Chambres avec vue

Enfin, plus ou moins… Quelques jours de vacances dans la forêt vosgienne = deux semaines de quarantaine. Serions-nous partis si on l’avait su ?

ACTE UN ~ En Lorraine – Jeudi

Une chambre d’hôte dans la forêt vosgienne, dans un corps de ferme en pierres rouges du XVIIIème siècle. Des coccinelles se promènent égaillées au plafond et sur les murs. Par la fenêtre, les douvent d’un étang ni vert ni noir retiennent les sapins qui dégringolent de la colline. Entre les troncs, on aperçoit le mur lie-de-vin d’une maison borgne. Le soleil se couche. Quelques rayons éclaboussent le mur du fond de la chambre. Il fait bon. Une femme est assise sur le lit.  Vêtue d’un jean et d’un pull de laine bleue marine, elle tient entre des mains trop proches un ouvrage de tricot beige hérissé de courtes aiguilles de bois (oui encore, un béret ce coup-ci). Un homme en jean et gros pull bordeaux au col zippé se tient debout appuyé contre le mur. Il tient une tablette. Son regard est grave.

Lui :       Mince (alors) ! depuis qu’on est partis, le nord-est de la France est passé en zone dangereuse pour l’Allemagne.

Elle :      Zut ! qu’est-ce qu’il faut faire alors ?

-Attends je cherche.

Il consulte un site web. Un autre. Une troisième. Tous officiels. En allemand, avec leur traduction en anglais. En français.

-C’est pas clair. Il semblerait qu’on doive se mettre en quarantaine.

-Zut ! Et le test ?

-Le test ça n’a pas l’air obligatoire quand on est en quarantaine. En tout cas pour le Land de Rheinland-Pfalz. L’ambassade de France dit qu’il faut les deux.

-Les deux ? Mais on est perdus dans la forêt. On n’a vu personne ou presque. Bon, certes ceux qu’on a vus se tapaient la bise comme au bon vieux temps-de-l’an-dernier, et se serraient dans les bras à pleine bouche. Et les masques n’ont pas l’air d’être à la mode. Mais on en est resté loin… Et si on la fait pas, la quarantaine ?

– 25.000 euros d’amende.

– Par personne ?… Ça fait cher la balade.

– Yep ! on va la faire donc. Rester chez nous.

– C’est pas un peu excessif ? 1000 euros d’amende ça aurait suffi pour dissuader de trainer dans les restaus non ?

Au passage de la frontière, entre la zone commerciale de Forbach et la forêt palatine, la route est dégagée. Pas de véhicule de police, ni de distribution de formulaires de déclaration. Pourtant nous nous sentons comme des bandits de grand chemin. Des trafiquants de sardines au piment et de chasselas de Moissac, de romans français.

ACTE DEUX ~ A la maison – Mainz – Dimanche

Elle :      C’est bien joli la quarantaine, mais comment on va manger ?

Lui :       On a rapporté pas mal de nourriture de France, non ? Les ravioles, les tielles, la soupe de poisson, le cresson, les kilos de fromage, les Figolu et les madeleines, le chocolat à cuire, les châtaignes…

-Et les savons surgras et le dentifrice qui pique. Au moins si on n’a rien à manger, on sera propres ! Hi, hi. Ils disent quoi sur les sites web : on a le droit d’aller faire les courses ?

– C’est pas très clair. Il semble qu’il faille demander de l’aide aux voisins ou aux pompiers.

– Ah ouais je me vois bien … “Allo, les pompiers on voudrait quatre wiener Schnitzel mit Pommes“… On va faire une commande en ligne.

Les seuls camions de livraison de denrées alimentaires que nous ayons croisés dans le quartier sont ceux d’une chaine de produits surgelés – et encore rarement. Nous n’avons pas de congélateur.

– Regarde sur le site de Rewe. Il me semble qu’ils font des livraisons.

Des supermarchés Rewe y’en a plein autour de chez nous.

-Ah oui. Je prépare une commande… De la viande, des légumes, des fruits… C’est bon. Maintenant la livraison …. Arrrgh il n’y a aucun créneau disponible pendant deux semaines. Ensuite les dates s’arrêtent.

-Non ! Incroyable ! si on est coincés ici à Noël on a intérêt à anticiper nos commandes dès maintenant, sinon, les Allemands vont nous court-circuiter la dinde… Regarde Edeka, ou Real

J’ai vu des gens sortir du supermarché avec des décorations de Noël en branches de sapin début octobre.

-Non, eux ne font pas de livraison du tout

-HEIN ?

En France nos denrées sèches nous étaient livrées tous les mois au 6ème étage avec le sourire.

-Alors comment on fait ? Je propose de garder la carte ”voisins” pour le jour où on sera tous malades et coincés à l’intérieur. On envoie les filles ? Elles adorent ça, faire les courses. Elles sont restées en Allemagne, elles ne sont pas en quarantaine…

Notre seuil va bientôt se transformer en jungle

-Pas vraiment cohérent, tu ne trouves pas ?

-Non.

Elle ajoute en chuchotant :

-Mais on va pas s’appesantir là-dessus si on veut manger autre chose que des boites pendant deux semaines.

ACTE TROIS ~ A la maison, encoreLundi après-midi

Il raccroche sur une conversation professionnelle et sort de sa chambre-bureau pour une tasse de thé noir fumé. Les mains autour de son mug, elle hume la vapeur brûlante.

-Je viens d’échanger avec un collègue français. Il parait qu’il faut qu’on se déclare aux Autorités.

-Mince… pour qu’ils puissent venir nous mettre une amende si on n’est pas chez nous ?

-Il semblerait.

-Tu crois que la quarantaine commence à la date de déclaration ou à celle du retour dans le pays ?

Heureusement qu’on rentre de vacances en forêt. Parce que là, attaquer l’hibernation violemment, après une telle prise de tête pfffffff…. Ça ferait presque râler. Nous voilà punis, privés de sortie. Les feuilles dorées des peupliers par la fenêtre de notre chambre nous narguent. Elles vont tomber sans nous. Grrrr… moi qui adore le mois d’octobre et les promenades au grand air.

Le Ministère de la Santé allemande fait des communiqués sur Instagram pour encourager à prendre soin de son équilibre nerveux… On n’est pas aidés par les instructions absconses et contradictoires. Comment être équilibré quand on est privé de liberté et de nature ? Argumentez, vous avez 4 heures.

Une promenade seule dans la forêt franchement, quel risque ? Heureusement qu’on a fait des stocks de bouquins.

Recroquevillés sur notre quotidien franco-anglais, nous n’avons aucun contact avec l’extérieur. On pourrait être n’importe où, si on n’entendait pas des mots allemands dans les bouches des filles avec un pic aux alentours de 17 heures. Pour les devoirs.

ACTE QUATRE ~ A la maison, toujours – Mardi après-midi

Les filles viennent de rentrer du collège. Debout dans la cuisine elles grignotent leur madeleine en se versant un jus d’orange. Assise à table, je lis un cahier de ma plus jeune. Mais les devoirs ce sera pour plus tard.

-Les filles vous voudrez bien aller faire les courses s’il vous plait ? Sinon on ne va rien manger…

-Oh oui, fais des pâtes !

-Sérieusement, vous pouvez y aller ?

-Oui, oui. En vélo ?

On frappe à la porte. Sans doute un colis pour nous ou le voisin.

« SURPRISE ! » Il lève les bras au ciel, son sac sur le dos. Il ne porte pas de manteau.

Il nous faut un quart de seconde pour accepter ce que voient nos yeux. Oh c’est mon grand garçon / mon grand frère ! Il nous a fait la surprise ! Une fois son test négatif réalisé, il a réorganisé ses vacances pour passer quelques jours avec nous. CHOUETTE ! Merci !

Génial !

-Alors toi aussi tu es en quarantaine avec nous donc ?

-Oui. Mes deux tests négatifs ont plus de 72 heures.

(Pas beaucoup plus et il est resté planqué en attendant les résultats).

-Tu t’es déclaré aux Autorités ?

-Oui dans le train ils ont fait une annonce. Je l’ai fait en ligne.

-Allez les filles en piste pour les courses, voici la liste, les sous (ouf, heureusement que j’avais fait un retrait avant de partir). Non pas de bonbons pour Halloween. On en a rapporté de France.

Pas de trucs lourds non plus. Le lait, le jus, le papier et l’encre pour l’imprimante on l’achètera sur Amazon, hélas.

EPILOGUE ~ A la maison… si, si. Mercredi

La courbe du corona perce la stratosphère. Angela Merkel ferme les restaus et les piscines, et autres lieux de détente et de plaisir, à compter de début novembre pour un mois. Le soir, entassés sur le canapé, nous écoutons religieusement le discours d’Emmanuel Macron (tablette + VPN). La question porte moins sur le confinement que sur les modalités et la durée.

-Tu veux pas rester un peu plus longtemps mon grand ? Si les choses sont comme au printemps, au moins ici tu pourras sortir à plus d’un kilomètre et pour plus d’une heure.

Enfin, pas tout de suite. Dans deux semaines seulement.

Il n’a pas voulu. Mais au moins on a pu fêter son anniversaire en famille, autour d’un gratin dauphinois, de confit de canard et d’une tarte au citron. Pour ne pas l’abimer on a planté les bougies sur un citron. La déclaration en ligne ne prévoyait pas de date de départ. Pourvu qu’en cas de contrôle, les Autorités comprennent la nécessité de repasser la frontière dans l’autre sens avant la fin d’une quarantaine.

Pour ma récréation demain, je sortirai les poubelles.

Tout rouge

Dimanche, début d’après-midi, une heure bizarre. C’est encore le temps du repos, de la détente. Le moment de profiter du clapotis du soleil dans les plis des arbres. Bientôt, plus tôt, viendra le soir, et avec lui l’empressement de terminer ce qui doit l’être avant de rattaquer la semaine. On retrouvera des réflexes, vider la quatrième machine du jour, ranger les mètres cubes de linge, préparer les cartables, éplucher les légumes pour la soupe. Pour l’instant tout est encore possible, même si l’envie dérive.

Cette heure en trop m’encombre. Mon corps hésite, entre besoin de repos postprandial et élan actif, bousculé par la contradiction entre son besoin physiologique et la lumière de la fenêtre. Aujourd’hui elle devance l’horloge. Une journée entre deux, comme quand on arrive en Angleterre.

Demain ce sera la rentrée scolaire en Rheinland-Pfalz. Mainz est passé en zone rouge pour le corona voilà deux semaines. Pour l’instant (touchons tout le bois disponible, les troncs de la forêt entière), les écoles sont ouvertes. Nouvelle injonction : l’obligation de porter un masque en permanence, même en cours. Les activités sportives des après-midis, qui regroupent des enfants de plusieurs classes semblent compromises. Pour des raisons de traçabilité, l’administration choisira sans doute de préserver les séparations entre classes. Tant pis pour la natation et la danse acrobatique, et les après-midis studieuses des parents.

Avec la reprise en vue, les mails officiels se bousculent. Des messages longs et bavards. La réunion parents-professeurs est maintenue mais en ligne. Au club de gym les groupes seront divisés : 5 enfants maximum dans le gymnase. Les leçons de chacun seront raccourcies. Les défilés de la Saint-Martin (à la tombée du jour, avec des lanternes) prévus début novembre sont annulés à Mainz. Le corona s’immisce un peu plus dans le quotidien.

Il a eu raison de notre regroupement familial pour les congés : le ‘’cas contact’’ est assigné à résidence. Mon fils a dû se faire tester deux fois en trois jours : une première fois pour préparer sa venue en Allemagne. Une deuxième fois sept jours après la rencontre d’un ami tombé malade. Annulation des billets de train. Décalage aux calendes allemandes de sa fête d’anniversaire. Ça donne envie de râler. De se fâcher tout rouge.

Avec mon mari nous nous sommes évadés dans une forêt. Entre sapins et épicéas, bouleaux et chênes. Entre quatre murs de pierres rouges, plusieurs fois centenaires, dans une chambre appelée ‘’la chambre du président’’ en souvenir du passage de François Mitterrand. Une cure de silence, de mousses, de tourbillons de feuilles craquantes comme la croute du gratin dauphinois. De parfum d’humus noir. Balades à la recherche de champignons tombés de livres d’images. Je guette les formes, les couleurs et les textures les plus inédites. Partout le parapluie de cuir rouge des amanites, violent et cocasse. Je cherche des lutins dans leur ombre. Les traces dans le lichen vert pomme au flanc du rocher sont-elles des empreintes d’elfe ?

Nous nous sommes adaptés à l’Allemagne : nos réflexes sont germains. Nous portons le masque partout, ne touchons personne. Pendant les vacances nous avons aperçu (de loin) des gens qui se font la bise. Comme si de rien n’était. Qui pensent que tout ça n’est qu’une mauvaise blague pour enquiquiner les gens.

Sur la place d’un village, le marchand de miel, un homme brun et jeune, avec quelques taches de rousseur nous laisse entrevoir son ventre. Il soulève son T-shirt et son pull pour mieux les glisser dans son pantalon. « Non mais vous vous rendez-compte ; ils ont annulé les marchés de noël, les foires. Qu’est-ce qu’on va faire nous ? Heureusement on vend un peu sur internet. Mais quand même ! Tout ça juste pour éviter que les hôpitaux soient saturés. Franchement… c’est pas un peu exagéré ? On ferait pas mieux de laisser mourir quelques personnes pour préserver l’économie hein ? » Il a fini de se brailler et remonte la fermeture Eclair de son blouson. Il ne porte pas de masque.

Les clients du marché en portent eux, mais s’agglutinent comme ils l’ont toujours fait. Comme des aimants de signes opposés. Nous fuyons : leurs frôlements me gênent, je n’ai plus l’habitude. Sur les marchés allemands c’est le contraire : les gens s’évitent comme des aimants de même signe. Gare à qui passe à moins d’1,5 mètre….

A une visite de contrôle récente, le pédiatre nous avait demandé pourquoi à notre avis les infections progressaient plus vite en France qu’en Allemagne. « C’est à cause des embrassades, non ? » « Oui sans doute », ma fille et moi avions répondu. Mais nous nous étions senties obligées d’ajouter, par solidarité ou chauvinisme : « Pourtant les Français qu’on a vus cet été ne faisaient pas la bise du tout, et ils portaient des masques ». Ces pratiques préventives ne semblent pas généralisées.

Ici à Mainz les gens et les caddies sont à nouveau sur les rangs. Une caissière a refusé à une amie un deuxième paquet de papier toilette. La psychose du printemps avait commencé plus tôt de ce côté du Rhin. Lecteurs de France, préparez-vous à ronchonner dans les supermarchés !

Au fond de la forêt, nous avons vécu une expérience nouvelle : une invasion de coccinelles. C’est un peu comme une attaque à main armée de la part d’un petit bonhomme de 4 ans, coiffé d’un heaume de carton, une épée en caoutchouc au poing. C’est charmant et ça fait sourire. Des centaines, des milliers de coccinelles sur la façade le la maison se chauffaient sur le crépi, tourbillonnaient au soleil. Des dizaines crapahutaient au plafond, sur les murs de la chambre du président, enfin, la nôtre. Le soir de notre arrivée, mon mari les a faites sortir une à une, équipé d’un verre et d’un dépliant de papier. Les troupes en armure de carnaval se montrant têtues, nous avons cédé, vaincus par le nombre. Les vrombissements minuscules nous ont bercé.

Nous avons récupéré nos filles à leur colo d’équitation dans les environs de Mainz. Ravies, épuisées et sales. Levées chaque jour en fanfare à 7 heures pour la corvée de crottin ou de paille, elles se sont lavées une fois en une semaine. Entre les temps à cheval, elles se sont frottées à des moutons, des poules, des chiens ou des lapins. Toute la ménagerie que nous leur refusons à la maison. En défaisant sa valise, ma plus jeune a retrouvé une chaussette évadée du sac de linge sale. Elle colle son nez dessus.

-Mmmm maman, sens, ça sent trop bon !

-Vraiment ? (mine sceptique et légèrement dégoutée)

-Oui ça sent le cheval ! On va pas la laver celle-là en souvenir.

-Si, si.

Les vacances s’achèvent donc. Des vacances sous le signe des petits points. Les blancs sur fond rouge des amanites tue-mouche. Les noirs-sur-rouge, jaune, orange, ou rouges-sur-noir des coccinelles en jubilé. Les pointillés désordonnés des insectes ronds sur le mur.

Tiens, ça me donne une idée de couture pour un nouveau masque. Si j’annonce la couleur (toxique) sur le museau, l’accès au rayon pâtes me sera-t-il prioritaire ?

Antivirus, Saumagen, et autres spécialités locales

Chers amis, me revoilà.

Tous les jours, j’écris, j’écris… des textes que je ne publie pas. Des chapitres pour mon projet de bouquin (disons, les premiers brouillons d’un texte très long). Des articles pour ce blog que je ne me sens pas encore prête à partager. Un bout de journal pour me libérer d’émotions en travers, et mieux comprendre ce qu’elles ont à me dire, avant de (tenter de) les relâcher.

Pourtant les idées jaillissent sans arrêt. Quand je tricote un 150ème bonnet pour m’assurer d’être capable de comprendre un patron, sans arriver à sauter dans le précipice et me lancer dans un pull. Quand je passe au moulin à légumes la chair orange des coings, le nez juste au-dessus pour profiter de leur parfum. Quand dans la salle de bains je ramasse une serviette par terre en râlant. Quand je me réveille au milieu de la nuit. Ou la tête en bas, entre deux phrases de ma prof-de-yoga-sur-écran.

C’est un gros avantage, le cerveau qui continue en arrière plan de travailler sur les projets. Du coup quand je m’assois à mon bureau, les mots coulent, sans temps mort. Mais ça a un côté ”Norton” : esprit toujours actif en fond, pas de repos, mémoire vive monopolisée pour des trucs que je ne lui ai pas vraiment demandés alors que j’aurais bien besoin de me souvenir moi dans quelle poche j’ai rangé la liste des courses. Et maintenant.

J’ai pas trouvé la liste ce matin. Enfin, pas au supermarché. En rentrant elle est apparue dans la poche arrière droite de mon jean, fouillée pourtant à trois reprises, garée au rayon légumes. Je ne crois pas avoir oublié d’ingrédient essentiel pour la soupe butternut – noix de coco – coriandre de ce soir. Mon amie d’enfance allemande (vous vous souvenez : L’amitié franco-allemande prend sa source en Espagne) et son mari viennent manger. Nous sommes super excités par leur venue ! Depuis combien de mois n’avons-nous pas reçu d’invités ?

Elle m’a appelée hier soir pour nous laisser le choix de la décision : to invite or not to invite, that is the corona-question. Les cas augmentent en Allemagne aussi. Il parait que Mainz est en zone rouge maintenant. Mon mari me l’a annoncé hier.

Vous ai-je dit que je ne consulte presque plus les informations depuis le mois de juin ? Dans un souci de prévention pour mon équilibre nerveux et mental. Donc j’apprends par lecteur interposé les événements importants du style (porte de la chambre-bureau qui s’ouvre) « Estelle, Trump a le corona ! ». Moi, (qui lève la tête sur un grand sourire) « Hi, hi ! ». Ma fille de 9 ans : « Eh, on ne va quand même pas souhaiter la mort des gens c’est pas bien ». Moi : « Non, non ». Hi, hi. Non.

Alors zone rouge chez nous. Je ne sais pas à quoi ça correspond et ne cherche pas trop à me renseigner pour éviter le découragement. Nous continuons de prendre les mêmes précautions… Mais l’anniversaire auquel était invitée ma plus jeune dans deux semaines a été annulé. Le magasin d’une créatrice de notre quartier ferme aujourd’hui jusqu’à la fin du mois et nouvel ordre. Un mail du collège nous a proposé de commander les livres scolaires en version numérique. Une classe a demandé aux élèves de vider leur casier avant les vacances pour avoir tout à disposition à la maison. Au cas où.

Au cas où.

Rouge donc.

Difficile de convertir la signification pour l’étranger : les couleurs du système d’alerte sanitaire différent selon les pays. Nous avons l’autre jour discuté à table des projets de Noël. Avec des bouts de famille en France et en Angleterre et vivant en Allemagne, on cumule les contraintes sanitaires de trois pays et du passage de frontières. (Finalement les grèves de l’an dernier étaient de la gnognotte). Londres ne semble pas une option probable. Ma belle-sœur qui vit près de Brighton a tenté de nous expliquer le code d’alerte anglais : il change régulièrement. Nous n’avons pas compris. Elle-même semble dépassée par ces limites mouvantes. Une chose reste vraie : elle en a ras le bol d’être empêchée de rencontrer des amis. Les Anglais réfléchissent à un nouveau confinement. Leur exemple nous encourage à profiter. Faisons le plein d’amitié tant qu’on a le droit. Mais bien sûr, j’ai répondu à mon amie, venez. On ne s’embrassera pas, non, on aèrera toutes les 20 minutes, mais venez ! Par amitié, VENEZ !

Les vacances d’automne ont commencé depuis vendredi. Nous avons décoré la fenêtre de coloquintes tarabiscotées, offertes par des amis et achetées au marché. La boule d’un chrysanthème vieux rose éclaire notre seuil comme une fleur géante. Des moules à tarte remplis de pâte de coing toute fraîche sèchent sur les surfaces planes disponibles. Les pots de gelée s’attardent sur le plan de travail avant de rejoindre le placard. Pour profiter de leur couleur ambrée. La semaine dernière j’ai même vu des colchiques dans les prés. Elles flÔrissent, flÔrissent, (comme chantait mon fils en maternelle, la bouche ronde comme le Ô). Dans le champ voisin un tourbillon d’oies grises chahutait en criant, préambule à leur départ prochain pour l’Afrique.

C’est donc l’automne, chez nous dans les arbres et sur le calendrier. Pourtant dans les magasins c’est déjà noël : Lebkuchen (pains d’épices), et Stollen (gâteau à la pâte d’amandes) sont en rayon depuis début septembre. Peu après les paquets de quatre bougies pour les couronnes de Noël (une pour chaque dimanche de l’Avent), et les boites cadeaux de chocolats les ont rejoints (l’anticipation commerciale me semble pire que mes souvenirs de la France). Ce matin j’ai été accueillie chez DM (la droguerie, para-pharmacie-denrées bio sèches que nous adorons pour tous les petits trésors) par un stand de maquillages pour Fastnacht (carnaval). C’est vrai qu’il commence le 11.11 à 11 heures 11. Mais cette année, pas de rassemblement en centre-ville sur la Schillerplatz pour la lecture en grande pompe des 11 articles de la charte de carnaval. La cérémonie privée sera rediffusée à la télévision, sur la chaîne locale SWR, et sur internet. Maquillages en chambre.

Cet automne on ne m’y prendra pas comme l’an dernier : j’achèterai les Lebkuchen avant Décembre – je n’en avais plus trouvé qu’à la gare de Francfort, sur le trajet pour Londres. Alors question : à quel moment est-ce raisonnable d’acheter les gourmandises de Noël, sachant 1/ que nos placards de cuisine sont pleins 2/ que nous n’arrivons pas à nous débarrasser d’une invasion silencieuse de mites alimentaires ?

Ce sera après les vacances. Si on arrive à partir. Je prie tous les dieux masqués et les divinités désinfectées de maîtriser l’expansion de ce virus. Imaginez : avec mon mari nous avons réservé une semaine dans la forêt dans le nord de la France, A L’HOTEL, TOUT SEULS ! Si le Grand-Est reste exempt des mesures de quarantaine en Allemagne, si la colonie de cheval de nos filles, organisée à une petite heure de Mainz n’est pas annulée…

Si, si, si…

Sinon va falloir improviser. (Allo, là-haut, esprit-Norton, c’est le moment de faire le beau, t’aurais pas une idée ?). Inventer des stratégies pour se croire en vacances chez soi. Dénicher un gite à la dernière minute en Allemagne ? On ne serait pas difficile sur la destination. Sortir de chez nous, casser la routine, changer d’air et de nourriture telle est notre seule ambition. Ce doit être un signe d’adaptation : accepter de ne pas faire de projets, être heureux de découvrir le paysage juste de l’autre côté du virage, le visage aimé sur un écran. Bon mais faudrait pas trop que ça dure… c’est frustrant. Savez-vous qu’une des équipes qui travaille sur le vaccin contre le COVID 19 est à Mainz ? C’est sûr c’est mon coiffeur qui me l’a dit, il a un copain qui est chercheur chez Biontech. Pour accélérer le processus, ils travaillent en 3X8 depuis le début des hostilités.

Grâce à eux et leurs confrères du monde entier, peut-être bientôt pourront nous à nouveau inviter des amis, et même les prendre dans les bras. Ce serait formidable : quand nos invités sont partis hier soir, avec mon mari nous étions radieux.

-Ah ça fait du bien de voir du monde !

-Tu te rends compte j’avais complètement oublié de mettre une bouteille au frais. On a perdu la main…

Mais la soupe était bonne, et le Sekt qu’ils ont apporté aussi. A midi, nous allons découvrir le Saumagen (littéralement : ventre de cochon) qu’ils nous ont offert. Une boule grosse comme un melon, genre caillette géante, qui se découpe en tranche pour être grillée à la poêle. C’est une spécialité du Palatinat dont Helmut Kohl était grand amateur. Il a initié notre Chirac national. Qui a dû lui rendre la politesse à coup de tête de veau sauce gribiche.

Donc même si on ne part pas, nous allons avoir de la variété dans l’assiette. Et ce sera encore meilleur, parce que c’est offert par des amis.

(Eh, couché Norton, pas d’analyse pendant la dégustation steuplait !)

Si vous croisez la balsamine, ne pas résister à appuyer doucement sur les gousses gonflées…

Médaille de bronze de natation (en tissu)

Cette nuit un bruit soudain, intense et obstiné a traversé les couches de mon inconscience. Qu’est-ce que c’est ? Ah, c’est juste la pluie.

La pluie ?

De mémoire d’arbre, la dernière pluie remonte à avant la chute prématurée des feuilles craquantes. La génération actuelle de fleurs ne l’a jamais connue.

Hier matin, quand je suis passée à vélo près du grand terrain de jeu du quartier, un jardinier municipal armé d’une bruyante débroussailleuse, attaquait une herbe rare et sèche, pourtant recroquevillée au ras du sol. Ça sentait la roquette. Les touffes foncées aux fleurs-papillons jaune citron semblent être les seules plantes heureuses de la météo estivale prolongée. Elles, et une espèce de trèfle que je ne connais pas, mais dont les petites fleurs jaunes aussi dégagent un parfum très agréable quand on passe à côté.

Le temps change, enfin. 

J’adore l’automne, sa fraîcheur humide sur fond parfois bleu, sa lumière chaude entre les troncs mouillés et les feuilles multicolores. Les marrons et les châtaignes, la gelée de coings et la soupe de potimarron. La pluie rassurante.

C’est dommage en un sens : la piscine extérieure va fermer. (Le journal local précise que la dernière journée sera réservée à la baignade des chiens.)  J’adore nager dehors en septembre, quand la température de l’eau est confortable, équivalente ou presque à celle de l’air. Les bassins sont vides. Une amie nageuse (elle va à la piscine presque tous les jours) m’a fait remarquer le seuil psychologique local des 30°. Au-delà, le parking, les pelouses, les lignes de nage sont saturés. En deçà, même de quelques degrés, presque personne. Il m’est arrivé, sans grelotter, d’avoir la piscine à moi. Les Allemands sont frileux.

Toujours très couverts, ils craignent particulièrement la pluie. Dès qu’il tombe trois gouttes, les enfants sortent en bottes en caoutchouc et surpantalons étanches. Même au mois d’août. Les parents enfilent leurs vestes en goretex. Dès que les matinées fraichissent, les vestes et les écharpes apparaissent (c’est l’époque des chaussettes dans les sandales). Avec leur short au mois de septembre, mes filles passent pour des originales (même avec les températures récentes). Leurs copines s’inquiètent : ”Mais t’as pas froid comme ça ?”

Peut-être leurs origines anglaises ? En plein hiver, il est fréquent de voir outre-Manche des genoux à l’air, des blousons ouverts sur des T-shirts, des bras nus dans les restaus. Je me souviens être allée manger à Londres fin décembre avec une amie vêtue d’un polo à manches courtes, et pour sortir, d’une veste type tailleur, et d’une écharpe. J’étais emballée d’une veste épaisse, d’une écharpe et d’un bonnet, avec tout ce qu’il faut d’épaisseurs là-dessous. Et j’avais presque froid. Ces dernières années les climats océanique de l’Angleterre (‘’doux et humide’’) et continental de l’Allemagne (‘’très froid l’hiver, très chaud l’été’’) semblent s’être superposés.

Avec la pluie qui arrive pour s’installer si j’en crois les prévisions, comment allons-nous négocier les trajets pour le collège à vélo ? ou plus précisément comment vais-je négocier avec mes filles pour qu’elles n’arrivent pas trempées en cours ?

Echanges de ce matin :

-Si tu mettais un Kway dans ton cartable ?

-Non c’est bon j’ai un parapluie dans mon sac.

Un parapluie ? à vélo ? Moi j’ai un poncho de rando si besoin. Mais à mon âge le look passe bien après le besoin.

Heureusement les jours de sport elles ont de quoi se changer intégralement. Les gymnases ne sont accessibles qu’avec des baskets réservées à cet effet : propres et à semelles blanches. Les profs de sport insistent sur des vêtements lavés régulièrement et qui ne restent pas à croupir dans un casier. Tous les gamins se trimbalent un sac de sport complet avec vêtements et chaussures. D’ailleurs le kit de l’écolier (tous âges confondus) comprend outre le cartable et la trousse, la gourde, la petite boite pour le snack (Brotdose) et le sac de sport, type besace. Les sorties d’école ressemblent à des départs en trek.

Les gymnases sont multi disciplines : le sol reste libre. Pour faire de la gym, le matériel doit d’abord être installé. Il est rangé à l’issue de la leçon. Tous les agrès sont sur roulettes et le praticable enroulé. La première fois, j’ai été surprise de voir ces mini-gymnastes procéder à la manutention de grandes poutres ou des barres asymétriques. A plusieurs ça roule.

Le sport semble recevoir ici le respect qu’il mérite. C’est une discipline prise au sérieux. Les notes comptent, l’avis des profs est écouté, autant que ceux des autres matières. Peut-être parce que les enseignants ont tous deux spécialités (sport et maths, français et biologie ou autres).

La natation fait partie intégrante du programme. Les petits Allemands passent des diplômes, un peu comme les étoiles au ski. Le ‘’flocon’’ c’est le Seepferdchen (l’hippocampe) : l’enfant sait traverser la piscine sans se noyer. Ensuite viennent trois niveaux (bronze, argent et or) en fonction des compétences : durée de nage, distance minimale, nombre de nages, plongeons de plus ou moins haut. Dans le collège de mes filles, la natation est au programme de 6ème (l’an prochain).  Son professeur de français et de sport insiste pour qu’elle passe dès à présent le niveau requis (bronze) au cas où la piscine ferme à nouveau. Les autres enfants ont dû obtenir le certificat au primaire.

Dimanche nous sommes donc allées toutes les deux s’entraîner. Je veux voir son plongeon, elle l’a révisé avec son frère cet été. En partant elle a relu les 10 règles qu’elle doit connaitre par cœur. Allez plonge ! pas mal. Suffisant il me semble. Allez on le passe ce diplôme, comme ça ce sera fait ? Non. Si. Attends, je vais réviser les règles, elles sont affichées sur le mur.

Nous nous approchons de la maitre nageuse (doit-on dire maitresse nageuse ?), Schwimmmeister (non les 3 M ne sont pas dus à une touche coincée), une jeune femme en T-shirt et short rouge (les couleurs du club de Mainz 01) aux cheveux blonds ondulés aux épaules. Elle va chercher son chronomètre. Elle boite un peu, peut-être s’est-elle fait mal ?

Top c’est parti. Ma fille plonge et attaque ses longueurs de brasse. Il lui faut en faire au moins six et deux autres en dos. Elle slalome entre les gens, la maître nageuse longe le bassin et jette un œil de temps en temps sur la petite fille au bonnet bleu clair (le mien). Elle lui lance ensuite un anneau à aller chercher avec puis sans lunettes. Une bombe depuis le plongeoir. Les règles à réciter. C’est bon. Ouf ! c’est fait ! Ma fille est contente et soulagée. Moi aussi.

(pas le droit de faire
des photos à la piscine)

A Lyon mon fils a dû attendre le collège pour nager avec sa classe, faute de créneaux disponibles.  Pourtant, les piscines étaient réservées en journée aux écoles. Ici les deux bassins d’hiver (la piscine intérieure classique, et l’olympique extérieure, couverte d’une curieuse bulle gonflée) permettent à tout le monde de nager : les écoles, les clubs, le grand public (si l’on accepte la proximité de cours d’aquagym bruyants le matin). A l’entrée de la piscine, de grands containers en grillage sont remplis de matériel, pull-buoys, frites, ou mannequins. Chacun porte l’étiquette de l’établissement propriétaire.

Ça me fait vraiment du bien de nager et bouger dans l’eau, même juste pour regarder mon apprentie-nageuse. Je croise les doigts (Ich drücke die Daumen, je serre les pouces comme on dit ici) que la piscine ne soit pas condamnée à nouveau pour cause de corona. Surtout que si c’est le cas, les écoles aussi sans doute fermeront. Le prof de sport-français le craint. Avec sa classe, il a testé le dispositif vidéo vendredi.

Heureusement, côté diplôme aquatique ce sera fait. Enfin j’espère : sur le certificat la mètre-nageuse s’est trompée de colonne. Elle a attribué à ma fille le niveau argent. L’écusson en tissu, lui, est bien bronze.

L’écusson-médaille indispensable pour la 6ème

Heidelberg ~ (l’autre moitié)

Suite de l’article : Heidelbert (à moitié)

(Mon amie et moi avons faim : nous sommes à la recherche d’un restau de falafels pour midi.)

D’après l’adresse indiquée, le restaurant libanais se situe sur une petite rue, près de l’église des Jésuites. Nous trouvons l’église baroque, en grès rouge du Palatinat (comme le château, la cathédrale de Strasbourg, le lion de Belfort et tant d’autres monuments). Mais à l’adresse indiquée, une porte banale de résidence privée. Zut ! Tant pis, rabattons-nous sur ce café là au coin.

Il se trouve que c’est bien l’endroit que nous cherchions : l’accès en est sur le côté. Tables dehors dans une rue pavée. Encore peu de clients. Une jeune femme termine son assiette et la rapporte à l’intérieur. Nous la suivons. L’étalage de salades, taboulés, houmous fait envie. Nous choisissons une assiette complète pour deux et du thé froid maison.

Nous regardons passer les flâneurs, contemplons la rue depuis notre chaise, avec l’avantage involontaire de l’immobilité. On papote et déguste du caviar d’aubergine sur des bouts de pains libanais déchirés, les fameux falafels.

Ça va mieux ! on y va ?

Nous reprenons ensuite la rue de derrière : destination le château, en altitude sur la colline. Un château rouge donc.

-Tiens, c’est là, le funiculaire !

-Ah j’avais pas vu.

L’entrée sur la droite, ressemble à celle d’un petit musée ou d’un hôtel. Masque, ticket au guichet. Paiement par carte. Les mesures préventives liées au corona auront eu ceci de bon par ici : encourager le paiement dématérialisé (pas toutes les cartes partout encore, mais c’est déjà mieux). On attend dans l’escalier, à distance réglementaire, entre un couple avec un très gros chien et une famille à poussette. Le funiculaire arrive. La pente des rails soutenue et rectiligne est vertigineuse.

-On se met où pour mieux voir ?

-Peu importe on est tout le temps dans un tunnel.

-A Lyon aussi y’a un funiculaire, on l’appelle la Ficelle.

-Oui je sais on l’a pris cet été pour aller aux théâtres antiques.

-Je crois que là-bas aussi, passé le tout début, on ne voit rien du tout.

La montée jusqu’à la première gare est rapide. Pour le château c’est là. Ceux qui veulent atteindre le sommet de la colline, avec une autre montée digne d’un tremplin de saut à ski, restent à bord.

Plus de monde que ce matin, les touristes préfèrent visiter l’après-midi (comme nous en somme).

Nous faisons un tour des jardins, en longeant les murs extérieurs. Nos regards sont attirés vers la vieille ville et la rivière en bas. Les toits rouges d’Heidelberg se serrent au pied de leur château, contre les pentes boisées. Tiens, un châtaigner !

-Regarde c’est là-bas la Neckarwiese, la pelouse au bord de la rivière, où on va pour pique-niquer, trainer, refaire le monde.

-Ah oui, plus bas donc, en aval vers la ville nouvelle.

-C’est bizarre que la ville d’origine ne se soit développée que d’un côté de la rivière.

-Peut-être qu’il n’y avait pas de pont au début ?

Vue sur la vieille ville depuis le château

Notre ticket de funiculaire nous donne accès au château. Cérémonial pour entrer (comme partout en Allemagne) : remplir un papier avec ses coordonnées, son heure d’arrivée, le faire tamponner. Le rendre à la sortie où notre heure de départ sera enregistrée. Quand on pense que les Allemands sont très protecteurs de leurs données personnelles (et que c’est une des raisons pour lesquelles le paiement par carte était peu choisi), le corona a fait faire du chemin.

Le château est partiellement en ruine, et c’est tant mieux. Ça lui donne le charme de l’authentique, de l’à peu près. Des façades creuses, comme des décors de théâtre, avec des fenêtres ouvertes sur le ciel (dans les deux sens).

-J’ai lu que c’est Louis XIV qui a fait des destructions par ici.

-Oui. Décidément…

-J’ai l’impression que partout où je vais, les Français ont laissé des traces en creux. Lui ou Napoléon. D’ailleurs je suis en train de lire un livre sur Venise (Venise à double tour de Jean-Paul Kauffmann) : là-bas aussi Napoléon a fait démolir des bâtiments. Y a-t-il un endroit où il n’est pas allé ?

Dans les douves enherbées, mon amie me raconte qu’elle a vu des pièces de théâtre.

Dans ce château est née la Princesse Palatine, Liselotte von der Pfalz, mariée à Monsieur, le frère de Louis XIV. Nous passons devant une affiche à son effigie, le portrait d’une grosse dame moche, mal aimée à la cour. Elle a écrit 60.000 lettres (60.000 ?! ouais en même temps si on comptait tous les mails qu’on envoie depuis toujours à nos proches éloignés…). Des missives pleines d’esprit, de pertinence et d’humour, un regard intelligent sur les coulisses de la cour. Ma mère avait un recueil (une sélection) des lettres de la Princesse Palatine à Versailles. Celles que j’ai lues, à sa recommandation, étaient de vrais joyaux acérés.

Un petit tour dans la cour, le nez en l’air, nous passons en contrebas d’une terrasse de restaurant, avec un macaron Michelin sur la porte (dans un site aussi touristique ?!). Voici l’entrée du musée allemand de la pharmacie. Personne, allons-y.

De petites salles tarabiscotées se succèdent. Elles hébergent des meubles d’officines (souvent issus de cloîtres) avec leurs innombrables tiroirs, flacons et flasques, tous marqués du nom de la substance. Ensuite viennent des vitrines avec des échantillons de produits, parfois sous forme entière, avec le cas échéant les planches botaniques correspondantes. (A quoi pouvait servir la mue de serpent ? le lézard séché ?) Puis des alambics et flacons de distillation. Des jarres en verre avec un très grand tube me font penser au bec des costumes des médecins pendant la peste. Des outils pour peser, écraser, émietter, remplir les tubes de crème, des moules à suppositoires et à des tas d’autres choses (en forme de mouton ?). On se contente de regarder, d’admirer, de se questionner. Les explications écrites, ce sera pour une autre fois.

Nous revoilà dans la cour, sous un soleil blanc. Direction le Grosse Fass, le plus gros tonneau du monde. Nous contournons un groupe qui transpire pendant les explications du guide. Il leur ouvre une porte dérobée : « Vous avez payé pour la culture, pour le vin faudra attendre ! ». Nous on y va direct, au bas d’une pente pavée.

La pièce est sombre, ça sent à la fois le renfermé et le moisi, la ruelle un peu sale (à travers le masque). Pourtant c’est propre. A droite j’aperçois un gros tonneau.

-Ah oui quand même !

-Non c’est pas lui. Lui c’est le petit. Le Grosse Fass, il est là-bas.

-AH OUI !!!

Le tonneau est énorme, comme une maison de plusieurs étages. J’imagine construire une cabane dedans, avec des murs tous ronds. En bois sombre presque noir, ses pans sont entourés de contreforts. Un escalier permet de monter sur la terrasse construite à son sommet pour apprécier le dénivelé, puis redescendre de l’autre côté par un escalier en colimaçon (Euh, tu me donneras la main si j’ai le vertige en descendant ?).

Perkeo

Ce tonneau géant servait à recueillir les taxes en liquide (‘’en liquide’’, tiens tiens…), les prélèvements sur récolte des paysans alentours. Chacun y versait une part de sa production. Quel goût avait ce mélange ? Sur le mur la statue d’un nain italien mythologique, appelé le Perkeo. Il aurait été chargé de surveiller le tonneau. Mon amie m’explique qu’il voulait faire boire les visiteurs, et devant leur refus (ça nous en dit peut-être un peu plus sur le goût du breuvage), répondait Perché no (pourquoi pas ?) ? C’est chouette de visiter avec une ancienne habitante, j’ai l’impression de ne pas être une touriste.

La sortie s’effectue côté vallée, après le passage dans une grande cour dallée, où mon amie me signale une empreinte de chaussure dans la pierre. La trace d’un amant surpris qui aurait sauté par les fenêtres ?

La descente est pavée. Après quelques virages dans l’enceinte du château, un passage sous une dernière muraille (et le retour à la dame du petit formulaire tamponné), la voie est parfaitement rectiligne et bien pentue. Ça doit être sportif les jours de pluie. Comment faisaient-ils avec des chevaux, des charrettes ? Je n’y connais rien en attelages, mais il me semble que des virages auraient simplifié l’accès. Entre ces murs épais, ces arbres, ce château, ce chemin qui descend, cette rivière en contrebas, je repense à mes sorties d’enfant au sommet du Rocher des Doms à Avignon. Les couleurs, les odeurs, les arbres, tout y est différent, et pourtant l’ambiance générale, dans le sillage d’un passé lointain, a quelque chose de cousin.

Des marrons tombent à notre droite dans un fracas de percussions. Nous revoilà en bas. Il est temps de rebrousser chemin. Direction, le glacier recommandé, pardon la gare.

La Hauptstrasse, la rue principale piétonne, est bien plus animée que ce matin. Les terrasses des cafés aussi. Tiens un monsieur mange deux cornets de glace hi, hi. Oh et là regarde un cinéma !

C’est Gloria Gloriette, un cinéma d’art et d’essai, avec un accès par une traboule sombre, aux murs couverts d’affiches. Nous entrons, happées par ces promesses de films récents dont nous n’avons pas entendu parler. Ça fait tellement longtemps qu’on n’a pas pu mettre les pieds au cinoche. A Mainz, les deux cinémas confidentiels sont encore partiellement fermés pour cause de corona. Ailleurs, rien de bien intéressant à l’affiche pour l’instant. J’ai hâte que les programmations reprennent. Mais il n’y a pas de cinéma équivalent à Mainz, pourtant une ville bien plus peuplée que Heidelberg. La grande université doit y être pour quelque chose. Décidément, il fait bon être étudiant ici !

Un peu plus haut sur la grand rue, mon amie cherche dans une façade charmante et blanche, la trace d’un autre cinéma. Il a été remplacé par un supermarché.

Nous visons maintenant le numéro 100, pour les meilleures glaces de la ville (toujours d’après mon guide). La voilà la boutique. Miam ! Entrée interdite, les vendeuses sont dans la vitrine. On s’offre chacune deux boules généreuses et délicieuses. (1,50 euros la boule d’excellente glace dans une zone hyper touristique, pas mal hein ? La glace est une denrée de première nécessité pour les Allemands, un droit absolu. Je soupçonne le prix d’être encadré, comme celui de la baguette en France).

Il fait très chaud, elles fondent vite. Pourtant nous ne croquerons le cornet qu’en retrouvant la Bismarkplatz. Nos jambes et nos pieds commencent à se faire sentir. Nous cherchons les flaques d’ombre. Encore un petit effort. Nous rejoignons la gare par des rues différentes, à travers un quartier récent. Des glycines aux troncs honorables grimpent le long des immeubles. Je pense aux nouveaux quartiers de Gerland à Lyon (la proximité vivante d’un centre-ville en plus).

Ça y est, là, au fond, le champ de vélos et derrière, la gare.

Le train de retour est direct. Tant mieux. Nous sommes fatiguées. Mais nous avons encore plein de choses à nous dire pour cette heure de trajet et de grands sourires. J’ai rapporté de chouettes souvenirs, et de l’élan pour la semaine. Un marron brillant tout neuf.

Alors, je peux vous le dire aujourd’hui, en penchant légèrement la tête et en plissant un peu les yeux, sur un ton pénétré : Heidelberg, c’est beau !

PS : C’est quoi à votre avis les parfums des glaces ?

Heidelberg (à moitié)

Journée d’excursion-plaisir avec une amie ~ Le matin

Ce matin il fait encore nuit lorsque j’écarte le rideau. Le tout dernier croissant de lune penche, et accueille comme un berceau la silhouette de la sphère. Une planète brille fort tout près. Au loin, au ras de l’horizon citadin de feuilles et de béton, le ciel s’éclaircit. Je suis tout excitée par la journée qui s’ouvre. Avec une amie, nous partons passer la journée à Heidelberg.

Ça fait longtemps qu’on en parle toutes les deux. On a envie de se faire une virée entre copines. Elle y a fait ses études et moi, j’ai très envie de découvrir cette ville. Petite, j’ai entendu des adultes sérieux, la tête légèrement penchée dire que ‘’Oh, c’est beau Heidelberg’’, sur le ton entendu des initiés. J’ai envie d’entrer dans le club de ceux qui ont vu.

Enfant, c’est d’ailleurs une des seules choses que je connais de l’Allemagne. Grâce à un livre intitulé : Paris-Pékin par le Transsibérien que j’adorais, j’ai appris que traverser le rideau de fer c’est toute une histoire. Je sais aussi que ma commune est jumelée avec Schwarzenbek, une ville-de-la-Forêt-Noire. Mon imagination me voit déjà, ado, dans un car à destination de cette mystérieuse contrée sombre, au-delà de la frontière Est de la France, tout au bord de la carte. L’échange scolaire n’a pas eu lieu, et je viens de le vérifier (et de l’apprendre) Schwarzenbek se situe, non dans le Sud-Ouest montagneux de l’Allemagne mais dans le Nord, vers Hambourg.  Je suis un peu déçue par cette découverte qui modifie de façon posthume mes voyages imaginaires d’enfant. Une plaine du nord n’a pas la magie d’une sombre forêt.

Donc depuis deux ans que nous vivons en Allemagne, à moins de 100 kilomètres, il est temps d’aller vérifier si Heidelberg c’est beau.

C’est le moment de partir. Comme mes filles qui partent dormir chez une copine, je ne tiens pas trop en place. Hop vite une douche en chantant. Un p’tit déj solide de deux œufs durs – va falloir tenir jusqu’à notre déjeuner, et arpenter les rues avant. Un sac à dos avec de l’eau, un chapeau (la météo promet des températures estivales), un masque en tissu bleu à étoiles (cousu par ma fille pour son père) et du gel désinfectant. En croquant mes tartines de pain noir, je lis rapidement les pages de mon guide Lonely planet consacrées à Heidelberg, et fait quelques photos des restaus sympas et des visites.

Vite c’est l’heure. Bisous tout le monde, bonne journée.

– Mais tu vas où maman ?

– A Heidelberg.

– Tu rentres quand ?

– Ce soir, vers 18 heures.

– Comment je vais faire pour réviser ?

Réviser ? Quoi ? Y’a peut-être interro de maths bientôt. Encore ?

-Fais ce que tu peux, on continuera quand j’arrive.

(Ah les arrondis de grands chiffres !)

Sur le moment je ne prends pas le temps d’apprécier cette question de ma plus jeune. D’habitude il faut plutôt la supplier de se laisser aider pour les devoirs (j’écris ‘aider’ pour faire soft, mais le vrai mot serait plutôt ‘contrôler’).

Dans la rue le soleil tape déjà fort. Tram, avec le masque. J’ai renoncé au short. A mon âge, dans le train ? Bof. Pourvu que je ne crève pas de chaud.

A la gare je retrouve mon amie franco-allemande (voir l’article : Mon amie simultanée). Un train, puis un deuxième avec changement à Mannheim (où décidément tous mes voyages me font changer). Enfin Heidelberg HBF, la gare principale. C’est une gare assez grande, avec une passerelle couverte qui me fait penser à celle de Mulhouse (où je suis passée pour mon dernier voyage à Lyon via Bâle). Elle est située sur la large plaine du Rhin, au cœur des quartiers récents.

La ville ancienne et le château, sont plus haut sur la rive gauche d’une rivière verte, la Neckar, un affluent du Rhin. Elle a creusé son lit étroit entre deux pans de collines boisées. C’est là que nous nous dirigeons maintenant. Après avoir traversé la mer de vélos garés sur le parvis (y’en a beaucoup mais ils sont bien rangés, ce n’est pas comme à Amsterdam où je ne comprends pas comment les propriétaires les retrouvent et surtout y accèdent).

Des panneaux indiquent aux cyclistes et piétons la direction de la vieille ville, l’Altstadt : trois kilomètres. Nous renonçons au tramway, il fait bon dehors et sommes ravies de quitter notre masque. L’ambiance locale nous bercera au rythme de nos pas. Après quelques traversées de routes et de ronds-points (à la franco-allemande, en fonction du trafic et de notre témérité spontanée), nous longeons le trottoir qui nous amènera à la Bismarkplatz, la grande place Bismark, point de repère des transports publics et des grands magasins.

Nous nous enfilons dans des rues adjacentes.

Regarde c’est là que j’ai habité pour ma première année d’études, chez une dame.

La façade de la maison est ravissante, aux pierres beiges sculptées dans un style que je dirais ‘’allemand’’, à défaut de mieux m’y connaître. Un arbre a grandi devant depuis, un ailante de Chine, pressé et gracieux.

Les ruelles sont calmes. Quelques enfants jouent dans un square, par moment un vélo passe. Mon amie m’apprend que dans ce Land, le Bade-Wurtemberg, l’école vient juste de reprendre après les congés d’été. Nous avons de la chance : une combinaison de jour de semaine, vacances universitaires, contraintes liées au corona. Habituellement la ville grouille de touristes et d’étudiants. Ce mardi matin à Heidelberg pourrait être dans n’importe quelle ville.

Nous accédons par l’arrière au bâtiment de la faculté de mon amie. De grands platanes et marronniers ombragent des bancs, une cour pavée et quelques mètres carrés de pelouse. Ça sent l’herbe et la terre. Deux jeunes femmes travaillent sur une table, penchées sur leur portable. J’ai envie de reprendre des études ici. Vite une petite photo ! Attends une autre !

Oups qu’est-ce que c’est ? Un bruit brusque dégringole tout près le long d’un tronc en écailles de dinosaures et s’échoue dans un crépitement de feuilles sèches. Les marrons d’Inde commencent à tomber. J’en ramasse un, lisse et brillant.

A partir de la Bismarkplatz, nous empruntons la Hauptstrasse, la rue principale, et d’après mon guide (le Routard cette fois), la plus longue rue piétonne d’Europe. De part et d’autre de la voie pavée se trouvent les vitrines de grandes enseignes internationales. Des cafés et des glaciers.  On devine qu’à d’autres moments il doit être difficile d’avancer.

Mon amie m’indique au fur et à mesure que nous les croisons les bâtiments d’enseignement disséminés, les bibliothèques, restos U et salles d’étude. L’université date du XIVème siècle et aujourd’hui un habitant sur cinq est un étudiant. De grands noms de la littérature, de la philosophie, de la science sont passés par là. Sur les maisons, des plaques mentionnent les illustres résidents.

la bibliothèque universitaire

La rue principale est vraiment longue et jolie avec des bâtiments anciens. Chaque rue qui s’échappe d’un côté ou de l’autre, débouche sur le vert d’une forêt. Ça me fait beaucoup de bien ces petites montagnes. Le relief me manque à Mainz, même si par endroit à vélo on sent bien le dénivelé. Nous préférons nous perdre dans les ruelles. A quelques mètres du flux principal, apparaissent les commerces destinés aux habitants. Une boutique d’arts créatifs, des librairies et des boulangeries. Souvent nous trouvons porte close. La saison touristique marque le pas. Si on veut trouver ce livre de Mark Twain sur son voyage en Europe commencé à Heidelberg (A tramp in Europe), il faudra revenir cet après-midi.

Les petites rues ont un charme fou. Des maisons de deux, trois étages, mitoyennes, aux façades blondes, aux volets et portes de couleur : vert amande, rouge brique, bleus doux. Quelques fenêtres fleuries (T’as vu, l’autre là il a mis une tirelire pour ‘’financer son jardin de ville’’, quelques pots de tomates et d’ipomées grimpantes et pimpantes. Non mais ! Pour la peine, je ne la prendrai pas en photo sa fenêtre champêtre). Des vélos garés le long des murs partout. D’autres qui nous frôlent, car nous marchons volontiers sur la route pour mieux regarder.

Un détour par les rives de la Neckar, pour admirer le vieux pont et apercevoir, là-haut dans les arbres, grâce à un sportif qui y court, le Philosophenweg, le chemin des philosophes. Whaou trop beau ! Rive droite de la rivière, peu de maisons, et toutes récentes. La vieille ville a poussé du même côté au pied de son château. Ça doit être chouette aujourd’hui d’habiter là, en face, au pied d’une colline, dos à la forêt, avec vue sur l’Altstadt et pourtant au calme. La profusion de terrasses de cafés, vides en cette fin de matinée, laisse à penser que par moment, la promenade doit être moins agréable.

T’as pas faim toi ?

Nous passons devant un restau U installé dans d’anciennes écuries. Il est ouvert au public. Nous renonçons à ses tables installées sous les arbres, dans une cour pavée au bord d’une pelouse bien verte. Nous préférons trouver l’adresse repérée sur mes photos du guide. Les falafels nous font envie.

A suivre…

(Vous avez faim maintenant vous aussi ?)

Réunion d’équipe dans 3 semaines

Des réunions d’équipe, au bureau ou ailleurs, et de l’alpinisme sur papier.

Augustiner Strasse, Mainz

Ah au fait, ma chérie, le 25 septembre j’ai une réunion d’équipe au bureau.

Mon mari face à l’évier lave des courgettes sous le filet d’eau du robinet. Il ôte leur duvet rêche avec les doigts. Une planche à découper à la main, je m’apprête à écraser quelques gousses d’ail (rose, français, import direct du Sud-Ouest par nos soins). Nous préparons le dîner.

J’éclate de rire, un bon vrai fou rire, qui vient du ventre et ne s’arrête plus.

Il se retourne pour me regarder, penche un peu la tête. Son sourcil gauche se relève en point d’interrogation.

C’est drôle ?

Oui c’est à mourir de rire !

-…

Ça ne te frappe pas ? Avant, tu me prévenais plusieurs semaines à l’avance de tes voyages. Une semaine à Barcelone, deux semaines à Atlanta ou à Shangaï. Pour me préparer à l’idée de gérer seule la famille pendant une longue période. Et là, tu pars au bureau quelques heures, à 10 kilomètres de la maison, dans trois semaines, et tu me préviens déjà.

Il sourit, une courgette dans la main gauche, le grand couteau au manche de bois dans l’autre.

C’est pour se voir en direct, pour la première fois depuis six mois.

Ça va te faire tout drôle dis-moi de quitter ton bureau-chambre après tout ce temps !

Je ne peux plus m’arrêter de rire. Ah comme ça fait du bien !

Une de nos filles descend quatre à quatre les escaliers.

Tout va bien ?

Oui, oui !

Hi hi !

Qu’est-ce qui se passe ?

Rien.

Attends quelques jours, tu verras, ce sera dans un article de maman.

C’est drôle comme on peut rester coincés dans une ornière de sérieux pendant plusieurs jours quand on est adulte. Pourtant j’essaie souvent de trouver le petit détail comique dans la journée, de placer une blague ou un jeu de mot vaseux, des paroles de chansons qui collent avec ce que quelqu’un vient de dire. Histoire de se rappeler que la vie est une pièce de théâtre et que si nous n’en maîtrisons pas grand-chose, on peut quand même tâcher de voir le scénario dans lequel nous sommes lâchés avec des lunettes-à-rire (les jours de bonne humeur au moins).

J’ai beaucoup fait rire mes enfants – à mes dépens – cet été. J’agrémentais mes récits de courses au marché chez le poissonnier d’un petit air musical. Vous verriez tous ces coquillages et crustacés ! Quel bonheur ces étalages marins quand on vit au pays des Bratwurst ! Ils ne connaissent toujours pas la chanson de Bardot. Mais si j’aborde le sujet je suis quitte pour entendre à nouveau le refrain, à trois voix, sur une tonalité de fausset.

Donc réunion d’équipe dans trois semaines. Qu’à cela ne tienne. Préparons-nous.

Moi aujourd’hui je suis seule au pied de mon Everest, l’essai sur lequel je travaille. Je cherche à étalonner ma boussole. Lui proposer un Nord, qui colle avec mes ébauches de cartes. Tracer des azimuts. J’ai jeté sur le papier des idées, des scènes, une matière première que je pourrai froisser, trier, jeter. Aujourd’hui je ressens le besoin de retravailler en amont de ces premiers mots, pour trouver un sens qui fasse sens pour les lecteurs. Alors je tourne le dos à la paroi. Rebroussons chemin le long des petits cailloux déjà semés. Reprenons en sens inverse. Dans quelle direction dois-je me tourner ? Où se cache le bout du fil de la pelote, celui qui vous entrainerait dans une histoire et m’aiderait à sortir de mon labyrinthe ?

C’est un peu solitaire et frustrant comme recherche. Une réunion d’équipe c’est une bonne idée. Et si moi aussi j’en faisais une ?

Je prendrais le train, et je ferais un tour de France et d’Angleterre pour voir les personnes qui m’inspirent. Je prendrais l’avion pour la côte Est des Etats-Unis. Mes mentors vivent loin. Ils me nourrissent de leurs textes et leurs sourires, leurs coups de gueule et l’aveu de leurs coups de blues. Leurs tronches mal lunées ou lumineuses. Leur authenticité et leur sincérité.

Pour l’instant je me contente de réunions de papier, de mots écrits, d’échanges sur écran. J’empile des bouquins, des témoignages et modes d’emplois, des conseils et des exemples. Je suis des cours en ligne avec des journalistes ou des écrivains anglais et américains. Ce n’est pas un fait exprès cet environnement anglo-saxon. J’ai suivi les conseils de mon mari et mon intuition. Je me sens bien auprès de ces personnalités qui partagent leur parcours, leur apprentissage, leurs doutes et leur talent.

Donc imaginons une réunion d’équipe avec des gens, plus ou moins vivants, de différentes cultures. Tous pertinents, ne se prenant pas au sérieux, éprouvant le besoin de comprendre et de partager. On sauterait sur les occasions de jeux de mots vaseux et de blagues. Aucun participant ne serait blessé, intimidé ou moqué. On pourrait chanter nos échanges, si par hasard nos paroles coïncidaient avec celle d’une chanson. On aurait le droit d’éclater de rire.

On se programmerait une nouvelle date de rencontre, pas trop éloignée. Mais en se laissant le temps de savourer et digérer les échanges dont nous sommes sevrés depuis trop longtemps.

Il est cinq heures, Paris s’éveille… je dois y aller.

Dans trois semaines ça vous va ?

“I want to do fun things that make me happy (…). You might call me a child, good, for if adults had even the slightest ‘in the moment joy’ of a child, then frankly the world would be a better place!” Miranda Hart

(Je veux faire des choses sympa qui me rendent heureuse. Vous pouvez me traiter d’enfant, très bien. Mais si les adultes savaient, ne serait-ce que parfois, trouver de ‘la joie dans l’instant’, franchement, le monde serait bien plus agréable !)

Toucher avec tact

Comment témoigner son affection quand on n’a plus de droit de toucher ni d’embrasser ?

Une fenêtre sur la place du marché à Mainz

L’autre matin mon fils est reparti en France.

Mon mari les a emmenés à la gare, lui et sa copine, avec leurs sacs à dos et leur valise, leurs livres et leurs ordinateurs. Je suis restée à la maison avec ma benjamine à peine de retour d’une pyjama-party. Elle avait suivi le programme à la lettre : mis le pyjama et fait la folle une grande partie de la nuit. Epuisée, à peine rentrée, elle s’était échouée sur le canapé.

Ça m’arrangeait de ne pas descendre en ville. Les adieux en gare dans les courants d’air gris sont deux fois tristes. Je souffre de voir mon grand garçon repartir, sans savoir quand nous allons nous revoir. Et je me mords la langue pour ne pas laisser couler les larmes toutes prêtes. Je ne vais pas lui infliger une maman humide en public.

Les séparations sont douloureuses alors autant s’en affranchir dans un souffle, comme un sparadrap qu’on arrache. A bientôt, bon voyage. Un signe de la main ou deux, un sourire des lèvres à défaut du regard, et on tourne les talons.

Avant de voir la mine pâle de ma fêtarde de 9 ans, j’étais prête à y aller pourtant. Même en tram s’il n’y avait pas eu assez de place dans la voiture. Mais les trois branches de sauge cassées ce matin par un ballon maladroit m’avait mises en colère. Ça fait deux ans que je l’ai plantée, et elle s’était enfin décidée à pousser. La colère ça distrait de la tristesse, c’est très pratique.

Au moment du départ je me suis autorisée à faire un bisou à mon fils, COVID ou pas. Par politesse, j’ai respecté les consignes pour sa copine. Avec mon père cet été – groupe d’âge à risque – j’avais aussi renoncé à la bise. Les mesures d’hygiène nous obligent à une distanciation sociale extrême.

Ce sevrage des contacts physiques avec mes amis me pèse. Je suis une tactile, je mendie des gâtés à mes enfants qui n’en veulent plus vraiment. Ma plus jeune parfois me tend à contrecœur et à reculons le sommet de son crâne pour que je puisse y déposer un bisou rapide. Prièrer de se dépêcher et de limiter le contact au strict nécessaire.

Mais si j’apprécie le contact choisi et sélectif, je me hérisse à l’idée de toucher un corps que je n’estime pas. En France le rituel de la bise d’office me pèse et je m’y résous seulement pour ne pas passer pour une pimbêche, et quand je n’ai pas de rhume (réel ou opportun). J’apprécie la coutume allemande de faire un petit câlin à ses amis pour leur dire bonjour et aurevoir. Une accolade aux proches, un sourire aux autres. On fait le plein de contact rassérénant, et on garde ses joues pour ses très proches.

Depuis mars finalement, les seuls contacts physiques hors famille que j’ai eus sont ceux, expéditifs et impersonnels, du coiffeur et de la masseuse thaïlandaise (où je n’étais pas trop détendue : j’avais peur qu’elle me fasse un tour de reins). De l’infirmière qui m’a fait une prise de sang de contrôle en racontant ses vacances à sa copine. Elle aurait pu me regarder et me parler à moi, ça lui aurait évité de me piquer les deux bras, me faire un bleu douloureux et à moitié tourner de l’œil.

Cache-Cache, ébauche
de ma dernière sculpture

Faute de contact humain, je me replie sur le toucher végétal. Dans mes promenades, je frôle du bout des doigts les écorces rugueuses des pins rouges, j’enveloppe de la paume la peau lisse et tendue des hêtres, laisse glisser mes mains sous le parchemin des bouleaux. Quand personne ne regarde, je serre les gros troncs lisses entre mes bras. L’arbre choisi est frais et doux contre ma joue. Je ferme les yeux quelques secondes.

Le masque n’aide pas à compenser les manques d’échanges amicaux proches. Il dissimule notre humanité : un sourire, une grimace, des grognements, le rire. Il étouffe nos élans et endosse le rôle de son nom. Nous sortons protégés, mais surtout cachés.

Je parle dans une langue étrangère avec sans doute un accent français, et j’ai hélas l’ouïe qui baisse. Avec les masques j’ai été surprise de voir à quel point la mobilité du bas du visage, pas seulement des lèvres, enrichit nos échanges et leur compréhension. Ces jours-ci les conversations avec la boulangère ou le caissier de part et d’autre de plusieurs couches de tissus et d’un écran de plexiglas tiennent du surréalisme.

– Je voudrais deux pains complets

-Une baguette ?

-Deux pains complets s’il vous plait.

-Un pain complet ?

-Deux.

-Quoi d’autre ?

-Rien merci.

-Une baguette ?

C’est curieux cette étymologie commune entre tact et tactile . Comme si le « sentiment délicat de la mesure, des nuances, des convenances » (Larousse) avait un point commun avec le fait de toucher. Pour respecter les convenances, il faudrait entrer en contact physique, du bout des doigts certes mais toucher quand même.

Jusqu’à voilà peu, pour être poli, il fallait mettre en contact nos épidermes. Prouver que nous n’avions pas de poignard caché dans la manche. Que nous n’étions pas une pimbêche.

Aujourd’hui pour être poli, c’est le contraire. Ne nous touchons plus, n’échangeons pas nos microbes. Je te respecte donc je reste loin de toi. Sauf si tu es ma fille (mon fils). Là tant pis pour la politesse et le tact. Je te respecte et je t’aime donc je te ferai un petit bisou quand tu partiras, et un gros câlin quand tu reviendras.

Si tu le veux bien.

Et si tu ne fais pas ta pimbêche (ton crâneur).

Vous nagez avec un masque, vous ?

Le mode d’accès à la piscine a changé. Je me suis fait rappeler à l’Ordre. Ça faisait longtemps…

„DA LANG UND DAS ZÄHLT NICHT ALS MUNDSCHUTZ !“

(Par là et ça n’est pas un masque valide !).

Tétanisée je suis des yeux l’index accusateur qui m’indique que je devrais me trouver à 1 mètre à ma gauche. Et que ma capuche tirée de côté ne compte pas pour me couvrir le visage.

Il est 8h15 ce lundi matin. Je suis dans l’entrée de la piscine. Seule.

Je reconnais la jolie jeune femme qui m’accueille ainsi. Les cheveux blonds aux épaules, un léger maquillage, quelques taches de rousseur, des lunettes trendy. Elle a déjà encaissé plusieurs fois mon paiement pas plus tard que la semaine dernière. Je l’avais trouvée sympa. Elle m’avait même surprise en me disant aurevoir vendredi alors que je quittais les lieux : la sortie est assez éloignée de son guichet.

Depuis que la piscine a réouvert fin juin en mode Corona, je suis toujours passée par la caisse pour les bassins extérieurs. J’y présente mes cinq euros (oui avec les aménagements, les prix ont doublé), le formulaire avec mes coordonnées, dûment rempli et signé. Comme beaucoup de clients autour de moi, je n’ai pas de masque pour cette transaction rapide, qui se déroule de part et d’autre d’un écran de plexiglas, avec une caissière naturiste du museau. La caisse passée, plus personne ne porte de masque nulle part. Dans les vestiaires, sur les pelouses et dans l’eau, la distanciation sociale devient un concept très théorique.

Ce matin il fait frais. Mais j’ai décidé d’aller à la piscine, malgré la perspective de passer une demi-heure dans l’eau froide, avant et après une douche (extérieure) glacée. Je travaille beaucoup à mon projet de livre. Assise à mon bureau mais aussi tout le reste du temps. Mon esprit continue à mon su et mon insu à avancer et à triturer les sujets (merci à lui, mais parfois faudrait savoir faire des pauses). Ce matin il était important que je profite de mon corps pour mettre l’analyse en veilleuse. J’avais besoin de nager.

J’ai donc enfilé mon maillot sous mes habits, préparé mes cinq euros et rempli mon formulaire. Mis un gros sweat à capuche en prévision des frissons à la sortie. Je suis partie à pied à la piscine.

En arrivant je suis surprise de voir que les grilles rouges et blanches du Freibad (les bassins extérieurs) sont fermées. Comment faire ? Peut-on tout de même nager dehors ? (Je ne languis pas de devoir retourner dans la piscine couverte, 25 mètres seulement, bondée).

Je suis la seule cliente (je vous l’ai dit, il fait froid). Je me rapproche de l’autre entrée, celle du Hallenbad (bassin couvert) et essaie de comprendre la logique des panneaux temporaires. Par où faut-il passer ?

Les quelques marches pour entrer sont divisées en deux par des barrières. Des flèches indiquent l’entrée vers la gauche. Je me dirige donc vers la gauche. Ça fait faire un détour par la rampe. Il n’y a personne et je trouve cela absurde, mais mon monologue intérieur m’informe que « ils sont bien capables d’exiger les zig-zags même s’il n’y a que moi, donc vaudrait mieux suivre la consigne ». Je m’apprête donc à emprunter la rampe. Mais de nouveaux panneaux précisent qu’il s’agit de l’« entrée pour la seule piscine couverte ». Bon, moi je voudrais bien nager dehors. Je sais que l’accès pour l’extérieur, après la caisse est à droite. Mon raisonnement in petto en déduit : « Ah ok les gens qui nagent dedans on les fait entrer par la gauche, et les gens qui nagent dehors entrent par la droite. Logique. Je sais que tout le monde peut sortir par le tourniquet extérieur. » Donc je rebrousse chemin (quelques pas) pour emprunter les marches par la droite.

En montant, comme je n’ai pas emporté de masque (ce n’est pas un oubli, je ne pensais pas en avoir besoin) j’attrape ma grosse capuche par le côté et je fourre mon nez dedans (une intuition qu’il faut se couvrir puisque la caisse est à l’intérieur). Le supermarché d’en face accepte pour la durée des courses toute couverture de visage (foulard, écharpe…) : ils le mentionnent par écrit sur les murs et dans leurs annonces sonores. Pour les deux mètres à faire et les 20 secondes de transaction de part et d’autre de l’écran de plexiglas, il ne devrait pas y avoir de problème.

la capuche

Je grimpe l’escalier. Un sourire s’amorce derrière ma capuche bleu ciel. Je m’apprête à dire bonjour, un mot gentil (j’essaie toujours de placer un petit rien sympa). De ma main droite je commence à tirer sur la fermeture Eclair de mon sac pour attraper mon billet et mon formulaire. Je me demande si je vais pouvoir nager dehors, tant pis pour le froid. J’aime tellement sentir l’air et l’eau fraîche et voir et entendre les grands platanes, sentir l’herbe des pelouses. Regarder le ciel et les nuages. Je m’y sens déjà.

J’ai à peine fait un pas à l’intérieur que je m’arrête tétanisée par l’accueil incisif.

„DA LANG UND DAS ZÄHLT NICHT ALS MUNDSCHUTZ !“

Pendant quelques secondes, je n’ose plus bouger ni parler.
J’ai l’impression d’être une écolière indisciplinée, grondée par la directrice de l’école qui lui a déjà demandé 20 fois de ne pas laisser trainer ses affaires en plein milieu de l’entrée. Une sale tricheuse prise en flagrant délit de fraude minable.

Je réprime un garde-à-vous.

Prise de cours je ne sais comment réagir.

Ma bouche dit : « Merci. Je ne peux donc pas venir

Mes talons se tournent. Je sors, par n’importe quel côté. Le plus proche. (Oh tiens on dirait que c’est le bon ! si j’en crois les flèches en Scotch par terre que je découvre).

Je suis déçue, frustrée et en colère. Mon esprit rumine et ronchonne. Je me sens chauffer et les larmes monter.

J’allais écrire que j’ai un seuil de tolérance très bas pour les incohérences. En fait il est inexistant. Si je ne comprends pas la logique, j’ai du mal à suivre des règles que je considère absurdes.

Je me souviens de ma première visite au musée des Confluences à Lyon. J’étais seule dans le hall et me suis dirigée droit vers les caisses. Un gardien m’a interpelée et intimé l’ordre de retourner emprunter les zigzags de cordes. Il faisait son boulot (où commence l’excès de zèle ?). J’ai eu beaucoup de mal à obtempérer silencieusement. J’avais envie de lui expliquer ce qui était pour moi une évidence et aussi de lui demander s’il était complètement idiot. Je sais d’expérience qu’avec des gens qui appliquent les règles sans réfléchir, il vaut mieux faire profil bas et ne pas discuter. Mais la confrontation à ces murs de béton me coûte. Surtout que ces rappels sont rarement faits poliment.

La caissière ne faisait sans doute que son travail. C’est peut-être la 20ème fois qu’elle répète la même chose aujourd’hui. Je ne suis probablement pas la seule à avoir pris des habitudes à l’autre caisse, et à être perplexe devant leur organisation qui – à mes yeux au moins – est nouvelle.

Je suis rentrée à la maison quitter mon maillot sec.

En chemin j’ai trouvé ce que j’aurais dû lui dire :

Bonjour.

Et peut-être aussi :

Pourquoi n’en portez-vous pas un de masque ?

La fontaine des fous de carnaval à Mainz. Avec et sans masques.

Une histoire de nid

« Ils ont quitté le nid, sans le savoir vraiment, petit à petit vêtement par vêtement.» Bénabar dans sa chanson Quatre murs et un toit

Cette semaine nous avons le plaisir d’accueillir mon aîné et sa copine, pour quelques jours de vacances studieuses.

Il a quitté son domicile familial maternel (le nôtre) pour débuter ses études. Cela coïncidait avec notre départ en Allemagne. Après des années de garde alternée, il a pris pied dans un logement à lui, unique et permanent.

Nous avons emporté dans notre nouvelle maison les affaires qu’il n’avait pas choisies pour son studio : des cahiers de l’école primaire, des dessins, un télescope. Peu d’objets en somme. Les meubles, les livres, les vêtements sont presque tous restés à Lyon pour accompagner notre étudiant dans sa nouvelle vie.

Nous avons emballé dans des cartons les traces fugaces qu’il nous a laissées. Des souvenirs d’un passé révolu, comme tous les passés, du petit garçon qu’il n’était plus depuis longtemps. A Mainz, nous lui avons aménagé une chambre : de nouveaux meubles dans de nouveaux murs.

Brutalement nous n’avons plus eu le plaisir de le retrouver une semaine sur deux, ni de l’accueillir de temps en temps pour un déjeuner, une lessive, un week-end (trop loin Mainz pour un court séjour). Nous ne pouvions pas non plus nous recueillir dans son ancienne chambre pour une bulle de nostalgie.

Vacances de Toussaint par-ci, d’hiver par-là : chaque séjour à Mainz crée des souvenirs communs dans notre maison allemande. Sa chambre s’anime (autrement que pour servir de bureau depuis mars).

L’avantage d’avoir des enfants d’âges différents, c’est que leur départ de la maison familiale sera échelonné. On aura le temps de se préparer, de voir s’en aller chaque week-end, un livre ou un pull de plus.

On l’a vécu nous aussi au même âge. Partir avec un sac de voyage trop lourd, des affaires pour la quinzaine. Avec ses premiers sous s’acheter une machine à laver, une table et quelques chaises, un lit. Récupérer de vieux fauteuils et une télé en noir et blanc. Rentrer moins souvent.

Repères stables, à cette époque, nos grands-parents étaient ancrés dans une vie depuis des dizaines d’années. Une grand-mère à Avignon, des grands parents en Ardèche. Noël par-ci, Pâques par-là. Le festival, les rôties de châtaignes. On savait où on en était.

Aujourd’hui, pour cause de départ prématuré des grands-mères, les grands-pères refont leur vie. Ils changent de lieu de vie, sans vraiment déménager, sans le savoir vraiment, vêtement par vêtement. Et pourtant rien n’est plus pareil. Les maisons où leurs enfants ont fait leurs premiers pas, où leurs petits-enfants ont joué à cache-cache se taisent, se replient, s’assoupissent.

Nos repères côté ascendants s’effilochent pour nous comme pour nos enfants. A quoi tient l’âme d’une famille ? d’une maison ?

Aux pas dans le couloir du petit matin dans l’odeur des ficelles craquantes, au grincement de la poignée, au refus entêté du portail quand il pleut. A la porte entr’ouverte sur un courant d’air pour permettre à la flambée de prendre.

Le départ d’un être aimé impose un changement brutal. Avec les matins qui s’entassent sur les objets et les lieux, les transitions de celui qui reste, s’infiltre un changement plus insidieux, à peine perceptible. D’autant moins quand on vit à l’étranger. Les autres, ceux que l’on a quittés, avancent. Quand nous les retrouvons, notre absence est décuplée. La maison de Londres, celle d’Ardèche crépitantes de souvenirs abritent de moins en moins de vie. Chaque retour est un choc.

C’est une des raisons pour lesquelles nous avons pris la décision (avec le recul d’un séjour en France) de rentrer l’an prochain. Nous avons envie de nous ancrer quelque part, de nous enraciner, au sens littéral. Planter notre famille, entre quatre murs et sous un toit.

En déménageant en Allemagne nous nous sommes toujours dit que ce serait au moins pour 2-3 ans, tant que ça nous plairait. Nous ne sommes pas d’ici, ni l’un ni l’autre. Nous nous sentons en transition. Dans une famille où l’un des parents est de culture locale, l’enracinement pour l’autre se fait tout naturellement. Nous sommes habitués à notre environnement, mais nous nous restons tous les deux (tous les cinq) étrangers.

J’en ai discuté avec une amie la semaine dernière, de retour de la piscine. Elle aussi a vécu à l’étranger, au Japon, avec son mari. Au bout de quelques temps ils ont éprouvé un besoin de rentrer pour s’enraciner. Elle a employé le même mot.

Nous avons envie et besoin de construire un nid, pour nous et nos enfants avant qu’ils ne le quittent tous, vêtement par vêtement. De créer un jardin-refuge où gratter et creuser la terre et planter des fleurs entre nos racines.

(PS : Je n’allais tout de même pas vous mettre des photos de chaussettes !?)