Des tests et des bulletins

Premier test allemand du Corona pour notre famille et distribution des bulletins au collège rouvert juste pour l’occasion.

(Me revoilà avec un article écrit il y a quelque jours, avant que mon ordi ne soit réquisitionné pour cause de home schooling).

Ce matin je me suis fait toute belle. J’ai mis une robe. C’est rare cet hiver. D’abord parce qu’une seule me va encore… et parce que pour faire la queue masquée et à bonne distance dans la pluie glaciale au marché, il vaut mieux un bon jean épais et des chaussures de rando à l’épreuve de la boue.

Mais là je sors. J’ai un rencart. Enfin, pour ma fille. Elle est patraque depuis plusieurs jours. Et même si l’abonnement tout neuf à Disney + lui égaie ses journées, nous avons quand même envie de savoir de quoi il retourne.

Quand j’ai appelé le cabinet du pédiatre, je suis arrivée avec la solution clef en main. Voilà les symptômes (rien de spectaculaire), ça me fait penser à telle maladie. Je n’ai pas dû convaincre la secrétaire/ infirmière au bout du fil. Elle ne savait pas quoi faire de moi. D’habitude, avec des symptômes plus marqués, elle me donne un rendez-vous dans la demi-journée. Indécise elle a interrogé le médecin et m’a répondu avec la question pour tous les champions et les autres :

-Elle en est où des contacts ?

– Elle est toujours à la maison.

-Mais elle a vu du monde ?

J’interpelle ma fille sur son canapé.

-Oui j’ai joué avec une copine la semaine dernière (à l’extérieur, la petite et toute sa famille vont bien, nous aussi merci, pourvu que ça dure).
J’ai senti à l’autre bout du fil la dame se détendre. Elle est rassurée, elle a un os à ronger, un argument pour m’envoyer paître avec mes questions et mes réponses.

-Ah si c’est comme ça il faut qu’elle fasse le test du corona.

– Vraiment ? elle n’a vu personne de malade.

Pour la petite histoire locale, lorsque j’ai consulté voilà quelques semaines, le médecin m’a demandé si j’avais eu un contact avec un malade du corona. Pas avec n’importe qui.

-Ah, oui. Il faut que vous appeliez le labo X dans la ville voisine. Ils vous donneront un numéro de passage. Ensuite vous me rappelez pour l’ordonnance.

La ville voisine ? Mainz compte plus de 200.000 habitants.

Je suis convaincue que ma fille n’a pas le corona. Je lui ai même glissé ma suspicion de diagnostic. Ça m’agace au plus haut point de ne pas être écoutée, et d’être reléguée dans les protocoles automatiques. Un étudiant en médecine avait un jour raconté à ma mère le conseil d’un professeur : « si une mère de trois enfants vous dit que son fils a la varicelle, c’est qu’il a la varicelle. » Elle me l’avait répété avec une petite lumière de fierté dans l’œil.

Bon, malgré ce que me soufflent mon intuition et mon orgueil, je ne suis pas médecin. J’accepte volontiers de me tromper. Mais moins de voir s’élever un mur arbitraire entre ma fille et une consultation.

Nous décidons d’attendre un peu, au cas où les choses se résolvent seules. De toute façon, ma piste de diagnostic de requiert rien d’autre que du repos. Après le week-end, l’intégrale de Toy Story, plusieurs Ratatouille et Finding Dory elle est toujours dans le même état raplapla de ‘pomme cuite” comme disait mon oncle.

J’ai donc suivi la procédure.

J’aurais bien voulu gruger, repasser mon premier appel en omettant sciemment de mentionner la rencontre avec la pauvre et innocente copine. Mais j’avais donné mon nom. Et je crains qu’avec mon accent français et mes insistances, elle ne m’ait repérée.

Donc, on a rendez-vous au labo. Comme je sors pour voir du monde, j’ai mis une robe.

Je suis soulagée d’enfin pouvoir m’occuper d’elle, même si je sais la prodécure inutile dans le fond.

Ma fille s’inquiète de ce qu’on va lui fourrer dans le nez. Sa sœur lui dit que ce sera bien moins gros que son doigt.

C’est normal qu’elle ait peur : elle ne sait pas ce qui va se passer. C’est un test mais elle n’a pas besoin de réviser. (ha, ha). Respire avec le ventre ma chérie, et regarde bien tout pour m’aider à me souvenir lorsque je l’écrirai dans un article.

Elle a raté quelques jours de cours à distance, et sa remise de bulletin vendredi matin. En présentiel.

C’est une grosse affaire ici les bulletins. Comme une mini cérémonie de remise de diplômes deux fois par an en janvier et en juin. Chaque élève est appelé tour à tour par le/la professeur. Il/ Elle lui remet son bulletin pendant que la classe applaudit (ma fille me dit avoir ‘’le trac de sa vie’’). Toutes les classes de tous les niveaux les reçoivent au cours de la même semaine en janvier.

C’est une étape tellement importante que le corona a été prié de se mettre en retrait.

Depuis la rentrée des vacances de Noël, les écoles sont fermées. Elles ne reprendront, peut-être, que début mars et dans des conditions à préciser. Les données d’infections coronesques restent dans le rouge. Pourtant le ministère régional de l’éducation a décidé que la remise des bulletins en direct était fondamentale. Les parents d’élèves s’en sont émus. Pourquoi ? La réponse du collège est arrivée par mail : décision politique, pour envoyer aux enfants et à leur famille un signe d’espoir et de normalité.

Les élections régionales ont lieu mi-mars. Du bulletin de notes au bulletin de vote. Si peu de lettres d’écart. N’y voyons aucun lien de cause à effet.

Ma grande est donc allée à l’école 45 minutes, recevoir son bulletin (et apercevoir ses copains derrière leurs masques pour la premiere fois depuis mi-décembre) dans la cantine. La petite n’a pas pu.

Retour de visite au labo. Nous avons testé le test corona.

Procédure, processus : ça roule. Ce matin à 8 heures j’ai appelé le labo, qui m’a attribué tout de suite un numéro et une heure de passage.

Nous avons pris la voiture pour la quinzaine de kilomètres entre les vergers noirs et mouillés de Rheinessen. Les nuages frôlent les maisons, il bruine. On devine le lit du Rhin au-delà des prés et de vénérables peupliers. Arrivés dans la zone d’activité aux toits plats, tout est très bien fléché. Par ici les tests. (Les vaccins ce sera de l’autre côté.) Immense parking. Quelques préfabriqués de chantier. Tout se passe dehors. Une dame en blouse verte nous accueille. Un guichet pour se voir attribuer une cartonnette, un autre pour le test. 6 ou 7 personnes disséminées sont en cours de prise en charge.  Ma fille gigote de trouille pour l’intégrité des tréfonds de son nez. Mais au guichet 2, une jeune femme à deux paires de gants, un masque, plus une visière, lui demande d’ouvrir la bouche. En quelques secondes c’est réglé. Elle lui tend une toupie (dans un emballage plastique).

Résultats dans 24 heures au plus.

Dans la voiture de retour, je comprends d’un coup le dispositif dans la ville voisine. C’est un gros labo, mais surtout il est dans une zone industrielle avec plein de place pour gérer des flux en extérieur. En Allemagne, les laboratoires ne sont pas accessibles au public. Les prélèvements sont faits chez le médecin, par les infirmières du cabinet. Les résultats passent aussi par leur intermédiaire.

Vous le sauriez déjà si j’avais osé publier un de mes tout premiers articles. Mais il n’a pas passé l’auto-censure : trop violent. La découverte du milieu médical a été un très gros choc pour moi. Maintenant je m’y suis fait. Je sais comment dire ordonnance quand il ne s’agit pas d’un médicament mais d’un examen complémentaire (Überweisung, au lieu de Rezept). Je sais que les dames qui travaillent au cabinet sont des infirmières et pas des secrétaires médicales. Elles font les prises de sang, les électrocardiogrammes (oui, ici ça se fait presque comme on prend la tension). Si on a de la chance on tombe sur une dame qui sourit.

Je ne vous laisse pas plus longtemps dans ce suspense insoutenable. Non ce n’était pas le corona.

On a fini par voir le médecin. Sans doute un virus ou une allergie.

De peur que ma fille ne se fasse laver le cerveau par les multinationales américaines, je lui demande de regarder des C’est pas sorcier. Un peu de culture, un peu de France… Comme thèmes, elle a choisi le chocolat et les bonbons. Qu’elle avait déjà vus.

Quelques jours plus tard (aujourd’hui), je reprends mon clavier. Entre temps, ma fille a repris pied, et mon ordinateur pour ses cours. Hier et aujourd’hui pour le carnaval (théorique et virtuel), c’est férié. Alors j’en profite pour vous retrouver.

En fait c’était rien de spécial cette fatigue. La mère de trois enfants s’était complètement plantée dans son diagnostic. Si au moins la prochaine fois, ça pouvait m’éviter de faire des projections catastrophiques. C’est pourtant pas sorcier d’en rester aux faits plutôt que de tresser des ‘’Et si’’ et des ‘’pourquoi’’.

Le bulletin de l’école est arrivé par la poste. On a rattrapé les cours en retard et même le frençais (sic). Notre étudiant est venu nous retrouver pour ses vacances (après son test Corona, une habitude maintenant pour lui).

A défaut de défilé du Rosenmontag, nous avons fêté Fastnacht (carnaval) avec des masques FFP2 et à coups de beignets. Une copine m’a indiqué une cabane de kermesse égarée dans un coin résidentiel qui en vend des tout chauds (aucun rapport avec les robes rétrécies).

Helau, helau, helau !

Anticiper les odeurs

Saint Jean Cap Ferrat, février 2006

Janvier. Un mois long, gris et froid, au plafond bas.  Les gouttes coulent le long des vitres, à l’extérieur. Et à l’intérieur, comme dans un Tupperware.

Les maisons allemandes sont tellement isolées que la condensation ruisselle, comme en France sur les fenêtres anciennes à simple vitrage. C’est un fait avéré. Lors de notre emménagement, nous avions reçu un dossier de consignes. Il y était précisé la nécessité d’aérer plusieurs fois par jour le logement pour éviter les moisissures. Ça ne suffit pas. Je passe chaque matin un chiffon au bas de chaque vitre. Malgré ce zèle, des points noirs douteux apparaissent.

Pour éclairer l’intérieur, j’achète des fleurs. Vous l’aurez compris, je suis une fervente pratiquante du printemps en toutes saisons. Depuis la nouvelle année, deux fois par semaine au marché je rends visite à la roulotte du fleuriste. Je choisis un bouquet de tulipes, un autre. Des petits pots de primevères de toutes les couleurs, des bulbes forcés : des jonquilles minuscules, des muscaris violets, des bébés perce-neige.

Les bouquets placés dans des bocaux anciens éclairent les pièces communes de la maison et mon bureau. La table où nous mangeons accueille un jardin miniature. Sur les bords des fenêtres des chambres des filles, des primevères violettes et roses, des lances de crocus en bourgeon ont la mission de leur tenir compagnie pendant les cours en ligne.

J’aime que les toutes premières de la saison soit jaunes. La nature se couvre à son réveil d’un clapotis de petits soleils. En les attendant, les fleurs fraîches m’aident à traverser janvier.

Une de mes préférées brille par son absence.

Je n’en ai vu à Mainz que chez le boucher qui décore sa vitrine aux couleurs de carnaval (jaune, bleu, blanc, rouge) avec des branches sèches de mimosa. Et aussi sur un char du Rosenmontagszug à carnaval. Je ne sais pas où ils les trouvent.

Le parfum poudré du mimosa de janvier me manque cruellement. Depuis que nous vivons en Allemagne j’en suis sevrée. Ça fait maintenant trois hivers que je n’ai pu nicher mon nez dans ses pompons. J’aime ses chatouilles et son odeur.

C’est un de mes plus vieux souvenirs. J’avais à peine deux ans et je courais dans le parking de notre résidence, sous les plumes géantes d’un grand mimosa tout jaune.

Quand nous avons déménagé dans notre maison de pierres anciennes, une magnanerie antique, le jardin était en friche. Mais il était possible, sans enjamber de portail d’aller respirer le mimosa des voisins. En rentrant de l’école, je guettais les premières éclosions de ses petits boules vertes et allais fourrer mon nez dans les tous premiers plumeaux jaunes. Plusieurs fois, pour mieux le sentir j’ai manqué me coincer une boule dans le nez.

Ensuite ma mère en a planté un grand à l’entrée, et d’autres tout en bas du pré. De variétés différentes, ils ne fleurissaient pas en même temps. Celui du haut créait des touffes comme des plumes d’autruches. Ceux du bas, plus sauvages sans doute, des petits pompons discrets qui saupoudraient son feuillage bleuté comme du sucre sur une brioche. J’en étais autant gourmande des deux.

Pendant mes études, ma mère m’a un dimanche donné un gâteau pour mon retour à Lyon. Elle l’avait décoré d’un brin de mimosa du jardin et emballé de papier aluminium. Cette semaine-là j’ai mangé du gâteau chocolat-mimosa.

En terrasse à Lyon en 2018

Celui du haut a gelé hélas, un hiver trop froid. Comme celui des voisins. Ceux du bas ont résisté. J’ai prélevé un jour un rejet de 20 centimètres peut-être pour ma terrasse lyonnaise. Il a tenu le coup mais sans motivation. Plusieurs années il est resté fidèle à son Ardèche, et a refusé de pousser (un peu comme moi). Peut-être qu’il a fini par accepter son nouvel environnement de béton, peut-être qu’il a été stimulé par le plant voisin acheté en jardinerie.  Il a poussé d’un coup et m’a permis chez moi à Lyon de plonger mon nez dans les pompons poudrés. En fermant les yeux. Comme la toute petite fille qui courait sous la haie en essayant d’attraper les branches.

Les parfums sont très importants pour moi. Toutes les odeurs. Quand j’entends qu’un tel a eu le Covid-19 il y a 4 mois et n’a toujours pas retrouvé l’odorat, je redouble de précautions… Je recherche le parfum des fleurs, mais pas de toutes. Les effluves capiteux des lis ou des jacinthes me rendent leur voisinage pénible. A peine leurs fleurs éclosent-elles que je bannis le pot ou le vase, dans un coin où je peux les admirer sans les sentir.

Les parfums en bouteille ceux qu’on achète cher dans des bouteilles-bijoux me sont devenus insupportables.

En vieillissant, les travers s’accroissent, on devient sa propre caricature comme disait ma mère. Je ne peux plus en porter, ni m’asseoir à côté de quelqu’un qui en porte. Même un sillage dans un couloir ou un ascenseur me donne des hauts le cœur. La trace odorante d’une bise sur ma joue peut me gêner plusieurs heures.

Les odeurs nauséabondes bien sûr me révulsent.

Pour m’en protéger je les anticipe. Je prédis les zones où des nuages invisibles risquent de m’agresser l’odorat. Un renfoncement dans une ruelle, un camion poubelle… Je me mets en apnée, le temps de dépasser la source de l’émanation présumée. Au supermarché (en France, pas ici) une personne aux cheveux gras et aux vêtements tristes de saleté me signale d’éviter les rayons qu’elle a visité. Tant pis pour le fromage ou les biscuits ce coup-ci.

Mais bien sûr certaines odeurs me mettent le cœur en joie, comme la terre mouillée de pluie, l’herbe fraichement coupée, les épluchures de légumes dans un papier journal (d’un coup je me retrouve dans la cuisine de ma grand-mère à Avignon).

‘’L’odeur de l’Angleterre’’ me propulse d’un coup dans mon corps de 9 ans, en uniforme violet et gris, quand j’étais en pension à côté de Londres. Je dis l’odeur, mais en fait il y en a plusieurs : celle des bonbons en gélatine, les winegums, au cassis. L’air humide et rêche des rues (comme un mélange de fumée, de métro, de brouillard). Celle des intérieurs, un panaché de produits de ménage et de toilette fleuris mais délicats, à la rose ancienne. Là aussi je ferme les yeux pour mieux voyager. Dans le temps.

Trip down memory lane en 2005 à ma pension de 1982

Je recherche toutes les fleurs parfumées mais pas entêtantes : le lilas, le seringat, le chèvrefeuille, le jasmin. Le romarin et le thym sauvages, les cistes, les aiguilles des pins chauffées au soleil. Le perce pierre qui pousse entre les rochers du bord de mer, quand on brise une tige…

La liste serait trop longue.

Je renifle tout c’est une habitude. Ma mère m’appelait le chien de chasse. Ma grand-mère en riait quand, avant de gouter un plat je collais mon nez dessus. « Regarde-la, celle-là… »

Mes produits de toilette sont sans parfum, sauf ceux que j’ai testé et accepté. Les produits de ménage passent un test olfactif sévère.

Donc, le mimosa me manque beaucoup.

Il n’est pas possible d’enregistrer les parfums, mais si vous en croisez, s’il vous plait, plongez votre visage dans ses pompons. Humez ses confettis de soies monochromes.

Et dites-moi.

Post scriptum

La rédaction de cet article m’a décidé à demander au fleuriste du marché s’il pouvait en trouver. Il a un fort accent régional, et derrière le masque je n’entends pas tous les mots. Mais j’ai compris que même si tout était sens-dessus dessous au niveau des approvisionnements en fleurs, il allait s’en occuper. Il ne m’a pas demandé mon nom. Ni aucun engagement. Mais je savais que je pouvais compter sur lui. Les Allemands sont en général très fiables.

Samedi, en passant devant sa roulotte j’ai vu sur l’étagère du fond un bouquet de mimosa solitaire. Tout frais, tout beau. J’ai su que c’était pour moi. J’en ai eu les larmes aux yeux, des fleurs et du geste.

Quand il m’a vue il m’a tout de suite donné le bouquet.

Mimose aus der Heimat (du mimosa du pays)

-Oh merci ! Ça fait trois ans que je n’ai pas eu de bouquet !

Au-dessus du masque il semble surpris : “y’en a chaque année au carnaval, sur les chars !”

Oui, mais on ne le voit que de loin. Moi ce que j’aime c’est le respirer, et plonger la tête dedans ! J’en ai bien profité !

Flagrants débuts

Voici un article écrit en réponse à l’appel à textes d’une revue. J’avais trop envie de le partager avec vous, ma fidèle équipe.

Je le dédie à toi, mon amie que j’ai connue au foyer.

(Je vous laisse deviner le sujet imposé.)

Aller Anfang ist schwer, doch ohne ihn kein Ende wär‘. Tous les débuts sont difficiles, mais sans début pas de fin.

À chaque soubresaut de la vie, ce proverbe allemand me le rappelle : la difficulté est passagère. Je l’ai découpé dans un magazine en VO. Etudiante toute neuve, je viens alors d’entrer en classe préparatoire à Lyon. Je comprends peu à peu à quel point il va me falloir travailler pour répondre aux exigences des concours. Collé sur le miroir au-dessus du lavabo, ce coin de papier me fournit en espoir à chaque brossage de dents. Demain sera plus facile.

Le changement de vie lié au début des études m’enivre. Certes c’est dur, mais on me dit que ça en vaut la peine. Il s’agit pour tenir le coup de se rassurer (merci proverbe). Et de se motiver. Ce sera la mission d’une autre citation, publicitaire et en anglais cette fois, aimantée au-dessus du bureau. I want. I can. Je veux, je peux.

Je ne demande qu’à croire mes bouts de papier.

Cette année je cohabite avec Marie, le regard turquoise sous des boucles mobiles. Nous partageons une chambre au deuxième et dernier étage d’un foyer tenu par des religieuses. Nous avons toutes deux quitté notre campagne méridionale pour le bruit gris d’une métropole, au nord du quarante-cinquième parallèle. J’ai troqué mon nid avec vue sur des falaises dorées pour notre dortoir de poche.

Quarante jeunes filles logent dans cette maison bourgeoise. Dociles, nous suivons avec bonhommie les nombreuses règles. Manger à heure fixe, ne pas sortir le soir :  faire autrement ne nous viendrait pas à l’esprit. On n’a pas le temps. L’évasion se limite à descendre en cachette l’escalier interdit en face de notre porte. Et à chanter à tue-tête ‘’La bonne du curé’’ d’Annie Cordy en dansant sur nos lits. On s’amuse d’un rien quand on sort peu la tête des bouquins.

Marie et moi découvrons ensemble les exigences de la classe préparatoire, la vie en étages et en collectivité, loin de nos familles et de leurs grandes maisons nichées dans la verdure. Jeunes et jolies, bien dans nos corps toniques, nous avons la vie devant nous, la tête bourrée de savoir tout frais. Nos convictions, à peine recyclées de celles de nos parents, se complètent. À nous deux, la vie ! Nous, on sait.

Avec le changement d’heure de fin octobre, une ardoise blanche couverte d’une écriture ronde au feutre rouge est apparue en bas des escaliers de bois : fermer les volets à 17 heures au plus tard.

À 17 heures, Marie et moi ne sommes pas encore rentrées de nos examens oraux. Nous profitons des quelques minutes de trajet comme d’une bouffée de liberté. Nous humons l’air du soir et cherchons, entre les émanations de pots d’échappement, le parfum de cours d’école des feuilles de platanes. Nous courons dessus exprès pour les entendre craquer. Elle comme moi aimons le grand air. Nous avons tellement besoin de l’extérieur que, dès notre arrivée au foyer, nous avons ôté les voilages de notre fenêtre. Pourquoi cacher les branches rondes d’un tilleul ancien et, au-delà de la rue étroite, la blancheur passée d’un immeuble ?

Le sort de l’ardoise est scellé d’un haussement d’épaules. Ça doit être pour le chauffage. Encore un truc des sœurs pour faire des économies. Déjà qu’elles nous font manger des patates à tous les repas. Les radines, elles exagèrent !

Alors bien sûr, nous ne fermons pas les volets à la tombée du soir.

Marie s’en charge à minuit quand elle se couche. Une fois en pyjama, elle ouvre la fenêtre dans une langue d’air frais.  Les battants de métal en accordéon claquent dans la nuit. Elle s’endort sous sa couette Snoopy, cousue par sa mère. J’étudie encore pendant deux heures dans le halo silencieux de ma lampe de bureau. C’est moi qui ouvrirai les volets juste avant sept heures. Je tâche d’être la première aux douches.

Un soir de fin novembre, vers minuit, je suis penchée sur un cours de philo. Ma petite lampe blanche est déjà allumée pour contredire l’ombre du plafonnier. J’entends des froissements de tissus dans mon dos. Comme tous les soirs, Marie se prépare pour la nuit en silence. Je ne la vois pas.

Tout d’un coup, un hurlement jaillit derrière moi. Je sursaute.

GROS DEGUEULASSE !

Alertée par son cri, je me lève d’un coup. Ma chaise repoussée violemment claque. Le parquet résonne.

Marie en culotte, tente d’une main de dissimuler sa poitrine nue, et de l’autre dresse le poing dans un geste menaçant.  

Vite, un pull pour se cacher. « Là… y’a quelqu’un !»

Guidée par son regard et son index accusateur, j’ouvre la fenêtre et me penche dans le silence d’encre. La façade d’en face est sombre, à peine éclaboussée par la lumière des réverbères. J’ai juste le temps d’apercevoir à une fenêtre, dans l’interstice étroit entre le mur et un rideau à peine entrouvert, calé sur le rebord, un regard coupable d’homme mûr.

Nous hésitons entre choc et rire. Les voilages punis dans l’armoire retrouvent illico leur fonction. Désormais nos volets seront clos chaque soir dès notre arrivée.

Gonflées de l’envie de vivre, confiantes en notre interprétation des gestes du quotidien, nous avons offert à des yeux pervers l’effeuillage d’une jeune fille encore mineure. Une poitrine neuve dans le cadre lumineux de la seule fenêtre éclairée de toute la façade.

L’ardoise des religieuses, caution de quarante vertus et de leur établissement, avait voulu nous protéger. Aveuglées par l’arrogance de la jeunesse, persuadées que les sœurs, pfff, ça ne connaît rien à la vie, nous avons dédaigné le conseil. Dans le claquement métallique des volets, notre apprentissage, échappé des murs du lycée nous a rattrapées. Ce soir-là nous avons senti le coup de balai dans les copeaux de notre innocence. Nous avions commis une erreur de débutantes.

Bien sûr ce n’était pas la première. Ni la dernière.

Pourtant quand on avance dans la vie, les débuts se font plus rares. Les premières fois deviennent précieuses, même si elles restent difficiles.

À l’occasion d’un déménagement récent, j’ai à nouveau cherché du soutien dans le proverbe de ma jeunesse. Tous les débuts sont difficiles… Pas besoin de le coller sur un nouveau miroir, je le connais par cœur. Il est d’autant plus approprié qu’il s’agit d’une installation familiale en Allemagne, dans une maison sans volets.

L’expatriation offre un nouveau départ dans chaque geste. Se repérer dans une culture différente, comprendre les habitudes. Les erreurs de débutantes sont légion et on s’en rend vite compte : les Allemands aiment rappeler leur prochain à l’ordre. On ne marche pas sur la piste cyclable. Mais le principal intérêt de ce franchissement de frontière reste le coup d’éponge sur l’ardoise du passé. Personne ne me connaît, je peux être qui je veux. Bien sûr je serai cataloguée comme ‘’la Française’’, dans un bouquet de clichés. Je préfère ne pas trop les découvrir, pour mieux m’en affranchir.

Loin de nos repères et de nos amis, les premiers mois à l’étranger sont difficiles. Mais ils offrent chaque jour une aventure. Ils nous rendent le droit de nous tromper. Et surtout, ils nous permettent d’apprendre.

Si c’était ça le charme des débuts ?

Merci à mon mari et à mon fiston pour leur relecture attentive.

Attendre

Lockdown enhardi, école à la maison (encore !). Le rêve de voyages et d’actes subversifs est-il encore autorisé ?

Hou, hou y’a quelqu’un ? (sculpture temporaire sur le Staatstheater de Mainz)

C’est reparti pour un tour.

Ou plutôt ça continue dans un ruban de Möbius insupportable. Les chiffres du corona ne sont pas bons, malgré l’assiduité des Allemands à suivre les règles. C’est à n’y rien comprendre. Que les chiffres dérivent en France, on se dit, bon c’est un trait culturel de ne pas toujours se sentir concerné par les interdictions. Pour des sujets moins graves, cette souplesse tolérée est plutôt agréable. Mais ici… Personne sans masque, les distances sont respectées, tous les lieux de sortie sont fermés… Pourquoi ?

Le lockdown a haussé d’un ton. La mâchoire du monstre-virus se referme un peu plus autour de nos libertés. Dans les villes où les chiffres sont vraiment alarmants, pas le droit de s’éloigner de plus de 15 km de son domicile. Heureusement à Mainz ce n’est pas encore le cas. Oui je sais, ça reste 15 fois plus que les limitations en France.

Pour l’instant nous échappons au couvre-feu. Entre vous et moi, ça ne nous contraindrait pas beaucoup au quotidien, à part pour une sortie tardive de poubelles ou des courses de dernière minute au supermarché (oui tout est fermé le dimanche, mais le soir il reste ouvert jusqu’à 22 heures). Pourtant j’espère que ça restera le cas. La violence de l’interdiction dépasse la limitation d’action réelle.

C’est donc reparti pour un tour. On en reprend pour un mois de cours à la maison. Au moins. Youpi !

Physalis, l’amour en cage…

Heureusement c’est mieux organisé qu’en mars, les filles sont plus autonomes. Si chaque élève coupe sa caméra, le réseau évite la saturation. Les portes des chambres filtrent les conversations. Si la maison tremble, si on entend des coups de sifflet, c’est qu’il y en a une en cours de sport.

Ça leur fait de grosses journées collées sur un écran. Pour ma plus jeune, l’organisation annoncée dès mi-décembre était la suivante. Chaque cours (durée de 45 minutes) est divisé en trois parties : explications du prof, exercices hors ligne, puis corrections et questions en direct. Les cours de Lernzeit, (5 heures par semaine), études encadrées pour les devoirs, sont aussi poursuivis en ligne.

La rigueur et la concentration exigées seront-elles possibles ? Quel est le degré d’investissement des parents attendu ?

Ma plus jeune vient de m’appeler paniquée. Il lui reste quelques minutes pour faire l’exercice d’éthique. Je la sens toute stressée. ‘’Ça veut dire quoi rumeur ? ‘’ Ma présence la rassure. Comme la réponse de sa prof à son message inquiet : ‘’Je ne pourrai pas tout faire dans le temps imparti, est-ce grave ?’’. Nein a répondu sa prof. Finalement elle a tout fait, dans les temps, et juste. Et moi j’ai la réponse à la question ci-dessus sur le degré d’engagement des parents.

Je redoute de me faire happer par la pédagogie familiale. Je tâche de me fondre dans le décor et de faire comme si je n’étais pas là… Je pilote tout de même le rattrapage des cours où elle était absente la semaine dernière. Je souhaite garder mon cerveau et ma patience pour mon usage personnel, mais je cède mes outils.  La tablette, ne veut plus se connecter : mon ordinateur est réquisitionné. Mon téléphone aussi, tiens, elle en a besoin pour consulter ‘’l’environnement de travail partagé’’ pendant les videos. Me voilà déconnectée.

Mercredi, tout premier cours de guitare pour ma plus jeune et son Daddy. En ligne et sans guitare. Ben oui, on a besoin des conseils du prof avant d’investir. Ça promet.

La même quelques semaines plus tard

Surtout ne pas penser.

Ne pas se projeter.

Ça tombe bien, c’est ce que je fais le mieux (smiley avec clin d’œil grimaçant).

On sait faire, on a de l’expérience, on peut même la mettre sur son CV. Soft skills : capable de rester enfermée avec sa famille pendant une durée indéterminée sans les étrangler…. Avant de l’affirmer, j’attendrai la fin des hostilités, pour être vraiment sûre.

J’ai de la chance mes projets professionnels se passent ici même, à ce bureau. Pour la vie par contre, j’aimerais mieux que ça se passe aussi ailleurs. Alors pour accepter les prolongations de lockdown et garder le moral, on se dit, faisons des projets. Préparons nos prochains voyages.

Le voyage ? J’ai oublié. Les excursions dépaysantes datent de l’ère pré-enfants. Les vacances à l’étranger d’avant-ce-que-vous-savez. Les week-ends spontanés (ou pas d’ailleurs) en montagne ou à la mer, d’avant l’expatriation.

Alors je ressors mon Larousse. Enfin, façon de parler. J’ouvre la page web et je fouille au milieu des pubs.

Voyage, du latin viaticum, provisions de route. Ah on s’en approche : les provisions on a. La route, au-delà du marché, pas vraiment.

Action de se rendre dans un lieu relativement lointain ou étranger. Euh non, ça on a perdu l’habitude. Envolé ! Confisqué ! Ah moins que ‘’relativement’’ soit pris au pied de ses douze lettres.

Je propose un échange familial constructif pour garder le cap, disons, trouver un cap.

-Alors les enfants, vous voulez partir où ?

Une réponse fuse, instantanée.

-En Polynésie française !

Ma plus jeune a déjà fait ses plans.

-Ah bon ? pourquoi ?

-J’ai vu un reportage sur Arte junior avec la classe. Ça m’a fait trop envie.

-OK. Mais sinon, plus près ? (moins cher ?)

-Le Canada.

-Ah oui ? pourquoi pas. On irait voir les copains. Moi j’aimerais retourner en Italie et en Grèce. Mettre le cap vers le Sud pour changer un peu des contrées anglo et saxonnes.

Déplacement, allées et venues, en particulier pour transporter quelque chose.

Au moment où j’écris ces mots, j’entends ma meilleure moitié ranger les provisions qu’il vient d’acheter au supermarché. Oui les allées et venues pour transporter des choses : on est au taquet. On voyage un max.

Action de se rendre ou d’être transporté en un autre lieu ; trajet. Ah oui là aussi, côté changement de lieu ça marche (littéralement) autour du quartier, dans une spirale sans fin. Des boucles de pas boueux enchâssées comme des poupées russes. Et surtout, merci les bouquins et la téloche. L’imagination.

-OK, minette je pars avec toi en voyage. Viens, on va se regarder un documentaire. (BBC, Perfect Planet avec l’inénarrable David Attenborough).

Tiens, c’est un coup de bol qu’on ne soit pas partis en Angleterre. Avec le changement pour le pire qu’ils ont vécu, on serait tombés dans les limbes des « triers », des quarantaines politiques, des conséquences du Brexit… Le voyage vers une île peut-être un piège redoutable. Pas de fuite possible. Evasion doublement confisquée.

Exploration, découverte, description de quelque chose qu’on suit comme un parcours. Euh ça compte la glissade passive et manipulée dans les feeds d’Instagram pour voir si les autres sont plus coincés que moi ? Non. Je pencherais plutôt vers les phrases fabriquées ici, la découverte des mots qui sortent des doigts pour m’éclairer le cœur et peut-être le vôtre. L’observation curieuse des pâquerettes qui fleurissent en hiver, des graines qui germent dans mes pots. Tombées des fleurs cet automne, elles se hâtent de déplier leurs feuilles crispées. J’ai envie de leur dire. NON ! Trop tôt ! Restez chez vous ! (c’est contagieux cette manie) Vous allez griller.

Faute de voyager on envoie ses meilleurs vœux, des Lebkuchen (oui merci les paquets sont arrivés après de nombreuses semaines de transport). Désormais coincés à la maison, j’ai voulu faire une commande en ligne sur le site des pains d’épice que l’on m’a recommandé. Pour l’adresse d’expédition de mon panier virtuel tout se passait bien jusqu’au choix du pays. Le menu déroulant propose la liste de toutes les nations du monde, sauf la France. J’ai tenté French Guiana. Mais les frais et délais de livraison m’ont semblé conformes à une expédition outre-Atlantique. Ce n’était pas une erreur, en tous cas pas là. Frustrée de ne pouvoir mener à bien ma commande, mais pleine de bonne volonté pour signaler à ce fournisseur l’erreur de leur site web, je leur ai envoyé un message sur Instagram. ‘’J’ai voulu expédier une commande en France, mais je ne l’ai pas trouvée dans le menu déroulant’’. J’ai reçu la réponse une semaine plus tard : ‘’Alors c’est qu’on ne livre pas en France.’’

Vraiment ?

D’abord je me suis dit qu’ils se foutaient de moi. J’avais envie de demander à l’anonyme qui pilote le compte derrière un (pas très) smartphone s’il avait entendu parler de service clients. Voire même de remerciements car après tout je leur signale un bug. Heurtée par une réaction surprenante et raide, je me vexe toutefois moins qu’avant. Je sais que ça n’a rien de personnel. C’est un trait culturel de bonne foi.

M’enfin, tout de même.

Mon mari à qui je raconte cet épisode me répond : « Ah oui, les Allemands ont souvent des réactions comme cela au travail. »

Alors on se gratte la tête et on se demande : pourquoi ? Pour éviter de réfléchir ? Pour ne pas reconnaître la possibilité d’une erreur. Pour ne pas se remettre en question ?

On n’a pas trouvé la réponse bien sûr. Je demanderai à une amie.

Mais grâce à cette réponse lapidaire, je me suis lancée dans l’exploration de nouvelles possibilités pour offrir des douceurs allemandes. Un voyage virtuel vers des mains amies, blottie en pensée entre des boites de carton parfumées aux épices. Entre proches éloignés, nous organisons des retrouvailles par cartons interposés. Le fret est reparti en Angleterre on a reçu un colis géant : un deuxième Noël ! Thanks belle-sœur !

Et pour faire semblant de vivre ma vie, je vais, en bonne Française, poser un acte subversif. Hé, hé !

Dès qu’il ne gèlera plus j’irai déterrer un plan de pâquerettes sur les terrains collectifs. J’aimerais en planter dans notre carré d’herbes et les inviter à essaimer. Or il est impossible de les acheter ces demoiselles sauvages en collerette. On ne trouve en pépinière que leurs cousines pomponnées.

Alors j’ai fait mes repérages près d’une aire de jeux, et, avec mon couteau de cuisine, mon masque et mon sac en plastique, je vais tenter d’éviter la Hobby Polizei (‘’la police des hobbies’’ comme dit une amie , ces férus d’ordre aux dépens de la joie des autres).

Les pâquerettes et moi on a un rencard nocturne.

Tant qu’il n’y a pas de couvre-feu.

Excursion à Baccarach

Des vacances de Noël en famille et une promenade dans la Vallée du Rhin romantique, émaillées de surprises joyeuses.

Baccarach, au bord du Rhin

Chers amis, je suis ravie de vous retrouver.

Il semblerait que j’aie pris des vacances d’écriture. Je n’en étais pas sûre lors de ma dernière publication alors je ne vous ai pas prévenus. J’ai laissé faire l’envie. Mon clavier a été délaissé pour des activités familialo-gourmandes. Les mots et les idées se sont entreposés dans un coin de mon cœur. Les vacances sont finies pour mon mari et moi. Le collège reprend mercredi, avec des cours à distance. Je suis heureuse de retrouver mon temps de composition personnel, curieuse d’aller fouiller dans mon cagibi secret et de le partager avec vous. Voyons voir ce que l’on va trouver.

Vous êtes bien installés ? bien reposés ?

Oui moi aussi. Merci. Nous avons eu la chance d’accueillir longuement mon grand garçon et sa copine. Une compensation joyeuse à l’assignation à résidence.

Le sac à déchets végétaux dans le jardin se remplit de couronnes sèches et de bouquets fanés. Les sachets de papillotes importés par nos étudiants sont entamés mais pas finis (chouette ! pourquoi ne mettent-ils plus de pétards dans les papillotes ? encore un sacrifice de sourires sur l’autel de la rentabilité ?). Le sapin de Noël nous accompagnera encore cette semaine. L’enlèvement collectif des arbres est prévu samedi. Nous retarderons le plus possible son exil au bout de la rue pour profiter de la joie qu’il nous offre. Ses lumières sont les premières allumées le matin et les dernières éteintes le soir. Merci sapin !

Deux semaines confinées sur notre noyau familial, sans voir personne ou presque, à part les vendeurs du marché. Des surprises sympas en forme de clin d’œil amicaux nous ont réjouis !

Le jour de l’anniversaire de ma grande fille (13 ans déjà), notre déjeuner dominical est interrompu par un coup de sonnette. La porte à peine ouverte, des voix entonnent : « Happy birthday to youououou … ! » C’est une amie à elle avec sa sœur, sa maman, et son chien, qui viennent lui apporter un petit cadeau. Il est posé devant la porte. Elles chantent à quelques mètres de là, dans la rue. La distanciation sociale (Abstand !) est respectée, la gentillesse préservée. Partez vite sinon on vous fait un gros câlin !

Un matin dans la boite aux lettres, nous avons trouvé une carte de vœux dessinée par les enfants d’une amie à moi. Zut je l’ai ratée quand elle est passée. Mais quel plaisir de faire partie des destinataires !

Le dimanche de l’anniversaire de mon autre fille (10 ans ! eh oui notre moi de décembre est intense), une copine-voisine lui a apporté une carte et un dessin faits maison avec un grand sourire. Elle a à peine passé la porte. Pas besoin, nos coeurs étaient gonflés pour la journée et au-delà !

Le jour de Noël, la sonnette a retenti en tout début d’après-midi. J’ai ouvert la porte sur notre famille en plein Christmas pudding avec couronnes de crackers sur la tête. Une autre amie à moi et son mari rentraient de promenade (ils avaient fêté noël entre eux le 24, comme beaucoup de notre entourage), un sachet de Lebkuchen (pains d’épices) maison à la main. Délicieux, oui merci. J’espère avoir sa recette. Avant de partir elle me demande : « Les couronnes, c’est une tradition française ou une création spontanée ?»

Au marché dans la queue qui serpente à intervalles réguliers, une autre amie me fait signe. « Tu me manques ! elle me dit. J’ai peur que le lockdown brise les liens, fais-moi signe pour une promenade le long du ruisseau du Gonsbach. » Elle le connait par cœur ce chemin. Moi aussi. Tous les voisins également. C’est un des terrains de jeu de Mainz pour jambes en mal de mouvement. Moi aussi j’ai peur que l’isolement forcé dénoue des liens que nous tissons avec patience et assiduité depuis deux ans et demi.

J’ai l’impression de jouer à un deux trois soleil. Vite, bouger, se déplacer, rencontrer des amis quand on a le droit, se fondre dans l’immobilité dès qu’on nous regarde.

Le soir de la Saint-Sylvestre, nous avons fait des jeux et nous sommes couchés bien avant le changement d’année. A minuit, les pétards et les feux d’artifice ont éclaté. Tiens, il me semblait que c’était interdit. De grosses voix graves chantent sur le parking. Brrrr…Hou la la, ma benjamine va avoir peur sans doute… On frappe à la porte de notre chambre. Deux demoiselles se faufilent entre nos draps. L’occasion d’un câlin collectif à écouter pétarader le voisinage. Je demande à ma grande fille :

-Tu ne dormais pas ?”

-Non je lisais. je voulais attendre minuit. A minuit j’ai fait une minute de silence pour les gens malades du Covid, une minute de silence pour les gens morts du Covid. Et puis je me suis récité mes résolutions à haute voix. Après ma soeur est arrivée.

Un moment entre deux années, précieux. Bonne année les choupettes chéries.

Au milieu des vacances, nous avons fait une excursion avec des amis (Tu crois qu’on a le droit ? disons que oui, on restera à distance). Une évasion en voiture, bien au-delà de la place du marché ou du Gonsbach, dans une région touristique. Ce dimanche il fait gris et très froid. La pluie tombe en italique, le vent souffle en rafales. Un ciel bas s’accroche aux branches noires de troncs mouillés. Nous marchons dans la boue, pique-niquons debout sous le toit d’une Hütte (ces abris construits sur les chemins de randonnée) avec des restes d’agapes froids. Nous sommes humides et grelottants. C’est le paradis.

Notre abri bien réel : la Hutte Théorique

Nous nous étions donné rendez-vous avec nos amis de Cologne (ma Susanne d’enfance et sa famille), en aval des gorges du Rhin romantique à Spay. Juste avant Koblenz et le confluent du Rhin et de la Moselle. Cette balade de deux heures nous a permis d’échanger des cadeaux et des nouvelles de vive voix, de monter sur le plateau avec des points de vue monochrome entre nuages effilochés sur les boucles du Rhin. Le rêve !

Loreley (oui il faisait gris)

La route entre Mainz et Spay suit le fleuve, dans le sens du courant. A intervalles réguliers des chiffres géants sont inscrits le long de la rive : le nombre de kilomètres depuis la source en Suisse (500 à Mainz). Au niveau de Bingen, le Rhin entre dans sa partie romantique, des gorges creusées entre rive gauche, les reliefs du massif de l’Eifel et rive droite, ceux du Taunus. Des villages de contes de fée s’égrènent de chaque côté. Les vignobles dégringolent tête première vers le bas (comment font-ils pour vendanger ?). Des châteaux forts en grès rouge, plus ou moins retapés, gardent les flancs des gorges. Le temps des prélèvements de taxes est révolu. Au niveau de Sankt-Goarshausen (un nom comme une formule magique), le lit contraint par des falaises se resserre, le fond de l’eau descend à moins 25 mètres, et le courant forcit. C’est le passage le plus étroit et le plus profond du parcours navigable, au pied du rocher de la Loreley. Pour les mariniers, le lieu de tous les dangers.

Au sommet de la falaise, cette belle nymphe de la mythologie teutonne coiffait ses longs cheveux blonds. Comme les sirènes d’Ulysse, elle détournait le regard des marins et causait des naufrages. Mon professeur d’allemand au collège nous a raconté cette légende, les ballades et chansons écrites sur ce thème. Le Rhin romantique affiché sur un mur de la classe semblait alors très exotique.

Aux beaux jours, la circulation sur le fleuve entre navettes, bateaux-hôtels de croisières et péniches de fret est dense. En ce dimanche de fin décembre gris et froid en plein lockdown c’est vide et mort.

Comme mon grand garçon n’a guère eu l’occasion de faire du tourisme en Allemagne, nous avons souhaité lui donner un aperçu du coin, en s’arrêtant dans un charmant village. Quelques mois après notre arrivée nous y avions retrouvé nos amis pour un pique-nique dans l’herbe au soleil. Comme lors de ce premier passage, nous nous sommes garés entre la voie ferrée et le Rhin, tout près des remparts, pour une visite exprès de Baccarach.

C’est un village médiéval préservé, aux maisons à colombages, où les vignes s’invitent dans les jardins. En saison, et en temps normal, les terrasses des cafés et des restaurants débordent sur les ruelles, comme les magasins de caves viticoles. Les touristes à cornet de glace (nous, l’autre fois) marchent le nez en l’air et le portable prêt à photographier. Là, personne, aucun bruit. Les vitrines sont éteintes, les restaurants et les hôtels fermés. Mon fils s’exclame : « On se croirait à Disneyland un jour de fermeture ! »

Les illustrations des livres de contes (peut-être grâce aux frères Grimm) doivent beaucoup aux paysages allemands (les forêts mystérieuses, les maisons à colombages). Les dessins animés aussi. Les enfants ne sont pas perdus dans la campagne germaine.

Un rapide tour donc, sans déranger personne dans des rues piétonnes ou presque. Il ne pleut pas encore, mais nous sommes pressés : notre lieu de rendez-vous est encore à plusieurs kilomètres. Le chemin des ânes qui s’échappe entre deux maisons nous conduit à une tour de guet dans les vignes. Stop, nous n’irons pas plus haut. Nous sommes attendus. Mes doigts gèlent sur l’appareil photo (j’essaie de résister à la paresse des clichés sur téléphone). Le point de vue sur les toits, le château sur la colline reconverti en auberge de jeunesse (où mon amie Susanne était allée avec sa classe à l’école primaire), et sur la Wernerkappelle est superbe. D’ailleurs il est en couverture de mon guide Lonely Planet sur toute l’Allemagne.

Baccarach, à droite la ruine restaurée de la Wernerkappelle

La Wernerkappelle (chapelle Werner) n’a ni toit ni vitraux. Elle dresse son squelette gothique à mi-pente au-dessus du village, au-dessous du château. Un mystère aérien en dentelle de pierre. Une proue de navire fantôme.

Vite dépêchez-vous on redescend ! On ne veut pas faire nos Français et arriver en retard. Cet arrêt était prévu dans notre temps de trajet. Mais, tout de même.

Mon mari et une de mes filles partent d’un côté pour acheter dans une ruelle du jus de pommes qu’ils ont repéré (à disposition devant une maison, avec une tirelire pour le payer). Avec mes autres enfants, je suis la rue piétonne principale : je souhaite revoir une vieille porte en bois qui m’avait beaucoup plue.

Là, en face, deux hommes parlent. Un vieux monsieur masqué de papier blanc, appuyé sur un déambulateur, un peu voûté sous un manteau et une casquette noirs. A son côté, un homme barbu, la petite cinquantaine dans un corps confortable, lui aussi dans un pardessus sombre. Dans ce village fantôme, c’est assez remarquable.

J’entends :

-De là, on voit bien la chapelle.

Cette interpellation me surprend. Je jette un rapide regard autour de nous. Personne d’autre dans la rue. Ce doit être pour moi et mon appareil photo en bandoulière. C’est le vieux monsieur. Je m’arrête et me tourne vers lui.

-Ah oui ?

Je m’approche, tout en restant à la distance prescrite, et je suis son regard vers le haut.

-Ah oui c’est vrai !

De ce petit coin de rue, contre une vitrine éteinte, la chapelle Werner dresse ses murs ouvragés au-dessus de la maison d’en face. Le ciel blanc coule à travers les fenêtres vides.

-Superbe ! Merci !

Je prends une photo. Celle-là :

Wernerkappelle

Le plus jeune des deux m’explique.

-Mon père était architecte, il a restauré la chapelle.

Il n’en fallait pas plus pour éveiller ma curiosité.

-Whaou ! Quand ça ?

-Dans les années 90. Les fenêtres font douze mètres. Vous vous rendez compte !

Je produis les bruits d’exclamation adéquats.

-Elle date de quand ?

-1200 environ. Elle a été construite en même temps que les cathédrales de Cologne et de Strasbourg. Les architectes de l’époque s’inspiraient les uns des autres.

Le vieux monsieur a l’air fatigué, mais une lumière dans les yeux.

-Je ne peux pas monter à cause de mon cœur, mais de là on la voit très bien.

-Vous habitez ici ?

-Non à Koblenz.

Je traduis rapidement pour mon grand garçon qui ne parle pas allemand. Le fils du monsieur m’explique dans un très bon français que lui-même habite “vers la Mer du Nord, dans un coin froid et pluvieux”. Ils sont venus exprès de Koblenz tous les deux pour ces quelques minutes à contempler la chapelle depuis le bas. Leur voiture est garée à quelques mètres.

Je suis éblouie par une telle passion. Quelle chance d’avoir exercé une profession dont le sillage trente ans plus tard, irradie encore ! Donne du sens à un coeur fatigué.

J’ai encore des tas de questions à poser (pourquoi, lors de la restauration, avoir renoncé au toit et aux vitraux ?). Mais nous devons y aller. C’était très sympa de parler avec vous, merci !

Nous serons en retard de quelques minutes au rendez-vous. Nous avons fait nos Français. Pardon copains. Mais, écoutez, c’est pour une bonne raison. J’ai parlé avec un vieux monsieur. L’architecte de la Wernerkappelle

Cet échange m’a enrichie d’une lumière que le ciel et les circonstances nous refusent.

Je vous souhaite pour 2021 un feu d’artifice de surprises lumineuses.

Ah, un peu de soleil ;o)

Noël à l’allemande

Confinement oblige : nous allons passer notre premier Noël en Allemagne.

Bientôt Noël, un Noël bizarre un peu comme si on était dans un autre pays, avec des habitudes différentes. Mais sans partir de chez soi. Un voyage en intérieur. Une nouvelle expatriation immobile.

Nous allons passer en famille notre premier Noël en Allemagne. Pour moi, ce sera le deuxième.

Approchez, je vais vous raconter ma première fois.

C’était en décembre 1988. (Oui il y a bien longtemps.) Ma grande amie allemande (voir article L’amitié franco-allemande prend sa source en Espagne) m’avait invitée à passer les fêtes dans sa famille. Nous avions tout juste 16 ans. J’étais super excitée. J’avais demandé au prof de maths de bien vouloir décaler ma date de rendu des devoirs pour être plus disponible. (Il avait refusé). J’avais téléphoné à Susanne pour organiser mon voyage. A l’époque, sur l’appareil gris à cadran du séjour, un coup de fil à l’étranger était un événement coûteux.

Le premier samedi matin des vacances je suis donc montée d’abord dans un car puis dans un TGV pour Paris. Retenant mon souffle de campagnarde à la ville, j’ai changé de gare et attendu plus de deux heures en Gare du Nord le train pour Cologne. Le long trajet à travers les plaines du nord de la France, de Belgique et d’Allemagne était à la fois monotone et dépaysant. En cours de route, les douaniers sont passés contrôler les voyageurs.

Elle et moi devant la cathédrale de Cologne, au marché de Noël en 2018

Le train est arrivé de nuit dans les lumières du centre de Cologne, au pied des flèches de la cathédrale. Par un caprice d’architecte curieux, la gare moderne est blottie entre un monument gothique inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco et le Rhin.

Cette arrivée à Cologne me rappelait des souvenirs mitigés. Mais cette fois allait être différente : j’avais vraiment envie de venir ! Sous les néons de la haute verrière, j’ai aperçu par la vitre Susanne, sa maman et son petit frère qui m’attendaient sur le quai. Elle tenait à la main une rose.

J’ai tout de suite adoré sa maman que je rencontrais pour la première fois. Elle m’a prise dans ses bras comme sa fille. J’ai découvert leur appartement confortable, dans un quartier calme et vert, la vie d’une famille sans papa, et les machines à laver reléguées entre copines à la cave.  A côté du lit de Susanne, un matelas avait été installé pour moi. Elle m’a montré sa nouvelle chaine stéréo et ses disques (noirs). Une photo de son père. Sur sa porte, était collée une grande photo d’elle au bord de la mer en Yougoslavie.

J’ai goûté les Plätzchen (sablés de Noël) pour la première fois (et à plusieurs reprises). Nous avons fait ensemble le sapin de Noël le 24 décembre au matin.

C’était une expérience nouvelle pour moi. D’abord parce que dans ma famille, pour ne pas tuer d’arbre, on ne faisait pas de sapin. (On décorait des branches de genet coincées entre quatre bûches.) Ensuite parce que Noël entrait dans la maison dès dès novembre pour tricher un peu sur le temps long et noir. La crèche de terre cuite prenait ses quartiers sur la longue hotte de la cuisine, décorée de mousse et de branches de thym, oliviers miniatures.

Pas de crèche chez Susanne. Ni d’escargots ou de treize desserts. Le 24 décembre au soir nous avons mangé une raclette (avec tranches d’ananas festif). Eh oui, c’est le plat national allemand pour Noël ! J’ai aussi appris que le 26 décembre est férié (comme en Angleterre : Boxing Day).

Le petit frère de Susanne a reçu un jeu de Risk (Risiko). Nous y avons beaucoup joué en croquant des noix. Ça m’a permis d’apprendre le vocabulaire de l’invasion de pays. On ne sait jamais.  Sa maman nous a emmenés passer une journée à Amsterdam. Lors d’un tour en bateau sur les canaux, elle nous a indiqué la maison d’Anne Franck, et une maison très étroite, la plus petite de la ville. Au café Esprit, multicolore, j’ai fait comme ma copine et gouté mon premier capuccino. Je n’avais jamais avalé de café. A chaque gorgée, je me sentais devenir adulte.

Les nouvelles expériences se sont enchainées. Pour le réveillon du 31 décembre, nous sommes allées à la fête de son club d’aviron, au bord du Rhin. J’ai bu mon premier Sekt (le vin pétillant) et appris comment dire ‘’cul sec’’ en allemand (auf ex ! ). Après je me souviens surtout des escaliers qui bougent, des feux d’artifices qui éclatent partout dans le ciel de Cologne au-dessus du Rhin, de la pelouse froide et humide, de Susanne assise à côté de moi, et des gens qui nous regardent d’en haut : « On va les ramener. »

Heureusement le trajet à pied n’était pas long. Nous nous sommes effondrées sans mot dire sur nos lits. La maman de Susanne ne s’attendait pas à nous voir arriver escortées.

Le lendemain, nous étions toutes les deux invitées chez une amie américaine de ma famille. Mariée à un Allemand, elle vivait désormais à Cologne. Lorsque la maman de Susanne nous a conduit chez eux, j’ai emporté un sac en plastique. Dans l’entrée, nos hôtes nous attendaient en souriant. “Bonjour !” ils nous ont dit. Je me suis assise par terre dans le couloir et j’ai vomi dans mon sac.

Ils nous ont installées dans un lit de fortune. En fin d’après-midi, après une soupe, nous avons retrouvé une forme suffisante pour sortir comme prévu. A Bochum, une ville voisine, nous avons assisté les yeux grands ouverts, et la bouche aussi, à Starlight express, une comédie musicale en patins à roulettes. Je me souviens des lumières dans la nuit. De la musique forte, des costumes métalliques. C’était extra !

Quelques jours plus tard, il a fallu rentrer en France. (Dans le train du retour j’ai fait mes devoirs de maths.)

Hier Susanne et moi nous sommes téléphoné (par Skype cette fois). Nous avons évoqué notre Noël commun (brièvement, nos enfants étaient là ;o) ). Cette année, nous ne mangerons pas ensemble elle sera avec sa famille, dans la limite du nombre de convives et de foyer (je pose 2 et je retiens 8). Nous serons tous les cinq (yeah ! mon grand garçon a pu venir).  Ensuite peut-être qu’avec masques, distances, grand air et tutti quanti, on se retrouvera pour se balader au bord du Rhin et se rappeler le bon goût de l’amitié en direct.

Le hard lockdown a été mis en place mercredi dernier. Les enfants ont gagné trois jours de vacances et voir du monde va être encore plus dur.

Ces derniers temps, la vie s’était translatée sur les trottoirs. J’ai attendu mon tour chez le coiffeur dans un abri extérieur, avec canapé coussins, thé et café à disposition. Presque une tente bédouine. (Presque un intérieur). Des panneaux indicateurs sont apparus devant un immeuble pour donner les sens des queues. Flèche à droite : pharmacie ; flèche à gauche : cabinets médicaux. (Oui pour aller chez le docteur on attend dehors d’être appelé à l’interphone.)

Chacun fait ses calculs pour savoir comment et dans quelles conditions se retrouver pour les fêtes (si la grand-mère vient, faut qu’on mette un ado dans le placard : lequel ?).

Pour le réveillon, notre escapade en Forêt noire est tombée à l’eau du confinement. Angela a interdit les feux d’artifice. Donc ma deuxième Saint-Sylvestre le long du Rhin sera silencieuse.  Et propre. Pas de dépouilles de pétards dans les rues du lendemain. Ni dans notre jardin, même en notre absence.

Comme personne ne part dans le quartier, les enfants auront des copains avec qui jouer au foot ou au basket.

Ces vacances à la maison seront l’occasion ou jamais de sortir les jeux de (petite) société. Les enfants ont installé Risk sur le tapis du salon. Ils me rappelleront les règles. Nous allons voyager sur un plateau de jeu. Rêver de nos prochaines excursions. Nous imaginer envahir toute l’Europe. Un peu comme cela risque de se passer quand tout le monde aura été vacciné.

Je vous souhaite un très joyeux Noël !

Biscuits de Noël et autres traditions

Douceurs allemandes, anglaises et françaises. La cuisine est sens dessus dessous.

(Attention : la lecture de cet article risque de vous ouvrir l’appétit.)

C’est vraiment compliqué de concevoir une nature morte…

Vous aussi vous êtes dans les préparatifs de Noël ? Avec une liste d’inconnus et d’incertitudes ?

Certaines traditions ont pris encore plus de valeur en cette année floue :  les desserts en pagaille et les décorations. Ces joies-là sont dans notre périmètre de maîtrise . On a déjà réussi la guirlande de l’Avent et les étoiles en papier découpé (le tuto de ma fille est sur Instagram, ce site ne peut hélas pas digérer sa taille). Acheté les figurines en chocolat de Saint-Nicolas pour donner aux copines au collège (encore entières le matin au départ).

(Maman quand est-ce qu’on va chercher le sapin ?)

Les préparatifs des douceurs ont commencé voilà plusieurs semaines. Je vous en ai déjà parlé, faute de variété à se mettre sous la dent. C’est qu’on se met un peu la pression : il nous en faut de trois sources. Alors on s’organise. On dévalise le rayon pâtisserie du supermarché du coin. Les achats anticipés de Lebkuchen à la boutique en face du théâtre de Mainz sont faits. Comme les commandes en Angleterre : crackers, Christmas pudding et son brandy butter, et barres chocolatées pour les stockings (chut c’est un secret). Nous avons reçu un colis d’Ardèche (merci papa pour les marrons glacés), un carton d’Allauch (nougats blanc et noir).

(Permettez-moi un petit aparté, si nous recevons bien nos paquets, nos envois à l’étranger ne semblent jamais atteindre leurs destinataires… il doit y avoir un problème de distribution au passage de la frontière, ou un intermédiaire très gourmand et peu scrupuleux… Vos paquets arrivent, vous ?)

Nous avons aussi pâtissé : le Christmas cake attend sous plusieurs couches de papier. Il sera glacé et décoré le 24 décembre. La mince meat macère en pots. Elle servira à fourrer d’un coeur fruité et épicé des mini-tourtes en pâte sablée.

Côté sablés allemands, les Plätzchen, longtemps nous sommes restés aux deux classiques Marmeladennester (petits ronds aux noisettes et à la confiture) et Vannillekipferl (mini croissants aux amandes et à la vanille). Mon amie d’enfance de Cologne nous avait fourni les recettes. Cette année, je me suis offert, à la librairie du quartier, un livre de pâtisserie de Noël. Ça doit être un signe d’intégration avancée : notre gamme culinaire s’étend ET lire en allemand sur notre temps libre ne nous fait plus peur. (Pour les mots compliqués, ma fille est plus rapide que Google translate et je n’ai pas besoin de trouver mes lunettes.)

Les Allemands préparent différentes variétés de ces sablés et les stockent séparément dans des boites. Ils les offrent mélangés dans de petits sachets. Samedi j’ai croisé au marché une mamie-amie de mon cours de terre. L’an dernier elle nous avait apporté une sélection de ses petits sablés de Noël. Ils étaient délicieux. Alors je lui ai demandé : Tu as fait tes biscuits ? Tout est prêt ! elle m’a répondu.

Motivée par son exemple, j’ai décidé de me mettre aux fourneaux. Les miens sont partis faire des courses vers Francfort (c’est loin Ikea, et là-bas le Décathlon est plus grand). J’ai profité du champ libre pour confectionner des Marmeladennester.

En attrapant un pot de groseilles dans le placard du haut (beaucoup trop plein si vous voulez mon avis), un pot de gelée de coing est tombé. PAF ! Il a éclaté en mille morceaux. Des échardes ont sauté jusque sur la plaque de gâteaux. La catastrophe de confiture, la catasture à moins que ce ne soit la confitrophe a ruiné mon boulot. J’ai tout jeté.

Le lendemain ma fille et moi avons pris notre revanche en forme de Zimtsterne : des étoiles à la cannelle. Bien meilleures que ma première tentative. A la sortie du four à 16 heures, ma fille en a compté 42. Le soir-même il n’en restait que deux… Comment font les Allemands pour garder des stocks jusqu’à Noël ? Je vais enquêter.

(Maman quand est-ce qu’on va chercher le sapin ?)

Vous voyez, mon ascendance provençale et ses treize desserts sont honorés (freestyle) ! On a aussi planté les lentilles le 4 décembre. Elles gonflent dans une coupelle sur la fenêtre de la cuisine.

On chante (et même juste parfois). On écoute les Christmas carols anglais, des chants espagnols qu’on aime bien (on reste ouverts), la seule chanson allemande qu’on connait Kling Glöckchen Kling (tiens ce serait bien qu’on en apprenne d’autres cette année, avec la nouvelle partition de flute de ma grande.)

A peine sorti la caisse de livres de de disques de Noël ma plus jeune a voulu chanter Noël n’est pas au magasin. Quelques jours avant qu’Anne Sylvestre ne s’envole pour toujours. Bon voyage Anne, nous on continue de chanter tes poèmes. (Heureusement que j’ai découvert ses textes pour adultes, sinon je serais à nouveau un peu orpheline.) On va tenter de te suivre et faire en sorte que Noël, sinon au magasin, ne soit pas trop sur Internet.

Les créations vont tous azimuts. On bricole, bidouille, rigole, peinturlure, tripatouille, et découpe. La maison est sens dessus dessous à moins que ce ne soit le contraire. Le pistolet à colle traine sur la moquette (hélas), ma grande fille refuse obstinément de mettre un tablier pour utiliser la peinture acrylique.

Un vrai bonheur, tant qu’il me reste quelques gouttes de tolérance pour le bazar.

Vous l’aurez compris, ma plus jeune nous tanne pour aller chercher un sapin de Noël (avec un jeu de mot top subtil, Tannenbaum veut dire sapin de Noël). Un stand s’est installé devant une église ultra moderne, là où au printemps pousse le kiosque de fraises et asperges. Charmant ce petit carré d’herbe sous les arbres avec des sapins de toutes les tailles. On se croirait dans un dessin animé Disney. L’enseigne éphémère propose des sapins à vendre et à louer. A louer, pourquoi pas ? On avait déjà tenté le sapin vivant ; il a même déménagé avec nous à Mainz. Hélas, la chaleur de l’été a eu raison de sa bonne volonté.

Des enfants en tenue de ski boueuse (forcément…) nous accueillent avec de longs tasseaux de bois gradués. D’un côté le prix à la vente, de l’autre, à la location (vertigineux, les deux). On se renseigne : pourquoi un sapin loué est plus cher ? Vous avez le pot (tout petit et en plastique). Et comment ça marche ? Vous rapportez votre sapin le 9 janvier. Pas de retour d’argent ? Non. Bon on va réfléchir.

(Maman c’est ce matin qu’on va chercher le sapin ?)

Pas besoin de beaucoup réfléchir : notre jardinerie favorite est moins chère et les sapins locaux. Le dimanche elle n’a le droit de vendre que des végétaux, mais c’est souvent bondé. Là le magasin était très calme. Peut-être parce que c’était la Saint-Nicolas ? Et aussi le deuxième dimanche de l’Avent ? Cette année leur village de Noël intérieur est réduit : pas de patinoire pour les enfants.

Nous avons jeté tous les quatre notre dévolu sur le même candidat : l’affaire fut réglée en quelques minutes. De retour à la maison, les deux cartons de décorations, sortis du cagibi fin novembre, calendriers de l’avent obligent, attendaient au milieu du salon. L’une des filles a mis des chansons de Noël pendant que les autres fouillaient dans nos trésors.

Magiques non, les boites de boules et guirlandes ? A chaque ornement déballé, on entend des “Oh tu te souviens, on l’avait acheté à ….” Un pudding en laine de Londres, un Ampelmann en feutrine de Berlin, un lutin de la jolie librairie de Mainz (et beaucoup de boules d’Ikea).

Chaque année, nous retrouvons des créations d’un autre temps que je refuse de sortir (hou la mauvaise mère) ou de jeter. Je cherche du soutien :

-Les filles vous ne voulez pas jeter ces bricoles abimées de vos premières années ?

-NOOOOOOOOON !

-Vraiment ? Le papier crépon est déchiré et délavé, le bougeoir en pâte à sel cassé….

-NOOOOOON !

-OK, OK.

C’est reparti pour un an dans le carton.

Pas de vraies bougies pour nous. Dans les magasins leurs boites ont remplacé les packs de quatre grosses bougies pour les couronnes de l’Avent. C’est charmant, mais on voudrait éviter de mettre le feu au quartier. Nous utilisons des guirlandes lumineuses, nombreuses comme jamais. Pour les éteindre et les allumer, à quatre pattes sous le sapin ou dans un twist peu recommandé pour les vieux dos entre les étagères, ça va nous occuper pour la journée !

Le salon est tout joli maintenant. Surtout qu’on en a profité pour ranger un peu. Pour nous récompenser, nous grignotons des mince pies importées. Chaque bouchée nous envoie des bouffées de nostalgie de la maison du grand-père à Londres.

Pourtant c’est chouette de rester chez nous pour les fêtes. Pas besoin d’essayer de faire rentrer une montagne de cadeaux dans trop peu de valises. De tout installer en cachette, au moment de partir, au pied du sapin en prévision du retour. D’attendre une correspondance dans les courants d’air d’une, de deux, de trois gares. Ou de coordonner les achats de victuailles à distance avec le reste de la famille.

Le menu on s’en est occupé directement : la dinde est commandée au marché (oui pour cinq, on aime bien les restes). Depuis, le boucher nous reconnait. Mercredi on réservera le vacherin chez le fromager.

C’est chouette mais un peu doux amer. Pas de marché de Noël, avec ses lumières, son Glühwein (vin chaud), son jus de pommes chaud et épicé pour les enfants (et moi), ses Bratwurst et les sourires amis. La ville est calme, comme en janvier. Pas de fêtes dans les écoles. Mon coiffeur, toujours pieds nus en décembre, m’a dit soulagé de ces annulations. Moi ça me manque un peu.

Birkenstock ne fait pas que des sandales

Alors pour me consoler j’écris à qui vous savez.

Cher père Noël, cette année on voudrait des jolis pyjamas. Des pantoufles aussi peut-être ? Elles s’usent vite en ce moment. Le gros orteil de ma fille va sortir bientôt.

Heureusement les traditions ont la vie dure.

Certains remplacent le marché de Noël par des soirées autour d’un feu de camp dans un jardin (les Allemands sont très férus de feux extérieurs en toute saison, ils ont des coupes métalliques sur pieds exprès).

Mon mari a reçu une grosse boite de la part de son travail. Une fête de Noël en kit : une bouteille de Glühwein, un petit Stollen, et un sachet de Plätzschen, les fameux petits sablés. Sous les papiers d’emballage, un carton de loto.

La fiesta sur Zoom promet d’être endiablée !

Un p’tit gâteau ?

(On a caché la balance.)

Femme au bord (opposé) de la crise de nerf

Lockdown ”light” en Rhénanie-Palatinat ? N’empêche, ça fait râler !

Aujourd’hui c’est le premier dimanche de l’Avent. Noël approche avec bonheur. Les festivités ont été anticipées depuis début novembre, pour accélérer le ”lockdown light”. On a l’impression d’en être au troisième calendrier de l’Avent. Mais ça y est décembre approche !

Chais pas vous mais j’en ai marrrrrrrre de cet enfermement. Pourtant il est bien moins sévère qu’en France, où il vient d’être assoupli. Ici, il continue à l’identique ou presque. Le nombre de convives autorisés autour d’une table vient encore d’être abaissé. Mais on peut sortir à volonté. C’est quand même mieux que la quarantaine absolue à notre retour de France au début du mois.

Après deux semaines à la maison, j’ai craqué. J’ai craqué une heure avant de pouvoir sortir. J’ai hurlé que y’en avait ras le bol ! Vous m’avez peut-être entendue depuis votre cellule ?

Après le compte à rebours pour enfin sortir, j’ai lâché à 17 heures mon mari coincé par un coup de fil professionnel. Je ne pouvais attendre une minute de plus. Avec une grande inspiration, j’ai fait un rapide tour du quartier (pas grand changement, plus de feuilles par terre que dans les branches, et que la dernière fois que j’étais passée). J’ai enfourché mon vélo pour aller, dans le crépuscule, chez le maraicher acheter de la mâche, une salade pain de sucre palpitante et des épinards croquants, cueillis le jour-même le long du petit ruisseau du Gonsbach. Y’en avait marre des feuilles molles de la salade de supermarché. On se rabat sur ce qu’on peut contrôler. Sur la vie qu’on peut attraper.

Le nouveau confinement partiel a à peine quelques semaines : il semble déjà interminable. On est libre de nos mouvements, mais les destinations de loisirs sont éteintes. Musées, restaus, cafés, cinés, piscines et salles de sport sont fermés. Il reste les chemins mouillés, les arbres en tenue d’automne, les vignes arlequin sur les pentes et le courant du Rhin, sans limite de distance (au moins tant qu’on reste dans le même Land). Les copains ont été confisqués, posés sur une étagère trop haute. On se retrouvera un jour, quand…. Quand… je ne sais pas. J’allais écrire une échéance, je n’en ai pas.  Un par un ça va encore, c’est déjà ça. Tant que les écoles restent ouvertes… tant qu’on est en bonne santé, tant qu’on sait les siens en sécurité….

Non.

Ça ne suffit pas. Toutes ces privations quotidiennes, les inconsistances et incohérences, ces renonciations minuscules, et frustrations à répétition ça vous grignote la patience. Surtout sans avoir d’échéance. La récidive a la peau dure : elle nous a subtilisé le futur. Tu le vois, tu le vois, tu ne le vois plus (oui, avec Santa and co, on a reparlé d’Alain Chabat : mais si, c’est le même qui joue César dans Astérix et Cléopâtre). Nous tournons en rond autour de notre pieu. Mais on est grands, on a appris la leçon, on n’ira pas se jeter dans la gueule du loup. Même si notre longe nous étrangle.

Parfois on préfèrerait s’évader pour sentir le parfum des herbes sauvages et libres. Tant pis pour les crocs acérés au petit matin. Mais la loi et le Bureau de l’Ordre (Ordnungsamt) sont là pour nous protéger de nous-mêmes.

Voilà de quoi apprécier secrètement le désordre de notre côté de la porte d’entrée. (On ne dit pas porte de sortie pour une maison, ça n’a jamais été plus vrai). Pour l’instant tant qu’on n’invite personne on peut à peu près faire ce qu’on veut chez soi.

Le voisin l’a bien compris, hélas. Il exerce une profession liée aux fêtes. Donc en ce moment il trompe son ennui à coup de scie à métaux et de perceuse. Il refait sa terrasse grande comme un napperon en dentelle (on le sait on a la même) depuis deux mois. Deux mois. Avec la radio en fond. Heureusement dans une langue inconnue. Maintenant il s’attaque aussi à son intérieur et à nos nerfs. Et si on lui passait une petite commande histoire de le distraire ?

Côté bricolage, je ne me suis pas réinscrite à la VHS (Volkshochschule, équivalent de nos MJC) pour la série de cours de terre avant Noël. J’ai écrit à ma prof : désolée je serai absente pour cause de quarantaine, viel Spass (amusez-vous bien). Alors pour utiliser mes doigts ailleurs que sur ce clavier et créer en 3D, j’ai commandé de la laine. Pour au moins dix projets. J’en ai acheté chez deux fournisseurs différents (complémentaires). Depuis que j’ai commencé le premier pull, j’ai planqué les stocks pour éviter aux cartons pleins de me narguer.

Les brins de laine noire et duveteuse comme des fleurs de coton étaient invisibles sur des aiguilles bleu marine. Je piquais à l’aveugle en râlant. Mon tricot circulaire ne marchait pas comme je voulais : les mailles refusaient de remonter sur les aiguilles, le rond de se refermer. Maintenant j’ai fait au moins dix rangs, ça a l’air de marcher. Le projet prend (une) forme. Mais les aiguilles recommandées dans le patron (bien plus grosses que celles indiquées sur ma pelote) créent une succession de jours. J’ai l’impression de tricoter un filet. Ça fait beaucoup de tracas pour m’habiller avec des trous. Une tenue pour sortir les poubelles puisque c’est la grande aventure du moment ? Ou alors peut-être vais-je en rester là, et transformer ce début noir et poilu en sautoir new-age ? Je retournerai alors à mes bonnets…

En même temps, créer une chaine de jours… c’est plus qu’adapté… Pardon pour le jeu de mot pourri, je n’ai pas pu m’empêcher. Au moins je ne vous verrai pas, comme font mes enfants, lever les yeux au ciel.

Tiens, le ciel où est-il ? Le brouillard est tombé. Il fait blanc. Les maisons de la rue se distinguent comme à travers une eau laiteuse. Un enfermement de plus. Hop, vous avez pris un peu plus : privation de vue. Eh non ! sur mon bureau, j’ai des cartes postales de nos amis allemands photographes et éditeurs en Ardèche : un potager d’automne lumineux, le trou du Pont du Diable (idéal pour se baigner en eau fraiche et verte, et sauter de haut pour ceux qui ont le courage), en dessous des orgues basaltiques de Thueyts (puisque je suis ici, veuillez m’excuser un instant, j’adresse un salut amical à ma maîtresse de cours élémentaire). Sur le sable au fond de l’eau un amoureux amphibie a écrit avec des cailloux un message à sa douce. Du soleil, des rivières et du ciel ardéchois j’en ai tout plein. Et toc. ( A vous de ne pas voir la langue tirée au brouillard allemand).

Pourtant il est bien intentionné ce brouillard avec son froid humide. Il encourage à rester chez soi, à éviter les covideries.

De toutes façons les sorties me semblent toujours conditionnelles. Les deux semaines de privation de liberté m’ont marquée au-delà de la date limite. Mon bras a toujours une hésitation au moment de saisir mon sac et ma veste. Ai-je le droit ? Pas besoin de bracelet électronique, le conditionnement a fait son œuvre. L’autre jour en sortant faire un tour de pâté hygiénique (le tour, pas le pâté), j’étais toute surprise et émerveillée de pouvoir marcher dehors, vers une destination de mon choix (plutôt vers la droite ou vers la gauche le tour de 5 minutes ?), comme si j’étais libre.

Dans la limite des conditions imposées.

Même les plantes font partie du dispositif de sécurité. Quand un livreur a sonné, faute de trouver les clefs rapidement pour lui ouvrir, j’ai voulu sortir par la porte fenêtre adjacente. Je n’ai pas pu. Des plantes grasses épineuses gardaient le bas. Les vrilles de la vigne entortillées aux montants du store m’ont retenue plus haut. Les lianes échappées de chez le voisin nous emmaillotent. Ce week-end, dans son grand ménage de confinement, il a taillé sa vigne. Pas de vent et pourtant d’un coup les arbustes de l’entrée se sont secoués. Une à une les guirlandes dorées se sont affaissées. Elles me manquent.

J’ai détortillé une à une les vrilles encore accrochées. Qui d’elles ou de moi libérait l’autre ?

Prenez soin de vous avant de craaaaaquer ! ;o)

PS : Je m’étais plantée : il fallait tricoter en double. J’ai recommencé le pull, et depuis je l’ai fini. Trop large, trop court, il est top à la mode pour ma jeune fille :o). La prochaine fois je ferai un échantillon…

PPS : J’écoute Queen : I want to break free ….

Energies gaspillées (non renouvelables)

Comment se préserver des agressions extérieures quand elles s’infiltrent tous les jours via nos écrans ? Pour les hypersensibles ça relève de la survie.

Ferme le robinet quand tu te brosses les dents ! Arrête le radiateur quand tu ouvres la fenêtre ! Eteins la lumière quand tu sors !

Préserver l’eau et l’électricité, économiser l’argent qui les paient. La leçon est connue. On reste vigilant. Pourtant une certaine énergie devient de plus en plus difficile à préserver : celle qui nous sert de bouclier contre la boue répandue dans les médias au sens large. Morts aux cons… Vaste programme (mon père). Et tant pis pour la solitude (mon prof de philo de prépa).

Certains ont un pouvoir de nuisance plus élevé que d’autres.

Mon fils m’a tracé une courbe sur un petit calepin : la montagne de l’imbécillité (sic – on a beau avoir fait hypokhâgne et khâgne, on a toujours besoin de mettre deux L aux imbéciles, peut-être pour qu’ils soient plus légers à supporter – et là je peux utiliser le ‘sic’ comme il faut, c’est lui qui m’a corrigée). En abscisse : la connaissance, en ordonnée : la confiance. La courbe dessine la bosse d’un dromadaire avant de remonter en pente douce, après la vallée de l’humilité. Le nom savant c’est l’effet Dunning-Kruger. Rappelez-vous Michel Audiard : ‘’Les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnait’’.

Ne suivez pas mon regard. Les cons pullulent hélas. Trop près de nous parfois : on est toujours le con d’un autre. M’enfin…

Quand je vois l’énergie qu’il faut dépenser, et l’argent gaspillé tout ça parce qu’un jour un politicien ambitieux et peu scrupuleux des conséquences (pardon pour les pléonasmes) a proposé la baguette magique du Brexit pour résoudre tous les problèmes. L’énergie pour rétablir (un peu) les faits quand la personne à la tête du pays le plus puissant du monde passe son temps à mentir. Celle pour colmater les brèches dictatoriales dans la démocratie. Quel gaspillage de tous les efforts de construction des générations précédentes comme s’ils étaient acquis. Gaspillage de temps, d’argent, de notre patience. Quelle insulte au bon sens de leurs électeurs !

Mainz, dans une ruelle

J’essaie de me préserver au maximum des réseaux sociaux.

J’ai une image très négative de Twitter où je n’ai aucune envie de tremper les neurones. Facebook m’a rebutée quand j’ai créé une page pour mon atelier de peinture sur céramique voilà quelques années. Bilan, je ne suis présente que sur Instagram et encore du bout des doigts. Son côté créatif, esthétique et gai me plait… dans le respect des doses prescrites. L’uniformité lisse est insidieuse. La toxicité s’insinue dans les atteintes à la confiance en soi. Une goute par ci, une goutte par là. L’acide de la perfection des autres ronge la peau.

La vitrine des apparences sur écran est encore pire que dans la vraie vie. Là où on se comparait malgré soi à un ami, un collègue, un voisin, on peut se mesurer à la terre entière. Une terre sans aspérités et homogène, jeune et en bonne santé. Peuplée de petits chats et de jolies filles (peu habillées). Je cherche à apprendre : dans les dix trucs pour améliorer sa présence Instagram il est conseillé de poster des photos de son chien. Vraiment ?

(Non ça ne me suffira pas à céder aux supplications de mes filles).

Soucieuse de préserver mon cerveau hypersensible de conséquences démultipliées, je filtre énormément. Mais l’autre jour tentée par un site créatif, je me suis laissé happer par des photos dignes de magazine, des réalisations à mon goût… Ma raison a beau eu me chuchoter de me méfier des apparences, j’ai posé mon téléphone avec amertume.

Vilaine jalouse.

Ça n’est pas très agréable comme sensation vous imaginez. Ni de se regarder devenir comme cela.

Le Rhin à Budenheim, samedi

Je filtre mais même sur la page de l’actrice anglaise, Miranda Hart, mon gourou en authenticité j’ai été choquée. Pas par elle, non, car c’est la seule personne dont j’ai connaissance qui accepte de se montrer ”pour de vrai” le cheveu gras ou mal habillée. Elle le fait ostensiblement sur sa page pour contrebalancer les mensonges par omission de la planète. Elle partage des sensations qui semblent sincères. Même s’ils viennent pour son humour, ses fans restent pour sa vulnérabilité assumée. Elle les touche au cœur.

Donc là, sous un de ses posts, j’ai lu une de ses réponses (bienveillante, ouverte) à quelqu’un. Intriguée, j’ai lu le commentaire (pof glissade dans le piège insidieux des réseaux sociaux : toujours plus, et même vers des destinations que l’on souhaite éviter). Et là je suis choquée : une Américaine avait écrit dans une forme raisonnable des arguments qui l’étaient moins. En substance : J’en ai marre d’être considérée comme une méchante parce que je vote républicain.

Non.

A un autre moment de l’Histoire oui mais aujourd’hui, non.

Trop facile.

Quand un charlatan monstrueux a eu quatre ans pour montrer son pouvoir de nuisance, on ne peut pas se cacher derrière la couleur de son bulletin de vote. 70 millions de gens ont pourtant voté pour lui. Mon mari dans une démarche scientifique cherche à savoir pourquoi : il réfléchit. Mon analyse politique est plus expéditive. Ce sont des gens irresponsables qui ne réfléchissent pas plus loin que le bout de leur fusil pistolet (un fusil c’est encore trop long). Des gens qui osent tout. La proportion donne le vertige.

Le Rhin, en face, un autre samedi.

Là ma raison revient à la charge : tu veux t’améliorer sur Instagram ? Tu veux être likée par une majorité molle ? Celle que tu fuis au quotidien parce que tu ne t’y sens pas bien ? Tout ça pour le petit boost d’endorphine ? Et en refusant de tricher ? Ressaisis-toi. Miranda peut se le permettre grâce à sa côte d’amour gagnée par son talent d’humoriste. Toi si tu y vas franco tu vas juste faire peur.

Non mais tu comprends, je lui réponds (ça discute beaucoup dans ma tête, pffff), j’essaie juste d’apprendre les codes de mon époque. Pour ne pas être trop has been avec mes filles (mon fils, lui préfère les bouquins aux écrans qu’il ne fréquente pas). Rentrer dans une case ? Encore ? T’en as pas marre d’essayer ? Ça ne marche jamais et tu t’en sors avec des cicatrices.

OK, OK.

J’essaie de rester authentique dans mes écrits et mes publications. Tant pis si ça ne rentre pas dans les photos carrées d’Instagram. Ni dans les algorithmes de Google.

Mais le mal sournois s’insinue à mon insu. Chaque jour je reçois plusieurs commentaires à mes articles. Ecrits en anglais, ils semblent venir de sources aux graphies exotiques. Des mails qui parlent de toute la boue (plus ou moins légale) vendue ailleurs et pointent grâce à des liens vers ces sites. Tous les jours je consacre de longues minutes à trier et jeter. Je gaspille du temps et de l’énergie.

Je reçois aussi des inscriptions de gens inconnus aux noms aux consonances anglophones (curieux à la longue sur un site en français) et aux adresses mail sans jamais aucun rapport avec le nom. Au début j’étais contente de cette progression. Depuis juin, plus rien de louche. Ah, WordPress a dû faire une mise à jour. J’ai testé une adresse mail dans Google : Norton a clignoté comme un arbre de Noël : site dangereux.

Je me suis renseignée. J’ai appris (ce que vous savez déjà sûrement) que les commentaires malintentionnés étaient fréquents sur un blog et qu’il existait des filtres à activer (et à payer). Je l’ai fait. J’ai aussi supprimé tous ces faux abonnés. Un poids délétère s’est envolé de ma poitrine.

Gardons notre élan pour créer plutôt que pour se préserver des assauts malveillants du monde entier qui entrent sans frapper. Au moins avec les pubs dans la boite aux lettres ça reste bon enfant et local. On s’en tient aux pizzerias du quartier. Un petit carré de papier collant nous protège : Keine Werbung bitte, danke (pas de pub svp, merci).

Dans une vie grillagée de contraintes coronesques, c’est agréable de se sentir libre d’écrire tout cela. La pensée et la parole comme derniers espaces de liberté.

L’autre matin dans un élan de courage du début de semaine, et aussi pour m’occuper pendant que je grignotais mes tartines (pain archi-complet et pate d’amandes), j’ai voulu regarder les titres des journaux. J’ai tapé lemonde. Les merveilleux algorithmes de mon moteur de recherche m’ont proposé des tas de recettes de boissons au citron (lemonade). J’ai pu atterrir avec un sourire acidulé sur la une du Monde. Je n’ai lu qu’un article, dilution du sourire. Emmanuel Macron regrettait, dans son hommage à Samuel Paty, la timidité des condoléances de pays étrangers censés partager nos valeurs de liberté d’expression. J’avoue (comme dirait ma fille 500 fois par jour) que j’ai été surprise par les articles que j’ai lus dans la presse britannique sur le sujet. Timorés au point d’être ambigus. La séparation de l’Eglise et de l’Etat reste un concept exotique et progressiste même pour nos voisins démocratiques.

Novembre en ciel

Et pourtant…. A l’échelle de notre quartier, l’Allemagne, a rendu hommage à Samuel Paty.

Oui l’Allemagne, où il faut déclarer sa religion à la mairie lorsqu’on arrive (pour se voir attribuer les impôts associés). Au Gymnasium de nos filles, à la rentrée des vacances d’automne, un message du directeur au micro général a demandé à toutes les classes, du CM2 à la terminale de faire une minute de silence. 1100 minutes d’adolescents et 120 minutes de professeurs. Ça m’a beaucoup touchée. Les filles aussi bien sûr. Elles n’étaient pas au courant. D’habitude nous essayons de traduire les événements importants en langage édulcoré. Mais là nous n’avions pas encore pu. Déjà que notre benjamine ne veut pas rentrer en France par peur des attentats…

Source en cabane

Je ne devrais pas recevoir de commentaires désobligeants de la part de ceux qui redoutent la liberté d’expression. Mes articles sont classés « rouge » par mon logiciel : « ne peuvent pas être compris par des enfants de 11 ans ».

Permettez-moi de conclure sur une citation du Marquis de Sade que j’aime beaucoup : « Tous les hommes sont fous, et qui n’en veut point voir doit rester dans sa chambre et casser son miroir. »

Ça tombe bien, dans ma chambre y’en a pas de miroir.

Carnaval Zoom

Le 11.11 à 11 heures 11 a été lancée la campagne de Fastnacht (Carnaval) 2020-2021. En toute petite pompe.

Pouet, pouet, zim boum boum.

Carnaval commence en Rhénanie le 11 novembre. La cérémonie très officielle est organisée chaque année sur la place Schiller, dans le centre ancien de Mainz. Une journée de foule et de défoule, repère pour les Mayençais, de l’entrée dans la période des fêtes. A ma question : « Mais que se passe-t-il place Schiller le 11/11 ? » un ami franco-allemand m’avait répondu : « Tu verras. Tu y vas, et tu t’laisses aller. »

Nous y étions descendus en famille il y a deux ans curieux de découvrir cette tradition. Les enfants étaient déguisés comme nos guides du jour, une amie allemande et sa fille. Nous avions rejoint le centre-ville dans un bus bondé car la circulation des trams était modifiée. Des milliers de citoyens de tous âges se massaient autour du Fastnachtbrunnen (la fontaine de carnaval), devant l’hôtel particulier, l’Osteiner Hof. Sur le balcon central se tenaient les maîtres de cérémonie derrière un micro. A l’heure précise, toutes les voix ont compté à l’unisson. 5 ! 4 ! 3 ! 2 ! 1 ! Puis une forêt de mains droites a fait trois saluts scandés par les HELAU ! HELAU ! HELAU ! Après la proclamation de la charte de carnaval dans un silence impatient, les bombes à confettis et les cris joyeux ont éclaté. Les serpentins se sont envolés, les bouteilles de bière entrechoquées.

Etant peu adeptes des foules, déguisées ou pas, nous ne nous sommes pas laissé aller. Après la cérémonie, nous avons joué des coudes pour atteindre une pâtisserie et ses beignets. La deuxième année nous avons fait l’impasse.

Ce matin, curieuse et masquée, je suis descendue en ville pour pouvoir vous raconter comment se passe le Elfter Elfter (11/11) en période de confinement partiel. Je ne risquais pas grand-chose : tout regroupement est interdit. Je peux faire ma maline et être plus mayençaise que les copines.

Le ciel blanc diffusait une lumière blafarde de jour de neige, sans le froid associé. En début de matinée, j’ai pu trouver dans un tram calme une place assise avec l’Abstand (la distanciation sociale, ici de 1.5 à 2 m) de rigueur. Dans les rues, les premières décorations de noël ne compensaient pas les terrasses de café fermées et les vitrines éteintes des restaurants. Signe d’une journée particulière : plusieurs passants portaient une écharpe couleurs de Fastnacht (rouge, blanc, bleu, jaune), ou une grosse médaille sur une ficelle bariolée. Parfois leur masque portait les mêmes rayures. Dans une rue du centre piéton commerçant, une queue ordonnée et espacée s’allongeait devant un bâtiment quelconque que je n’avais encore par remarqué. C’était le siège du Mainzer Carneval Club 1838 e.V. .

Le théâtre ce matin. Vorhang zu und alle Fragen offen : le rideau est fermé, les questions restent ouvertes.

Après avoir flâné dans des rues oubliées depuis plusieurs semaines, je me suis dirigée vers la Schillerplatz. En face du théâtre fermé, j’ai acheté du pain d’épices de qualité (Lebkuchen). C’est un magasin temporaire qui vend des glaces en été. (Oui merci, de ce côté-là nous sommes équipés, pour notre consommation locale et les envois familiaux, si les petites mains ne trouvent pas la cachette). Après avoir remonté une Ludwigstrasse vide, derrière un arlequin aux cheveux gris, je suis arrivée juste avant 11h11.

Osteiner Hof derrière le Fastnachtbrunnen (fontaine de carnaval) qui cache le balcon.

Devant l’Osteiner Hof, blanc et rouge brique, comme beaucoup de bâtiments anciens de Mainz (y compris l’Institut Français à proximité), des petits groupes de deux ou trois personnes attendaient, dispersés. Les consignes de sécurité, distances et masques, étaient respectés. Des curieux comme moi ou des carnavaleux fanatiques qui, bravant l’interdiction, allaient exploser bientôt ?

C’était un attroupement décousu et sans liesse. Les portables se tenaient prêts à filmer. Un couple assorti en déguisements traditionnels verts posait avec leur bébé devant la fontaine (sans eau) pour un journaliste. Deux copines grenouilles marchaient côte à côte. Une dame sous un parapluie rouge bordé de ballons haranguait ses voisins. Des copains assis sur les bancs entre les troncs écaillés des marronniers buvaient des bières dans des gobelets en plastique.

Soudain ce fut l’heure.

Une voix d’homme au micro a rappelé qu’aujourd’hui il n’y aurait pas de cérémonie. Merci de la regarder en ligne.

Les badauds, qui n’attendaient que ce signal, ont scandé HELAU ! HELAU ! HELAU ! en agitant la main. Devant moi une bombe à confetti minuscule a éclaté. Derrière, une autre. Deux groupes se sont interpelés et ont trinqué à distance.

Voilà. C’était calme et bon enfant. La voiture de police garée devant n’a pas eu à intervenir.

Je suis repartie pour l’autre bout de la place, attendre mon tram. Des feuilles de marronniers tombaient derrière la statue de Schiller vert-de-gris. Les flâneurs passaient leur chemin. A la fenêtre d’un appartement, un visage dans l’ombre regardait la place en contre bas, derrière des jardinières décorées en rouge-blanc-bleu-jaune. A l’étage du dessus, une jeune fille accrochait au rebord de sa fenêtre ouverte le bout de serpentins aux couleurs fanées. Elle se penchait pour les laisser couler le long de la façade.

Ça fait un peu pétard mouillé cet attroupement doux-amer. Beaucoup de Mayençais (comme les habitants de toutes les villes de carnaval de Rhénanie) doivent être déçus de ne pouvoir faire la fête aujourd’hui. Mais si j’en crois les blagues qui circulent sur Whatsapp ils ont l’air de le prendre avec humour.

Sur le site de la radio et télé locale SWR, j’ai vu les photos prises par le journaliste : le couple en vert, la dame sous son parapluie… des photos que j’avais envie de prendre mais que je n’ai pas osé faire. D’après lui 100 à 150 personnes étaient présentes. J’aurais dit moins, mais je n’ai pas l’habitude des dénombrements de foule. Sur cette place clairsemée, il était intéressant de le voir à l’œuvre. Ce n’est pas si souvent que c’est possible. Le besoin de faire reportage sur l’absence dénote la taille du manque.

(En passant sur le site de SWR j’ai été happée par une recette de gratin de pommes de terre au Lyoner. Ce n’est pas un habitant de Lyon découpé en tranches fines, mais une grosse saucisse. Il y en a chez le boucher du marché, mais on n’a pas encore gouté).

Statue de Schiller sur la place du même nom, au fond : l’Osteiner Hof

Maintenant que les festivités sont officiellement ouvertes en Rhénanie, les préparatifs vont s’intensifier. Bricolage des calendriers de l’Avent (avec 24 petits cadeaux pour chacun des enfants, les veinards) et des Adventkranz, la couronne de l’Avent en branchages ornée de quatre bougies (une pour chacun des dimanches de l’Avent). Les enfants n’ont pas pu défiler en chantant dans la nuit avec leurs lanternes pour la saint-Martin (aussi le 11/11). Mais il reste encore des plaisirs que le corona ne confisquera pas !

Influencée par mon environnement (et motivée par mes expériences passées frustrantes) je m’améliore côté anticipation. Les quatre bougies rouges sont dans un placard (yes !). La semaine prochaine au marché j’achèterai la couronne de verdure (un jour il faudra qu’on apprenne à la faire vraiment). Nous la décorerons avec les enfants. Côté calendrier de l’Avent, on se contente de (beaucoup trop de) chocolats et de fudge. Les petits cadeaux chez nous sont, à l’anglaise, dans les stockings, au matin de Noël (si on a été sage, sinon on trouve des morceaux de charbon). L’heure est au Christmas Cake, ce gâteau épicé riche en fruits secs qui cuit trois heures. Rappelez-moi d’acheter des raisins de Corinthe.

Hier au collège, les élèves ont pu commander pour 1 € une petite figurine de Nikolaus en chocolat. Elle sera livrée le 6 décembre de sa part à l’ami de son choix, dans sa classe, une classe voisine, ou même un autre Gymnasium de Mainz. Ma plus jeune avait pris son portemonnaie. La queue était si longue qu’elle a dû renoncer pour aller en cours.

L’actualité de Mainz comprend deux autres nouvelles : l’annulation prévisible mais regrettée du marché de noël, et le communiqué du laboratoire Biontech sur ses avancées sur le vaccin contre le corona. Il sera conditionné dans des flacons de verre fabriqué par Schott, une autre entreprise de Mainz. Notre ligne de tramway passe devant le siège (en verre) et les longues cheminées (en brique) d’une de leurs usines.

Quel plaisir d’écrire cela ! Les bonnes nouvelles ne courent pas les rues désertées. Je ressens presque une pointe de fierté chauvine et involontaire (car notre présence sur les lieux de ces progrès humains tient du hasard). Comme si Mainz m’avait adoptée.

Fastnachtbrunnen, avec de l’eau, en été

Pour fêter ça je vais accrocher des petites guirlandes lumineuses autour de la fenêtre de mon bureau. En ces temps gris, on peut tricher un peu non et rallonger la période de Noël ? ‘’D’habitude’’ – mais ce mot a perdu son sens – on attend le 1er décembre pour sortir les films, les livres et les disques de Noël. Aujourd’hui ma benjamine était patraque et du fond de son canapé elle m’a demandé de sortir Santa and co. Allez oui ! Même sans fêter le Elfter Elfter sur Zoom, on a tous besoin de lumières scintillantes !