Vivre et le certifier

Me revoilà aux prises avec l’administration, de part et d’autre du Rhin

Le long du Rhin, le nombre de kilomètres depuis le lac de Constance. A Mainz : 500.

C’est la saison, une saison décalée par le corona. D’habitude c’est avant la fin de l’année. Cette fois ce sera avec les giboulées. L’administration française me demande de lui prouver que je suis toujours vivante.

La première fois après notre expatriation j’ai été très surprise. Mais les services de la mairie de Mainz et moi, on s’en est bien sortis. La deuxième fois, l’an dernier, le système avait été refondu, centralisé pour ”simplifier” et surtout pour le pire. La plateforme anonyme ne mettait pas à ma disposition le document qu’un mail m’intimait l’ordre de faire signer au plus tôt (voir article : Bon sens (de l’humour))

Cette année, je me tenais prête, ticket de tram et carte d’identité dans la poche, pour aller demander à un employé inconnu de jurer, cracher, tamponner que c’était bien moi, là en face, derrière le masque. Pour ne pas rater l’échéance, je consultais régulièrement mon profil sur le site. RAS. Jusque-là tout va bien.

Puis un jour j’ai reçu le fameux mail me demandant de télécharger le formulaire. Il a été actualisé. Le document français avec, dans une police plus petite, des traductions multilingues (anglais, allemand, espagnol, portugais) s’est adapté au pays de résidence. Le mien ne porte des traductions qu’en allemand. C’est presque dommage de ne pas se sentir reliée aux autres Français de l’étranger par quelques mots.

Le document précise le 30/03 comme date limite de renvoi. Le site, qui héberge ledit-document, impose le 30/04. Tiennent-ils (ces ”ils” lâchement anonymes) compte de la pandémie qui affecte les pays différemment ? Dépêchons-nous on ne sait jamais.

Comment faire en plein confinement ? Si tous les magasins sont fermés, qu’en est-il des services administratifs ? Un p’tit tour sur le site de la ville de Mainz. J’écris un mail. Une dame me répond obligeamment : envoyez-moi une copie de votre carte d’identité et 6 euros et je vous fais le certificat de vie. Je m’exécute et lui envoie le formulaire français à remplir.

Dispositif efficace. Quelques jours plus tard, je reçois par mail et par la poste le document établi sur du papier à en-tête de la ville de Mainz, en allemand. Ravie de me libérer d’une formalité à si bon compte (lire : depuis mon bureau) et surprise que des services allemands soient aussi conciliants (après tout personne ne m’a vue en chair et en os). J’envoie le document aux services français, avec un petit doute : et s’ils (toujours eux) ne l’acceptaient pas ? Car même s’il a très peu de texte et surtout des chiffres (en gros, mon pédigrée), s’il est officiel et remplit la fonction, les en-têtes sont en allemand et surtout ce n’est pas le document demandé. On n’est pas à l’abri d’une crise de littéralité. Je clique tout de même. Dans le tableau qui récapitule les actions dans mon dossier, une ligne apparait : certificat transmis le 25 février, format papier. Papier ?

Ce qui devait arriver arriva.

J’ai reçu voilà quelques jours un mail sévère des services français : dépêchez vous d’envoyer votre certificat de vie sinon, sinon….menaces des gros yeux anonymes. En gros, vous disparaissez de notre système et il vous faudra montrer 12000 papiers et votre collection de pattes blanches depuis quatre générations pour pouvoir rétablir l’erreur due à votre ”négligence”. Pendant une heure, mon cœur a battu assez vite, je ne suis pas encore immunisée contre la connerie même sans visage. A mon âge, quand même…

Je réécris à la gentille dame, je lui demande s’il vous plait, Bitte, de recommencer en remplissant mon formulaire. Je veux bien repayer 6 euros ou 60, l’appeler avec ZOOM en gros plan et lui montrer ma carte d’identité, mon album photo de naissance, faire cracher toute ma famille et mon nouveau chien, n’importe quoi pour faire taire le Minotaure végan, assoiffé de paperasses virtuelles.

Elle voudrait bien mais elle ne peut pas.

Pourquoi ? L’histoire ne le dit pas.

Il me faut aller dans un bureau le faire établir en ma présence. OK du moment que c’est ouvert, c’est une excellente nouvelle. Je l’appelle pour vérifier qu’on s’est bien comprises. Je prends rendez-vous en ligne dans l’antenne de quartier qu’elle m’a conseillée.

Ce matin, je me prépare en avance. Avec toutes les contraintes coronesques, il ne s’agit pas de rater mon créneau de 10 minutes. Je vérifie douze fois que j’ai bien tout le nécessaire (le formulaire, le mail avec le numéro de convocation, la carte d’identité, celui déjà reçu – on ne sait jamais -, ma patience et mon plus beau sourire). Je mets tout cela dans un sac étanche, dans ma sacoche. Il pleut un peu. J’enfourche mon vélo.

En descendant, je longe le collège. Mon ado y est pour la matinée, trop heureuse de cette bulle de normalité. Les fenêtres sont ouvertes. Ça aère sec. Ils doivent se cailler nos jeunes. C’est un coup à attraper la crève.

C’est bien cette pluie pour mes plantations d’hier. Le petit vallon du Gonsbach est boueux, je sinue pour éviter les grandes flaques. Je tâche de bien rester à droite dans les virages, surtout dans celui sans visibilité. Les remontrances reçues il y a deux ans pour coup de guidon malencontreux sont encore vives. Comme quoi, à tout âge on apprend.

Quand le passage à niveau s’ouvre, j’emprunte le chemin qui longe les grands peupliers. Dans les roseaux gris, peut-être aurais-je la chance de revoir le martin-pêcheur ? C’est incroyable comme, habillé de couleurs éclatantes, il arrive à se camoufler dans un camaïeu brun. La semaine dernière avec mon amie simultanée, nous l’avons observé longtemps, sans oser bouger. A l’extrémité d’une branche on le distinguait à peine.

Dans la côte aigüe, je pousse mon vélo (j’ai un peu honte quand un monsieur me double en pédalant ; à ma décharge, je le pousse aussi à la descente tellement c’est raide). Derrière un grillage une poule blanche et noire se dandine. Sous un noyer, des scilles éclairent de bleu la terre battue. Quelques primevères sauvages jaunes pâles et pourpres émaillent le dessous d’une haie encore nue. Cette petite maison basse sur une pente de campagne au ras du vallon et de ses fourrés me fait bien envie.

C’est le chemin pour aller chez mon amie. La dernière fois que je suis passée, des travaux de terrassement avaient à peine commencé. Aujourd’hui trois gros immeubles ont poussé, ils en sont presque aux finitions. Si longtemps déjà ?

Je pédale le long de la route, talonnée par un bus. Je sais dans les grandes lignes où je dois me rendre, mais l’axe principal offre plus de repères que la piste cyclable dans le bout de forêt.

Virage à gauche. J’attache mon vélo à un réverbère. C’est là. Juste à côté de l’école primaire où nous étions venus il y a trois ans, mon mari et moi, rencontrer la directrice pour préparer notre futur déménagement. Accueillante et encourageante elle avait répondu à nos questions. Celle d’une autre école avait refusé tout net notre demande d’entretien, puisque nous ne savions pas encore de quel établissement notre logement allait dépendre.

La porte de l’antenne de la mairie est fermée. Un gardien à moustache et carrure d’ancien rugbyman vient m’ouvrir. La jeune femme derrière moi entre aussi. Nous nous asseyons dans le couloir d’attente, à trois mètres l’une de l’autre. L’employée appelle. On se fait des politesses. On est toutes les deux en avance. J’entre et je m’assois. En entendant mon nom, l’employée me renvoie dans mon couloir. Je suis trop en avance.

Me voilà sur la chaise face à elle. C’est une grande pièce, typique d’un accueil d’administration, avec deux bureaux, dont un seul est occupé, des armoires à dossiers mystérieux. Par la fenêtre, on voit la cour de l’école. Sur la table à ma droite, a été installée une petite nature morte de Pâques en figurines de lapins sur serviette en papier très verte. A gauche sur une commode, des rameaux en bourgeons, bien droits et attachés, tous de longueur identique, se dressent au garde à vous dans un verre. Quelques œufs miniatures décorés sont suspendus aux branches. Le tout est posé sur un carreau de gazon en plastique très vert. Une radio diffuse une musique de fond. Derrière un panneau de plexiglas, le regard de mon interlocutrice m’interroge.

C’est une femme de mon âge (jeune donc, hi hi) aux cheveux courts et noirs, au maquillage sombre. Elle est bien en chair et les manches retroussées de son pull dévoilent les tatouages de ses avant-bras. Je l’ai entendu discuter avec la cliente (peut-on dire cliente ?) précédente, elle m’a semblé être une amie de sa mère. Elle a l’air sympa.

Ça tombe bien. Il faut que je me la mette dans la poche. Je lui formule ma demande. Elle me redemande mon nom et me cherche dans son système. En Allemagne, chaque personne est répertoriée. Elle doit, à quelques jours de son emménagement, se déclarer auprès des services administratifs de son domicile (pour l’Anmeldung, inscription). Même si on déménage à trois numéros dans la même rue.

Elle ne me trouve pas. Cherchez donc au nom de mon mari. Ouf elle nous a. C’est une subtilité que les Allemands ne comprennent pas d’emblée : avoir un nom de naissance et un nom d’usage (de mariage). Ici les femmes choisissent et n’en n’ont qu’un. Ils soupçonnent une magouille. J’ai dû expliquer plusieurs fois que non.

Elle me demande de signer devant elle pour lui prouver que je suis vivante. Soit. Je pensais que ma seule présence suffisait. Pour témoigner de ma bonne volonté, j’ôte mon masque une seconde pour qu’elle me voie à visage découvert. Je suis ses mouvements pleine d’espoir. L’imprimante s’enclenche. NON ! Elle m’a refait celui que j’ai déjà et a été refusé. Pourtant je lui ai bien mis mon formulaire entre les mains.

Surtout rester polie.

Je lui précise mon besoin. Elle hausse les yeux au ciel quand je lui explique que les services français m’ont déjà refusé un certificat allemand. Oui je sais, je pense comme vous. Mais s’il vous plait… Elle le remplit et me le glisse sous le plexiglas. Encombrée de lunettes, téléphone portable (pour le mail de convocation), blouson, sacs, j’ai envie de filer au plus vite. Pourtant il est essentiel de bien relire, ce que j’essaie de faire sans tout faire tomber, ni passer pour l’emmerdeuse de service… Prenons un air détaché. Comment lui demander de remplir les deux lignes qu’elle a oubliées ?

Voilà. Un, deux, trois tampons. Ça m’a l’air complet. J’espère qu’on verra sa signature sour le cachet.

La radio diffuse un air que je reconnais. Qu’est-ce que ça peut être ? Ah oui. Joe le taxi. Joe le taxi ?

Je glisse le précieux formulaire, dans une, deux pochettes, dans un sac puis une sacoche. Vite rentrer avant la prochaine giboulée. Le scanner, le charger sous mon profil des services administratifs, cliquer. Zut. Trop lourd. On recommence. Et si je faisais une photo ? Non trop risqué : si le formulaire le propose comme mode de transfert, le site web le refuse.

Fichier léger. Clic. C’est parti. Le tableau me dit que c’est bien parti, par internet. Tiens, il y a du progrès. Oh et en haut de la page, une icône propose un conseiller à disposition. C’est nouveau me dis-je. L’an dernier ce site était un monstre sans tête, un gouffre sans issue. Pas d’adresse E-mail, de numéro de téléphone. Par curiosité, je clique : Erreur 404, la page n’existe pas. Ah, je suis rassurée. Les classiques ont la vie dure. Moi qui ai cru un instant que l’administration s’était inspirée de l’efficacité des services marchands.

Le compte à rebours a commencé. Les paris sont ouverts. Dans combien de temps vais-je recevoir le mail aux sourcils plissés qui me dira que quelque chose cloche ?

Une giboulée éclabousse ma fenêtre, derrière une plante de cardamome qui sent la cannelle. Je frissonne. Quelle chance d’être rentrée à temps ! Reprenons l’écriture là où je l’avais laissée avant de partir. Je ferme l’onglet de l’administration, et me retrouve sur celui du dictionnaire Larousse.

Ma dernière recherche : des synonymes pour ”se cacher”.

Tiny talk

L’école reprend en pointillés, mais le lockdown est prolongé jusqu’à la fin du mois.

On nous a repeint en couleur les barreaux de nos oubliettes.

Aujourd’hui 8 mars l’école reprend, à mi-temps, en alternance, pour une de nos filles. Pour la plus grande ce sera la semaine prochaine. La cantine reste fermée.

Les têtes pensantes élues ( ? ) souhaitent que tous les enfants retrouvent le chemin de l’école avant les vacances de Pâques fin mars. Après trois mois derrière un écran, laisser passer dix jours de congés, c’est courir le risque de devoir sortir le coupe-coupe. A moins que la reprise ne soit précipitée par les élections régionales du 14 mars ?

Il était temps.

Trois mois d’école à la maison (dont des vacances de Noël à domicile), avec l’impossibilité de se déplacer (hôtels et gites fermés, interdiction de voir plus d’une personne hors foyer à la fois) ça fait vraiment très long. Surtout quand ça s’ajoute à un an des contraintes que vous connaissez.

Cette année nous n’avons pas eu de vacances de février. Les dates de vacances changent chaque année, avec un roulement entre Länder. Le nombre de jours de congés annuels reste le même. Donc entre Noël et de Pâques nous aurons vécu trois mois sans pause, dans un quotidien qui bégaie, où l’on sort peu de sa chambre. Ça fait disque (d’antan) rayé. Supplice de la goutte d’eau. Un jour de Zoom après l’autre. Ploc, ploc, ploc….

Mais la vraie décision prise la semaine dernière est de prolonger le lockdown jusqu’à la fin du mois. Les coups de pinceaux électoraux pour nous faire patienter portent sur la possibilité de se retrouver à deux foyers, l’ouverture sous conditions des coiffeurs, libraires et magasins de bricolage. Les restaurants, gites, et hôtels demeurent clos, l’ailleurs reste un mirage flottant sur une route sans issue. Les milieux autorisés continuent d’interdire.

Nous n’avons pas de couvre-feu. Ni de limitation au kilomètre. Mais quand tout est interdit, le repli s’opère par défaut. Et là c’est vraiment long….

Le collège nous a transmis d’autres décisions du ministère régional de l’éducation (Ministerium für Bildung Rheinland-Pfalz) : les évaluations du deuxième semestre seront adaptées. Les élèves ne feront qu’un seul Klassenarbeit (devoir surveillé), au lieu de deux. Il sera organisé quelques temps après la reprise. Son poids dans le barème sera diminué par rapport aux notes de participation orale (toujours très importantes), et des interrogations écrites ‘’light’’.

Que le ministère régional de l’éducation mette à ce point son nez dans le planning des profs est une surprise. J’avais déjà découvert que chaque Land définit son propre programme scolaire, ses examens, édite ses manuels. Selon son lieu de passage l’Abitur (baccalauréat) n’est pas perçu de la même façon. Il parait que le niveau scolaire de Hessen (en face du Rheinland-Pfalz, sur l’autre rive du Rhin) est plus faible qu’ici.

Donc aujourd’hui quelques heures d’école. Un tout petit changement auquel accrocher notre fil d’espoir.

Tant mieux parce que côté vaccinations ça traine les pieds. Nous ne connaissons que quatre personnes vaccinées ou sur le point de l’être : deux mamies de plus de 80 ans et deux personnels prioritaires. (Un comble, non, dans la ville de découverte du premier vaccin ? c’est le syndrome du cordonnier). Il parait qu’à compter d’avril, les médecins pourront vacciner dans leur cabinet. Avec quoi ? Vu depuis notre tout petit bout de lorgnette, la France avance plus vite, mais l’UE reste loin derrière le Royaume Uni. Nos connaissances prioritaires y sont vaccinées depuis plus d’un mois. Un effet secondaire positif du Brexit ?

Le seul ? La semaine dernière je suis allée poster un paquet à ma belle-sœur pour son anniversaire. Je lui en avais envoyé un pour Noël. Pour gagner du temps, mon formulaire d’expédition était prêt. J’en ai une pile à la maison. La jeune femme l’a refusé et m’a remis une étiquette différente à remplir : le Royaume Uni est ‘’passé à l’international’’. Les îles britanniques ont levé l’ancre. Il faut maintenant s’acquitter des formalités de douane et déclarer la marchandise et sa valeur (Marzipan en anglais ? c’est pareil – pâte d’amande). L’expédition coute deux fois plus cher. Je suis repartie avec quelques formulaires vierges pour la prochaine fois. Le gain de temps sera encore plus considérable.

La poste, une sortie prisée juste derrière le marché, pour faire le plein de miettes d’échanges humains.

Ça craque un peu aux coutures. Surtout pour mon ado et moi. Alors on lâche. Dans un moment de fou rire nerveux, pour contrer les larmes toutes prêtes et les hurlements d’impuissance, ma grande fille et moi, calées sur le canapé, avons joué avec Instagram.

Je ne suis pas à l’aise avec les réseaux sociaux, comme je ne suis pas à l’aise avec les codes des rencontres sociales formelles. Pour moi le small talk c’est parler pour ne rien dire, et ça ne m’intéresse pas. Quand c’est la seule possibilité d’échanger, je me replie sur mon silence, et j’essaie de foutre le camp dès que possible, ou si, par chance, je croise quelqu’un avec qui ça colle, j’échange vraiment. J’aime les discussions profondes, intimes, les vraies questions, et les réponses authentiques. Je me connecte aux autres complètement ou pas du tout.

Même dans les situations formelles où la superficialité est de mise, les corps crient ce que les bouches taisent. L’ombre de cernes violets un peu appuyée, une main qui cherche à cacher qu’elle tremble, une mèche rebelle, une odeur qui trahit … tous ces signes bavards me sautent à la gorge, même et surtout ceux que leurs auteurs veulent dissimuler. Ça fait beaucoup trop d’informations, donc même cachée derrière un verre plein, je préfère m’éclipser au plus vite. Mais au moins, sous le verni social transparait la vérité. J’ai pu glisser un œil derrière les masques du bal.

Dans un réseau social, les masques sont bien accrochés. ”L’authenticité” travaillée. Rien n’est vrai. L’hypocrisie a noyé les apparences qui n’ont jamais été aussi trompeuses.

Le Grosse Sand (les grands sables)

J’ai eu une longue discussion avec mon fils étudiant en philosophie à ce sujet. Nous marchions sur le Grosse Sand, cette steppe protégée, avec des plantes de l’ère glaciaire et une zone d’entrainement de l’armée américaine ( ! ). La neige brillait au soleil dans un air coupant. C’était superbe. A chaque pas je me félicitais de pouvoir me souvenir, lors de ma prochaine balade, de cette échappée jolie avec mon fiston.

Je lui expliquais ma tentative de donner une vie à mon blog sur Instagram. J’essaie de rester en phase avec mon époque, même si elle court plus vite que moi. Mais dans le cadre que je me suis fixé : ne pas me dévoyer.

Il m’expliquait Instagram avec des mots savants. Il connait très bien pour avoir regardé des gens l’utiliser à côté de lui (peut-être les trajets en train entre Lyon et Mayence lui permettent-ils d’étudier des cas concrets de psycho-sociologie).  Je suppose qu’ils ont aussi analysé les réseaux sociaux en cours.

Je partageais ma déception et mon ennui. Je n’ai rien à vendre, je souhaite juste partager. Or trop souvent s’invite sur mon écran du bavardage pour ne rien dire, du small talk, hypocrite et vendeur. Oui m’a-t-il expliqué. Instagram ce n’est pas un réseau social, c’est un média. Un média bien particulier, qui ne parle que de ce qu’on veut entendre : une chambre d’écho.

Encore plus que dans la vie en 3D, le discours superficiel se cache derrière une apparence léchée et des mots convenus. Ce n’est même plus du small talk c’est du tiny talk. Pour comprendre ce qui se trame, il faut lire entre les lignes, en creux, dans ce qui est tu. Bien sûr, c’est très difficile et la motivation manque. Je veux bien faire l’exercice avec une amie pas vue depuis longtemps, mais avec des étrangers ? Je m’en contrefous. Le tiny talk très peu pour moi.

Combien de temps vais-je garder le compte de Mainzalors ? Les statistiques me montrent que le transfert vers mon blog sont inexistantes. Et pour cause…. J’écris et les clients de réseaux sociaux survolent des photos.

Avec ma fille donc on a joué avec cela. J’ai créé un post avec une photo de crottin de cheval en gros plan. J’étais ravie de cette acquisition pour mes rosiers : je l’avais récupéré le jour même dans une écurie. C’était mon bonheur de la semaine (eh oui). Donc j’ai écrit un texte avec en synthèse ce que je vous ai mis au début de l’article : les raisons de notre ras-le bol, qui sont aussi des informations sur la gestion allemande de la pandémie, sur l’état d’esprit des troupes. J’en ai conclu que nous n’avions ‘’qu’un mot à dire ou plutôt deux : caca boudin !’’ (avec un clin d’œil appuyé pour la petite demoiselle d’une amie). J’ai conclu avec des hashtags à moitié sérieux : #lockdownblues, #cacaboudin ….

Je m’attendais à avoir des commentaires sur l’humour du message ou le désespoir qui criait entre les mots. Et encore, pour éviter les jeux de mots super foireux (comme quoi malgré toute ma volonté d’authenticité à tout crin (hi hi) je tombe dans le piège des apparences) je m’étais retenu d’écrire : vous voyez la photo ? c’est comme ça que je me sens. Et je ne parle pas d’odeur, non.

Une Française qui vit en Allemagne m’a laissé en commentaire qu’elle aussi en avait assez des interdictions. Une amie un encouragement. C’est à peu près tout.

C’est sûr la photo est pourrie, j’ai cliqué vite fait en me marrant avec ma fille. Allez viens on va mettre un coup de pied dans le jeu de quilles.

En fait de coup de pied, c’était juste un battement d’ailes de papillon. Aucune quille n’est tombée. Personne n’a voulu arrêter de jouer et de faire semblant.

Une photo sans choc, ni poids des mots.

Pour l’instant je vais tâcher de ne pas mettre de masque. Je partirai plutôt.

Mais où ?

Chacun cherche son chien

Sauf moi. Pour adoucir l’adolescence confinée, nous adoptons le chien que nos filles réclament. Je n’en ai jamais eu envie.

Là, c’est MA place… enfin, c’était… (pratique pour poser ma tasse de thé ;o))

9h06, jeudi matin.

La maison n’a jamais été aussi bien rangée. Les sacs de vieux vêtements à donner qui trônent depuis trois semaines dans notre salle à manger sont enfin sur le départ. La boite sur laquelle des cristaux ont été mis à pousser – que voulez-vous, on encourage les expériences de chimie – a disparu de l’entrée. Les canapés sont à nouveau accessibles à des postérieurs : magazines et BD sont empilés sous une table basse.

Nous avons une inspection sanitaire / sociale / conditions de vie dans deux heures.

Une dame que nous ne connaissons que depuis lundi va venir ausculter notre logement et notre famille. Nous avons déjà répondu aux 58 questions du formulaire (ma fille a compté) sur notre lieu de vie et nos habitudes.

Elle va vérifier si nous pouvons accueillir un chien errant.

Et oui.

Nous y voilà.

Depuis trois ans la pression a monté (nous vivons désormais dans une maison, l’argument appartement ne tient plus). Nos filles nous ont fait plusieurs présentations dans les règles avec affiches documentées, slides (très professionnels), composition de chansons, de poèmes, de vidéos d’un quart d’heure au montage plein d’humour.

Les conditions de (sur)vie austères dues au corona (pas d’école en présentiel depuis mi-décembre – trois mois !!! -, autant dire, pas de copains, pas de projets, pas de sport, pas d’évasion) commencent à prélever un lourd tribut sur le moral. Notre ado file du mauvais coton. Sympa, elle nous donne son mode d’emploi : “I need a dog can’t you C ?” Nous avons cédé.

Elle a lu plusieurs livres, dont celui écrit par la dame qui an dressé le doggy Obama, et fait depuis des années des recherches assidues sur internet. Elle sait tout et initie sa sœur.

Au début elles nous ont demandé un chiot. Après réflexion (leurs parents sont décidément bien lents à la décision), elles ont préféré adopter un chien. Lorsque nous avons dit oui, ça faisait longtemps qu’elles savaient quelles plateformes de sauvetage d’animaux consulter. Identification des cibles potentielles en fonction de la taille, du caractère, du lieu de résidence actuel. Nous avons envoyé des mails, répondu à des questionnaires interminables et inquisiteurs.

Sans succès. La pandémie a suscité un engouement pour les toutous, même en Allemagne où on est libre de sortir sans prétexte (même sans destination ouverte). Peu de candidats à l’adoption. A chaque mail, les espoirs des enfants s’envolent puis s’écrasent à la réponse.

Pourtant, la semaine dernière, une dame nous a rappelé.

Elle habite à côté de Bamberg, à 250 kilomètres de Mainz (je vous entends penser : « Ah, ah ! » eh oui). Deux familles ont rendez-vous pour voir Cinderella, une chienne qu’elle a en garde depuis son sauvetage dans les Carpates voilà trois semaines. Elle nous promet de nous téléphoner si ça ne convient pas. Et miracle, elle a appelé – sans laisser de message. Nous la recontactons intrigués deux heures plus tard.

Elle nous propose de venir rencontrer cette chienne encore sauvage il y a un mois. Elle travaille pour un Tierverein, une association de sauvetage des chiens, en lien avec la Roumanie. Les animaux errants sont envoyés en Allemagne pour leur trouver une famille. Les recherches de nos filles montrent un trafic actif depuis l’étranger (Europe de l’Est, Portugal…). A Mainz nous avons même repéré sur un portail l’affiche d’une association qui sauve les chiens de Santorin, en pleine mer Egée. Une vraie niche… (hi hi).

Donc la dame nous a appelé au sujet de l’adoption de Cinderella. Elle veut aller vite pour que la chienne ne s’attache pas trop à elle. Elle nous explique les critères nécessaires de la famille d’adoption, nous pose des questions. Nos réponses semblent lui convenir, elle nous fixe un rendez-vous dès le lendemain. Ça tombe bien c’est Rosenmontag, qui reste férié malgré l’annulation du défilé de carnaval. Encore mieux, notre grand garçon est là et s’est pris au jeu canin de ses sœurs. Elles le consultent sur leurs trouvailles poilues.

OK on vient. On accourt. La famille trépigne, je ne sais plus quoi penser. Je me sens déjà pétrie de contraintes par le quotidien, privée de sorties et d’évasion (et encore plus en ce moment). Je n’ai jamais, au grand jamais eu envie d’avoir un chien. Je n’ai jamais regardé les chiens. Je me sens mal à l’aise en leur présence. Je les trouve sales, malodorants. Le seul chien que je fréquente c’est la posture de yoga (chien tête en bas).

Quand nous marchons dans la rue ma grande fille commente tous les chiens que nous croisons. J’écoute distraitement et lui signale les arbres et les plantes. Que ne ferait-on pas pour remonter le moral de ses enfants ?

C’est où Bamberg ? (Vous vous savez déjà, voir l’article Bamberg express)

Plein Est, en remontant le Main, la rivière qui traverse Francfort, et se jette dans le Rhin au niveau de Mainz. Je consulte à tout hasard le guide Lonely planet. Incroyable, ça fait partie des quinze destinations allemandes incontournables (avec Heidelberg, Berlin, la vallée du Rhin romantique…) ! Moi qui rêve de découverte et ronge mes quatre murs. Ah on va peut-être être copines Cinderella et moi…

Départ tôt, avec casse-croute et thermos de thé. Tout le monde s’entasse dans la voiture (pourvu qu’elle démarre ! le froid et l’absence de longs trajets éprouvent la batterie) et c’est parti. Mon grand garçon se tasse dans un coin et écoute un podcast. Il tricote une écharpe. Nous écoutons nos CD de Cabin Pressure, l’excellente sitcom radiophonique de la BBC (Radio 4), écrite par John Finnemore et dans laquelle joue un Benedict Cumberbatch d’avant Sherlock. Nous connaissons tous les épisodes par cœur mais continuons de rire et de nous régaler.

Au-delà de Francfort, on n’y est jamais allés : c’est le Far East.

Chez nous la neige a fondu, laissant des traces humides et blondes de sable du Sahara. (Ah, le Sahara … !) Mais au fil des kilomètres nous la retrouvons. La température baisse de plus en plus. L’autoroute traverse des champs et des forêts. Des panneaux monochromes nous indiquent la proximité de châteaux et nous signalent que Lohr-am-Main a inspiré Blanche-Neige (les lieux et personnages du conte des frères Grimm se retrouvent dans l’histoire et la géographie du coin, même le miroir qui ‘’parle’’). Décidément un voyage sous le signe des contes de fée.

Les filles nous donnent des conseils de comportement pour faire bonne impression. Nous sommes tous intrigués et tendus pour cet entretien de recrutement collectif. Et si on restait nous-mêmes, on n’a rien à cacher ?Enfin, vous non, moi faut que je fasse semblant. Une vieille habitude pour faire plaisir aux autres, dont je cherche à me séparer car elle m’a menée au burn out. C’est d’ailleurs tout le sujet du livre que j’écris en ce moment. Il va donc me falloir encore prendre sur moi, même chez moi ? J’ai des envies de me trouver un petit appart. La surpopulation entassée depuis un an n’aide pas.

Nous arrivons à l’heure prévue dans un quartier résidentiel de Bamberg où la route est nappée de glace et de neige. Silhouette d’un chien sur une plaque : nous sommes chez la responsable de l’association. Chacun met son masque. On sonne. La porte s’ouvre immédiatement. Une dame sans doute retraitée d’une autre vie professionnelle nous accueille. Masque, lunettes et cheveux blonds et courts, elle nous montre où accrocher nos vestes et laisser nos chaussures puis nous prie d’entrer dans sa cuisine. La chienne est là, allongée par terre.

Distribution de boissons et de consignes : s’assoir autour de la table et ignorer Cinderella. Elle n’a pas l’habitude de voir autant de monde d’un coup. Nous nous exécutons. De la musique d’échappe d’une radio. La dame nous parle de la chienne, de son sauvetage dans les Carpates, de son arrivée dans son foyer voilà trois semaines. De tout ce qu’elle lui a appris depuis : accepter un harnais, se promener en laisse. On sent la compétence et la passion, l’attachement aussi à ce petit animal presque sauvage qu’elle a commencé à apprivoiser.

Les autres famille candidates ne lui conviennent pas. Elle nous explique pourquoi (appartement) et nous demande les raisons de notre démarche, si cette chienne semble correspondre à notre souhait. C’est le moment de mettre en avant nos points forts. Nos enfants répondent. Leur motivation parle d’elle-même.

Cinderella, noire avec des extrémités blanches ne dit rien. Au bout d’un petit moment, un enfant a le droit de s’en approcher et de lui parler. Ce sont eux qui ont le meilleur contact parait-il. Ça tombe bien.

Pour faire connaissance, la dame nous propose une promenade. Elle monte enfiler des habits de neige, et nous laisse seuls dans sa cuisine avec le chien. La confiance des Allemands m’impressionne toujours.

Avant de sortir, elle nous montre comment utiliser deux laisses, dont une sécurisée autour de sa taille à elle. La chienne, craintive semble traumatisée par ses contacts précédents avec les humains. A la moindre panique elle s’enfuirait. La chaussée est glissante, nous obliquons sur un chemin enneigé qui longe un ruisseau. Sous les arbres, les dentelles transparentes de glace ourlent l’eau qui court. L’air coupe.

Nous sommes sur le chemin des chiens et de leurs maitres, la promenade bi quotidienne du quartier. Les distributeurs de sacs l’attestent. Pourtant personne ce jour-là. Il est midi. Sans doute trop tard ou trop tôt. La dame tient les laisses et discute avec ma grande fille. Au bout de quelques minutes, elle lui propose de s’en charger. Transfert de harnais et de cordes. Cinderella a un mouvement de recul. Les mains et la voix de la dame la rassurent. Elle accepte. Elle n’a pas aboyé.

Nous marchons le long des champs, à travers la neige. Mon fils aperçoit un lapin, je n’en vois que les crottes. La chienne n’a pas bronché. Pas non plus quand nous croisons un jeune berger allemand qui voudrait jouer avec elle. Ma vessie va exploser, mais je ne suis pas sûre que m’éloigner dans un bosquet de pruneliers quelques minutes nous fasse gagner des points.

Mes filles posent des tas de questions, écoutent les explications. Cinderella (Cendrillon) est le nom qui lui a été attribué sur un marché aux puces caritatif. Les passants sont invités à payer 15 euros pour soutenir l’association, en échange de quoi ils peuvent baptiser un chien. Ah, OK. Un enfant sans doute donc.

Nous revoilà devant la maison. Nous ne sommes restés dehors qu’une demi-heure mais nous sommes congelés. La dame nous propose de nous séparer là.

-Vous êtes une famille qui me semble bien adaptée à Cinderella. Calme, c’est ce qu’il faut. Les enfants sont très engagés et motivés.

Calme, oui, plusieurs fois par jour même, surtout quand on insiste. Motivés, on ne peut pas faire plus je crois. Comme m’avait écrit ma cousine en voyant les photos des expositions canines des enfants : « Avec une telle motivation, vous êtes foutus. »

On est foutu.

Cinderella a été on ne peut plus agréable, même si elle avait l’air transie de peur la pauvre au début. Les compétences de la dame inspirent une grande confiance. Attentionnée, elle ne veut pas ‘’caser un chien’’, mais la confier à une famille aimante pour toujours. Elle aimerait recevoir des photos de temps en temps. Et préfèrerait qu’on ne déménage pas trop vite en France ou ailleurs pour ne pas encore traumatiser la chienne.

La suite de la procédure d’adoption est très cadrée. Elle viendra nous voir avec Cinderella pour inspecter notre maison. Elle nous appellera (« Il faudra répondre au téléphone cette fois ! ») Pour cela nous devons remplir le fameux questionnaire en ligne avec questions sur le logement, la taille du jardin et la hauteur de la clôture. Avons-nous déjà eu des animaux, des problèmes avec eux etc… La sincérité des Allemands est inimaginable vu de notre côté de la confiance. Mon mari et mes filles consacrent presque une heure au formulaire.

Je m’interroge : comment se passent les adoptions d’enfant ? Ma fille blague : « Tu crois que quelqu’un va venir inspecter nos placards avant qu’on puisse acheter des pâtes ? »

Si ça va toujours, elle nous amènera la chienne pour de bon. “C’est mieux pour elle vous comprenez.” Cette dame nous propose de faire deux allers-retours en deux jours, cinq heures de route à chaque fois, refuse de manger avec nous (‘’mes deux chiens m’attendent chez moi’’) pour le bien être d’une petite chienne des Carpates.

Là, donc, nous les attendons. La maison est bien rangée (par les enfants). Nous sommes au garde à vous. Je suis sur le qui-vive. J’ai peur. Peur de ce changement de vie avec un animal, des contraintes qui vont s’empiler sur celles qu’on accumule depuis un an. Et qui déjà me grignotent par tous les bouts.

Si tout se passe bien on se reverra samedi. Et à nouveau dans quelques temps. L’association prévoit un contrôle post-adoption.

La première visite s’est bien déroulée. La barrière de notre jardin minuscule est assez haute et étanche. Le samedi elles sont revenues toutes les deux. La dame nous a donné une niche intérieure (pour la nuit), la couverture de Cinderella, plein de nourriture, un harnais à peine mangé et réparé, un corde à laisser accrochée à son collier en permanence pour la tenir au cas où. “Je ne fais pas ça pour tous les chiens que j’acclimate. Mais vous comprenez, sie ist mir ans Herz gewachsen ! ” (littéralement : elle m’a poussé sur le cœur ; je me suis prise d’affection pour elle).

Nous suivons ses conseils et partons tous ensemble faire une promenade, Cinderella attachée à notre fille.

-Je vais marcher derrière et je m’éclipserai discrètement. Comme avec les petits enfants. Et là je pourrai laisser couler mes larmes, nous annonce-t-elle.

Nous partons pour le tour du quartier, où les chiens tiennent en laisse leur maitre pour leur sortie hygiénique. C’est un crève-cœur cette petite balade. Mes joues se mouillent. La tristesse de la dame et celle à venir de la chienne me bouleversent.

Retour à la maison pour de bon. Avec comme instruction de ne pas faire de sortie pendant trois jours pour qu’elle s’habitue à son nouveau foyer. De toute façon pas le choix, elle a bouffé son harnais et nous devons en commander un autre.

Rester au calme ça nous va. Nous sommes épuisés. Les dix jours de cette recherche nous ont pompés émotionnellement. Une adoption c’est un gros engagement. Pas besoin de courir les magasins. Nous nous sommes déjà équipés à la grande surface pour animaux, de l’autre côté du Rhin, à Wiesbaden. La liste était prête depuis longtemps. Les yeux de nos filles brillaient, au dessus des cernes bleutés laissés par leur petite nuit pour cause d’anticipation joyeuse. Cette errance perplexe dans des rayons jusqu’alors inconnus m’a rappelé les achats de fin de grossesse.

En arrivant sur le parking, ma plus jeune fille s’était exclamée : ”Nous sommes dans le rêve dans ma sœur !” Toutes les deux rêvent d’un toutou, mais l’une beaucoup plus que l’autre. Disons que la plus jeune est contente mais s’en passerait sans problème. La grande ne pouvait plus respirer sans.

Nous voilà donc dans le rêve de mon ado. Nous lui avons offert une ligne de vie pour traverser les bouleversements hormonaux.

Moi mon rêve ce serait plutôt de bouffer mon harnais. Et je viens de me mettre une deuxième laisse. Ma fille m’a demandé : “tu ne fais pas ça juste pour moi maman hein ?”

Euh, si ma fille, si. J’ai toujours été très claire. Mais je vais tenter de l’apprivoiser moi aussi, ce petit animal traumatisé. J’ai proposé un nouveau nom, plus court : Gaïa.

Bienvenue donc à toi Gaïa, notre chien thérapeutique. Merci pour les sourires de mes enfants.

Bamberg express

Aller-retour rapide à Bamberg, une ville classée par l’Unesco du nord de la Bavière.

Nous nous rendons en famille à un rendez-vous à Bamberg. Je ne peux pas encore vous dire pourquoi, le censeur familial me muselle. Rassurez-vous je lui ai demandé de ne pas trop prolonger le suspens.

Nous en profitons pour visiter le centre-ville, classé au patrimoine mondial de l’Unesco.

Le brouillard a semble-t-il empêché les Alliés de bombarder le coin à la fin de la deuxième guerre mondiale. Tant mieux.

Le ciel est gris et bas, une couche fine de neige recouvre toutes les surfaces. De longues stalactites de glace s’accrochent aux gouttières. La vieille ville est construite sur les bords du canal entre le Main et le Danube (lui-même, le beau et bleu). J’ai lu rapidement les pages qui lui sont consacrées dans nos guides, le Routard et le Lonely Planet. C’est vite fait, comme tout est fermé, les rubriques musées, où manger ? et où boire un verre ? sont inutiles. Dans la voiture j’ai partagé à voix haute les points essentiels. Personne n’a interrompu son activité pour écouter, mais j’ai rempli ma mission éducative. Au moins l’intention.

Bamberg est présentée comme l’une des plus belles villes de Bavière. Je relève la tête perplexe : de Bavière ? ça monte si haut la Bavière ? Oui, apparemment. Dans la région administrative de Franconie, à l’ouest de Bayreuth, au nord de Nuremberg. Elle est construite sur sept collines (comme Rome) et dominée par la cathédrale Saint-Pierre et Saint-Georges à quatre flèches. Les quartiers anciens longent les eaux du canal brodées de glace de leurs maisons à colombages de toutes les couleurs. Une (toute) petite Venise dit-on.

Même en temps normal ce serait la saison creuse. Mais là nous sommes dans une saison abyssale. Nous nous garons facilement devant un hôtel, au pied de la montée pour la cathédrale. Quel dommage de ne pouvoir passer la nuit dans un de ces établissements romantiques ! Vite nous cassons la croute, ou plutôt croquons notre salade de riz-maïs-thon dans la voiture, toutes fenêtres fermées. L’air est glacial. Le voilà le vrai climat continental allemand.  La boulangerie d’en face nous tente. L’un d’entre nous ira chercher des Käsestangen (genre de feuilletés au fromage), des beignets (oui, c’est carnaval après tout) et du pain complet aux graines. Avant toute balade, trouver des toilettes.

Les rues piétonnes sont vides et maussades. Les vitrines fermées et les passants rares et masqués confèrent à notre balade un goût de dimanche soir. Mon fils qui, après Baccarach à Noël, en est à sa deuxième visite express de vieille ville allemande classée s’exclame : « Décidément ici aussi on se croirait dans un décor de théâtre ! » Les façades des maisons chuchotent des contes de fées. Les moulures rococos donnent le sourire. Whaou t’as vu ça ?

Il fait un froid polaire. Mon fils a décidé de ne plus s’arrêter et marche en longues enjambées pour garder le contact avec ses orteils.  Sortir les doigts des gants et des poches pour prendre des photos relève de la gageure. Mais je suis très très motivée. C’est la première sortie depuis si longtemps.

Grâce à la description du guide, je reconnais l’ancienne mairie, sur un ilot, entre deux ponts de pierre. Un côté de façade aux fresques imposantes et colorées, un autre en colombages, la partie plus ancienne, révélée par la destruction du pont à la fin de la seconde guerre mondiale (les fresques peintes sont tombées). Entre les deux, le balcon de tous les discours, rococo comme je n’en avais jamais vu.

Un examen des peintures murales révèle des trompe l’œil. Au bord inférieur, la jambe sculptée d’un angelot peint ‘’sort du cadre’’, dans tout son volume potelé.

Sous le porche, une plaque rend hommage à un des fils de la ville le comte Stauffenberg, auteur de l’attentat raté contre Hitler de juillet 1944. ”Le comte Claus von Stauffenberg, officier, symbole de la résistance allemande pour son action du 20 juillet 1944”. Ce qu’elle ne mentionne pas est plus révélateur que ce qu’elle déclare.

Nous prenons quelques photos devant la statue de Sainte-Cunégonde, sur le pont au-dessus du canal, et devant la façade baroque bleu ciel de la demeure à l’angle. Chacune des fenêtres des trois étages est encadrée d’enjolivures blanches ciselées. Des bateaux Mouche à l’arrêt le long de quais déserts laissent deviner l’activité de la belle saison. Quel privilège d’avoir la ville pour nous seuls !

Une vitrine éteinte de librairie met en avant le recueil des contes de E.T.A. Hoffman, à l’origine de l’opéra fantastique d’Offenbach. Il a vécu quelques années à Bamberg.

Décidément, nous marchons de conte en comte, à pas comptés (oui, je sais, désolée).

Trop froid, vite, un petit tour vers la cathédrale tout en haut. La marche ne nous réchauffe pas. Pas le temps de s’attarder. J’ai cours de yoga à 18 heures en ligne, avec ma prof américaine et vraiment personne ne veut rester dehors. Un salon de thé aurait été merveilleux. Un petit Apfelstrudel, hein ?

Les toits enneigés s’entrechoquent au-dessus de colombages plusieurs fois centenaires et des façades baroques. Les branches noires des aulnes le long du canal frissonnent. La neige et la glace ajoutent leur touche de mystère. Nous avons sauté à pied joints dans une illustration de livre d’images d’antan. Comme Mary Poppins.

Retour dans la voiture. Pour sortir de la vieille ville, nous nous égarons un peu dans les rues piétonnes. Un vieux monsieur en manteau long et noir, coiffé d’un bonnet tout aussi sombre sur une tignasse grise ébouriffée serre contre lui un bouquet de livres. Il nous fait signe de sa main libre. De l’autre il s’approche de nous. Mon mari baisse la vitre.

-Vous allez-où ?

-En direction de Francfort.

-Au virage à droite puis à gauche, suivre….. remonter…

Il nous a tout dit, bien mieux que le GPS. Et vachement plus sympa. Merci monsieur. Décidément, comme à Baccarach, nous croisons dans les ruelles désertes de villes-musées des vieux monsieurs attentionnés.

Nous rejoignons l’autoroute pour quelques heures. Des tourbillons de flocons dansent dans les phares qui éclairent à peine un épais brouillard. Nous quitterons la tempête féérique peu avant Francfort. Les courbes des collines, les traits de râteau de vignobles, des chaumes blonds de maïs sur la neige composent des tableaux mobiles et apaisants. Je me demande si j’arriverai à m’en souvenir pour les dessiner.

Sur un CD, des épisodes de la série radiophonique Cabin pressure nous distraient.

Mon fils somnole en écoutant un podcast. De temps en temps, une des filles pose des questions sur les suites de notre rendez-vous.

Avant que le quotidien confiné ne nous rattrape, je rêve de retourner à Bamberg, d’entrer dans la cathédrale et les musées, les restaus et les cafés. Au printemps ce serait bien, pour faire un petit tour en bateau sur le canal, passer une écluse. Le guide mentionne aussi un marché aux fleurs. Ou en décembre puisque la ville est spécialisée dans les crèches et en expose partout.

Les trajets, la visite dans un air coupant, la tension émotionnelle depuis quelques jours nous a épuisés mon mari et moi. J’arrive à temps pour mon cours de yoga qui tombe à pic.

A suivre…

(Bientôt, promis)

Des tests et des bulletins

Premier test allemand du Corona pour notre famille et distribution des bulletins au collège rouvert juste pour l’occasion.

(Me revoilà avec un article écrit il y a quelque jours, avant que mon ordi ne soit réquisitionné pour cause de home schooling).

Ce matin je me suis fait toute belle. J’ai mis une robe. C’est rare cet hiver. D’abord parce qu’une seule me va encore… et parce que pour faire la queue masquée et à bonne distance dans la pluie glaciale au marché, il vaut mieux un bon jean épais et des chaussures de rando à l’épreuve de la boue.

Mais là je sors. J’ai un rencart. Enfin, pour ma fille. Elle est patraque depuis plusieurs jours. Et même si l’abonnement tout neuf à Disney + lui égaie ses journées, nous avons quand même envie de savoir de quoi il retourne.

Quand j’ai appelé le cabinet du pédiatre, je suis arrivée avec la solution clef en main. Voilà les symptômes (rien de spectaculaire), ça me fait penser à telle maladie. Je n’ai pas dû convaincre la secrétaire/ infirmière au bout du fil. Elle ne savait pas quoi faire de moi. D’habitude, avec des symptômes plus marqués, elle me donne un rendez-vous dans la demi-journée. Indécise elle a interrogé le médecin et m’a répondu avec la question pour tous les champions et les autres :

-Elle en est où des contacts ?

– Elle est toujours à la maison.

-Mais elle a vu du monde ?

J’interpelle ma fille sur son canapé.

-Oui j’ai joué avec une copine la semaine dernière (à l’extérieur, la petite et toute sa famille vont bien, nous aussi merci, pourvu que ça dure).
J’ai senti à l’autre bout du fil la dame se détendre. Elle est rassurée, elle a un os à ronger, un argument pour m’envoyer paître avec mes questions et mes réponses.

-Ah si c’est comme ça il faut qu’elle fasse le test du corona.

– Vraiment ? elle n’a vu personne de malade.

Pour la petite histoire locale, lorsque j’ai consulté voilà quelques semaines, le médecin m’a demandé si j’avais eu un contact avec un malade du corona. Pas avec n’importe qui.

-Ah, oui. Il faut que vous appeliez le labo X dans la ville voisine. Ils vous donneront un numéro de passage. Ensuite vous me rappelez pour l’ordonnance.

La ville voisine ? Mainz compte plus de 200.000 habitants.

Je suis convaincue que ma fille n’a pas le corona. Je lui ai même glissé ma suspicion de diagnostic. Ça m’agace au plus haut point de ne pas être écoutée, et d’être reléguée dans les protocoles automatiques. Un étudiant en médecine avait un jour raconté à ma mère le conseil d’un professeur : « si une mère de trois enfants vous dit que son fils a la varicelle, c’est qu’il a la varicelle. » Elle me l’avait répété avec une petite lumière de fierté dans l’œil.

Bon, malgré ce que me soufflent mon intuition et mon orgueil, je ne suis pas médecin. J’accepte volontiers de me tromper. Mais moins de voir s’élever un mur arbitraire entre ma fille et une consultation.

Nous décidons d’attendre un peu, au cas où les choses se résolvent seules. De toute façon, ma piste de diagnostic de requiert rien d’autre que du repos. Après le week-end, l’intégrale de Toy Story, plusieurs Ratatouille et Finding Dory elle est toujours dans le même état raplapla de ‘pomme cuite” comme disait mon oncle.

J’ai donc suivi la procédure.

J’aurais bien voulu gruger, repasser mon premier appel en omettant sciemment de mentionner la rencontre avec la pauvre et innocente copine. Mais j’avais donné mon nom. Et je crains qu’avec mon accent français et mes insistances, elle ne m’ait repérée.

Donc, on a rendez-vous au labo. Comme je sors pour voir du monde, j’ai mis une robe.

Je suis soulagée d’enfin pouvoir m’occuper d’elle, même si je sais la prodécure inutile dans le fond.

Ma fille s’inquiète de ce qu’on va lui fourrer dans le nez. Sa sœur lui dit que ce sera bien moins gros que son doigt.

C’est normal qu’elle ait peur : elle ne sait pas ce qui va se passer. C’est un test mais elle n’a pas besoin de réviser. (ha, ha). Respire avec le ventre ma chérie, et regarde bien tout pour m’aider à me souvenir lorsque je l’écrirai dans un article.

Elle a raté quelques jours de cours à distance, et sa remise de bulletin vendredi matin. En présentiel.

C’est une grosse affaire ici les bulletins. Comme une mini cérémonie de remise de diplômes deux fois par an en janvier et en juin. Chaque élève est appelé tour à tour par le/la professeur. Il/ Elle lui remet son bulletin pendant que la classe applaudit (ma fille me dit avoir ‘’le trac de sa vie’’). Toutes les classes de tous les niveaux les reçoivent au cours de la même semaine en janvier.

C’est une étape tellement importante que le corona a été prié de se mettre en retrait.

Depuis la rentrée des vacances de Noël, les écoles sont fermées. Elles ne reprendront, peut-être, que début mars et dans des conditions à préciser. Les données d’infections coronesques restent dans le rouge. Pourtant le ministère régional de l’éducation a décidé que la remise des bulletins en direct était fondamentale. Les parents d’élèves s’en sont émus. Pourquoi ? La réponse du collège est arrivée par mail : décision politique, pour envoyer aux enfants et à leur famille un signe d’espoir et de normalité.

Les élections régionales ont lieu mi-mars. Du bulletin de notes au bulletin de vote. Si peu de lettres d’écart. N’y voyons aucun lien de cause à effet.

Ma grande est donc allée à l’école 45 minutes, recevoir son bulletin (et apercevoir ses copains derrière leurs masques pour la premiere fois depuis mi-décembre) dans la cantine. La petite n’a pas pu.

Retour de visite au labo. Nous avons testé le test corona.

Procédure, processus : ça roule. Ce matin à 8 heures j’ai appelé le labo, qui m’a attribué tout de suite un numéro et une heure de passage.

Nous avons pris la voiture pour la quinzaine de kilomètres entre les vergers noirs et mouillés de Rheinessen. Les nuages frôlent les maisons, il bruine. On devine le lit du Rhin au-delà des prés et de vénérables peupliers. Arrivés dans la zone d’activité aux toits plats, tout est très bien fléché. Par ici les tests. (Les vaccins ce sera de l’autre côté.) Immense parking. Quelques préfabriqués de chantier. Tout se passe dehors. Une dame en blouse verte nous accueille. Un guichet pour se voir attribuer une cartonnette, un autre pour le test. 6 ou 7 personnes disséminées sont en cours de prise en charge.  Ma fille gigote de trouille pour l’intégrité des tréfonds de son nez. Mais au guichet 2, une jeune femme à deux paires de gants, un masque, plus une visière, lui demande d’ouvrir la bouche. En quelques secondes c’est réglé. Elle lui tend une toupie (dans un emballage plastique).

Résultats dans 24 heures au plus.

Dans la voiture de retour, je comprends d’un coup le dispositif dans la ville voisine. C’est un gros labo, mais surtout il est dans une zone industrielle avec plein de place pour gérer des flux en extérieur. En Allemagne, les laboratoires ne sont pas accessibles au public. Les prélèvements sont faits chez le médecin, par les infirmières du cabinet. Les résultats passent aussi par leur intermédiaire.

Vous le sauriez déjà si j’avais osé publier un de mes tout premiers articles. Mais il n’a pas passé l’auto-censure : trop violent. La découverte du milieu médical a été un très gros choc pour moi. Maintenant je m’y suis fait. Je sais comment dire ordonnance quand il ne s’agit pas d’un médicament mais d’un examen complémentaire (Überweisung, au lieu de Rezept). Je sais que les dames qui travaillent au cabinet sont des infirmières et pas des secrétaires médicales. Elles font les prises de sang, les électrocardiogrammes (oui, ici ça se fait presque comme on prend la tension). Si on a de la chance on tombe sur une dame qui sourit.

Je ne vous laisse pas plus longtemps dans ce suspense insoutenable. Non ce n’était pas le corona.

On a fini par voir le médecin. Sans doute un virus ou une allergie.

De peur que ma fille ne se fasse laver le cerveau par les multinationales américaines, je lui demande de regarder des C’est pas sorcier. Un peu de culture, un peu de France… Comme thèmes, elle a choisi le chocolat et les bonbons. Qu’elle avait déjà vus.

Quelques jours plus tard (aujourd’hui), je reprends mon clavier. Entre temps, ma fille a repris pied, et mon ordinateur pour ses cours. Hier et aujourd’hui pour le carnaval (théorique et virtuel), c’est férié. Alors j’en profite pour vous retrouver.

En fait c’était rien de spécial cette fatigue. La mère de trois enfants s’était complètement plantée dans son diagnostic. Si au moins la prochaine fois, ça pouvait m’éviter de faire des projections catastrophiques. C’est pourtant pas sorcier d’en rester aux faits plutôt que de tresser des ‘’Et si’’ et des ‘’pourquoi’’.

Le bulletin de l’école est arrivé par la poste. On a rattrapé les cours en retard et même le frençais (sic). Notre étudiant est venu nous retrouver pour ses vacances (après son test Corona, une habitude maintenant pour lui).

A défaut de défilé du Rosenmontag, nous avons fêté Fastnacht (carnaval) avec des masques FFP2 et à coups de beignets. Une copine m’a indiqué une cabane de kermesse égarée dans un coin résidentiel qui en vend des tout chauds (aucun rapport avec les robes rétrécies).

Helau, helau, helau !

Anticiper les odeurs

Saint Jean Cap Ferrat, février 2006

Janvier. Un mois long, gris et froid, au plafond bas.  Les gouttes coulent le long des vitres, à l’extérieur. Et à l’intérieur, comme dans un Tupperware.

Les maisons allemandes sont tellement isolées que la condensation ruisselle, comme en France sur les fenêtres anciennes à simple vitrage. C’est un fait avéré. Lors de notre emménagement, nous avions reçu un dossier de consignes. Il y était précisé la nécessité d’aérer plusieurs fois par jour le logement pour éviter les moisissures. Ça ne suffit pas. Je passe chaque matin un chiffon au bas de chaque vitre. Malgré ce zèle, des points noirs douteux apparaissent.

Pour éclairer l’intérieur, j’achète des fleurs. Vous l’aurez compris, je suis une fervente pratiquante du printemps en toutes saisons. Depuis la nouvelle année, deux fois par semaine au marché je rends visite à la roulotte du fleuriste. Je choisis un bouquet de tulipes, un autre. Des petits pots de primevères de toutes les couleurs, des bulbes forcés : des jonquilles minuscules, des muscaris violets, des bébés perce-neige.

Les bouquets placés dans des bocaux anciens éclairent les pièces communes de la maison et mon bureau. La table où nous mangeons accueille un jardin miniature. Sur les bords des fenêtres des chambres des filles, des primevères violettes et roses, des lances de crocus en bourgeon ont la mission de leur tenir compagnie pendant les cours en ligne.

J’aime que les toutes premières de la saison soit jaunes. La nature se couvre à son réveil d’un clapotis de petits soleils. En les attendant, les fleurs fraîches m’aident à traverser janvier.

Une de mes préférées brille par son absence.

Je n’en ai vu à Mainz que chez le boucher qui décore sa vitrine aux couleurs de carnaval (jaune, bleu, blanc, rouge) avec des branches sèches de mimosa. Et aussi sur un char du Rosenmontagszug à carnaval. Je ne sais pas où ils les trouvent.

Le parfum poudré du mimosa de janvier me manque cruellement. Depuis que nous vivons en Allemagne j’en suis sevrée. Ça fait maintenant trois hivers que je n’ai pu nicher mon nez dans ses pompons. J’aime ses chatouilles et son odeur.

C’est un de mes plus vieux souvenirs. J’avais à peine deux ans et je courais dans le parking de notre résidence, sous les plumes géantes d’un grand mimosa tout jaune.

Quand nous avons déménagé dans notre maison de pierres anciennes, une magnanerie antique, le jardin était en friche. Mais il était possible, sans enjamber de portail d’aller respirer le mimosa des voisins. En rentrant de l’école, je guettais les premières éclosions de ses petits boules vertes et allais fourrer mon nez dans les tous premiers plumeaux jaunes. Plusieurs fois, pour mieux le sentir j’ai manqué me coincer une boule dans le nez.

Ensuite ma mère en a planté un grand à l’entrée, et d’autres tout en bas du pré. De variétés différentes, ils ne fleurissaient pas en même temps. Celui du haut créait des touffes comme des plumes d’autruches. Ceux du bas, plus sauvages sans doute, des petits pompons discrets qui saupoudraient son feuillage bleuté comme du sucre sur une brioche. J’en étais autant gourmande des deux.

Pendant mes études, ma mère m’a un dimanche donné un gâteau pour mon retour à Lyon. Elle l’avait décoré d’un brin de mimosa du jardin et emballé de papier aluminium. Cette semaine-là j’ai mangé du gâteau chocolat-mimosa.

En terrasse à Lyon en 2018

Celui du haut a gelé hélas, un hiver trop froid. Comme celui des voisins. Ceux du bas ont résisté. J’ai prélevé un jour un rejet de 20 centimètres peut-être pour ma terrasse lyonnaise. Il a tenu le coup mais sans motivation. Plusieurs années il est resté fidèle à son Ardèche, et a refusé de pousser (un peu comme moi). Peut-être qu’il a fini par accepter son nouvel environnement de béton, peut-être qu’il a été stimulé par le plant voisin acheté en jardinerie.  Il a poussé d’un coup et m’a permis chez moi à Lyon de plonger mon nez dans les pompons poudrés. En fermant les yeux. Comme la toute petite fille qui courait sous la haie en essayant d’attraper les branches.

Les parfums sont très importants pour moi. Toutes les odeurs. Quand j’entends qu’un tel a eu le Covid-19 il y a 4 mois et n’a toujours pas retrouvé l’odorat, je redouble de précautions… Je recherche le parfum des fleurs, mais pas de toutes. Les effluves capiteux des lis ou des jacinthes me rendent leur voisinage pénible. A peine leurs fleurs éclosent-elles que je bannis le pot ou le vase, dans un coin où je peux les admirer sans les sentir.

Les parfums en bouteille ceux qu’on achète cher dans des bouteilles-bijoux me sont devenus insupportables.

En vieillissant, les travers s’accroissent, on devient sa propre caricature comme disait ma mère. Je ne peux plus en porter, ni m’asseoir à côté de quelqu’un qui en porte. Même un sillage dans un couloir ou un ascenseur me donne des hauts le cœur. La trace odorante d’une bise sur ma joue peut me gêner plusieurs heures.

Les odeurs nauséabondes bien sûr me révulsent.

Pour m’en protéger je les anticipe. Je prédis les zones où des nuages invisibles risquent de m’agresser l’odorat. Un renfoncement dans une ruelle, un camion poubelle… Je me mets en apnée, le temps de dépasser la source de l’émanation présumée. Au supermarché (en France, pas ici) une personne aux cheveux gras et aux vêtements tristes de saleté me signale d’éviter les rayons qu’elle a visité. Tant pis pour le fromage ou les biscuits ce coup-ci.

Mais bien sûr certaines odeurs me mettent le cœur en joie, comme la terre mouillée de pluie, l’herbe fraichement coupée, les épluchures de légumes dans un papier journal (d’un coup je me retrouve dans la cuisine de ma grand-mère à Avignon).

‘’L’odeur de l’Angleterre’’ me propulse d’un coup dans mon corps de 9 ans, en uniforme violet et gris, quand j’étais en pension à côté de Londres. Je dis l’odeur, mais en fait il y en a plusieurs : celle des bonbons en gélatine, les winegums, au cassis. L’air humide et rêche des rues (comme un mélange de fumée, de métro, de brouillard). Celle des intérieurs, un panaché de produits de ménage et de toilette fleuris mais délicats, à la rose ancienne. Là aussi je ferme les yeux pour mieux voyager. Dans le temps.

Trip down memory lane en 2005 à ma pension de 1982

Je recherche toutes les fleurs parfumées mais pas entêtantes : le lilas, le seringat, le chèvrefeuille, le jasmin. Le romarin et le thym sauvages, les cistes, les aiguilles des pins chauffées au soleil. Le perce pierre qui pousse entre les rochers du bord de mer, quand on brise une tige…

La liste serait trop longue.

Je renifle tout c’est une habitude. Ma mère m’appelait le chien de chasse. Ma grand-mère en riait quand, avant de gouter un plat je collais mon nez dessus. « Regarde-la, celle-là… »

Mes produits de toilette sont sans parfum, sauf ceux que j’ai testé et accepté. Les produits de ménage passent un test olfactif sévère.

Donc, le mimosa me manque beaucoup.

Il n’est pas possible d’enregistrer les parfums, mais si vous en croisez, s’il vous plait, plongez votre visage dans ses pompons. Humez ses confettis de soies monochromes.

Et dites-moi.

Post scriptum

La rédaction de cet article m’a décidé à demander au fleuriste du marché s’il pouvait en trouver. Il a un fort accent régional, et derrière le masque je n’entends pas tous les mots. Mais j’ai compris que même si tout était sens-dessus dessous au niveau des approvisionnements en fleurs, il allait s’en occuper. Il ne m’a pas demandé mon nom. Ni aucun engagement. Mais je savais que je pouvais compter sur lui. Les Allemands sont en général très fiables.

Samedi, en passant devant sa roulotte j’ai vu sur l’étagère du fond un bouquet de mimosa solitaire. Tout frais, tout beau. J’ai su que c’était pour moi. J’en ai eu les larmes aux yeux, des fleurs et du geste.

Quand il m’a vue il m’a tout de suite donné le bouquet.

Mimose aus der Heimat (du mimosa du pays)

-Oh merci ! Ça fait trois ans que je n’ai pas eu de bouquet !

Au-dessus du masque il semble surpris : “y’en a chaque année au carnaval, sur les chars !”

Oui, mais on ne le voit que de loin. Moi ce que j’aime c’est le respirer, et plonger la tête dedans ! J’en ai bien profité !

Flagrants débuts

Voici un article écrit en réponse à l’appel à textes d’une revue. J’avais trop envie de le partager avec vous, ma fidèle équipe.

Je le dédie à toi, mon amie que j’ai connue au foyer.

(Je vous laisse deviner le sujet imposé.)

Aller Anfang ist schwer, doch ohne ihn kein Ende wär‘. Tous les débuts sont difficiles, mais sans début pas de fin.

À chaque soubresaut de la vie, ce proverbe allemand me le rappelle : la difficulté est passagère. Je l’ai découpé dans un magazine en VO. Etudiante toute neuve, je viens alors d’entrer en classe préparatoire à Lyon. Je comprends peu à peu à quel point il va me falloir travailler pour répondre aux exigences des concours. Collé sur le miroir au-dessus du lavabo, ce coin de papier me fournit en espoir à chaque brossage de dents. Demain sera plus facile.

Le changement de vie lié au début des études m’enivre. Certes c’est dur, mais on me dit que ça en vaut la peine. Il s’agit pour tenir le coup de se rassurer (merci proverbe). Et de se motiver. Ce sera la mission d’une autre citation, publicitaire et en anglais cette fois, aimantée au-dessus du bureau. I want. I can. Je veux, je peux.

Je ne demande qu’à croire mes bouts de papier.

Cette année je cohabite avec Marie, le regard turquoise sous des boucles mobiles. Nous partageons une chambre au deuxième et dernier étage d’un foyer tenu par des religieuses. Nous avons toutes deux quitté notre campagne méridionale pour le bruit gris d’une métropole, au nord du quarante-cinquième parallèle. J’ai troqué mon nid avec vue sur des falaises dorées pour notre dortoir de poche.

Quarante jeunes filles logent dans cette maison bourgeoise. Dociles, nous suivons avec bonhommie les nombreuses règles. Manger à heure fixe, ne pas sortir le soir :  faire autrement ne nous viendrait pas à l’esprit. On n’a pas le temps. L’évasion se limite à descendre en cachette l’escalier interdit en face de notre porte. Et à chanter à tue-tête ‘’La bonne du curé’’ d’Annie Cordy en dansant sur nos lits. On s’amuse d’un rien quand on sort peu la tête des bouquins.

Marie et moi découvrons ensemble les exigences de la classe préparatoire, la vie en étages et en collectivité, loin de nos familles et de leurs grandes maisons nichées dans la verdure. Jeunes et jolies, bien dans nos corps toniques, nous avons la vie devant nous, la tête bourrée de savoir tout frais. Nos convictions, à peine recyclées de celles de nos parents, se complètent. À nous deux, la vie ! Nous, on sait.

Avec le changement d’heure de fin octobre, une ardoise blanche couverte d’une écriture ronde au feutre rouge est apparue en bas des escaliers de bois : fermer les volets à 17 heures au plus tard.

À 17 heures, Marie et moi ne sommes pas encore rentrées de nos examens oraux. Nous profitons des quelques minutes de trajet comme d’une bouffée de liberté. Nous humons l’air du soir et cherchons, entre les émanations de pots d’échappement, le parfum de cours d’école des feuilles de platanes. Nous courons dessus exprès pour les entendre craquer. Elle comme moi aimons le grand air. Nous avons tellement besoin de l’extérieur que, dès notre arrivée au foyer, nous avons ôté les voilages de notre fenêtre. Pourquoi cacher les branches rondes d’un tilleul ancien et, au-delà de la rue étroite, la blancheur passée d’un immeuble ?

Le sort de l’ardoise est scellé d’un haussement d’épaules. Ça doit être pour le chauffage. Encore un truc des sœurs pour faire des économies. Déjà qu’elles nous font manger des patates à tous les repas. Les radines, elles exagèrent !

Alors bien sûr, nous ne fermons pas les volets à la tombée du soir.

Marie s’en charge à minuit quand elle se couche. Une fois en pyjama, elle ouvre la fenêtre dans une langue d’air frais.  Les battants de métal en accordéon claquent dans la nuit. Elle s’endort sous sa couette Snoopy, cousue par sa mère. J’étudie encore pendant deux heures dans le halo silencieux de ma lampe de bureau. C’est moi qui ouvrirai les volets juste avant sept heures. Je tâche d’être la première aux douches.

Un soir de fin novembre, vers minuit, je suis penchée sur un cours de philo. Ma petite lampe blanche est déjà allumée pour contredire l’ombre du plafonnier. J’entends des froissements de tissus dans mon dos. Comme tous les soirs, Marie se prépare pour la nuit en silence. Je ne la vois pas.

Tout d’un coup, un hurlement jaillit derrière moi. Je sursaute.

GROS DEGUEULASSE !

Alertée par son cri, je me lève d’un coup. Ma chaise repoussée violemment claque. Le parquet résonne.

Marie en culotte, tente d’une main de dissimuler sa poitrine nue, et de l’autre dresse le poing dans un geste menaçant.  

Vite, un pull pour se cacher. « Là… y’a quelqu’un !»

Guidée par son regard et son index accusateur, j’ouvre la fenêtre et me penche dans le silence d’encre. La façade d’en face est sombre, à peine éclaboussée par la lumière des réverbères. J’ai juste le temps d’apercevoir à une fenêtre, dans l’interstice étroit entre le mur et un rideau à peine entrouvert, calé sur le rebord, un regard coupable d’homme mûr.

Nous hésitons entre choc et rire. Les voilages punis dans l’armoire retrouvent illico leur fonction. Désormais nos volets seront clos chaque soir dès notre arrivée.

Gonflées de l’envie de vivre, confiantes en notre interprétation des gestes du quotidien, nous avons offert à des yeux pervers l’effeuillage d’une jeune fille encore mineure. Une poitrine neuve dans le cadre lumineux de la seule fenêtre éclairée de toute la façade.

L’ardoise des religieuses, caution de quarante vertus et de leur établissement, avait voulu nous protéger. Aveuglées par l’arrogance de la jeunesse, persuadées que les sœurs, pfff, ça ne connaît rien à la vie, nous avons dédaigné le conseil. Dans le claquement métallique des volets, notre apprentissage, échappé des murs du lycée nous a rattrapées. Ce soir-là nous avons senti le coup de balai dans les copeaux de notre innocence. Nous avions commis une erreur de débutantes.

Bien sûr ce n’était pas la première. Ni la dernière.

Pourtant quand on avance dans la vie, les débuts se font plus rares. Les premières fois deviennent précieuses, même si elles restent difficiles.

À l’occasion d’un déménagement récent, j’ai à nouveau cherché du soutien dans le proverbe de ma jeunesse. Tous les débuts sont difficiles… Pas besoin de le coller sur un nouveau miroir, je le connais par cœur. Il est d’autant plus approprié qu’il s’agit d’une installation familiale en Allemagne, dans une maison sans volets.

L’expatriation offre un nouveau départ dans chaque geste. Se repérer dans une culture différente, comprendre les habitudes. Les erreurs de débutantes sont légion et on s’en rend vite compte : les Allemands aiment rappeler leur prochain à l’ordre. On ne marche pas sur la piste cyclable. Mais le principal intérêt de ce franchissement de frontière reste le coup d’éponge sur l’ardoise du passé. Personne ne me connaît, je peux être qui je veux. Bien sûr je serai cataloguée comme ‘’la Française’’, dans un bouquet de clichés. Je préfère ne pas trop les découvrir, pour mieux m’en affranchir.

Loin de nos repères et de nos amis, les premiers mois à l’étranger sont difficiles. Mais ils offrent chaque jour une aventure. Ils nous rendent le droit de nous tromper. Et surtout, ils nous permettent d’apprendre.

Si c’était ça le charme des débuts ?

Merci à mon mari et à mon fiston pour leur relecture attentive.

Attendre

Lockdown enhardi, école à la maison (encore !). Le rêve de voyages et d’actes subversifs est-il encore autorisé ?

Hou, hou y’a quelqu’un ? (sculpture temporaire sur le Staatstheater de Mainz)

C’est reparti pour un tour.

Ou plutôt ça continue dans un ruban de Möbius insupportable. Les chiffres du corona ne sont pas bons, malgré l’assiduité des Allemands à suivre les règles. C’est à n’y rien comprendre. Que les chiffres dérivent en France, on se dit, bon c’est un trait culturel de ne pas toujours se sentir concerné par les interdictions. Pour des sujets moins graves, cette souplesse tolérée est plutôt agréable. Mais ici… Personne sans masque, les distances sont respectées, tous les lieux de sortie sont fermés… Pourquoi ?

Le lockdown a haussé d’un ton. La mâchoire du monstre-virus se referme un peu plus autour de nos libertés. Dans les villes où les chiffres sont vraiment alarmants, pas le droit de s’éloigner de plus de 15 km de son domicile. Heureusement à Mainz ce n’est pas encore le cas. Oui je sais, ça reste 15 fois plus que les limitations en France.

Pour l’instant nous échappons au couvre-feu. Entre vous et moi, ça ne nous contraindrait pas beaucoup au quotidien, à part pour une sortie tardive de poubelles ou des courses de dernière minute au supermarché (oui tout est fermé le dimanche, mais le soir il reste ouvert jusqu’à 22 heures). Pourtant j’espère que ça restera le cas. La violence de l’interdiction dépasse la limitation d’action réelle.

C’est donc reparti pour un tour. On en reprend pour un mois de cours à la maison. Au moins. Youpi !

Physalis, l’amour en cage…

Heureusement c’est mieux organisé qu’en mars, les filles sont plus autonomes. Si chaque élève coupe sa caméra, le réseau évite la saturation. Les portes des chambres filtrent les conversations. Si la maison tremble, si on entend des coups de sifflet, c’est qu’il y en a une en cours de sport.

Ça leur fait de grosses journées collées sur un écran. Pour ma plus jeune, l’organisation annoncée dès mi-décembre était la suivante. Chaque cours (durée de 45 minutes) est divisé en trois parties : explications du prof, exercices hors ligne, puis corrections et questions en direct. Les cours de Lernzeit, (5 heures par semaine), études encadrées pour les devoirs, sont aussi poursuivis en ligne.

La rigueur et la concentration exigées seront-elles possibles ? Quel est le degré d’investissement des parents attendu ?

Ma plus jeune vient de m’appeler paniquée. Il lui reste quelques minutes pour faire l’exercice d’éthique. Je la sens toute stressée. ‘’Ça veut dire quoi rumeur ? ‘’ Ma présence la rassure. Comme la réponse de sa prof à son message inquiet : ‘’Je ne pourrai pas tout faire dans le temps imparti, est-ce grave ?’’. Nein a répondu sa prof. Finalement elle a tout fait, dans les temps, et juste. Et moi j’ai la réponse à la question ci-dessus sur le degré d’engagement des parents.

Je redoute de me faire happer par la pédagogie familiale. Je tâche de me fondre dans le décor et de faire comme si je n’étais pas là… Je pilote tout de même le rattrapage des cours où elle était absente la semaine dernière. Je souhaite garder mon cerveau et ma patience pour mon usage personnel, mais je cède mes outils.  La tablette, ne veut plus se connecter : mon ordinateur est réquisitionné. Mon téléphone aussi, tiens, elle en a besoin pour consulter ‘’l’environnement de travail partagé’’ pendant les videos. Me voilà déconnectée.

Mercredi, tout premier cours de guitare pour ma plus jeune et son Daddy. En ligne et sans guitare. Ben oui, on a besoin des conseils du prof avant d’investir. Ça promet.

La même quelques semaines plus tard

Surtout ne pas penser.

Ne pas se projeter.

Ça tombe bien, c’est ce que je fais le mieux (smiley avec clin d’œil grimaçant).

On sait faire, on a de l’expérience, on peut même la mettre sur son CV. Soft skills : capable de rester enfermée avec sa famille pendant une durée indéterminée sans les étrangler…. Avant de l’affirmer, j’attendrai la fin des hostilités, pour être vraiment sûre.

J’ai de la chance mes projets professionnels se passent ici même, à ce bureau. Pour la vie par contre, j’aimerais mieux que ça se passe aussi ailleurs. Alors pour accepter les prolongations de lockdown et garder le moral, on se dit, faisons des projets. Préparons nos prochains voyages.

Le voyage ? J’ai oublié. Les excursions dépaysantes datent de l’ère pré-enfants. Les vacances à l’étranger d’avant-ce-que-vous-savez. Les week-ends spontanés (ou pas d’ailleurs) en montagne ou à la mer, d’avant l’expatriation.

Alors je ressors mon Larousse. Enfin, façon de parler. J’ouvre la page web et je fouille au milieu des pubs.

Voyage, du latin viaticum, provisions de route. Ah on s’en approche : les provisions on a. La route, au-delà du marché, pas vraiment.

Action de se rendre dans un lieu relativement lointain ou étranger. Euh non, ça on a perdu l’habitude. Envolé ! Confisqué ! Ah moins que ‘’relativement’’ soit pris au pied de ses douze lettres.

Je propose un échange familial constructif pour garder le cap, disons, trouver un cap.

-Alors les enfants, vous voulez partir où ?

Une réponse fuse, instantanée.

-En Polynésie française !

Ma plus jeune a déjà fait ses plans.

-Ah bon ? pourquoi ?

-J’ai vu un reportage sur Arte junior avec la classe. Ça m’a fait trop envie.

-OK. Mais sinon, plus près ? (moins cher ?)

-Le Canada.

-Ah oui ? pourquoi pas. On irait voir les copains. Moi j’aimerais retourner en Italie et en Grèce. Mettre le cap vers le Sud pour changer un peu des contrées anglo et saxonnes.

Déplacement, allées et venues, en particulier pour transporter quelque chose.

Au moment où j’écris ces mots, j’entends ma meilleure moitié ranger les provisions qu’il vient d’acheter au supermarché. Oui les allées et venues pour transporter des choses : on est au taquet. On voyage un max.

Action de se rendre ou d’être transporté en un autre lieu ; trajet. Ah oui là aussi, côté changement de lieu ça marche (littéralement) autour du quartier, dans une spirale sans fin. Des boucles de pas boueux enchâssées comme des poupées russes. Et surtout, merci les bouquins et la téloche. L’imagination.

-OK, minette je pars avec toi en voyage. Viens, on va se regarder un documentaire. (BBC, Perfect Planet avec l’inénarrable David Attenborough).

Tiens, c’est un coup de bol qu’on ne soit pas partis en Angleterre. Avec le changement pour le pire qu’ils ont vécu, on serait tombés dans les limbes des « triers », des quarantaines politiques, des conséquences du Brexit… Le voyage vers une île peut-être un piège redoutable. Pas de fuite possible. Evasion doublement confisquée.

Exploration, découverte, description de quelque chose qu’on suit comme un parcours. Euh ça compte la glissade passive et manipulée dans les feeds d’Instagram pour voir si les autres sont plus coincés que moi ? Non. Je pencherais plutôt vers les phrases fabriquées ici, la découverte des mots qui sortent des doigts pour m’éclairer le cœur et peut-être le vôtre. L’observation curieuse des pâquerettes qui fleurissent en hiver, des graines qui germent dans mes pots. Tombées des fleurs cet automne, elles se hâtent de déplier leurs feuilles crispées. J’ai envie de leur dire. NON ! Trop tôt ! Restez chez vous ! (c’est contagieux cette manie) Vous allez griller.

Faute de voyager on envoie ses meilleurs vœux, des Lebkuchen (oui merci les paquets sont arrivés après de nombreuses semaines de transport). Désormais coincés à la maison, j’ai voulu faire une commande en ligne sur le site des pains d’épice que l’on m’a recommandé. Pour l’adresse d’expédition de mon panier virtuel tout se passait bien jusqu’au choix du pays. Le menu déroulant propose la liste de toutes les nations du monde, sauf la France. J’ai tenté French Guiana. Mais les frais et délais de livraison m’ont semblé conformes à une expédition outre-Atlantique. Ce n’était pas une erreur, en tous cas pas là. Frustrée de ne pouvoir mener à bien ma commande, mais pleine de bonne volonté pour signaler à ce fournisseur l’erreur de leur site web, je leur ai envoyé un message sur Instagram. ‘’J’ai voulu expédier une commande en France, mais je ne l’ai pas trouvée dans le menu déroulant’’. J’ai reçu la réponse une semaine plus tard : ‘’Alors c’est qu’on ne livre pas en France.’’

Vraiment ?

D’abord je me suis dit qu’ils se foutaient de moi. J’avais envie de demander à l’anonyme qui pilote le compte derrière un (pas très) smartphone s’il avait entendu parler de service clients. Voire même de remerciements car après tout je leur signale un bug. Heurtée par une réaction surprenante et raide, je me vexe toutefois moins qu’avant. Je sais que ça n’a rien de personnel. C’est un trait culturel de bonne foi.

M’enfin, tout de même.

Mon mari à qui je raconte cet épisode me répond : « Ah oui, les Allemands ont souvent des réactions comme cela au travail. »

Alors on se gratte la tête et on se demande : pourquoi ? Pour éviter de réfléchir ? Pour ne pas reconnaître la possibilité d’une erreur. Pour ne pas se remettre en question ?

On n’a pas trouvé la réponse bien sûr. Je demanderai à une amie.

Mais grâce à cette réponse lapidaire, je me suis lancée dans l’exploration de nouvelles possibilités pour offrir des douceurs allemandes. Un voyage virtuel vers des mains amies, blottie en pensée entre des boites de carton parfumées aux épices. Entre proches éloignés, nous organisons des retrouvailles par cartons interposés. Le fret est reparti en Angleterre on a reçu un colis géant : un deuxième Noël ! Thanks belle-sœur !

Et pour faire semblant de vivre ma vie, je vais, en bonne Française, poser un acte subversif. Hé, hé !

Dès qu’il ne gèlera plus j’irai déterrer un plan de pâquerettes sur les terrains collectifs. J’aimerais en planter dans notre carré d’herbes et les inviter à essaimer. Or il est impossible de les acheter ces demoiselles sauvages en collerette. On ne trouve en pépinière que leurs cousines pomponnées.

Alors j’ai fait mes repérages près d’une aire de jeux, et, avec mon couteau de cuisine, mon masque et mon sac en plastique, je vais tenter d’éviter la Hobby Polizei (‘’la police des hobbies’’ comme dit une amie , ces férus d’ordre aux dépens de la joie des autres).

Les pâquerettes et moi on a un rencard nocturne.

Tant qu’il n’y a pas de couvre-feu.

Excursion à Baccarach

Des vacances de Noël en famille et une promenade dans la Vallée du Rhin romantique, émaillées de surprises joyeuses.

Baccarach, au bord du Rhin

Chers amis, je suis ravie de vous retrouver.

Il semblerait que j’aie pris des vacances d’écriture. Je n’en étais pas sûre lors de ma dernière publication alors je ne vous ai pas prévenus. J’ai laissé faire l’envie. Mon clavier a été délaissé pour des activités familialo-gourmandes. Les mots et les idées se sont entreposés dans un coin de mon cœur. Les vacances sont finies pour mon mari et moi. Le collège reprend mercredi, avec des cours à distance. Je suis heureuse de retrouver mon temps de composition personnel, curieuse d’aller fouiller dans mon cagibi secret et de le partager avec vous. Voyons voir ce que l’on va trouver.

Vous êtes bien installés ? bien reposés ?

Oui moi aussi. Merci. Nous avons eu la chance d’accueillir longuement mon grand garçon et sa copine. Une compensation joyeuse à l’assignation à résidence.

Le sac à déchets végétaux dans le jardin se remplit de couronnes sèches et de bouquets fanés. Les sachets de papillotes importés par nos étudiants sont entamés mais pas finis (chouette ! pourquoi ne mettent-ils plus de pétards dans les papillotes ? encore un sacrifice de sourires sur l’autel de la rentabilité ?). Le sapin de Noël nous accompagnera encore cette semaine. L’enlèvement collectif des arbres est prévu samedi. Nous retarderons le plus possible son exil au bout de la rue pour profiter de la joie qu’il nous offre. Ses lumières sont les premières allumées le matin et les dernières éteintes le soir. Merci sapin !

Deux semaines confinées sur notre noyau familial, sans voir personne ou presque, à part les vendeurs du marché. Des surprises sympas en forme de clin d’œil amicaux nous ont réjouis !

Le jour de l’anniversaire de ma grande fille (13 ans déjà), notre déjeuner dominical est interrompu par un coup de sonnette. La porte à peine ouverte, des voix entonnent : « Happy birthday to youououou … ! » C’est une amie à elle avec sa sœur, sa maman, et son chien, qui viennent lui apporter un petit cadeau. Il est posé devant la porte. Elles chantent à quelques mètres de là, dans la rue. La distanciation sociale (Abstand !) est respectée, la gentillesse préservée. Partez vite sinon on vous fait un gros câlin !

Un matin dans la boite aux lettres, nous avons trouvé une carte de vœux dessinée par les enfants d’une amie à moi. Zut je l’ai ratée quand elle est passée. Mais quel plaisir de faire partie des destinataires !

Le dimanche de l’anniversaire de mon autre fille (10 ans ! eh oui notre moi de décembre est intense), une copine-voisine lui a apporté une carte et un dessin faits maison avec un grand sourire. Elle a à peine passé la porte. Pas besoin, nos coeurs étaient gonflés pour la journée et au-delà !

Le jour de Noël, la sonnette a retenti en tout début d’après-midi. J’ai ouvert la porte sur notre famille en plein Christmas pudding avec couronnes de crackers sur la tête. Une autre amie à moi et son mari rentraient de promenade (ils avaient fêté noël entre eux le 24, comme beaucoup de notre entourage), un sachet de Lebkuchen (pains d’épices) maison à la main. Délicieux, oui merci. J’espère avoir sa recette. Avant de partir elle me demande : « Les couronnes, c’est une tradition française ou une création spontanée ?»

Au marché dans la queue qui serpente à intervalles réguliers, une autre amie me fait signe. « Tu me manques ! elle me dit. J’ai peur que le lockdown brise les liens, fais-moi signe pour une promenade le long du ruisseau du Gonsbach. » Elle le connait par cœur ce chemin. Moi aussi. Tous les voisins également. C’est un des terrains de jeu de Mainz pour jambes en mal de mouvement. Moi aussi j’ai peur que l’isolement forcé dénoue des liens que nous tissons avec patience et assiduité depuis deux ans et demi.

J’ai l’impression de jouer à un deux trois soleil. Vite, bouger, se déplacer, rencontrer des amis quand on a le droit, se fondre dans l’immobilité dès qu’on nous regarde.

Le soir de la Saint-Sylvestre, nous avons fait des jeux et nous sommes couchés bien avant le changement d’année. A minuit, les pétards et les feux d’artifice ont éclaté. Tiens, il me semblait que c’était interdit. De grosses voix graves chantent sur le parking. Brrrr…Hou la la, ma benjamine va avoir peur sans doute… On frappe à la porte de notre chambre. Deux demoiselles se faufilent entre nos draps. L’occasion d’un câlin collectif à écouter pétarader le voisinage. Je demande à ma grande fille :

-Tu ne dormais pas ?”

-Non je lisais. je voulais attendre minuit. A minuit j’ai fait une minute de silence pour les gens malades du Covid, une minute de silence pour les gens morts du Covid. Et puis je me suis récité mes résolutions à haute voix. Après ma soeur est arrivée.

Un moment entre deux années, précieux. Bonne année les choupettes chéries.

Au milieu des vacances, nous avons fait une excursion avec des amis (Tu crois qu’on a le droit ? disons que oui, on restera à distance). Une évasion en voiture, bien au-delà de la place du marché ou du Gonsbach, dans une région touristique. Ce dimanche il fait gris et très froid. La pluie tombe en italique, le vent souffle en rafales. Un ciel bas s’accroche aux branches noires de troncs mouillés. Nous marchons dans la boue, pique-niquons debout sous le toit d’une Hütte (ces abris construits sur les chemins de randonnée) avec des restes d’agapes froids. Nous sommes humides et grelottants. C’est le paradis.

Notre abri bien réel : la Hutte Théorique

Nous nous étions donné rendez-vous avec nos amis de Cologne (ma Susanne d’enfance et sa famille), en aval des gorges du Rhin romantique à Spay. Juste avant Koblenz et le confluent du Rhin et de la Moselle. Cette balade de deux heures nous a permis d’échanger des cadeaux et des nouvelles de vive voix, de monter sur le plateau avec des points de vue monochrome entre nuages effilochés sur les boucles du Rhin. Le rêve !

Loreley (oui il faisait gris)

La route entre Mainz et Spay suit le fleuve, dans le sens du courant. A intervalles réguliers des chiffres géants sont inscrits le long de la rive : le nombre de kilomètres depuis la source en Suisse (500 à Mainz). Au niveau de Bingen, le Rhin entre dans sa partie romantique, des gorges creusées entre rive gauche, les reliefs du massif de l’Eifel et rive droite, ceux du Taunus. Des villages de contes de fée s’égrènent de chaque côté. Les vignobles dégringolent tête première vers le bas (comment font-ils pour vendanger ?). Des châteaux forts en grès rouge, plus ou moins retapés, gardent les flancs des gorges. Le temps des prélèvements de taxes est révolu. Au niveau de Sankt-Goarshausen (un nom comme une formule magique), le lit contraint par des falaises se resserre, le fond de l’eau descend à moins 25 mètres, et le courant forcit. C’est le passage le plus étroit et le plus profond du parcours navigable, au pied du rocher de la Loreley. Pour les mariniers, le lieu de tous les dangers.

Au sommet de la falaise, cette belle nymphe de la mythologie teutonne coiffait ses longs cheveux blonds. Comme les sirènes d’Ulysse, elle détournait le regard des marins et causait des naufrages. Mon professeur d’allemand au collège nous a raconté cette légende, les ballades et chansons écrites sur ce thème. Le Rhin romantique affiché sur un mur de la classe semblait alors très exotique.

Aux beaux jours, la circulation sur le fleuve entre navettes, bateaux-hôtels de croisières et péniches de fret est dense. En ce dimanche de fin décembre gris et froid en plein lockdown c’est vide et mort.

Comme mon grand garçon n’a guère eu l’occasion de faire du tourisme en Allemagne, nous avons souhaité lui donner un aperçu du coin, en s’arrêtant dans un charmant village. Quelques mois après notre arrivée nous y avions retrouvé nos amis pour un pique-nique dans l’herbe au soleil. Comme lors de ce premier passage, nous nous sommes garés entre la voie ferrée et le Rhin, tout près des remparts, pour une visite exprès de Baccarach.

C’est un village médiéval préservé, aux maisons à colombages, où les vignes s’invitent dans les jardins. En saison, et en temps normal, les terrasses des cafés et des restaurants débordent sur les ruelles, comme les magasins de caves viticoles. Les touristes à cornet de glace (nous, l’autre fois) marchent le nez en l’air et le portable prêt à photographier. Là, personne, aucun bruit. Les vitrines sont éteintes, les restaurants et les hôtels fermés. Mon fils s’exclame : « On se croirait à Disneyland un jour de fermeture ! »

Les illustrations des livres de contes (peut-être grâce aux frères Grimm) doivent beaucoup aux paysages allemands (les forêts mystérieuses, les maisons à colombages). Les dessins animés aussi. Les enfants ne sont pas perdus dans la campagne germaine.

Un rapide tour donc, sans déranger personne dans des rues piétonnes ou presque. Il ne pleut pas encore, mais nous sommes pressés : notre lieu de rendez-vous est encore à plusieurs kilomètres. Le chemin des ânes qui s’échappe entre deux maisons nous conduit à une tour de guet dans les vignes. Stop, nous n’irons pas plus haut. Nous sommes attendus. Mes doigts gèlent sur l’appareil photo (j’essaie de résister à la paresse des clichés sur téléphone). Le point de vue sur les toits, le château sur la colline reconverti en auberge de jeunesse (où mon amie Susanne était allée avec sa classe à l’école primaire), et sur la Wernerkappelle est superbe. D’ailleurs il est en couverture de mon guide Lonely Planet sur toute l’Allemagne.

Baccarach, à droite la ruine restaurée de la Wernerkappelle

La Wernerkappelle (chapelle Werner) n’a ni toit ni vitraux. Elle dresse son squelette gothique à mi-pente au-dessus du village, au-dessous du château. Un mystère aérien en dentelle de pierre. Une proue de navire fantôme.

Vite dépêchez-vous on redescend ! On ne veut pas faire nos Français et arriver en retard. Cet arrêt était prévu dans notre temps de trajet. Mais, tout de même.

Mon mari et une de mes filles partent d’un côté pour acheter dans une ruelle du jus de pommes qu’ils ont repéré (à disposition devant une maison, avec une tirelire pour le payer). Avec mes autres enfants, je suis la rue piétonne principale : je souhaite revoir une vieille porte en bois qui m’avait beaucoup plue.

Là, en face, deux hommes parlent. Un vieux monsieur masqué de papier blanc, appuyé sur un déambulateur, un peu voûté sous un manteau et une casquette noirs. A son côté, un homme barbu, la petite cinquantaine dans un corps confortable, lui aussi dans un pardessus sombre. Dans ce village fantôme, c’est assez remarquable.

J’entends :

-De là, on voit bien la chapelle.

Cette interpellation me surprend. Je jette un rapide regard autour de nous. Personne d’autre dans la rue. Ce doit être pour moi et mon appareil photo en bandoulière. C’est le vieux monsieur. Je m’arrête et me tourne vers lui.

-Ah oui ?

Je m’approche, tout en restant à la distance prescrite, et je suis son regard vers le haut.

-Ah oui c’est vrai !

De ce petit coin de rue, contre une vitrine éteinte, la chapelle Werner dresse ses murs ouvragés au-dessus de la maison d’en face. Le ciel blanc coule à travers les fenêtres vides.

-Superbe ! Merci !

Je prends une photo. Celle-là :

Wernerkappelle

Le plus jeune des deux m’explique.

-Mon père était architecte, il a restauré la chapelle.

Il n’en fallait pas plus pour éveiller ma curiosité.

-Whaou ! Quand ça ?

-Dans les années 90. Les fenêtres font douze mètres. Vous vous rendez compte !

Je produis les bruits d’exclamation adéquats.

-Elle date de quand ?

-1200 environ. Elle a été construite en même temps que les cathédrales de Cologne et de Strasbourg. Les architectes de l’époque s’inspiraient les uns des autres.

Le vieux monsieur a l’air fatigué, mais une lumière dans les yeux.

-Je ne peux pas monter à cause de mon cœur, mais de là on la voit très bien.

-Vous habitez ici ?

-Non à Koblenz.

Je traduis rapidement pour mon grand garçon qui ne parle pas allemand. Le fils du monsieur m’explique dans un très bon français que lui-même habite “vers la Mer du Nord, dans un coin froid et pluvieux”. Ils sont venus exprès de Koblenz tous les deux pour ces quelques minutes à contempler la chapelle depuis le bas. Leur voiture est garée à quelques mètres.

Je suis éblouie par une telle passion. Quelle chance d’avoir exercé une profession dont le sillage trente ans plus tard, irradie encore ! Donne du sens à un coeur fatigué.

J’ai encore des tas de questions à poser (pourquoi, lors de la restauration, avoir renoncé au toit et aux vitraux ?). Mais nous devons y aller. C’était très sympa de parler avec vous, merci !

Nous serons en retard de quelques minutes au rendez-vous. Nous avons fait nos Français. Pardon copains. Mais, écoutez, c’est pour une bonne raison. J’ai parlé avec un vieux monsieur. L’architecte de la Wernerkappelle

Cet échange m’a enrichie d’une lumière que le ciel et les circonstances nous refusent.

Je vous souhaite pour 2021 un feu d’artifice de surprises lumineuses.

Ah, un peu de soleil ;o)

Noël à l’allemande

Confinement oblige : nous allons passer notre premier Noël en Allemagne.

Bientôt Noël, un Noël bizarre un peu comme si on était dans un autre pays, avec des habitudes différentes. Mais sans partir de chez soi. Un voyage en intérieur. Une nouvelle expatriation immobile.

Nous allons passer en famille notre premier Noël en Allemagne. Pour moi, ce sera le deuxième.

Approchez, je vais vous raconter ma première fois.

C’était en décembre 1988. (Oui il y a bien longtemps.) Ma grande amie allemande (voir article L’amitié franco-allemande prend sa source en Espagne) m’avait invitée à passer les fêtes dans sa famille. Nous avions tout juste 16 ans. J’étais super excitée. J’avais demandé au prof de maths de bien vouloir décaler ma date de rendu des devoirs pour être plus disponible. (Il avait refusé). J’avais téléphoné à Susanne pour organiser mon voyage. A l’époque, sur l’appareil gris à cadran du séjour, un coup de fil à l’étranger était un événement coûteux.

Le premier samedi matin des vacances je suis donc montée d’abord dans un car puis dans un TGV pour Paris. Retenant mon souffle de campagnarde à la ville, j’ai changé de gare et attendu plus de deux heures en Gare du Nord le train pour Cologne. Le long trajet à travers les plaines du nord de la France, de Belgique et d’Allemagne était à la fois monotone et dépaysant. En cours de route, les douaniers sont passés contrôler les voyageurs.

Elle et moi devant la cathédrale de Cologne, au marché de Noël en 2018

Le train est arrivé de nuit dans les lumières du centre de Cologne, au pied des flèches de la cathédrale. Par un caprice d’architecte curieux, la gare moderne est blottie entre un monument gothique inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco et le Rhin.

Cette arrivée à Cologne me rappelait des souvenirs mitigés. Mais cette fois allait être différente : j’avais vraiment envie de venir ! Sous les néons de la haute verrière, j’ai aperçu par la vitre Susanne, sa maman et son petit frère qui m’attendaient sur le quai. Elle tenait à la main une rose.

J’ai tout de suite adoré sa maman que je rencontrais pour la première fois. Elle m’a prise dans ses bras comme sa fille. J’ai découvert leur appartement confortable, dans un quartier calme et vert, la vie d’une famille sans papa, et les machines à laver reléguées entre copines à la cave.  A côté du lit de Susanne, un matelas avait été installé pour moi. Elle m’a montré sa nouvelle chaine stéréo et ses disques (noirs). Une photo de son père. Sur sa porte, était collée une grande photo d’elle au bord de la mer en Yougoslavie.

J’ai goûté les Plätzchen (sablés de Noël) pour la première fois (et à plusieurs reprises). Nous avons fait ensemble le sapin de Noël le 24 décembre au matin.

C’était une expérience nouvelle pour moi. D’abord parce que dans ma famille, pour ne pas tuer d’arbre, on ne faisait pas de sapin. (On décorait des branches de genet coincées entre quatre bûches.) Ensuite parce que Noël entrait dans la maison dès dès novembre pour tricher un peu sur le temps long et noir. La crèche de terre cuite prenait ses quartiers sur la longue hotte de la cuisine, décorée de mousse et de branches de thym, oliviers miniatures.

Pas de crèche chez Susanne. Ni d’escargots ou de treize desserts. Le 24 décembre au soir nous avons mangé une raclette (avec tranches d’ananas festif). Eh oui, c’est le plat national allemand pour Noël ! J’ai aussi appris que le 26 décembre est férié (comme en Angleterre : Boxing Day).

Le petit frère de Susanne a reçu un jeu de Risk (Risiko). Nous y avons beaucoup joué en croquant des noix. Ça m’a permis d’apprendre le vocabulaire de l’invasion de pays. On ne sait jamais.  Sa maman nous a emmenés passer une journée à Amsterdam. Lors d’un tour en bateau sur les canaux, elle nous a indiqué la maison d’Anne Franck, et une maison très étroite, la plus petite de la ville. Au café Esprit, multicolore, j’ai fait comme ma copine et gouté mon premier capuccino. Je n’avais jamais avalé de café. A chaque gorgée, je me sentais devenir adulte.

Les nouvelles expériences se sont enchainées. Pour le réveillon du 31 décembre, nous sommes allées à la fête de son club d’aviron, au bord du Rhin. J’ai bu mon premier Sekt (le vin pétillant) et appris comment dire ‘’cul sec’’ en allemand (auf ex ! ). Après je me souviens surtout des escaliers qui bougent, des feux d’artifices qui éclatent partout dans le ciel de Cologne au-dessus du Rhin, de la pelouse froide et humide, de Susanne assise à côté de moi, et des gens qui nous regardent d’en haut : « On va les ramener. »

Heureusement le trajet à pied n’était pas long. Nous nous sommes effondrées sans mot dire sur nos lits. La maman de Susanne ne s’attendait pas à nous voir arriver escortées.

Le lendemain, nous étions toutes les deux invitées chez une amie américaine de ma famille. Mariée à un Allemand, elle vivait désormais à Cologne. Lorsque la maman de Susanne nous a conduit chez eux, j’ai emporté un sac en plastique. Dans l’entrée, nos hôtes nous attendaient en souriant. “Bonjour !” ils nous ont dit. Je me suis assise par terre dans le couloir et j’ai vomi dans mon sac.

Ils nous ont installées dans un lit de fortune. En fin d’après-midi, après une soupe, nous avons retrouvé une forme suffisante pour sortir comme prévu. A Bochum, une ville voisine, nous avons assisté les yeux grands ouverts, et la bouche aussi, à Starlight express, une comédie musicale en patins à roulettes. Je me souviens des lumières dans la nuit. De la musique forte, des costumes métalliques. C’était extra !

Quelques jours plus tard, il a fallu rentrer en France. (Dans le train du retour j’ai fait mes devoirs de maths.)

Hier Susanne et moi nous sommes téléphoné (par Skype cette fois). Nous avons évoqué notre Noël commun (brièvement, nos enfants étaient là ;o) ). Cette année, nous ne mangerons pas ensemble elle sera avec sa famille, dans la limite du nombre de convives et de foyer (je pose 2 et je retiens 8). Nous serons tous les cinq (yeah ! mon grand garçon a pu venir).  Ensuite peut-être qu’avec masques, distances, grand air et tutti quanti, on se retrouvera pour se balader au bord du Rhin et se rappeler le bon goût de l’amitié en direct.

Le hard lockdown a été mis en place mercredi dernier. Les enfants ont gagné trois jours de vacances et voir du monde va être encore plus dur.

Ces derniers temps, la vie s’était translatée sur les trottoirs. J’ai attendu mon tour chez le coiffeur dans un abri extérieur, avec canapé coussins, thé et café à disposition. Presque une tente bédouine. (Presque un intérieur). Des panneaux indicateurs sont apparus devant un immeuble pour donner les sens des queues. Flèche à droite : pharmacie ; flèche à gauche : cabinets médicaux. (Oui pour aller chez le docteur on attend dehors d’être appelé à l’interphone.)

Chacun fait ses calculs pour savoir comment et dans quelles conditions se retrouver pour les fêtes (si la grand-mère vient, faut qu’on mette un ado dans le placard : lequel ?).

Pour le réveillon, notre escapade en Forêt noire est tombée à l’eau du confinement. Angela a interdit les feux d’artifice. Donc ma deuxième Saint-Sylvestre le long du Rhin sera silencieuse.  Et propre. Pas de dépouilles de pétards dans les rues du lendemain. Ni dans notre jardin, même en notre absence.

Comme personne ne part dans le quartier, les enfants auront des copains avec qui jouer au foot ou au basket.

Ces vacances à la maison seront l’occasion ou jamais de sortir les jeux de (petite) société. Les enfants ont installé Risk sur le tapis du salon. Ils me rappelleront les règles. Nous allons voyager sur un plateau de jeu. Rêver de nos prochaines excursions. Nous imaginer envahir toute l’Europe. Un peu comme cela risque de se passer quand tout le monde aura été vacciné.

Je vous souhaite un très joyeux Noël !