Du rêve, de l’écriture, des tests rapides pour le corona à l’école, de la pression de la mère parfaite. Pot (pas trop) pourri (j’espère).

J’ai rêvé de vous.
Je me tenais dans une eau en pente, un bout de rivière sans rives, penché. Au-dessus de moi une branche de pommier. Je la regarde en me demandant : que vais-je pouvoir écrire cette semaine ? Je n’ai rien posté pour mes amis de plume ces derniers jours. Quel sujet aborder quand on tourne en carré entre ses murs ? Je ne vais quand même pas rabâcher que ben ma fois, on frôle l’ennui hein. Même ça on s’en lasse. A le lire. A l’écrire.
Puis un petit oiseau bleu arrive par le haut, une fleur blanche au bec. Un petit oiseau de dessin animé, joyeux. Il la pose sur la branche et s’envole. Quelques secondes plus tard le revoilà, avec une petite pomme rouge. Il la place sur une brindille. Oh, je dis, il a rapporté la pomme qui avait disparue ! Mon moi-en-rêve se frappe le front : « C’est ça qu’il faut que j’écrive ! »
Au réveil j’ai attrapé la scène avant qu’elle ne s’envole et l’ai posée sur le premier papier trouvé (un mini bloc turquoise Clairefontaine à spirale et petits carreaux, je n’avais pas pu résister à son nom, Pupitre) : « Blog – rêve- je ne sais pas quoi écrire – petit oiseau qui rapporte 1 pomme, 1 rose. Ecrire, pr penser, pr penser quoi écrire. »
Je passe plusieurs heures par jour à écrire. Quand je m’assois le texte coule tout seul. C’est loin du bureau que les idées jaillissent. N’importe quand. Tout le temps. Elles germent dans le ferment des écrits de la veille. Les meilleures idées, les plus lisses et claires m’inondent au réveil, dans cette petite fenêtre où la conscience prend contact avec elle-même. Là coulent les idées. Les yeux toujours fermés. Avant d’entendre le moindre son, de sentir la moindre odeur. Avant toute distraction du monde réel. Il faut les attraper d’un coup de filet à papillon pour les épingler avec des mots rapides sur un bout de papier.
Plus tard je les écris. Les mots tissent en phrases l’ombre du papillon avant de le laisser repartir. Je découvre ce que je pense. Quand je sais ce que je pense, je peux écrire. A nouveau, avec d’autres mots ou bien les mêmes. Vous me suivez ? Le brouillon me sert de sujet.

Ce matin j’ai repris ce rêve de mémoire. Il avait bien voulu rester en moi. Et quand j’ai repris mes notes, copiées intégralement ci-dessus, j’ai remarqué la différence : une rose, une fleur blanche. Ma mémoire avait associé la fleur et l’arbre et en avait fait une fleur de pommier. Peut-être parce que ces fleurs-là je les guette dans la nature. Les vergers de pommiers commencent à éclore. Dans leur version nue et grise de l’hiver, ils évoquent les vignobles de Champagne. Tout le monde au garde à vous. Rentabilité maximale. Les arbres sont plantés très près, taillés courts et vers le bas. Ce ne sont plus des espaliers mais des échelles étroites et trapues.
Ecrire sur un oiseau et une fleur, ça me permet de ne pas parler de l’actualité.
Du fanatisme avec lequel les Allemands se jettent sur les tests rapides sur le corona. Le ministère de la Santé fait de la pub. Bien sûr, il est toujours précisé que les erreurs de résultats sont de proportion très élevée. N’empêche. Maintenant on les trouve dans les supermarchés. 5 ou 6 euros pour ne pas se rassurer. Si le même enthousiasme était mis sur les vaccins (13% au 11 avril en Rheinland-Pfalz, la tranche des 60 ans commence à peine)…
J’ai demandé à des amis français pharmaciens si c’était la ruée sur ces tests en France aussi. La réponse a été lapidaire : non, nous on sait que ça ne marche pas. Ici, certains ne parlent que de ça. Tout le temps. De leur dernier test, de celui à venir. Le prélèvement comme activité quasi-quotidienne entre douche et brossage de dents. Avec à la clef, le petit pic d’adrénaline. Netflix n’a qu’à bien se tenir.

Les filles ont repris l’école mercredi dernier, jour de rentrée des vacances de Pâques, en demi-groupe. Il est prévu une semaine sur place avec le prof, l’autre à la maison avec des devoirs (sans video). Les élèves feront deux tests auto-administrés de corona par semaine en classe. On a reçu des mails, des alertes d’appli, des courriers du collège, des formulaires du Land. « Ah super, a dit ma plus jeune, on va quitter les masques en classe ?! C’est malin. » Oui et si ton test est positif, on te posera dans une autre salle jusqu’à ce que tes parents piteux viennent te chercher.
C’est facultatif. Freiwillig. J’ai commencé par m’énerver. Non mais ils nous emm… avec ces tests qui ne servent qu’à brasser l’incertitude. Ces gosses, ils feraient mieux de profiter d’être en classe pour s’amuser avec leurs copains, pardon, apprendre. Pauvres profs ce qu’on leur demande encore… Donc, non mes filles ne feront pas ces tests. Mon mari, plus posé, n’était pas chaud non plus. Puis finalement, pour des raisons différentes on a cédé. Moi à la pression supposée du groupe. Faisons comme tout le monde : c’est fatigant de tenir une position différente. Lui, scientifique, après lectures de données officielles qui précisent que plus la maladie est répandue, plus les tests sont justes (forcément : les coïncidences viennent au secours des statistiques). Bon si ça peut éviter quelques malades.
On a rempli le formulaire (avec ton numéro de téléphone hein, un numéro français, ça va dépasser des cases). Les filles l’ont rendu à leur prof principal. Les tests n’étaient pas encore livrés. Peut-être le deuxième groupe pourra-t-il le faire cette semaine ? Peu de chance pour les nôtres de revoir le collège de sitôt. Avant-hier mon amie de Cologne m’a écrit : lundi l’école à la maison recommence en Nordrhein-Westfalen. Une autre de Baden-Württemberg aussi. Trois petits jours et puis s’en va… Help !
Plus tard dans la journée alors que je farfouillais dans mon téléphone, le titre d’un article du Monde m’a interpelée : l’Académie de médecine alerte sur les tests dans le nez. Les prélèvements ne sont pas sans risques et doivent être administrés par des professionnels. Une prof de ma fille avait fait une blague : si le bout de votre bâtonnet est vert c’est que vous êtes allés trop loin, dans le cerveau. Quand je pense qu’on répète à nos enfants depuis leur naissance de ne rien se mettre dans le nez (ma plus jeune n’a toujours pas compris).

Intéressant d’être à la croisée de trois pays…. On pourrait croire que la médecine, discipline scientifique, de pays voisins, riches, et aux échanges libres (enfin, jusqu’à il y a peu) soit uniforme. Bien sûr la gestion de la pandémie relève aussi (trop ?) de la politique. Il n’empêche… L’interprétation de données d’études médicales semble relever autant de la culture locale que de la science. Vérité en deçà du Rhin, erreur au-delà…
Celle des règles diffère dans tous les domaines. Les photos envoyées par certains membres de ma famille française (suivez mon regard) sur leurs vacances, pardon, confinement, le confirment. “Mais si, je suis bien à 10km, enfin presque, disons, pas trop loin de chez moi. Là. Et là. Et ici. Non mais ça va je suis chez des gens vaccinés.”
Mouais.
Un autre article arrivé via une newsletter dans ma boite aux lettres m’a interpelée : le burn out de la mère expatriée. Ah enfin ! Depuis le temps que je suis abonnée à ce site sur la vie à l’étranger, c’est la première fois que je vois abordées ces difficultés spécifiques (et il a fallu attendre une pandémie qui met à plat tout le monde partout). C’était d’ailleurs la raison d’être de mon blog : partager les étonnements, les micmacs culturels et les difficultés. Casser les clichés. L’expatriation n’est pas que cocktails sur une plage paradisiaque (pas de risque en Allemagne je sais – bon en même temps la vie d’expat en Thaïlande je ne connais pas). La mère que je suis a beaucoup craqué au début entre paperasses administratives interminables en allemand et découverte du système scolaire, accompagnement pédagogique d’enfants qui ne parlent pas un mot de la langue d’enseignement. Je recraque à nouveau régulièrement sous la pression covidesque (et l’apparition simultanée de l’adolescence entre nos murs). Mais à la lecture de cet article je me suis félicitée. Ah y’a un truc auquel j’échappe : la pression de la mère parfaite.
Ce syndrome me touchait à Lyon mais pas ici. Il semblerait que les mamans expatriées le vivent et le fasse vivre à leurs consœurs de façon XXL. Ce sont souvent des mamans très diplômées, qui lorsqu’elles suivent leur mari à l’étranger (oui c’est encore souvent dans ce sens que ça se passe), privées de leur engagement professionnel, s’investissent encore plus sur leurs enfants. Elles se croisent à la faveur d’une école internationale ou d’un lycée français : la comparaison joue à fond, avec des repères nationaux. Prière de multiplier les activités des chérubins avec le sourire et tutti quanti…
Ici de ce côté-là c’est cool pour moi. Je n’ai croisé des mamans expatriées qu’une fois en trois ans, via le travail de mon mari, parce qu’elles avaient eu la gentillesse de m’associer à leur visite guidée de Francfort. Notre famille est plutôt immigrée : plongée tête la première dans la germanitude. Dans notre école de quartier, les parents que je croise (enfin, croisais) sont allemands. Or les Allemands redoutent de mettre trop de pression à leurs enfants.

Combien de fois ai-je entendu : « Oh là là, ça leur fait de grosses journées, jusqu’à 16 heures ! » (sachant que chaque jour, une heure d’étude encadrée par un professeur permet d’avancer les devoirs et qu’une ou deux après-midis par semaine sont consacrées aux AG, clubs d’activités, en France extra-scolaires et payantes, de grande qualité).
Les parents ne sont allés à l’école, eux, que jusqu’à 13 ou 14 heures. Une réforme a introduit les GTS (Ganztagsschulen : école à la journée complète, oui elles ont leur sigle) en raccourcissant la durée de scolarité d’un an (Abitur, bac, à 18 ans plutôt que 19). Notre Land, Rheinland-Pfalz a été le premier à créer des GTS dans son programme pédagogique en 2001. Aujourd’hui encore de nombreux collèges ont gardé la scolarité les matins seulement. On les appelle les G9 (Gymnasium -collège + lycée- en 9 ans, les autres sont les G8 : Gymnasium en 8 ans, comme en France).
Alors 16 heures…. Quand on sait que les repas du soir se prennent entre 17 et 18 heures… 16 heures, c’est le crépuscule. (Je me suis très bien adaptée à cela : je tire ma famille vers des diners de plus en plus tôt pour me libérer de mes obligations familiales et aller me planquer dans ma chambre. J’ai de plus en plus envie de grouper le diner avec le déjeuner).
Côté pression éducative entre parents ça reste soft (pour quelqu’un d’étranger en tous cas). Les petits Allemands ont des activités de musique et de sport, mais d’une part ils sont autonomes très tôt pour leurs déplacements (vélo, tram) et d’autre part ils ont du temps pour le faire.
Quand j’entends « Ah là là 16 heures ! » Je réponds, ben pour nous c’est cool. A Lyon elles allaient à l’école internationale et se tapaient une heure de trajet en métro le matin, puis le soir dans les bouchons avec le bus scolaire. Elles arrivaient à 18 heures au mieux à la maison, survoltées et épuisées (mais au fait des dernières musiques à la mode écoutées par le chauffeur du bus). Je leur faisais le décompte des gestes minutés dans l’ascenseur. Devoirs, douche, repas, éventuellement cours de flute ou de piano, travail de l’instrument. Le mercredi on courait à droite et à gauche dans le bruit et la cohue pour la danse ou la piscine. Je ne vous fais pas un dessin, vous connaissez. Leur mère tâchait de ne pas péter les plombs. Parfois même elle y arrivait.
Pour mes interlocuteurs ici, ça doit friser la maltraitance. Ils sont fous ces Gaulois.

Ici, j’ai tout lâché de ce côté-là. Le défi pour mes filles d’apprendre une langue, une nouvelle scolarité, et de se faire des amis était plus que suffisant. Ma jauge énergétique clignotait déjà dangereusement dans le rouge cramoisi. On n’allait pas en rajouter.
(Euh, en fait si, je me suis rajouté un défi impossible qui nous a gâché un temps la vie à ma benjamine et moi : tenter à coup de leçons décousues de conjugaison et de grammaire d’éviter qu’elle oublie son français. Quand on arrive à l’étranger en fin de CE1, l’orthographe est loin d’être acquis. Elle a consolidé sa lecture (ouf) mais pour l’écrit, j’ai lâché, de guerre lasse. On compte sur les cours de français du collège. Il fallait déjà qu’elle apprenne au plus vite à lire et à écrire dans une autre langue. Sans oublier non plus son anglais. Et que je retrouve une vie presque équilibrée.)
Vous voyez, ça fume un peu. Et c’était sans compter avec une pandémie.

Histoire de prendre l’air, hier nous nous sommes promenées elle et moi avec la chienne Gaïa sur le Mainzer Sand (cette steppe de sable). On a vu un petit lapin, et évité de bouffer une joggeuse et un grand type habillé de sombre. Ma fille a des réflexes pour retenir l’élan de Gaïa. Je reste spectatrice, inquiète qu’il se passe un truc et que je doive intervenir. Elle me racontait sa joie de retrouver ses copines en classe. « On a fait du bruit en étude, le prof nous a grondées. Mais on avait trop envie de rire. » Elle met des mots d’allemand et d’anglais de partout. Moi aussi par flemme de traduire par une périphrase ce qu’une autre langue transmet avec un seul mot. Parfois, je lui donne la version française. Pas toujours, c’est fastidieux. Tant pis.
Les 26 lettres de l’alphabet ont des usages et des prononciations bien différentes de part et d’autre des frontières. Pourquoi en serait-il autrement des tests du corona ?