il restait une table à l’intérieur et le restau a proposé de réaliser un test sur place. Ah ? La restauration est-elle intégrée au dispositif sanitaire ? Nos filles ont insisté. Je l’ai fait à contre cœur.

Je ne suis pas suffisamment motivée pour me rajouter encore des contraintes. J’en ai déjà pas mal à table. Manger avec ma fille ainée est depuis quelques mois infernal. Elle fait attention à son alimentation et nous abreuve de données. J’aimerais juste pouvoir profiter du moment et parler de sujets libres. Bref, diner et déjeuner en paix (pardon, j’ai pas pu m’empêcher).  Elle a tapé à la porte de la cuisine du gîte où je m’étais installée pour écrire. « Maman est-ce qu’on pourra emmener le chien ce soir ? » Ben voyons. Pour sursauter dès qu’elle gémit, être en hypervigilance pour qu’elle ne fasse pas tomber le serveur, et prévenir l’aboiement avec une friandise quand une moto passe ? Encore une contrainte ?

La salade de tomates seule dans la cuisine me semble de plus en plus appétissante. Je ferai la cuisine, le service et la vaisselle. Mais personne ne m’obligera à faire ce dont je n’ai pas envie. Ni me rappellera que je ne suis pas comme les autres.

Bon appétit

Finalement nous sommes allés en famille au restau. La serveuse nous a vendu quatre tests (5 euros pièce, comme dans les supermarchés – dans un centre, ça aurait été gratuit, mais on s’est décidé à la dernière minute après leur fermeture). Elle nous a installé à table puis finalement nous a demandé d’aller les faire ailleurs (bien volontiers hors de question de s’exhiber dans une posture aussi peu avantageuse, surtout que de procéder à un test in situ alors que tous les autres ont anticipé nous place dans une position sociale vulnérable). Dans le sous-sol, au fond du couloir des toilettes une petite table ronde nous a permis de déballer le matériel. Mon mari et moi n’avions jamais fait de test. Nos filles si, tous les deux jours pendant les quelques jours d’école puis en colonie. Je n’ai pas eu besoin de sortir mes lunettes pour déchiffrer le mode d’emploi : elles nous ont expliqué. Chacun y va de son curetage de nez. Au moins on le fait soi-même sans se perforer le cerveau.

Pendant les x tours à réaliser dans chaque narine, les filles comparent les différents dispositifs (en crachant, avec un coton tige plus ou moins épais…). La petite serveuse blonde habillée et masquée de noir est venue contrôler notre résultat. Elle a collecté nos déchets dans un sac plastique et nous a autorisés à monter à table. Quelques minutes plus tard, elle nous a remis quatre certificats imprimés, valables 24h.

Il m’a fallu un moment pour me détendre. Comment apprécier la sortie au restau quand on passe les premières vingt minutes à ne pas savoir où se poser et à se faire contrôler ? Je ne savais plus où j’en étais. Garder le masque pour manger ? J’ai dû trop me détendre, suis allée visage découvert au bar à salades. Me suis fait gronder.

Aux infos régionales dimanche sur le site de SWR j’ai appris avec soulagement qu’en Rheinland-Pfalz la vaccination était ouverte à tous les adultes à compter de lundi 7 juin. E N F I N ! Levée aux aurores, j’ai tâché de battre les Allemands à leur propre jeu : être la première à réserver (on peut toujours rêver, d’autant que les listes d’attente pour les groupes précédents ne sont pas éclusées).

Le site officiel noie le lecteur de détails. Ce que je prends pour un lien vers une page d’inscription télécharge en PDF le schéma du processus. Je ne trouve pas de lien. Je dois passer par Google pour accéder à la page souhaitée.

Ai-je déjà mentionné la passion germaine pour la paperasse bavarde ? Les informations administratives allemandes sont un labyrinthe (oui pire qu’en France, c’est dire). Une preuve : les sites officiels proposent (de façon fort intelligente d’ailleurs, étant donnée la proportion d’immigrés dans le pays) une version en langue simplifiée. Tout le monde n’aurait-il pas à gagner à se contenter de celle-là ?

J’inscris donc mes coordonnées avec un vrai bonheur (où se niche-t-il ces jours-ci) et réponds au long questionnaire médical (Avez-vous de la fièvre ? Euh, aujourd’hui non, mais si je suis convoquée dans un mois comment savoir ?). Inscription. Youp la boum ! Je recevrai d’abord un mail puis une confirmation par la poste. Par la poste ?

Rien n’est gagné. Quelqu’un de notre entourage a attendu 6 semaines entre son inscription et le mail de proposition d’un rendez-vous. Et il était dans le groupe prioritaire. Mon mari s’est inscrit depuis plusieurs semaines et n’a reçu aucune convocation. Dans 6 semaines commencent les vacances d’été : nous partons en France. Le casse-tête est loin d’être terminé.

Me voilà sur une liste d’attente quelque part dans la nébuleuse informatique. J’ai un numéro de matricule. Avec un bon mois de décalage sur la France, et deux sur l’Angleterre et mon impatience, je suis rentrée dans le canal commun.

L’attente sera moins violente.

Au commencement était Mainz

Une visite privée du Musée Gutenberg à la réouverture post-confinement, ça vous dit ?

Une page de la Bible à 42 lignes de Gutenberg

Enfin, je me résous à aborder le personnage. Voilà près de trois ans que nous habitons à Mainz, un an et demi que j’écris ici et je n’ai pas encore osé parler de Gutenberg. C’est comme déménager à Paris et éluder le sujet de la tour Eiffel. Très connu, incontournable, vaguement intimidant quand on s’en approche. Surtout que là c’est un symbole humain.

Sur la place du théâtre

Gutenberg c’est l’enfant chéri de la ville. Mainz l’a vu naître en 1400 et mourir en 1468. Près de la cathédrale de grès rouge, une statue le représente en face du théâtre. Sur la Liebfrauenplatz, se trouve, dans un bâtiment de béton et de verre, le musée qui lui est dédié.

Lors de notre deuxième visite de la ville en mai 2018, je m’y étais rendue avec mes filles. Mon mari travaillait ce vendredi de l’Ascension. Nous étions montés pour présenter la ville de Mainz à nos enfants. On avait longé le collège et l’école primaire (bâtiments fermés mais cours ouvertes : pas de plan Vigipirate en Allemagne) et visité les deux maisons en location dans le quartier visé.

Pendant que leur papa était dans son futur bureau, toutes les trois avions arpenté la vieille ville. Après une visite de l’église Sankt-Stephan (Saint-Etienne) et ses vitraux de Chagall, nous avions grignoté sur le grand marché au pied de la cathédrale. Nous ne le savions pas encore, mais le brunch sur le marché estival est une tradition mayençaise. Pas de vin ni de Fleichwurst pour nous. Un petit sandwich, Brötchen, au poisson frit et une barquette de fraises locales. J’ai été surprise par la profusion d’asperges et leur prix minimum, elles aussi une spécialité du coin. Nous avions fait une petite marche vers le Rhin pour digérer le poisson qui avait du mal à passer.

Cathédrale de Mainz

Ensuite nous avions poussé la porte du musée Gutenberg. Le Routard sur l’Allemagne le signale dans ses coups de cœur juste derrière la cathédrale de Cologne. Un guide aux cheveux longs et blancs noués en queue de cheval nous a entendu parler et nous a proposé en français d’assister à la démonstration d’une presse à imprimer qu’il s’apprêtait à faire. Les guides sont polyglottes mais à cette heure la présentation était en allemand. Mes filles n’en parlaient pas un mot. Nous sommes descendues à l’étage inférieur où étaient disposés des tabourets pliables noirs devant quelques gradins tout aussi noirs. Face à eux, une grosse presse en bois sombre, avec tout le matériel d’imprimerie comme au temps de Gutenberg.

La presse

Le guide s’adresse aux visiteurs avec un regard fatigué mais avenant derrière ses lunettes métalliques. Il explique que l’installation est une reproduction, que Gutenberg s’était inspiré des presses à vin pour la concevoir. Pas étonnant : Mainz et Strasbourg où il a aussi vécu, sont des capitales de régions viticoles. Mainz est d’ailleurs jumelée avec Dijon. Il a fait couler dans le moule en cuivre inventé par Gutenberg un alliage de plomb, étain et antimoine chauffé à 300°C. quelques secondes plus tard il l’a ouvert pour en extraire un bâtonnet de métal avec au sommet la lettre G en miroir. Il nous montre le papier fabriqué à partir de chiffons. Le meilleur pour les Bibles était importé d’Italie.

Le monsieur a ensuite composé avec des blocs de caractères assemblés une page de la bible à 42 lignes. C’est la page du début de l’évangile selon Saint-Jean en latin : In principio erat verbum (au commencement était le verbe). Avec un tampon encreur en cuir rempli de crin de cheval et à poignée en bois, il a encré séparément le texte en noir, les enluminures en rouge et en bleu. Il parait que cet objet est encore l’emblème de l’imprimerie. Il a précisé que Gutenberg, pour limiter les coûts, n’imprimait qu’en noir. Les autres couleurs étaient ajoutées à la main selon la commande du client qui choisissait aussi le type de reliure pour sa liasse de pages imprimées.

Le guide a ensuite placé le papier sur le couvercle qu’il a basculé sur les blocs de texte encrés, puis fait coulisser le tout sous la presse. Pour serrer la vis il a demandé de l’aide dans l’assistance. Il a choisi ma plus jeune fille alors âgée de sept ans. Sans comprendre un mot, elle a suivi ses instructions à la lettre, c’est le cas de le dire. Le mode d’emploi de la presse tombe sous le sens. Dévisser, retirer le chariot, et guetter le bruit de baiser du couvercle que l’on ouvre : l’impression a bien marché. Le papier est humide. Il l’a roulé sur lui-même en précisant que l’encre ne serait pas sèche avant 24 heures. Et l’a tendue à ma fille toute fière.

Nous avions ensuite visité le reste du musée avec des touristes du monde entier.

La salle du Trésor est un coffre-fort à la porte épaisse et aux vitrines blindées. Elle présente dans la pénombre quatre bibles au centre et d’autres incunables dans les vitrines latérales. C’est émouvant cette plongée dans le passé lointain. Un jour ce papier a été blanc, le texte n’était pas encore composé. Les deux bibles de Gutenberg ouvertes à la même page présentent des enluminures très différentes, dessinées à la demande de leur propriétaire. De la taille de très épais albums photos, elles ressemblent aux textes manuscrits des moines copistes : deux colonnes de quarante-deux lignes chacune, caractères gothiques de type textura, enluminures colorées. C’est la Bible B42, composée à partir de la Vulgate de Saint-Jérôme en latin. Gutenberg a choisi un best-seller de l’époque pour rentrer dans les frais considérables d’un atelier d’imprimerie.

Je suis retournée au musée avec mon père un an après la première visite, un matin de semaine de mars mouillé. Le même guide avait fait la démonstration en français. Il m’avait appelée pour l’aider à serrer la vis. J’étais repartie avec ma page de la bible.

Ce jeudi 27 mai avec mon fils et une jeune inconnue nous sommes les premiers visiteurs au musée depuis longtemps. La Notbremsegestez (loi fédérale pour encadrer la pandémie) vient de tomber en vertu de bons chiffres d’incidence corona. Ce matin-là magasins, musées et restaus rouvrent. Les restaurants exigent la présentation d’un test de covid négatif pour s’attabler. Par chance au musée il suffit de donner ses coordonnées.

Nous voilà donc tous les trois devant un autre guide. Un monsieur aux lunettes métalliques et aux cheveux blancs mais courts. Il n’a pas demandé d’assistance ; il n’en a pas le droit en ce moment. Mais il imprime deux fois la page de la bible, une pour la jeune femme et une pour mon fils et moi. Il accepte de projeter la version française de la présentation de Gutenberg (mon fils ne parle pas allemand et l’autre visiteuse l’a déjà vu).

Dans une salle de cinéma en amphithéâtre, le film de 15 minutes présente la vie de Johannes Gensefleich de Gutenberg, avec une animation dans les rues de Mainz nocturne et un comédien déguisé comme la statue de pierre érigée devant le Staatstheater. La voix off relate que le futur pape Pie II a appelé Gutenberg « Vir Mirabilis » (homme merveilleux). Quand il a vu une page imprimée il a écrit : « on peut les lire sans lunettes ! »

Eglise Saint-Christophe

Il ne reste pas grand-chose de l’entrepreneur dans la ville. Une plaque sur une maison indique que là autrefois se trouvait la maison natale de Gutenberg. Juste derrière, l’église Saint-Christophe, détruite par les bombardements alliés pendant la deuxième guerre mondiale et non retapée pour en faire un mémorial, abrite dans une chapelle restaurée les fonts baptismaux de Gutenberg. J’ai eu la chance de les voir un jour. La Volkshochschule où j’allais à mon atelier de terre est située sur la même place. Je m’étais aventurée dans l’église sans toit. C’est beau une nef avec accès direct au ciel. Une vague gardienne de ce lieu ouvert m’avait proposé de m’y emmener. Elle m’avait ouvert des portes fermées à clef.

Dans le cœur des ruelles à proximité de la cathédrale sur une tour en pierres blanches et rouges facile à ignorer une plaque mentionne que là se tenait l’atelier de Gutenberg. Elle est enchâssée dans des immeubles de béton minables. Quel scandale. Les architectes ont vraiment une profession ingrate pour le public : leurs erreurs lui sont imposées pour des décennies.

La nouvelle appli du musée :
Gutenberg to go

C’est à peu près tout. Oui mais c’est vivant. Le journal gratuit de Mainz fait sa une d’aujourd’hui sur une nouvelle application Gutenberg to go pour partir sur ses traces dans la ville. Le musée a mis a profit le confinement pour développer cet outil du XXIème siècle. Sur un écran mais avec des caractères et des pages comme à la toute fin du Moyen âge.

Les premiers textes imprimés étaient des indulgences, histoire de faire entrer un peu d’argent et permettre à Gutenberg de s’attaquer à la Bible romaine en latin. Comme dans les manuscrits, il n’y a pas de paragraphe ni de chapitre. Les changements de rubriques sont indiqués par les enluminures. Le plus gros défi à la main reste encore difficile au début de l’imprimerie : la justification à droite. Il a fallu deux ans pour fabriquer les caractères pour une bible mais une fois équipés Gutenberg et ses artisans purent imprimer 180 bibles entre 1452 et 1455 pendant le temps qu’il aurait fallu pour en copier une seule.

Il en reste 49 dans le monde. Plusieurs aux Etats-Unis, une à Tokyo, quelques unes à Paris. Celles de Mainz, étaient jusqu’à la fin des années 1970 la propriété d’une famille noble anglaise. A cours de liquidités, ils les ont vendues chez Christie’s à New-York. Informée par un mayençais expatrié, la ville de Mainz les a alors acquises pour 3.6 M DM. Un jour de fin mai 1978, presque 43 ans jour pour jour avant notre visite, la Reine Elisabeth les a symboliquement remises au conservateur du Musée Gutenberg. Il l’a accueillie au musée avec la phrase anglo-germaine « And now we go down in die Druckwerkstatt » (et maintenant on descend à l’atelier d’imprimerie). Le Prince Pilipp s’est vu confier le serrage de la vis de la presse. Celle que ma fille et moi avions aussi serrée, comme des milliers de mains.

Au XVème siècle, l’imprimerie existe en Chine depuis longtemps, mais avec une encre à l’eau comme celle des moines et des blocs de bois gravés. Gutenberg invente les caractères mobiles (qui permettent de corriger une erreur) et l’utilisation de la presse à bras. Son talent est de rassembler des techniques qui existent séparément dans différents corps de métiers pour produire un livre.

L’entrepreneur Gutenberg a su convaincre pour lever les fonds de son investissement. Il regroupe dans un atelier un menuisier, un graveur, un orfèvre, un compositeur de page qui parlait latin mais n’avait pas peur de se salir les mains (ce qui n’était sans doute pas l’idée que les érudits du XVème siècle se faisait de leur avenir), quelqu’un qui savait utiliser l’encre collante et raide comme un vernis et empruntée aux peintres, quelqu’un pour installer le papier et les blocs de métal dans la presse, un relecteur final.

L’invention pouvait-elle avoir lieu ailleurs qu’à Mainz ? Au cœur d’une région viticole (presse), à proximité de régions métallurgiques (Sarre, Moselle), de gisements de pierres précieuses (Idar-Oberstein, orfèvrerie), de Francfort et ses deux foires annuelles (approvisionnement en papier italien), la production est assurée localement. La ville au confluent du Rhin et du Main, au cœur d’un réseau de villes-états commerçantes (Francfort, Strasbourg, Cologne, et au-delà les Pays-Bas) a une position stratégique pour les échanges. (Cet emplacement lui a valu d’être systématiquement bombardée pendant la deuxième guerre mondiale. Peu de bâtiments datent d’avant les années 50.)

La technique s’est très vite diffusée dans l’Europe entière.

Mainz à l’époque de Gutenberg est une ville-état commerçante très importante, avec ses propres lois et sa propre monnaie. Son archevêque est le deuxième homme le plus puissant du Saint-Empire Romain Germanique : le principal des sept princes-électeurs de l’empereur. Avec l’invention de l’imprimerie et du livre tel qu’on le connait aujourd’hui la ville exporte le premier média de masse. Mainz à la deuxième moitié du XVème siècle c’est le Palo Alto de la fin du XXème.

Quelques dizaines d’années plus tard les pays européens sont équipés. Le roi de France a payé cher pour envoyer un artisan se former à Mainz. En 1500, près de vingt millions de livres ont été imprimés en Europe, livres de prières, bulles papales, grammaires latines.

Le savoir imprimé se diffuse au-delà des cercles privilégiés et du Saint-Empire Romain. Dans la structure politique éclatée de ce qui deviendra l’Allemagne aucun pouvoir ne peut empêcher la propagation des idées et des techniques au-delà de sa juridiction. Le chemin de la Réforme soixante ans plus tard est pavé.

Mon fils et moi avons fait le tour de l’exposition. Deux personnes sont autorisées dans la salle du Trésor : nous sommes seuls, la jeune femme attend son tour. Une gardienne nous guette pour vérifier qu’on ne fait pas de bêtise du genre piquer un incunable ou prendre une photo (j’avais été reprise la première fois). Présentation de presses de différentes époques, des techniques de dessin, d’encres naturelles (cochenille, lapiz lazuli, gale du chêne, …) des échantillons de papier (à partir de différents cuirs). L’histoire du livre. Des livres miniatures comme ceux de la maison de poupée de la reine d’Angleterre qui m’avait tant impressionnée à Windsor quand j’avais 9 ans. Au fur à mesure où on monte dans les étages les traductions en anglais sont oubliées. Tant pis, les images suffisent à mon fils me dit-il. Nous apprenons que tous les portraits de Gutenberg sont posthumes. Personne ne sait à quoi il ressemblait. Sur presque aucun, il sourit. L’homme figuré sur les tableaux et les sculptures est l’allégorie du savoir qu’il représente. Dans un livre j’apprendrai que beaucoup des informations que l’on possède sur lui aujourd’hui sont les traces de ses déboires avec la loi.

Au dernier étage est une exposition sur la transmission de l’information avec les postiers, le chemin de fer, les télégraphes, téléphones et les premiers journaux. Elle présente aussi le rôle des médias dans la politique. Une photo en noir et blanc de Sophie Scholl, très reconnaissable avec sa raie de côté, m’attire dans une alcôve. La gardienne désœuvrée m’indique que je peux m’approcher. Dans la vitrine était exposé un tract de la Rose Blanche, son organisation clandestine de résistance montée avec son frère et un ami. La proximité de ce texte me touche, je viens de regarder sur Arte un très bon documentaire sur sa vie.

Nous suivons les scotches jaunes pour le parcours prévu et redescendons. Toujours personne dans le musée. Le vestiaire en accès libre est vide. Les guides sont tous à notre disposition pour nous dire aurevoir et nous souhaiter une bonne journée. Tchüss, schönen Tag noch !

Nous allons acheter du fil à broder au magasin voisin. Je m’attendais à la cohue après toutes ces semaines de privation. Mais non. L’affluence est raisonnable. Tout le monde porte son masque. Ça commence à tirer sur les oreilles. Les terrasses feraient envie s’il faisait beau. Mais même avec un grand soleil, je n’ai pas avoir envie de me faire curer le nez pour m’installer dans un café. Ça attendra. Cette sortie m’a donné mal à la tête, je n’ai plus l’habitude de la ville. Rentrons au chaud prendre un bon livre.

Vous le reconnaissez ?

Sources : Musée Gutenberg, Mainz – Germany, Memories of a nation de Neil MacGregor

Conquérir le monde

Révisions de géométrie, préparatifs de colo, et jardinage bruyant. (Et non, toujours pas de vaccin à l’horizon.)

Je suis trop heureuse maman, je vais faire ma valise !

La nouvelle vient de tomber : la colonie de cheval de mes filles pour les vacances de Pentecôte aura lieu. L’école est en demi-groupes, avec distanciation sociale maximum. La cohabitation de plusieurs minettes non lavées dans un dortoir est autorisée. Tant mieux. Côté parents, nous n’avons pas le droit de rejoindre le gite sur la mer du Nord réservé pour Pâques et déjà décalé. C’est un autre Land où le touriste extra-Land est interdit. La colo est en Rheinland-Pfalz comme Mainz. Ouf !

-Tu te rends compte on va partir. Ça fait si longtemps qu’on n’est pas partis ! Depuis octobre !

-Oui je me rends bien compte.

Assises toutes les deux à mon bureau, je lui explique les exercices de géométrie. Le devoir surveillé du semestre est programmé à la rentrée. Un seul au lieu de deux et des interros rapides. Faudrait pas le rater. C’est la championne de l’expédition rapide des devoirs pour pouvoir passer à autre chose. (Oui on peut aussi dire bâcler). Avec l’école à la maison, sans examen, on peut pas dire qu’elle ait beaucoup appris de leçons. Je ne l’ai pas harcelée avec. Je tâche de me protéger. Faut tenir sur la distance.

-Regarde. Un losange ça a quatre côtés égaux. En France on aurait mis un petit trait sur chacun des côté pour le visualiser. Si ça peut t’aider à te souvenir.

Ici ça n’existe pas, les petits traits.

-Et le carré, a les angles droits, y compris les diagonales. En France on aurait marqué les angles avec un trait carré.

(De rien, vous avez toujours rêvé de rappels de géométrie, je m’en doutais).

Ici non. A l’école primaire, c’était un arrondi avec un point dessous. Au collège y’a plus le point. Par contre tous les angles sont marqués par un trait arrondi avec une flèche au bout. Une flèche ? oui une flèche. Dans le sens inverse des aiguilles d’une montre svp. Je n’en vois pas l’intérêt. S’il y a des matheux parmi vous je veux bien une explication. Qui a dit que les maths étaient une discipline universelle ?

Elle gigote sur son tabouret. Se lève et danse dans tous les sens en fredonnant. Se rassoit.

-On va quand chez DM ? Pour la colo il me faut des Schnelltests (tests individuels pour le corona), du désinfectant, du shampooing en petite bouteille, tu sais dans le rayon avion.

-Oui je sais. En même temps en octobre vous vous êtes lavées une seule fois en une semaine. Oh oh je te parle. Le carré ? Répète.

-On va quand chez DM ?

-Qu’est-ce que je t’ai demandé ?

– De répéter. On va quand chez DM ?

Ça me semble super dur le programme de géométrie pour la 5. Klasse (CM2). Petit coup d’œil sur internet. Ah, ça a l’air d’être au programme en France aussi. J’ai dû tout oublier. Je lui explique en allemand parce que les mots français ne lui disent rien et ne lui serviront pas pour les interros.  Moi au passage j’apprends le vocabulaire. Ça me permet de réviser aussi le français. Voilà trente ans que je n’ai rien vu d’isocèle.

Sa trousse de toilette est prête. Elle déborde. Je parie qu’elle n’en sortira que la brosse à dents. Lever aux aurores pour pelleter le crottin, sortir les chevaux au pré, monter toute la journée, ranger le matériel et les animaux, s’amuser avec les chiens, sauter dans le foin de la grange, saluer les moutons et les lapins. Non, pas le temps de se laver.

Sceau de Salomon

C’est rigolo l’hygiène. Ici, j’en avais déjà parlé dans l’article sur les odeurs, les Allemands croisés dans la rue ne sentent pas le sale. A de très rares exceptions près, ils ont le cheveu propre. Lors de la visite médicale obligatoire pour les jeunes ados, (J1) j’ai abordé le sujet avec le pédiatre. Depuis que ma grande fille fréquente l’adolescence, elle a oublié les concepts inculqués depuis sa naissance : douche tous les jours. Sur un site anglais, j’ai lu :’’L’ado peut négliger son hygiène. Ça vous énervera à double titre : il squatte des heures la salle de bains et n’en sort pas plus propre’’.

Le pédiatre m’a répondu :

-C’est une question personnelle. Certains se lavent une fois par semaine. D’autres deux….

-Ah ?

Sans la regarder, je m’essaie à la télépathie avec ma fille : “Surtout n’écoute pas, on va rester sur notre règle familiale.”

Le rendez-vous J1 présente l’avantage de consulter le jeune par écrit. Deux questionnaires sont donnés en amont de la rencontre. Un au parent, un à l’ado. Dans la salle d’attente, la mienne était réfractaire à se dévoiler, même avec des croix dans des cases. Puis elle a cédé. Je me suis forcée aussi à aller au bout de mes inquiétudes par écrit. Ça nous a permis d’aborder les vrais sujets avec le pédiatre.

J’ai toujours l’impression que les médecins allemands sont pressés. Puisqu’ils ne font pas les tâches de routine comme peser, mesurer, prendre la tension, on les voit peu. Là, personne n’a vérifié sa vue ni son ouïe. Mais nous avons pu poser nos questions. A la sortie, toutes les deux nous nous sommes assises sur un banc dans le parc pour prolonger la conversation. Elle avait besoin de se remettre. Moi aussi de la voir émue. Je me suis revue en elle. En grandissant, les consultations médicales deviennent difficiles. S’approcher de soi n’est pas aisé.

Côté vaccin ça piétine dans la boue collante. En France mon fils de vingt ans est vacciné, un filleul de 21 ans aussi. Mes copines commencent à l’être. Ici le site officiel de notre Land est toujours très fier de nous rappeler (au 21 mai), les nouveautés du 23 avril. Tout le monde est prioritaire sauf les gens non-salariés de moins de 60 ans. Suivez mon regard. J’ai envie de faire l’aller-retour à Strasbourg pour de la contrebande d’épaule nue. Ça se rapproche un peu cependant. Mon mari a renvoyé un formulaire. L’objectif est d’avoir piqué tout le monde pour l’automne.

Si loin la liberté ? La campagne régionale pour motiver les gens à se faire vacciner va bon train. Na klar lasse ich mich impfen ! (bien sûr que je me fais vacciner) disent sur des affiches un médecin par-ci, une infirmière par-là, un sportif de Mainz. Certes, mais si on trépigne pour se faire vacciner que fait-on ? Une amie m’a aiguillée sur un site web Sofort-impfen.de pour trouver les créneaux disponibles dans sa ville. Bien sûr je me suis inscrite en liste d’attente. C’est une startup. Une initiative de jeunes dégourdis. Le système officiel ne le prévoit pas. Ou alors je ne l’ai pas trouvé. Le centre de vaccination dans un gymnase du quartier me nargue tous les jours. Si vous voyez quelqu’une faire un caprice devant, c’est moi.

Pour partir pour les vacances même sans s’évader, on a réservé pour quelques jours un appartement en Moselle allemande. C’est ce qu’on a trouvé de plus dépaysant dans notre Land. Autant dire qu’on ne va pas être seuls. Ce sera le week-end de Fronleichnam (Fête-Dieu ou Corpus Cristi), un jeudi férié comme l’Ascension. Ici on n’a pas le 8 mai ni le 11 novembre, mais on gagne le 3 octobre et ce fameux jour de mai. Promis je vous raconterai. La pente des vignobles permettra de réviser les angles. J’ai lu que le plus pentu d’Europe sinon du monde est là-bas (65°).

Je suis assise à mon bureau fenêtre fermée. Il fait toujours très frais. Et ça me convient bien. Je supporte de moins en moins la chaleur. J’ai besoin de froid pour rester présente à mon corps et ne pas partir en courant dans l’anticipation anxieuse à la suite de ma cervelle hyperactive. Cela dit j’aimerais pouvoir entendre le vent et la petite famille de cinq mésanges qui vient manger nos boules de graines. Les gros ados se perchent sur le rosier et chantent. Les parents fluets font la navette entre graines et bec grand ouvert de leur progéniture, à 20 cm. Curieux et passionnant.

Je ne peux pas ouvrir la fenêtre car des jardiniers de la ville s’activent en bas avec des outils bruyants.  L’un rase les gravillons avec une débroussailleuse pour couper de rares herbes de 10 centimètres de haut. Mon fils, chez nous pour quelques jours après ses partiels (youpi), me dit : mais il va faire un trou ! L’autre déplace les poussières avec un souffleur à feuilles. Y a-t-il objet plus absurde ? Faire du bruit, polluer et abimer le dos alors qu’un bon vieux râteau permettrait de faire du sport au grand air. Tout bénéf pour la santé publique. Aie un troisième vient de sortir le taille-haie pour étêter les arbustes déjà au carré. Quel dommage pour les roses jaunes. Je vais devoir vous laisser un moment pour aller me mettre la tête sous vingt oreillers.

Après les vacances on nous promet deux semaines d‘école en demi-groupes, puis un retour aux classes entières jusqu’à mi-juillet. Les courriers foisonnants envoyés par la direction du collège (les leurs et ceux du ministère de l’éducation du Land) entrent par tous les canaux pour nous expliquer les conditions. Sur Instagram une photo du club des élèves du collège nous informe en quatre points brefs (date1, date 2, tests, masques). Gardons espoir.

Ma plus jeune a le sourire. Pause de maths et sa valise est presque prête. Avec une copine du quartier elles ont trouvé un talus pour faire de la luge sur carton dans la boue et construire une cabane d’épines. Elle a préparé des gants de jardinage pour elles deux, enfilé un pantalon de rando déjà troué et une parka déjà sale. C’est la championne toutes catégories de l’organisation. Elle vient attraper une banane dans la cuisine. En l’épluchant elle me donne rendez-vous à 16h30 pour faire des maths, puis ajoute :

-Bon, c’est l’heure d’aller conquérir le monde.

A bon entendeur.

Retour d’école. Gaïa est sous la table.
Les priorités sont claires.